TABLE DES MATIERES INTRODUCTION p 1 1ère partie : l

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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
p1
1ERE PARTIE : L’AUTONOMIE DES STRUCTURES RESISTANTES (1940-FIN
1942)
I Les pesanteurs de l’isolement
p6
A/ La mouvance communiste
p6
1/ La genèse
p6
2/ La diffusion des tracts
p8
3/ La constitution des triangles
p9
B/ Le groupe HECTOR
p 11
1/ La formation des noyaux initiaux
p 11
2/ L’exploitation des renseignements
p 12
3/ Un organigramme en construction
p 13
II L’émergence d’une cohérence
p 16
A/ La création du Front National
p 16
1/ Les bases d’une solidarité
p 16
2/ L’établissement d’un écheveau de soutiens
p 17
B/ Déploiement et renforcement des groupements
p 19
C/ L’échec de l’affermissement du dispositif militaire
p 22
III Aux prémisses d’une organisation
p 24
A/ Un pôle résistant : Ceux de la Libération
p 24
1/ La segmentation des responsabilités
p 24
2/ La quête d’une coordination
B/ L’institution des Francs Tireurs et Partisans
p 26
p 28
C/ Des entités aux compositions disparates
p 30
1/ La disparition de l’O.C.M.
p 30
2/ La croissance de mouvement novateurs
p 31
2EME PARTIE : L’INTEGRATION AUX MOUVEMENTS NATIONAUX DE
RESISTANCE (DEBUT-FIN 1943)
I La mise en place de délégations
A/ Des forces résistantes puissantes
p 35
p 35
1/ Les progrès des principes organisationnels
p 35
2/ L’emprise de la sphère d’influence bourguignonne
p 37
3/ Vers une vigueur nouvelle
p 39
B/ La persistance d’ensembles instables
p 41
C/ L’apparition d’organes complémentaires
p 43
II L’apport de cadres externes
A/ La pérennisation des parachutages
p 46
p 46
1/ La rigueur d’une hiérarchie
p 46
2/ Assumer un rôle d’interface
p 48
B/ La primauté du modèle britannique
p 50
1/ Le concours d’agents du S.O.E.
p 50
2/ La séparation des tâches
p 52
III Un mouvement original : l’Armée Secrète
p 54
A/ L’affaiblissement des structures préexistantes
p 54
B/ Des conditions propices d’installation
p 56
1/ La reprise des compétences antérieures
p 56
2/ Une exploitation de l’espace géographique
p 59
C/ Des appuis diversifiés
p 62
1/ L’obtention de relais dans la société
p 62
2/ Favoriser les formes paramilitaires
p 64
3 Les méfaits d’un cloisonnement incertain
p 66
3EME PARTIE : UNE SYNTHESE DIFFICILE A ELABORER (FIN 1943-AOUT
1944)
I L’affirmation des groupements résistants
A/ La reconstitution de l’Armée Secrète
p 70
p 70
1/ Permettre une réorganisation
p 70
2/ Assurer le financement
p 74
3/ Etendre les rapports organiques
p 76
B/ La concentration des éléments
p 77
1/ Répondre à des considérations tactiques
p 77
2/ L’ampleur du maquis
p 79
C/ La force du commandement
p 80
1/ Privilégier les connexités
p 80
2/ Préparer un encadrement à caractère territorial
p 82
II Les risques d’une recomposition
A/ La volonté d’indépendance des F.T.P.
p 84
p 84
1/ La mobilité des effectifs
p 84
2/ La primauté des charges collégiales
p 88
B/ La désagrégation de Libération-Nord
p 91
C/ Un mouvement en quête d’homogénéité : les Commandos M
p 92
1/ La tripartition des fonctions décisionnelles
p 92
2/ La multiplication des liens interdépartementaux
p 95
III L’aboutissement : la réalisation d’une synergie
A/ L’emprise de l’A.S.
