encore, il existe des lecteurs non sociologues qui trouvent que la lecture de ces auteurs
les dispense de celle des ouvrages de sociologie. Le fait qu’une catégorie importante
de lecteurs soit fascinée par une lecture sociologique de la littérature est avéré. Elle
voit dans l’écrivain un donneur de leçons, une sorte de substrat du sociologue. Le
domaine des « représentations sociales », cher aux écrivains réalistes, est également
investi par la discipline sociologique avec rigueur et objectivité. De même que les
sociologues redécouvrent les vertus des configurations d’en-bas, ces petites choses de
la vie quotidienne qui occupent les départements prestigieux des sciences sociales de
la tradition de l’école de Chicago.
La littérature de différents auteurs est une sorte de regard porté sur leur société
et sur l’homme (l’individu) la constituant. Même les textes des nouveaux romanciers
(avant-gardistes), connus pour leur refus du roman classique et des différents aspects
le caractérisant y compris la thématique, sont traversés par la circulation de thèmes
socio-économiques, rendant parfois tentante une lecture sociologique de leurs œuvres.
Toutefois, définir la littérature comme sociologique, c’est déjà la réduire
quelque part, c’est la vider de sa substance, de son être propre. Même les écrivains
réalistes, dans leur entreprise d’être le miroir de leur époque, ont essayé néanmoins de
prendre le contre-pied du stéréotypique et du banal : « Le réaliste, s’il est un artiste,
cherchera, non pas à nous donner une photographie banale de la vie, mais à nous en
donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même ».
(Maupassant, préface de Pierre et Jean).
Mais la littérature est-elle un fait social ? C’est le point de départ de ce qu’il est
convenu d’appeler la sociologie de la littérature arguant que le fait littéraire a son
public, ses consommateurs, ses évaluateurs, ses détracteurs. De même le texte littéraire
dit et verbalise une époque, les contradictions d’une société locale et les enjeux qui la
traversent. Bref la critique littéraire, en dépassant la fiction, offre au chercheur-
sociologue, un document de travail, un matériau au service de l’analyse sociologique.
De ce point de vue, les ouvrages de Driss Chraïbi illustrent parfaitement ce paradigme
du texte à la lisière de la littérature et de la sociologie. En lisant Une enquête au
pays par exemple, on est tout de suite saisi par les problématiques sociologiques
soulevées, quoi qu’implicitement, par la beauté de l’écriture et par la centralité de cet