Rencontre avec Nathalie PAPIN CDDP des Ardennes, le 2 octobre 2002 Entretien à propos d’un de ses textes « Mange-moi » Nathalie Papin : Je pense, et mon éditeur également, que le théâtre est un genre littéraire, il est fait pour être lu et pas seulement joué, lu tout seul et à plusieurs, sans s'embarrasser de mise en scène, on y trouve une écriture littéraire. Souvent on me dit : « les enfants, lorsqu'ils lisent une pièce de théâtre, n'arrivent pas à imaginer les lieux, les personnages, etc ». Tant pis ! Il ne s'agit pas de jouer, mais de lire ! Dans "mange-moi", j'ai choisi une écriture littéraire assez simple. La pièce a-t-elle déjà été jouée par des enfants ? Nathalie Papin : elle a beaucoup été jouée, par des adultes et par des enfants. Beaucoup d'enseignants travaillent sur la première scène, la scène qui est dans la réalité et qui parle de différences. Ils disent que les enfants s'identifient dans un premier temps au groupe moqueur, pas à la petite fille différente, ils ne sont pas d'emblée de son côté, puis peu à peu, ils changent. Quelle est l'idée générale ? Nathalie Papin : je n'ai pas d'idée, mais plutôt une intention, qui s'impose à moi. Pour "Mange-moi", c'est sortir de l'alternative dévorant-dévoré. On est tous dans cet aspect des choses. Je suis imprégnée de cette intention, je me documente. par exemple, je fais des recherches ethnologiques : j'ai étudié un peuple africain près du Zaïre qui avait la cruauté comme système de survie. Après tout cela, le texte s'impose à moi. Dans "Mange-moi", il y a un ogre anogrexique (je fais des mots-valises) qui rencontre une petite fille boulimique, il y aura un amour entre les personnages qui permettra une co-naissance. C'est beaucoup dans la métaphore. Alia part dans le monde des dévorants pour sauver l'ogre et trouver ce qui va nourrir cet ogre qui ne veut plus manger. Et l'ogre, à la fin, va renaître et elle aussi, par conséquent, alors qu'elle ne l'a pas cherché. C'est la dévoration positive. Il y a aussi des enseignants qui travaillent sur la scène du mangeur de mémoire. (Nathalie Papin lit), avec comme fil conducteur l'idée de montrer qu'il faut garder la mémoire. Ils font intervenir des déportés, des psychanalystes, etc. Pourquoi choisir la forme du théâtre ? Nathalie Papin : Je viens du théâtre. Et dans une pièce de théâtre, on trouve une vivacité due au présent, c'est plus percutant. Le rapport au temps est plus immédiat. Il n'y a pas d'entrées du passé, de retours. C'est plus vertical et plus présent. C'est une forme qui touche les enfants. Comment faire dans une classe pour que les enfants jouent les personnages ? Qui va vouloir faire la petite fille grosse, la dévoreuse ? Nathalie Papin : il faut que les enfants soient prêts. dans une classe, j'ai vu 15 Alia et 15 ogres, les enfants se relayaient. La réception de ce texte, de cette souffrance par les enfants, n'est-elle pas difficile ? Nathalie Papin : Je leur parle du rapport à la nourriture, à l'autre, à l'amour. Je crois qu'il faut le faire sous une forme ludique, sinon ce serait trop difficile pour les enfants. C'est de ça dont j'ai envie de parler aux enfants, mais de manière simple, sans que ça devienne angoissant. Je voudrais que mes livres rendent tout cela plus fluide. C'est comme dans les contes, où on peut parler de tout. On sent le conte dans votre pièce... Nathalie Papin : Le conte aide à parler de tout. L'écriture rend compte de l'existence, elle contient quelque chose de l'existence. Ca en fait partie, c'est comme si on injectait quelque chose comme de l'énergie. Le mangeur de temps, la dévoreuse de livres... comment les enfants les représentent-ils ? Nathalie Papin : ils ne parlent pas de ça. S'ils les dessinent, ils les représentent comme des hommes et des femmes. Le dessin peut être une entrée intéressante. La lecture de votre livre est difficile pour des élèves. Mais en vous écoutant, je me dis que c'est vrai peutêtre que le dessin, la maquette, la construction peuvent peut-être permettre de faire émerger la représentation des enfants. ... comme cette ligne d'horizon, comme un fil qu'on peut dérouler, c'est un fil d'Ariane. Dans certains dialogues, j'ai