Mme Hoda Nehmé,
Doyen de la FPSH-USEK
Vendredi 20 mai 2011
Réponse au discours de Mme le professeur Brigitte Maréchal de l’université
catholique de Louvain, dans le cadre du thème :
« Nos universités catholiques, lieux d’accueil et de dialogue avec l’islam ».
Nous adressons nos vifs remerciements à Mme le professeur Brigitte Maréchal
pour son discours éclairant et précieux.
Mme Maréchal a porté sa réflexion sur les efforts que doivent déployer les
universités européennes, en particulier celles catholiques, pour établir les
meilleurs échanges entre islam et christianisme dans le cadre du contexte
universitaire habilité à trouver entre hommes et femmes de culture les
différentes solutions qui peuvent créer une intercompréhension entre citoyens
européens égaux en devoirs et droits et différents en appartenance
communautaire.
Nous avons remarqué que les idées maîtresses qui gouvernent le texte portent
sur les questions récurrentes relatives à la présence musulmane dans le contexte
européen, présence qui suscite des interrogations aussi bien sur le plan socio
politique que sur les plans culturel et académique, à savoir la condition
d’intégration et celle d’assimilation.
La genèse succincte sur la question rattache la présence musulmane en Europe
aux accords conclus dans les années soixante avec les pays du Maghreb et la
Turquie, en faveur d’un recrutement d’une main d’œuvre qui ferait les tâches
dures et se contenterait de toucher des appointements en échange sans avancer
des revendications ni réclamer des droits qui iraient au-delà de ceux exigés au
niveau d’un contrat de travail limité dans le temps et dans l’espace.
Probablement que les cosignataires des accords dans la deuxième moitié du XXe
siècle ne prévoyaient pas qu’une main d’œuvre musulmane constituerait, au fil
des années, la question d’Occident, qui s’exprime à l’heure actuelle dans ce
nouveau paysage sociétal musulman dont il est difficile d’ignorer la réalité, de la
négliger ou de la reléguer au second plan à un moment de l’Histoire la crise
culturelle fait date un peu partout sur la planète.
En termes de statistiques les musulmans constituent 3 à 4% de la population
européenne. Ils sont répartis inégalement ici et là. Leur nombre est croissant et
donne lieu à des revendications se faisant sur un territoire, qualifié de foyer des
droits de l’homme. Au nom de cette appellation plusieurs exactions sont
commises et non sans séquelles sérieuses, sinon angoissantes, sur une société
démocratique et largement laïque.
Pourquoi la présence musulmane est-elle problématique dans le contexte
européen ?
A cette interrogation le discours offre une palette de raisons :
D’une main d’œuvre subalterne à une large communauté musulmane
européenne faisant partie intégrante du tissu social européen.
Cette donne signifie que l’ancienne génération, venue pour travailler en Occident,
a compris que pour devenir citoyen à part entière en Europe, il est indispensable
de fréquenter les écoles, et éventuellement les universités, pour se tailler une
place, rivaliser d’égal à égal un citoyen européen en tant que citoyen européen
musulman.
Protégée par des lois qui respectent les droits de la personne, assurent la liberté
de conscience et l’égalité en matière de citoyenneté, et qui reconnaissent toutes
les religions à égalité sur un même territoire national, la communauté musulmane
s’éveille, franchit le seuil irréversible de l’affirmation d’un soi distinct bien que par
ailleurs, complémentaire au panorama citoyen en Europe.
Dès lors le citoyen européen musulman essaie de s’affranchir du désarroi ressenti
suite à la perte de son identité spécifique et de récupérer sa tradition brisée.
Comment s’exprime cet affranchissement ?
Le citoyen européen musulman réclame un lieu de prière dans les lieux de travail,
désire multiplier les mosquées, les cimetières, veut mettre en place un nombre de
madrasas pour l’enseignement religieux et la transmission des valeurs religieuses.
En période de jeûne il souhaite avoir un emploi de temps qui respecte son statut
de croyant à jeûne, comme il rappelle que les jours de fête musulmane doivent
intégrer le calendrier des jours fériés reconnus par l’Etat européen, etc.
Il exprime un malaise retentissant lorsqu’une manifestation caricaturale, touche
au domaine du « sacré » dans le sens islamique du terme, ou lorsqu’une loi
concerne le port du voile, du niqab ou du hijab, alors que selon les affirmations de
nombreux penseurs islamiques, l’islam véritable n’a jamais fait du voile un devoir
religieux. La communauté musulmane européenne soutient la liberté religieuse et
la liberté de conscience tant qu’elles servent la cause du musulman croyant dans
le contexte européen.
Toutes les manifestations de malaise exprimées par les citoyens européens
musulmans puisent leur source dans cette nostalgie non assouvie qui s’empare
des musulmans désireux de reconstituer l’unité perdue de leur culture, de la
partager avec les autres et de la faire reconnaître au moins par cet « autre », à
un moment où ils sentent qu’ils sont encore incapables de l’imposer comme
mode de vie ou de style à adopter.