p 97
p 97
1/ Une mise sous tutelle des parachutages
p 97
2/ L’introduction d’une inflexion stratégique
p 99
B/ L’unification des structures résistantes
p 101
1/ La fédération de rassemblements antinomiques
p 101
2/ La participation aux combats de la libération
p 103
CONCLUSION
p 106
PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS UTILISES
A.N.A.C.R. : Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance
A.S. :
Armée Secrète
B.C.R.A. :
Bureau Central de Renseignements et d’Action
B.M.N. :
Bureau Militaire National
B.O.A. :
Bureau des Opérations Aériennes
C.D.L.L. :
Ceux de la Libération
C.E.I :
Commissaire aux Effectifs Interrégionaux
C.E.R. :
Commissaire aux Effectifs Régionaux
C.L.P.G. :
Centre de Libération des Prisonniers de Guerre
C.M.N. :
Commissaire Militaire National
C.M.R. :
Comité Militaire Régional
C.N.R. :
Conseil National de la Résistance
C.O.R. :
Commissaire aux Opérations Régionales
C.T.R. :
Commissaire Technique Régional
C.V.R. :
Combattants Volontaires de la Résistance
D.M.R. :
Délégué Militaire Régional
D.M.Z. :
Délégué Militaire de zone
E.M. :
Etat-Major
F.F.I. :
Forces Françaises de l’Intérieur
F.N. :
Front National
F.T.P.F. :
Francs Tireurs et Partisans Français
G.M.R. :
Groupes Mobiles de Réserve
N.A.P. :
Noyautage de l’Administration Publique
O.C.M. :
Organisation Civile et Militaire
S.A.S. :
Special Air Service
S.O.E :
Special Operation Executive
S.R. :
Service de Renseignements
S.T.O. :
Service du Travail Obligatoire
Pour discerner les conditions de la lutte dans lesquelles opérèrent les mouvements de
Résistance aubois, il paraît nécessaire d’introduire une précision préalable sur
l’environnement militaire de la région susnommée pendant la seconde guerre mondiale.
L’Aube appartient d’abord à la zone occupée et ce fait conditionne toute tentative de
compréhension plus globale de la situation en Champagne méridionale. Suite à la défaite
de la France en 1940, les Allemands dominent l’espace géographique par le truchement de
leurs troupes et rendent difficiles les possibilités d’expansion durable des agglomérats
humains destinés à nuire à l’implantation germanique.
Une première approche des diverses formations résistantes met en exergue l’extrême
hétérogénéité de la documentation concernant les forces en présence. Des ensembles
présentent des caractères marginaux, tant par leur importance numérique, que par
l’efficience des résultats acquis. Par conséquent, le potentiel initial de recherches se
trouvait considérablement réduit avant toute analyse historique tendant à percevoir le
fonctionnement de ces organes.
Il faut souligner en outre que le présent travail n’a de sens que par rapport aux supports
effectivement conservés et exploitables par le chercheur. Or la réalité supposait de
procéder à une collecte intense d’informations avant d’engager plus avant une entreprise de
recomposition du passé.
En cela, notre tâche s’avérait ardue. D’une part, le cadre chronologique et l’objet même
de notre réflexion posaient indubitablement problème puisqu’ils faisaient référence à une
période où le facteur clandestin joua par nature un rôle déterminant. De plus, les règles de
sécurité propres au milieu résistant engendraient un second obstacle puisqu’elles
stérilisèrent une grande partie de la production écrite.
D’autre part, nos efforts se heurtèrent à l’insigne faiblesse des archives publiques
disponibles dans les différents centres de conservation. Certes, les dépôts départementaux
aubois recèlent des données pour le moins intéressantes. Encore convenait-il de disposer
d’un inventaire sinon exhaustif du moins le plus complet possible des sources disponibles
dans les fonds considérés.
