Dates du colloque
28 et 29 avril 2011 à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université
d’Agadir.
Argumentaire
Dans la mesure le message, en l’occurrence la littérature, peut être le reflet
de la réalité, et dans le sens nous pourrions définir la littérature comme étant la
passion des gens, du monde, le colloque se propose de faire état des interactions entre
deux disciplines paraissant, à première vue, complètement distinctes, à savoir la
sociologie et la littérature.
Les romanciers et écrivains des 18ème et 19ème siècles ont-ils fait de la sociologie
sans le savoir comme Monsieur Jourdain faisait de la prose ? Les sociologues sont-ils
appelés, pour être lus et appréciés, à user de la rhétorique pour verbaliser, analyser,
interpréter et expliquer le réel ? Depuis longtemps les frontières entre la littérature et la
sociologie questionnent sur leur caractère étanche ou semi-ouvert, sachant que
l’ethnographie, première étape du processus de recherche, n’est pas l’apanage des
sciences humaines alors que des morceaux tout à fait de niveau issus des littératures
sont de véritables chef-d’œuvres sociologiques.
Si la « physique sociale » (A. Comte) considérait les faits sociaux comme ayant
un niveau de réalité équivalent aux phénomènes naturels (E. Durkheim), la tendance
aujourd’hui dans le champ de la recherche sociologique serait plutôt à l’éclatement et à
« l’épuisement du paradigme » un et indivisible (Th. Kuhn). Il ne s’agit plus de
dégager des lois sociologiques et de les généraliser, mais de décrire et d’interpréter un
monde de plus en plus changeant, d’aller vers ce que C. Geertz appelait « local
knowledge », c’est-à-dire à ce « thick description » en portant une attention
particulière au sens que les acteurs donnent aux pratiques sociales qui sont les leurs.
Les écrivains réalistes situent l’action de leurs œuvres dans le milieu
contemporain, dans l’histoire de leur temps. Les romanciers comme Balzac, Stendhal
ou Flaubert visent à la représentation du monde par l’analyse qu’ils en font. Ils sont
animés par le souci de documentation scrupuleuse, le goût du « petit fait vrai », à telle
enseigne qu’ils sont souvent invoqués par les historiens de leur époque. Aujourd’hui
encore, il existe des lecteurs non sociologues qui trouvent que la lecture de ces auteurs
les dispense de celle des ouvrages de sociologie. Le fait qu’une catégorie importante
de lecteurs soit fascinée par une lecture sociologique de la littérature est avéré. Elle
voit dans l’écrivain un donneur de leçons, une sorte de substrat du sociologue. Le
domaine des « représentations sociales », cher aux écrivains réalistes, est également
investi par la discipline sociologique avec rigueur et objectivité. De même que les
sociologues redécouvrent les vertus des configurations d’en-bas, ces petites choses de
la vie quotidienne qui occupent les départements prestigieux des sciences sociales de
la tradition de l’école de Chicago.
La littérature de différents auteurs est une sorte de regard porté sur leur société
et sur l’homme (l’individu) la constituant. Même les textes des nouveaux romanciers
(avant-gardistes), connus pour leur refus du roman classique et des différents aspects
le caractérisant y compris la thématique, sont traversés par la circulation de thèmes
socio-économiques, rendant parfois tentante une lecture sociologique de leurs œuvres.
Toutefois, définir la littérature comme sociologique, c’est déjà la réduire
quelque part, c’est la vider de sa substance, de son être propre. Même les écrivains
réalistes, dans leur entreprise d’être le miroir de leur époque, ont essa néanmoins de
prendre le contre-pied du stéréotypique et du banal : « Le réaliste, s’il est un artiste,
cherchera, non pas à nous donner une photographie banale de la vie, mais à nous en
donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité me ».
(Maupassant, préface de Pierre et Jean).
Mais la littérature est-elle un fait social ? C’est le point de départ de ce qu’il est
convenu d’appeler la sociologie de la littérature arguant que le fait littéraire a son
public, ses consommateurs, ses évaluateurs, ses détracteurs. De même le texte littéraire
dit et verbalise une époque, les contradictions d’une société locale et les enjeux qui la
traversent. Bref la critique littéraire, en passant la fiction, offre au chercheur-
sociologue, un document de travail, un matériau au service de l’analyse sociologique.
De ce point de vue, les ouvrages de Driss Chraïbi illustrent parfaitement ce paradigme
du texte à la lisière de la littérature et de la sociologie. En lisant Une enquête au
pays par exemple, on est tout de suite saisi par les problématiques sociologiques
soulevées, quoi qu’implicitement, par la beauté de l’écriture et par la centralité de cet
humour acide pour moquer la réalité au lieu de l’analyser. C’est là, tout le clivage
entre les deux disciplines au point que l’on considère la littérature comme synonyme
de « paroles en l’air » et la sociologie comme un « sport de combat ».
Nonobstant, d’aucuns considèrent que l’intervention sociale d’un texte ne se
mesure pas à la fidélité du reflet social qui s’y inscrit ou s’y projette. Selon eux, à la
suite de Roland Barthes, la littérature n’est pas faite pour que les sociologues la
prennent à leur compte, pour qu’elle les aide à comprendre les phénomènes sociaux :
« L’intervention sociale d’un texte qui ne s’accomplit pas nécessairement dans le
temps où ce texte paraît, ne se mesure ni à la popularité de son audience ni à la fidélité
du reflet économico-social qui s’y inscrit ou qu’il projette vers quelque sociologue
avide de les recueillir. Mais plutôt à la violence qui lui permet d’excéder les lois d’une
société, d’une idéologie et d’une philosophie qui se donne pour s’accorder elle-même
dans un beau mouvement d’intelligibilité historique. Cet excès a nom « Ecriture »
(Roland Barthes, Sade, Fourrier, Loyola, p. 16).
L’intérêt de la littérature est dans l’excès. Elle ne doit pas se cantonner dans le
rôle de détecteur de la réalité socio-économique, mais elle doit excéder toutes les lois
et les subvertir. Faire de la littérature c’est renverser les mythes, transmuer le signifiant
et faire basculer les signifiés.
Si le texte sociologique cherche à être efficace, le texte littéraire, lui, n’est pas
censé l’être. Ce dernier doit être fondé sur le ludique (le jeu, le plaisir), sur la notion de
gratuité. Le texte littéraire, quoi qu’étant traversé par le réel, ne cherche pas,
contrairement aux sciences, à dire la vérité. On serait même ten de dire que la
littérature serait, plus ou moins, une construction imaginaire le lecteur oscillerait
entre l’invraisemblable et le vraisemblable.
Ce colloque se fixe comme objectif d’expliciter cette relation « incestueuse »
entre la littérature et la sociologie en débrouillant les frontières qui les séparent, les
enjeux qui les animent et en fin de compte de s’interroger sur la complémentarité et les
distances qui les ajustent. Le débat contradictoire, nous semble-t-il, mérite d’être initié
utilement à l’occasion de ce colloque que nous espérons fructueux.
Les communications sont appelées à s’insérer dans l’un des axes suivants :
- Ethnographie littéraire et sociologie : quels ponts ?
- Les intuitions sociologiques chez les littéraires.
- La sociologie de la littérature : quels objets et quels publics ?
- Littératures de voyage et sociologie : dissymétrie ou complémentarité ?
- La littérature réaliste et naturaliste sont-elles une sociologie ?
- Ecrits politiques : littérature ou socio-analyse ?
- Genre et littérature
Les propositions de communication sont à adresser avant le 15 février 2011 :
Brahim LABARI (labarib@yahoo.ca )
1 / 4 100%