Il s’agit d’une expression qu’il faudrait comprendre sur le plan psychologique.
Fascinés d’une part par le modèle européen et craignant par ailleurs
l’effondrement définitif de leurs propres valeurs, les citoyens européens
musulmans voudraient que leur culture « fasse époque ». La question de fond
travaillant les musulmans de la diaspora se perçoit dans l’interrogation suivante :
« Comment être de son temps sans se délester de son identité culturelle ? »
Qu’est ce que l’Europe offre aux citoyens européens musulmans ?
Bien que le discours reconnaisse qu’il n’y a pas, dans le contexte européen un
modèle unique qui traite du rapport Religion/Etat, il n’en demeure pas moins que
le contexte européen partage, sur le plan de l’intégration citoyenne, certaines
valeurs communes telles la liberté religieuse, la liberté de la pensée et la liberté
d’expression, même dans un Etat religion et politique vivent en harmonie. A
noter que les communautés religieuses, toutes tendances confondues, qui
intègrent les principes et les valeurs de la société européenne, ne sont pas
inquiétés par l’Etat. Toutefois il nous faut reconnaître aussi que n’importe quelle
communau religieuse qui porte atteinte à ces principes, risque de subir
l’insatisfaction de l’Etat et son attitude négative à son égard.
Les citoyens européens portent un regard sur l’islam comme étant une religion au
même titre que les autres religions qui peuplent le contexte européen, bien qu’à
plus d’ égard la présence musulmane pose problème lorsqu’elle manifeste une
certaine particularité et fait sienne la défense des signes ostentatoires, ou celle du
jeûne qui doit intégrer le quotidien de la cité européenne sans omettre la
tendance friande au retour fracassant du fait religieux qui occupe le devant de la
scène internationale depuis plus de trois décennies et qui fait l’objet d’une
politique médiatique bouleversant à la fois l’opinion publique européenne et
occidentale.
Cependant et conformément au discours, les européens ont établi souvent de
très bons rapports avec les citoyens européens musulmans surtout lorsqu’il est
question de communauté musulmane avertie, cultivée, ouverte, dynamique et
légitimement intégrée.
Le vivre ensemble : réalité et perspectives
Le vivre ensemble islamo européen est une question difficile à traiter.
D’abord le qualificatif « musulman » attribué à la « présence » s’agissant de la
présence musulmane européenne, est une expression du non-dit : « Comment
être chez soi, rien qu’auprès de soi, quand on est travaillé par le « négatif » de
l’autre occidental ?
Cet autre qui est l’occidental demeure dans l’inconscient collectif du musulman,
ce représentant de la modernité qui a envahi la terre d’islam et « qui a fixé le
début de la fin d’une culture théocentrique dogmatique et autoréférentielle »,
annonçant ainsi l’ère de la blessure militaire et celle du choc civilisationnel jusque
là irréparable, en dépit de tous les efforts déployés en faveur d’un dialogue
authentique islamo-chrétien qui pourrait jeter les fondements d’un vivre
ensemble sous tendu par une éthique citoyenne commune.
Nombreux sont les timoniers du salut en Europe qui ont œuvré et continuent de
le faire à la construction des espaces d’entente entre les différentes religions
coexistant sur un même territoire et ayant en partage les mêmes valeurs
citoyennes.
Le succès du vivre ensemble convoité ne saurait se réduire à la prolifération de
centres de recherches ou d’études islamiques disséminés ici et dans différents
pays européens et portant en grande majorité, selon notre modeste
connaissance, sur une tradition revisitée, et sur une prouesse intellectuelle dont
le but ultime est d’une part, l’insistance sur la permanence du religieux et la
résistance à tout changement en matière religieuse, et d’autre part, le maintien
de cette tradition en égale à la modernité, prouvant encore une fois l’incapacité
de l’islam d’arracher à l’occident les instruments de sa force.
Le succès du vivre ensemble ne saurait réussir dans un contexte européen qui, à
l’heure actuelle, assiste à l’éloignement de l’universel de son giron, alors que
Heidegger en faisait un site se situant « par-dessus Orient Occident », mais
passant néanmoins « à travers l’Européen ».
A la question pertinente : « Qu’est ce qu’être européen aujourd’hui dans un
monde rongé par un multiculturalisme jusque là indigeste ? La réponse serait
dans l’émergence de ce noyau des bâtisseurs de « l’archipel de l’humanité
européenne » selon Alexis Philonenko.
Consciente de cette dislocation au sein du contexte européen, la présence
musulmane s’égare dans l’entre deux : dans un monde qui réunit le paradoxe du
multiculturalisme et des replis identitaires faisant ressentir aux musulmans
touchés par la modernité que cette dernière n’est pas le fruit de leur
mûrissement interne, et la question problème est de savoir comment concilier ce
qui est considéré comme immuable (la religion), avec le changement ?
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