La dispersion des documents et plus encore l'impéritie de certaines autorités tutélaires
compétentes ont nui grandement à ce projet. Même l’apport de l’Institut d’Histoire du
Temps Présent (I.H.T.P.), dépositaire de la plus grande partie des synthèses historiques
élaborées par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale (C.H.S.G.M.), ne
permit pas de répondre pleinement à nos attentes.
Il est vrai que l’absence de correspondant du C.H.S.G.M. dans l’Aube pendant plus
d’une décennie n’a fait que dégrader une situation déjà précaire. Un résultat plus
satisfaisant put néanmoins être obtenu grâce à des aides substantielles parvenues de
l’extérieur.
Malgré tout, ceci se révéla insuffisant pour mener à bien l’étude que nous nous
proposions de réaliser, les corpus de textes publics ne permettant pas d’acquérir la
plénitude des renseignements indispensables à la poursuite de notre action. De telles
démarches pâtirent aussi amplement des restrictions d’accès aux archives, soumises à un
régime dérogatoire singulièrement contraignant et peu soucieux de célérité.
De fait, l’attention se porta sur les sources privées, non déposées dans les institutions
traditionnelles, bien que recelant des richesses tant qualitatives que quantitatives
inexploitées jusqu’alors. Encore devions nous oeuvrer une fois encore pour tenter de les
inventorier et de les sérier, avec la préoccupation de rendre leur abord plus intelligible.
Grâce à la compréhension et à l’acquiescement des principaux représentants des
associations résistantes locales, un vaste champ d’investigation émergea qui facilita
grandement les approches multiformes du sujet. Assurément, l’exploitation des
productions ainsi fournies devait procéder d’un appareil critique rigoureux apte à indiquer
nettement les développements fallacieux.
Ces mises en garde méthodologiques achevées, il s’agissait dans un second moment de
définir plus précisément les structures de la Résistance auboise. Ceci en s’attachant
prosaïquement à montrer comment les différentes parties constitutives s’agençaient
réciproquement et parvenaient à s’unir. Les observations insisteraient sur l’aspect dual du
sujet, sémantique mais également chronologique.
En effet, notre propos se devait de veiller à souligner les notions particulières de
coordination et de liaison inhérentes à la contexture résistante. Un groupe n’existe pas par
soi-même, isolément, mais s’établit en fonction d’autres unités combattantes contre les
troupes allemandes. Il s’impose dans la mesure où il parvient à s’organiser et à créer un
écheveau de soutiens indispensables à sa survie. Il nous appartient donc de mettre en
perspective ces mécanismes dans le dessein de les rendre plus aisément perceptibles.
D’où l’obligation de saisir les formes endogènes et exogènes des systèmes résistants
idoines, les apports internes et externes. D’autant que l’Aube occupe une situation
charnière, car même si elle appartient à la Champagne méridionale, elle n’évite guère par
ailleurs l’attraction de zones proches géographiquement.
C’est pourquoi nous devons nous intéresser à la traduction de ces influences et à leurs
incidences sur les dispositifs mis en place par les dirigeants clandestins. Evoquer les
corrélations existantes entre les aspects territoriaux et les réalités organisationnelles offre la
possibilité de s’interroger parallèlement sur les particularités des groupements qui
affirmaient des objectifs politiques et recherchaient un recrutement de masse.
L’acception des mouvements répondait à des critères déterminés, à l’instar des réseaux.
La distinction entre ces deux concepts résidait avant tout dans leurs finalités respectives.
Organisme militaire souvent formé de l’extérieur, le réseau s’édifiait en vue d’un objectif
précis : renseignement, sabotage, évasions de prisonniers de guerre et surtout aide aux
pilotes alliés abattus au-dessus de l’espace français. Au contraire, le mouvement
sensibilisait, informait et mobilisait la population de la manière la plus large possible. La
césure constatée demeura cependant assez artificielle puisque des cloisonnements
inopérants rendirent quelque peu superfétatoire les dispositions adoptées.
