L'épizootie de fièvre aphteuse à l'épreuve de la vaccination LE MONDE | 28.03.01 | 13h42 Alors qu'à l'échelon moléculaire, on connaît tout de la structure du virus aphteux et alors que l'on dispose de différents outils vaccinaux permettant de prévenir l'apparition de la maladie, on ne peut nourrir aucun espoir quant à son éradication planétaire à court ou à moyen terme. AVEC L'AGENT pathogène de la fièvre aphteuse, on est confronté à un paradoxe fréquent en virologie : alors qu'à l'échelon moléculaire, on connaît tout de la structure du virus aphteux et alors que l'on dispose de différents outils vaccinaux permettant de prévenir l'apparition de la maladie, on ne peut nourrir aucun espoir quant à son éradication planétaire à court ou à moyen terme. Il aura, au total, fallu près d'un siècle entre la démonstration - en 1897 par les biologistes allemands Löffler et Frosch - du caractère transmissible et viral de la fièvre aphteuse et la publication (le 23 février 1989 dans les colonnes de l'hebdomadaire scientifique britannique Nature) de la représentation tridimensionnelle du virus aphteux. Entre-temps, de longs et patients travaux de biologistes et de vétérinaires avaient permis d'identifier et de mieux comprendre les caractéristiques de ce virus de petite taille appartenant à la famille Picornaviridae et au genre Aphtovirus. Ces travaux ont notamment permis de mettre en évidence la très grande variabilité génétique de ce virus à ARN constitué d'une petite capside de symétrie icosaédrique de 30 nanomètres de diamètre (30 millionièmes de millimètre) et composée de quelques protéines seulement. Cette tendance naturelle à modifier son patrimoine génétique lui confère le moyen de s'adapter très rapidement à des situations épidémiologiques nouvelles et fait que l'infection aphteuse demeure endémique dans certaines régions du monde. A cette variabilité s'ajoutent d'autres facteurs aggravants : capacité du virus à résister dans le milieu extérieur et à infecter nombre d'animaux (bovins, porcins, ovins et caprins, qu'ils soient d'élevage ou sauvages) ; le taux d'excrétion virale très élevé chez certains d'entre eux ; existence d'infections chroniques inapparentes. Conséquences : une extrême contagiosité de l'infection et la survenue récurrente d'épizooties d'ampleur variable. Le professeur Jean Blancou rappelle, dans Histoire de la surveillance et du contrôle des maladies animales transmissibles(éditions de l'Office international des épizooties), que c'est en 1925, grâce aux travaux de Vallée, Carré et Rinjard, que l'on obtint les premiers résultats positifs de vaccination à partir d'un virus purifié, obtenu in vivoet formolé. En dépit des progrès accomplis depuis, l'immunisation des animaux est, là où elle est encore pratiquée, d'une efficacité encore limitée et d'un maniement parfois délicat. NOMBREUX TYPES DE VIRUS On compte aujourd'hui sept sérotypes du virus (dénommés O, A, C, SAT1, SAT2, SAT3 et Asia1) et, pour chacun d'entre eux, de très nombreux sous-types caractérisés par des différences structurales au niveau de l'une des protéines constitutives de la capside virale. Ces mutations continues du virus - qui n'est pas sans rappeler celles de nombreux virus pathogènes comme ceux de la grippe et du sida - peuvent être à l'origine de vaccinations peu efficaces du fait de l'éloignement entre le virus utilisé lors de la fabrication du vaccin et celui contre lequel on entend protéger les animaux. "Ainsi la vaccination appliquée autour d'un foyer épidémique peut donner une fausse idée de protection, expliquaient en novembre 1999 dans les colonnes du Bulletin des groupements techniques vétérinairesEtienne Thiry et Ratiba Baazizi (faculté de médecine vétérinaire, université de Liège). Si l'épidémie est provoquée par un sous-type variant par rapport aux sérotypes présents dans le vaccin, la vaccination va protéger imparfaitement le bétail et peut-être masquer la dissémination du sous-type présent dans le foyer." La question de l'efficacité de la vaccination anti-aphteuse est ainsi, pour beaucoup, celle des progrès pouvant être accomplis pour déjouer les capacités de mutation du virus. Celle soulevée par son usage au sein de l'Union européenne renvoie à la mise au point de vaccins qui permettraient, en pratique, de faire la distinction entre les animaux vaccinés et ceux qui sont porteurs des traces biologiques qui résultent de l'infection naturelle par le virus. On sait en effet que la réglementation sanitaire internationale, élaborée par l'Office international des épizooties, interdit aux pays considérés comme étant indemnes de cette maladie d'importer sur leur sol des animaux ou des produits qui en dérivent en provenance de pays qui ne le sont pas. Or cette même réglementation fait qu'un pays qui maintient une politique de vaccination ne peut, par définition, être considéré comme indemne, ce statut n'étant accordé qu'à ceux qui parviennent à ne pas avoir de foyers épizootiques en l'absence de vaccination. L'émotion, sinon l'incompréhension, de l'opinion face aux multiples conséquences de l'épizootie britannique fait que les règles pourraient être modifiées dès lors que l'on pourrait disposer de vaccins permettant de faire la part entre animaux vaccinés et animaux infectés. Force est de constater que les recherches menées dès les années 1980 sur des vaccins constitués de sousunités protéiques du virus n'ont pas débouché sur des vaccins utilisables sur le terrain. APPROCHE PROMETTEUSE Une autre approche, celle des vaccins dits "marqués", pourrait se révéler plus prometteuse. Il s'agit d'une technique fondée sur le recours à des protéines structurantes ou non du virus aphteux. Elle a été notamment développée au sein de Mérial (joint-venture d'Aventis et de Merck, par ailleurs leader mondial des vaccins et médicaments vétérinaires) par l'équipe du docteur Michel Lombard. Ces vaccins, commercialisés depuis 1995 dans plusieurs pays endémiques, induisent les différences qui pourraient être utiles dans l'optique d'une reprise de la politique vaccinale. Pour autant, l'industrie du diagnostic biologique n'a toujours pas trouvé de consensus de standardisation des procédures de contrôle indispensables à l'utilisation des vaccins "marqués". Leur usage ne peut donc pas être reconnu à l'échelon international, ce qui fait que la vaccination demeure encore incompatible avec les règles sanitaires et commerciales actuellement en vigueur. J.-Y. N.