pensé au "Petit Prince". Nathalie Papin : C'est un très grand livre. je ne me défends pas de l'influence de ce livre ou d'un autre. C'est un peu surréaliste... Nathalie Papin : Non pas surréaliste, plutôt symbolique. je suis très attachée aux symboles. Connaissezvous la théorie de la résilience ? C'est Boris Cyrulnik qui en parle, par exemple, dans "Un merveilleux malheur". Il dit qu'il faut regarder les enfants qui s'en sortent, et regarder comment ils ont fait pour s'en sortir. Alors, on voit que l'enfant qui dans son monde hostile arrive à se construire un monde imaginaire, alors il peut s'en sortir. Dans "Mange-moi", il y a un constat dans la réalité : un problème de boulimie, et puis on passe dans l'imaginaire, alors on peut traiter le problème, y revenir, en parler. Dans "Debout", la situation réaliste, c'est un enfant battu par sa mère. Il va dans un cimetière dans une tombe pour mourir. Et là, on bascule dans l'imaginaire, l'enfant va se choisir une mère parmi 21 mères différentes. Il reviendra de ce monde imaginaire à la réalité, plus fort. dans mon dernier livre, c'est le contraire, on part de l'imaginaire pour aller ensuite dans la réalité. Est-ce qu'on a toujours besoin de l'imaginaire , Nathalie Papin : l'imaginaire pousse la réalité. Avant je ne pouvais pas en parler. On me dit "tu es à côté, pas dans la réalité". Je ressentais la nécessité de le faire, et de le faire recevoir mais dans la réalité, je ne le pouvais pas. Je suis attachée au fait que les enfants rencontrent des livres sans que ce soit des expériences de vies changées en mots. Le livre est fondateur de mon chemin personnel. Des dévorants, des dévorés, vous voulez montrer au public qu'on peut se sortir de ce schéma ? Nathalie Papin : Non, on ne peut pas en sortir, mais c'est un principe de vie, sinon on disparaîtrait. j'ai cru qu'on pouvait annuler ça, mais j'étais idéaliste. Non, il faut rendre la chose positive : se nourrir les uns des autres. Il y a des fondations métaphysiques. Comment l'idée d'écrire s'impose-t-elle à vous ? Nathalie Papin : J'ai fait des ateliers théâtre avec les enfants. j'en ai fait beaucoup avec le souci de les faire jouer, de faire émerger d'eux quelque chose d'authentique, et je ne trouvais pas de texte, il y a dix ans, il n'y avait presque rien. Donc, je m'y suis mise. J'ai un rapport aux mots presque sacré. Mon écriture est ma physique, elle me constitue. Avec les enfants, je suis assez libre, je sais jusqu'où on peut aller avec eux. "Mange-moi", je l'ai écrit il y a longtemps. Je l'ai lancé comme une barque ou un bateau. Mais il me revient toujours. Pourtant, c'était il y a longtemps. j'ai un drôle de lien avec ce texte, il me rattrape tout le temps. N'est-ce pas plus difficile pour un enfant de recevoir un texte sur la différence ou sur tout autre sujet grave dans une classe plutôt que seul avec lui-même ? Est-ce qu'on ne montre pas du doigt les enfants différents, peut-être même avant qu'ils ne se sentent différents ? Nathalie Papin : Je n'étale pas la souffrance, je la présente, le pire c'est de ne pas en parler. Le problème de ces livres sur ces sujets graves, c'est que maintenant les parents viennent les chercher comme des médicaments ou des pansements aux difficultés de leurs enfants. Ils viennent demander des livres pour régler les problèmes des enfants. Nathalie Papin : C'est la première fois qu'on me dit ça. Au moins, je permets d'en parler. Moi aussi, je me suis appuyée sur un certain nombre de livres. Le livre donne un espace pour les questions, il les rend possible. Je n'écris pas d'ailleurs uniquement pour les enfants qui vont mal. La première fois que j'ai lu "Mange-moi" à des enfants, c'était dans une bibliothèque. J'ai lu la première ligne : « Eh, la grosse, si tu manges ton gâteau, tu vas éclater ! » Et en italiques, c'est écrit "Rires". Je n'ai pas eu besoin de le dire. Tous les enfants ont éclaté de rire. Je ne savais plus quoi faire ou quoi dire. J'ai continué à lire et à la fin, ils étaient plus graves. Vous écrivez d'autres livres ? Nathalie Papin : Le prochain livre s'appelle Camino, ça veut dire le chemin en espagnol. Mon intention, c'est de parler du handicap.