Pour donner quelques éléments pouvant faciliter les tentatives de compréhension, il nous
parut opportun d’expliquer plus avant les modalités présidant à la création et à l’extension
de l’Armée Secrète (A.S.). Divers motifs présidaient à ce choix. Premièrement, cette force
puisait ses sources aux origines de la Résistance locale, au sein de courants d’idées
multiples, complémentaires et parfois antinomiques. On ne peut mésestimer la virulence
des débats qui portèrent concurremment sur la nature que revêtirait l’action et sur les
capacités à concevoir des mesures plus énergiques, correspondant davantage aux attentes
exprimées par les participants.
En second lieu, l’A.S. composa sans nul doute le pivot résistant dans le département. Par
ses effectifs et son encadrement, elle s’imposa effectivement comme le pôle propre à
déstabiliser les forces ennemies. De surcroît, elle obtint des relais dans toute la société,
parmi les corps civils et militaires, ce qui accrut son statut de protagoniste essentiel
pendant la période.
Hors de ces considérations somme toute conventionnelles, un de nos objectifs visait à
porter un regard particulier sur les conditions de financement de l’A.S. puisque nous
disposions de pièces comptables en nombre suffisant pour envisager une étude sur la
longue durée. Ce sujet si déterminant ne bénéficie guère d’une vigilance soutenue (faute de
documents chiffrés) bien que l’une des conditions de la pérennité d’une organisation
consistait dans la capacité à réunir des fonds substantiels immédiatement exploitables.
Dès lors s’exprime la volonté de traiter les problèmes décrits en adoptant
concomitamment une thématique qui incorpore sans conteste l’environnement factuel avec
l’aspiration à adopter une attitude plus réflexive. Appliquer ces considérations permet de
déceler l’évolution de la pensée des dirigeants, de présenter leurs facultés d’adaptation,
d’exposer comment les inflexions, soit tactiques, soit stratégiques, s’exprimaient
concrètement dans l’organigramme.
Aussi, alors qu’originellement subsistait un terreau primitif sans véritable infrastructure
quoique centré exclusivement sur le milieu urbain, on voit sourdre ultérieurement le
souhait de doter le monde rural d’une cohérence, avec division de la région en secteurs et
sous-secteurs. Ce ne fut que face à de nouvelles exigences que s’accomplit une mobilité
des membres avec une dispersion des lieux de décision. Au surplus, il parait loisible
d’expliquer comment l’Armée Secrète a pu se transformer sans connaître de trop fortes
altérations. Ceci permet d’indiquer explicitement les ambivalences induites par la
problématique du sédentaire et du clandestin.
De même, notre travail a pour finalité de déceler si les assises des mouvements subirent
les dispositions géographiques particulières du département aubois, reliant les vastes aires
territoriales de la Champagne, de la Bourgogne, de la Lorraine et du Bassin Parisien.
Distingue-t-on l’émergence d’entités possédants des caractères propres ou au contraire, les
formes actives de la Résistance éprouvent-elles des difficultés à se manifester face aux
pesanteurs et aux pouvoirs d’attraction de trop puissants voisins ? L’Aube doit-elle se
contenter de recevoir des groupements déjà implantés à l’échelon supérieur ?
Au
final,
la
Résistance
départementale
ne
représente-t-elle
qu’une
simple
déconcentration de la région parisienne et des zones limitrophes ou se caractérise-t-elle par
des aspects novateurs, bénéficiant d’un réel potentiel d’impulsion ? En bref, il importe de
séparer la part acquise par chacune des deux parties, intérieure et locale, extérieure et
extra-départementale.
Pour tenter de répondre à ces questions, 3 phases prépondérantes s’imposent, s’intégrant
dans une périodicité précise. Aux réactions individuelles et spontanées de l’année 1940 se
substituèrent de nouveaux aspects de l’engagement. Aux noyaux chargés de collecter des
renseignements succédèrent des groupes cherchant à influencer la population, agissant à
l’intérieur de mouvements dorénavant mieux ordonnés. Ce n’était « plus tout à fait le
désert des débuts et point encore le fourmillement organisé de 1943. »1
Primitivement,
les
ensembles
restèrent
autonomes,
les
contacts
demeurant
particulièrement ténus avec les centres de décision. Ensuite, les rassemblements nationaux
se greffèrent avec des réussites inégales sur les structures auboises, suscitant l’émergence
de conflits inévitables. Enfin, les organes propres à la Champagne méridionale
s’imposèrent en dépit de l’existence persistante de modèles exogènes, réalisant la synthèse
des formes résistantes connues.
