
Les premières manifestations du théâtre médiéval datent du Xe siècle: il
s'agit du «drame liturgique», écrit par et pour des moines, et dont l'origine réside
dans le chant antiphoné et dans les tropes, interpolations écrites en latin et
introduites dans le texte liturgique dès le IXe siècle à l'occasion des grandes fêtes
chrétiennes, Pâques et Noël, afin de dramatiser les passages de l'office de la
Passion et de la Nativité. Le plus ancien texte dramatique, le «quem quaeritis», dont
la plus ancienne attestation se retrouve dans le manuscrit de Saint Martial de
Limoges, racontant la visite des saintes femmes au tombeau du Christ selon
l'évangile de saint Matthieu, réunit quatre personnages, un ange et les trois Maries,
joués tous par des moines. L'ange demande aux femmes «Quem quaeritis,
christicolae?» (Que cherchez-vous, disciples du Christ) et elles répondent «Jesus
Nazarensis, coelicolae» (Jésus de Nazareth, créatures célestes). Plus tard seront
«mis en scène» le défilé des prophètes de l'Ancien Testament (Ordo Prophetarum),
annonçant la venue du Christ, et l'adoration des bergers dans la grotte de
Bethlehem. L'intention première de ces «dramatisations» fut sans doute de rendre
plus sensibles, plus concrets aux fidèles les événements fondateurs de la foi
chrétienne. Leur «mise en scène» devait déterminer une plus intense participation au
mystère représenté. Avec le passage de l'espace clos de l'abbaye à l'espace de
l'église, plus «ouvert» aux laïcs, la cérémonie religieuse se mue insensiblement en
«spectacle» (aux trois Maries visitant le tombeau s'ajoutent les apôtres Pierre et
Jean, selon l'évangile de Jean, le premier présenté comme âgé et souvent ...
boiteux, sa difficulté à se déplacer suscitant le rire du public), le vers s'insinue,
coexiste avec la prose, avant de la remplacer, permettant du même coup l'emploi de
la langue vulgaire. Ainsi, dans le drame liturgique du Sponsus (fin du XIe siècle), qui
met en scène la parabole des vierges sages et des vierges folles, les strophes latines
sont suivies du refrain en langue vulgaire: «Dolentes, chetives, trop y avons dormi»
(Pauvres, malheureuses, nous avons trop dormi). Vers la même époque, un
manuscrit de l'abbaye d'Origny Sainte-Benoîte offre une première esquisse de la
Passion, où les plaintes de Madeleine, apocryphes, sont écrites en français, alors
que le dialogue biblique est rédigé en latin.
Peu à peu, ce drame liturgique, joué d'abord dans l'église, par des gens
d'église, avec des costumes et accessoires fournis exclusivement par l'église, se
déplace vers la cité, ce qui détermine la substitution du latin par le français,
permettant l'avènement d'un théâtre profane. Car, pour rompre ses attaches avec
l'église et exister de façon indépendante, le théâtre a besoin d'une forme
d'organisation, d'acteurs et d'un public que seul le milieu urbain peut lui offrir. Ce
n'est donc pas un hasard si l'essentiel de la représentation dramatique du XIIIe
siècle, depuis le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel jusqu'aux «jeux» d'Adam de la
Halle (Jeu de la Feuillée et Jeu de Robin et de Marion), apparaît en milieu arrageois,
la ville picarde disposant d'un célèbre «puy», sorte de société littéraire, lié à la
Confrérie des Jongleurs et des Bourgeois d'Arras, dominé par les riches familles
commerçantes de la cité.
Un texte dramatique de la fin du XIIe siècle, la Seinte Resurrecion, nous
donne une idée assez exacte de ce que devait être l'espace scénique médiéval. Le