son règne à diverses épreuves qu'il doit se montrer capable de réussir ; il y a aussi des serments
ordaliques tel celui de la dénonciation en paternité sous menace de fausse couche en cas de
parjure...
En ce qui concerne le monde grec, le recours à l’ordalie n’est pas clairement établi. Glotz affirme qu’il
est « impossible qu’ils n’aient pas connu l’ordalie. »
Il convoque à l’appui de son propos un passage
de l’Antigone de Sophocle, lorsque les gardes qui devaient surveiller le cadavre de Polynice essaient
de contrer l’accusation de négligence :
« Nous étions prêts à prendre en main les fers rouges, à marcher à travers le feu et à jurer par devant
les dieux de n’avoir été ni coupables ni complices. »
Pourtant, les gardes qui demandent à Créon de leur faire subir une épreuve ne s’expriment pas
devant un tribunal. L’ordalie ne s’applique pas, ici, par ordre des juges, mais par l’effet d’une volonté
particulière. En tout état de cause, il n’existe pas de preuve irréfutable de cette pratique dans le
monde Grec.
Dans tous les cas, il s’agit de mener l’investigation sur un sujet donné et d’appréhender la vérité en
recourant, en dernier lieu, au savoir des dieux qui ont des connaissances supérieures aux nôtres. Il
s’agit donc bien d’un mode de preuve, c'est-à-dire, d’une forme de rationalisme. Le recours aux dieux
est un rempart contre l’aporie ou l’arbitraire.
Deux cas peuvent, cependant, se présenter :
Dans le premier cas, les hommes reconnaissent leur impuissance à faire émerger la vérité par les
moyens qui leur sont propres et demandent aux dieux de se prononcer. L’ordalie a alors lieu mais in
fine, ce sont les hommes qui prennent la décision d’absoudre l’accusé. C’est ce que l’on trouve dans
la civilisation hittite ; c’est aussi ce que l’on trouve dans la première ordalie de notre roman, au
terme de l’épreuve subie par Leucippé. Les portes de la grotte s’ouvrent et le peuple réagit
bruyamment, validant le jugement de la syrinx.
Comme je me disais ces mots, une harmonieuse mélodie se fit entendre et l’on dit que l’on n’avait
jamais encore entendu de plus suave mélodie ; aussitôt nous vîmes les portes grandes ouvertes.
Quand Leucippé sortit d’un bond, le peuple tout entier poussa des cris de joie et injuria Thersandre.
La quête de la vérité s’inscrit ici dans un rapport dialogique entre les hommes et les dieux : les
hommes reconnaissent leur impuissance, questionnent les dieux, qui se prononcent, et les hommes
reprennent l’initiative pour valider la réponse, absoudre l’accusé(e). La validation de la réponse
divine qui devient vérité judiciaire devant la justice des hommes apparaît encore plus nettement
dans le cas de la femme adultère :
Lorsque se fut écoulé les temps que l’on avait fixé que Mélité devait passer dans la source, le
président la prit par la main et la fit sortir de l’eau.
Pour le second cas, les hommes reconnaissent leur impuissance à faire émerger la vérité par les
moyens qui leur sont propres et demandent aux dieux de se prononcer. L’ordalie a alors lieu mais les
dieux gardent la main, en quelques sortes. Dans cette hypothèse, nous disposons de moins
d’éléments d’analyse car les héroïnes ne s’y trouvent pas confrontées. Toutefois, si Leucippé n’avait
pas été reconnue innocente, la situation eût été différente : les dieux se seraient prononcés mais ils
auraient agi eux-mêmes et puni l’accusé(e) de leur propre chef : les portes seraient restées closes et
il y aurait eu disparition du corps. On se trouve là devant une forme d’ordalie différente. La
collaboration entre les hommes et les dieux ne laisse plus de place aux hommes. Dans ce cadre, où le
corps de la personne déclarée coupable disparaît, on peut se demander si l’on n’aurait pas affaire à
une forme de punition proche de l’emmurement, peine de mort pratiquée assez couramment pour
punir les femmes, en particulier
.
G. Glotz, L’ordalie dans la Grèce primitive, p. 2.
Sophocle, Antigone, 264-266.
A. Tatius, VIII, 14, 1-2.
A. Tatius, VIII, 14, 4.
Voir sur ce point les analyses de E. Cantarella, Les peines de mort en Grèce et à Rome.