I LES PESANTEURS DE L’ISOLEMENT
Il est intéressant de noter que la Résistance auboise prit forme dans deux milieux
politiquement opposés (ce qui ne manqua pas d’influencer les conditions dans lesquelles se
préparèrent les premiers essais de rassemblement) : d’une part les adhérents communistes
se réunirent autour du secrétaire fédéral et de quelques-uns de ses camarades ayant
échappé aux arrestations opérées par le gouvernement français en 1940.
D’autre part se regroupèrent des membres du P.S.F.(Parti Social Français fondé par le
colonel DE LA ROCQUE, après la dissolution des Croix de Feu), recrutés avant tout dans
1
DOUZOU, Laurent. Les cahiers de l’I.H.T.P, n°29, septembre 1994, p 5.
les bourgs environnants Troyes, provenant de la bourgeoisie et plus précisément des
secteurs d’activité liés aux industries textiles locales comme la bonneterie.
La constitution de ces petits agrégats ne se comprend que dans la mesure où les deux
ensembles précités disposaient antérieurement de réseaux de relations disponibles. Dans
ces circonstances, la première phase se caractérisa par l’intérêt notable accordé à des
initiatives individuelles, hors de tout champ organisé. La deuxième étape, celle des noyaux
(à cause de leur faiblesse numérique), permit d’accroître les cercles restreints résultant de
rapports politiques ou professionnels. Toutefois, l’absence de schémas préconçus a marqué
la période initiale de structuration.
A/ LA MOUVANCE COMMUNISTE
1/ La genèse
En dépit du décret-loi DALADIER du 26 septembre 1939 dissolvant le P.C.F. (Parti
Communiste Français), les sympathisants continuèrent à se côtoyer, nonobstant la
surveillance exercée par les services de police. Dès les premiers mois de l’occupation
allemande, en juillet 1940, Jean BAILLET, responsable parisien du Parti communiste
(secrétaire avant-guerre de la fédération Seine-ouest) reçut la mission d’assurer la
coordination entre le Comité Central clandestin et les communistes de l’Aube. Il obtint une
entrevue avec Maurice ROMAGON, secrétaire fédéral du P.C. départemental et ancien
conseiller du 3ème arrondissement de Troyes (qui appréhendé en 1939, parvint à s’évader de
la prison de Dijon en juin 1940).2
Lors de ces entretiens s’élaborèrent les directives relatives à la mise en place d’une
nouvelle unité instruite par l’expérience de l’illégalité et de la clandestinité depuis 1939.
Une réunion se déroula alors le 5 septembre 1940, au lieu dit le château des Cours à Saint
Julien les Villas, dans la proche agglomération troyenne, pour édicter des comportements
communs. Les 9 participants appartenaient au P.C. : Maurice ROMAGON et son fils
2
Archives BIZZARI
PIERRE ; Eugène KILLIAN ; Auguste LIENHARDT ; Alphonse SCHOENENBERGER ;
Alfred CHARLES ; Jean MEYER ; Emile AFOUFA et Alice CUVILLIERS.
Tous insistèrent sur l’accomplissement d’un projet comprenant trois dimensions
prépondérantes : récupérer les armes abandonnées par l’armée française ; produire des
tracts contre la politique du gouvernement de Vichy ; permettre la distribution la plus large
possible de ces tracts3. Sur le plan théorique s’établit parallèlement un Conseil
Départemental de l’Aube de la Résistance Française, aux fonctions encore embryonnaires.
Durant cette phase préparatoire, Maurice ROMAGON sollicita le concours d’André
PARISE de Romilly sur Seine (centre ouvrier dans la partie septentrionale auboise) pour
élargir le champ territorial de l’activité. Ils se rencontrèrent au champ de tir de Romilly,
aux Hauts Buissons, en présence d’un autre militant communiste de la cité romillonne,
Raymond BALDET.
La situation géographique de cette résistance originelle correspondit à une localisation
particulière, reflétant l’implantation communiste avant-guerre dans le département : les
villes et les groupements urbains adjacents. Surtout que « les centres urbains alliaient
plusieurs facteurs favorables : la densité de l’habitation, la foule et la plus grande facilité à
passer inaperçu. »4 Ils paraissaient plus sensibles aux argumentaires formulés à l’encontre
des occupants. Encore fallait-il posséder les moyens logistiques suffisants pour répandre
une propagande opportune contre les oppresseurs.
2/ La diffusion des tracts
En septembre 1940, grâce à l’utilisation de ronéos dissimulées chez des particuliers, des
feuillets anti-allemands purent être exécutés. Eugène KILLIAN, d’origine alsacienne,
employé à la mairie de Troyes, réussit à s’emparer de 2 machines à écrire pour les cacher
chez les époux MOREAU, demeurant à Saint Julien les Villas, tout en traduisant lui-même
les textes destinés aux troupes allemandes.
3
NA 10096
SAINCLIVIER, Jacqueline. « Les débuts de la Résistance en zone occupée. » Mémoire et histoire : la
Résistance, 1995, p 162.
4
Quant à Georges AYOT, affecté aux transports à la municipalité troyenne, il se résolut à
vaincre les problèmes matériels en fournissant le papier indispensable à l’impression.
Habituellement, des volontaires propageaient ces écrits lors d’opérations menées
nuitamment. Un rapport du commissaire central de police du 26 septembre 1940 attesta de
ces pratiques :
« Il apparaît nettement que des tracts communistes sont diffusés à Troyes, édités dans la
ville ou dans les environs. Il n’en est recueilli jusqu’ici qu’un petit nombre d’exemplaires
et rien ne permet d’évaluer l’ampleur de la diffusion à laquelle il a été procédé. On trouve
les tracts dans des boîtes aux lettres ou sous les portes des magasins. Il est certain que la
diffusion se fait de nuit, plus particulièrement avant le lever du jour. Les rondes organisées
pour opérer un flagrant délit ne donnent jusqu’ici aucun résultat. »5
Pour étendre leur autorité et témoigner de leurs capacités de nuisance, les communistes
firent paraître une double feuille ronéotypée intitulée la Dépêche de l’Aube, émaillée de
slogans antivichystes. Pourtant, éditer un journal supposait la rédaction des articles, leur
reproduction puis leur distribution : cela nécessitait une stricte répartition des attributions
et une multiplicité de soutiens.
Bien que l’opposition se manifesta davantage contre le gouvernement pétainiste que
contre la présence germanique (même si quelques-uns semblaient déjà privilégier l’action
directe), la Sûreté Nationale exprima ses inquiétudes en envoyant à tous les Préfets une
circulaire en date du 28 novembre 1940, avec le libellé suivant :
« Une dépêche de Monsieur le Préfet de l’Aube fait connaître selon un renseignement
recueilli de bonne source que le Parti Communiste aurait organisé le ramassage sur tout le
territoire des armes abandonnées par l’armée française ; la création d’équipes de chocs,
d’effectifs de six à huit hommes, est aujourd’hui envisagée.»6 Il est certain que de telles
formations commençaient à se fixer dans certains secteurs territoriaux.
3/ La constitution des triangles
Observant les recommandations du parti communiste clandestin, la direction auboise
conçut des groupes de 3 membres. En janvier 1941, 33 à 35 groupes, les Troïkas,
5
Archives PLANSON
fonctionnaient dans le département. