Le mangeur de temps, la dévoreuse de livres... comment les enfants les représentent-ils ?
Nathalie Papin : ils ne parlent pas de ça. S'ils les dessinent, ils les représentent comme des hommes et des
femmes. Le dessin peut être une entrée intéressante.
La lecture de votre livre est difficile pour des élèves. Mais en vous écoutant, je me dis que c'est vrai peut-
être que le dessin, la maquette, la construction peuvent peut-être permettre de faire émerger la
représentation des enfants.
... comme cette ligne d'horizon, comme un fil qu'on peut dérouler, c'est un fil d'Ariane. Dans certains
dialogues, j'ai pensé au "Petit Prince".
Nathalie Papin : C'est un très grand livre. je ne me défends pas de l'influence de ce livre ou d'un autre.
C'est un peu surréaliste...
Nathalie Papin : Non pas surréaliste, plutôt symbolique. je suis très attachée aux symboles. Connaissez-
vous la théorie de la résilience ? C'est Boris Cyrulnik qui en parle, par exemple, dans "Un merveilleux
malheur". Il dit qu'il faut regarder les enfants qui s'en sortent, et regarder comment ils ont fait pour s'en
sortir. Alors, on voit que l'enfant qui dans son monde hostile arrive à se construire un monde imaginaire,
alors il peut s'en sortir.
Dans "Mange-moi", il y a un constat dans la réalité : un problème de boulimie, et puis on passe dans
l'imaginaire, alors on peut traiter le problème, y revenir, en parler.
Dans "Debout", la situation réaliste, c'est un enfant battu par sa mère. Il va dans un cimetière dans une
tombe pour mourir. Et là, on bascule dans l'imaginaire, l'enfant va se choisir une mère parmi 21 mères
différentes. Il reviendra de ce monde imaginaire à la réalité, plus fort.
dans mon dernier livre, c'est le contraire, on part de l'imaginaire pour aller ensuite dans la réalité.
Est-ce qu'on a toujours besoin de l'imaginaire ,
Nathalie Papin : l'imaginaire pousse la réalité. Avant je ne pouvais pas en parler. On me dit "tu es à côté,
pas dans la réalité". Je ressentais la nécessité de le faire, et de le faire recevoir mais dans la réalité, je ne le
pouvais pas. Je suis attachée au fait que les enfants rencontrent des livres sans que ce soit des expériences de
vies changées en mots.
Le livre est fondateur de mon chemin personnel.
Des dévorants, des dévorés, vous voulez montrer au public qu'on peut se sortir de ce schéma ?
Nathalie Papin : Non, on ne peut pas en sortir, mais c'est un principe de vie, sinon on disparaîtrait. j'ai cru
qu'on pouvait annuler ça, mais j'étais idéaliste. Non, il faut rendre la chose positive : se nourrir les uns des
autres. Il y a des fondations métaphysiques.
Comment l'idée d'écrire s'impose-t-elle à vous ?
Nathalie Papin : J'ai fait des ateliers théâtre avec les enfants. j'en ai fait beaucoup avec le souci de les faire
jouer, de faire émerger d'eux quelque chose d'authentique, et je ne trouvais pas de texte, il y a dix ans, il n'y
avait presque rien. Donc, je m'y suis mise. J'ai un rapport aux mots presque sacré. Mon écriture est ma
physique, elle me constitue. Avec les enfants, je suis assez libre, je sais jusqu'où on peut aller avec eux.
"Mange-moi", je l'ai écrit il y a longtemps. Je l'ai lancé comme une barque ou un bateau. Mais il me revient
toujours. Pourtant, c'était il y a longtemps. j'ai un drôle de lien avec ce texte, il me rattrape tout le temps.
N'est-ce pas plus difficile pour un enfant de recevoir un texte sur la différence ou sur tout autre sujet
grave dans une classe plutôt que seul avec lui-même ? Est-ce qu'on ne montre pas du doigt les enfants
différents, peut-être même avant qu'ils ne se sentent différents ?
Nathalie Papin : Je n'étale pas la souffrance, je la présente, le pire c'est de ne pas en parler.
Le problème de ces livres sur ces sujets graves, c'est que maintenant les parents viennent les chercher
comme des médicaments ou des pansements aux difficultés de leurs enfants. Ils viennent demander des
livres pour régler les problèmes des enfants.
Nathalie Papin : C'est la première fois qu'on me dit ça. Au moins, je permets d'en parler. Moi aussi, je me
suis appuyée sur un certain nombre de livres. Le livre donne un espace pour les questions, il les rend
possible. Je n'écris pas d'ailleurs uniquement pour les enfants qui vont mal. La première fois que j'ai lu