L’impérialisme, stade suprême du capitalisme avant 14 ? L’impérialisme, stade suprême du capitalisme est le titre d’un ouvrage que Lénine achève d’écrire en 1916. Il donne une analyse scientifique des lois objectives du développement du capitalisme à l'époque de l'impérialisme. Lénine démontre, faits à l'appui, que toutes les contradictions du capitalisme sont alors exacerbées, qu'à l'époque de l'impérialisme se créent des prémisses objectives pour réaliser la révolution socialiste, que l'impérialisme était « le prélude de la révolution sociale du prolétariat ». Lénine en dégage 5 indices économiques : 1. Le rôle décisif des monopoles dans l'économie, 2. La fusion du capital bancaire avec le capital industriel pour donner naissance au capital financier, 3. L'importance que prend l'exportation des capitaux par rapport à l'exportation des marchandises, 4. La naissance d'unions monopolistes internationales de capitalistes. 5. La lutte pour le partage territorial du monde par les grandes puissances capitalistes étant achevée, la lutte pour un nouveau partage. Avant la Première Guerre Mondiale, le capitalisme français, considéré isolément, peut-il être lu à travers cette grille de lecture ? Impérialisme et capitalisme sont-ils inséparables ? Certes, la France tend, avant 1914 à développer et exercer des relations de domination sur d’autres pays du monde, mais les indices sont nombreux contre l’idée d’une volonté d’impérialisme total et suprême. Et enfin, le capitalisme, avant 1914, n’est encore, en France, pas totalement développé, ce qui empêche de parler avec autant d’emphase de « stade suprême ». 1. Les différentes formes de l’impérialisme français avant 1914 : du politique à l’économique. Les guerres impérialistes remontent à longtemps : nationalistes et coloniales. Ou comment le capitalisme aura utilisé l’appareil d’Etat (i.e. l’armée) ? La France, un territoire agrandi. La première forme d’impérialisme vise à constituer des empires dans une optique purement nationaliste : c’est l’impérialisme politique et par conséquent militaire. Parmi nos plus grands conquérants, comptons Louis XIV, qui combat en Europe les Allemands, la Suède et en Espagne. Il obtient des territoires au Nord-Est comme Nancy, en Flandre, en Hainaut et Artois. N’oublions pas que Louis XIV, qui régna pendant 72 ans, fut en guerre pendant plus de la moitié de son règne. Il affirmait "s'agrandir est la plus digne et la plus agréable des occupations des souverains". Mais surtout, celui qui constitua un empire sans précédent pour la France, ce fut Napoléon. À la conquête des colonies. Dès le 15e siècle, l’Europe et par conséquent la France, part à la conquête du monde, essentiellement à l’origine pour faire du commerce. Car coloniser, c’est mettre en valeur des terres afin de produire des biens que l’on ne peut produire chez soi. Il y a donc, dès le départ, dans tous les projets de colonisation, un souci économique, un désir d'exploiter les ressources, à son profit. La France prend possession des territoires du Canada sous François Ier et établit un programme de colonisation. Citons l’explorateur Jacques Cartier. Québec est la capitale du Canada institué en 1608 (future province de Nouvelle France). En 1682, Cavelier de la Salle prend possession des deux rives du Mississipi et lui donne le nom de Louisiane. La France s'établit aux Antilles (Martinique, Guadeloupe et Saint Domingue). Elle détient des comptoirs au Sénégal en Inde (Pondichéry et Chandernagor), l'île de France (île Maurice) et l'île Bourbon (la Réunion). Sous Louis XIV, la France mène de nombreuses des guerres entre 1689 et 1715. Dans les colonies, elle fait la guerre aux Anglais, ce qui limite son expansion coloniale. Voilà l’Amérique de Louis XIV : de colonie, du reste au peuplement modeste, avec une organisation de province française, à part les îles à sucre des Antilles, il n'y aura que le Canada, cédé aux Anglais en 1763. Le pouvoir royal n'a jamais visé à l'extension de la province sur le continent nord-américain. Quant aux bassins de l'Ohio, du Mississippi, aux Grands Lacs, à la Louisiane, ce sont des appendices, procurant des positions stratégiques, jalonnées de fortins, pour prendre les Anglais à revers au-delà de la ligne des Appalaches ou flanc-garder au sud les Espagnols. Finalement le traité de Paris en 1763 restitue l'Inde et le Canada aux anglais. En 1803 Napoléon vend la Louisiane aux Etats unis. En 1817, la France possède la Guyane française. C'est à partir de 1830 que l'Algérie fut conquise. Avec Napoléon III pour des intérêts économiques, on installe des comptoirs en Chine, en Indochine et en Nouvelle Calédonie. Après la guerre francoprussiennee de 1871 et la perte de l'Alsace et la Lorraine. La France veut renforcer son prestige et veut prouver sur le plan international son statut de puissance européenne. Elle colonise le Maroc (protectorat en 1912) et la Tunisie (protectorat français en 1871). L'Afrique Noire est colonisée par Savorgnan de Brazza entre 1875 et 1880 (Gabon, Congo français, Oubangui-Chari) Elle est regroupée dans une entité administrative appelée AfriqueÉquatoriale française (AEF). En 1895 la Côte-d'Ivoire, la Guinée et le Dahomey, le Sénégal et le Tchad sont réunis au sein de l'Afrique occidentale française (AOF). En 1885 Madagascar est colonisé (protectorat) puis annexé en 1896. Dans la péninsule chinoise, Jules Ferry colonise le Laos, l'Annam et le Tonkin (devenu Vietnam). Les points forts de l’économie française dans ses relations avec l’étranger. En ce qui concerne la puissance financière de la France, est reste depuis des décennies, après l’Angleterre (23% des capitaux mondiaux investis à l’étranger, la moitié de l’Angleterre, le double de l’Allemagne) et la France est toujours classée parmi les premiers pays pour les placements à l’extérieur par habitant. Cette première approche, globale, pourrait faire penser au 3e indice de Lénine (mais voir 2e partie) Dans le 1er tome d’Asselain, de la p62 à la p65, il y a un sous-paragraphe « L’apogée du commerce colonial », période qui s’étend jusqu’à la fin du 18e siècle. Mais si au 19e et jusqu’en 1914, la France est une des nations les plus colonisatrices, les flux économiques ne suivent pas. 2. Néanmoins, ce capitalisme ne peut pas être considéré comme totalement impérialiste La structure des flux avec l’extérieur. Les investissements coloniaux sont largement réduits par rapport aux investissements dans d’autres pays en train de se développer, voire de rattraper l’état d’industrialisation de la France (ou même avec des pays plus développés). Les investissements sont tournés vers l’Europe (52% des capitaux extérieurs français- 5% dans le cas anglais !!). La Russie est la principale bénéficiaire (cf. les emprunts russes des arrière-grands-parents ?) : la moitié des I français en Europe, le quart dans le monde. Ce n’est pas tout. Les investissements français sont généralement des investissements de portefeuille, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de contrôle ni de gestion dans le développement d’entreprises à l’étranger, mais seulement des placements en fonds d’Etat ou en obligation de compagnies (notamment celle de chemins de fer dans le cas de la Russie). Ses conséquences. Revenons une minute sur l’impérialisme. Ce dernier est bien un moyen, ne l’oublions pas, pour les pays de se créer leurs propres débouchés. Le problème de la France est qu’avant 1914, les placements extérieurs n’ont aucun contrôle direct, d’où de faibles effets d’entraînement et finalement de faibles retombées pour l’économie française. Ainsi les exportations de la France vers la Russie ne s’élèvent qu’à 1 % des exportations totales de la France. Et la Russie importe beaucoup plus en provenance de l’Allemagne. Impérialisme, avez-vous dit M. Lénine ? Revenons sur l’indice 1 : les monopoles dans l’économie. La concentration ? Phénomène assez controversé en France avant 1914. En réalité, il existe des branches tout à fait dynamiques aussi bien concentrées (aluminium) que très dispersées (industries nouvelles en plein essor, aéronautique, automobile, et qui au cours du XXe siècle se concentreront). Et en comparaison, les Etats-Unis par exemple ont alors une nette supériorité de taille des établissements. 3. Le capitalisme français n’est lui-même pas entièrement développé en avant 1914. « Capitalisme : système économique défini par la propriété privée des moyens de production, le rôle du marché et de la concurrence, l’importance de l’initiative individuelle, la recherche et le réinvestissement systématique du profit. » (dico Nathan) Là-dessus, il n’y aurait rien à dire quant au capitalisme français… La situation ambiguë de la France avant 1914 : un pays industrialisé mais encore (trop) rural [ ce qui fait que par exemple par comparaison, avec l’Angleterre, Asselain utilise souvent les termes de modèle de développement différent]. En 1911, 56 % de la population est considérée comme rurale, ce qui constitue un retard d’un siècle avec l’Angleterre en termes d’urbanisation. La France se situe aussi derrière l’Allemagne (38 %). Aussi, cette situation se ressent-elle dans la structure de la population active (PA) et évidemment dans celle de l’économie. La PA agricole représente 40 % de la PA totale, le secteur industriel 30 % (les prolétaires ne sont donc pas en majorité, le grand soir n’est alors pas prévu) et le secteur tertiaire 30 % aussi (ce qui, aujourd’hui, pourrait paraître précoce pour le développement de l’économie). Alors, certes, avec le XXe siècle, la France entre dans une nouvelle ère d’industrialisation, sous l’impulsion du développement de l’automobile, de l’aéronautique, de l’électricité, mais le modèle de développement économique de la France empêche de dire que le capitalisme de ce pays, tel qu’il est à la veille de la première guerre mondiale, en est à un « stade suprême », à la différence par exemple de l’Angleterre. Autres phénomènes et comparaisons D’autres pays que la France sont à un stade encore plus avancé du capitalisme, comme dit plus haut, à savoir par exemple l’Angleterre. Une comparaison dans les exportations l’a montré plus haut en ce qui concerne les exportations vers les colonies. De plus, la France exporte alors peu de produits industriels dans le total de ses exportations : 63% contre 79 pour la Grande Bretagne et 72% pour l’Allemagne. Enfin, la France est, par exemple, très largement dépendante des importations pour de très nombreuses machines et biens d’équipement, des navires à vapeur aux machines outils. Conclusion : La France suit le mouvement colonialiste et impérialiste de la plupart des pays industrialisés en 1914. Néanmoins, la constitution des colonies françaises n’est pas principalement motivée par l’économique, et par conséquent ne peut pas réellement servir à un capitalisme encore en développement. Et l’impérialisme hors colonies, et le capitalisme doivent encore progresser, relativement à d’autres pays. Donc, non à la question posée. (avis tranché, huh ?)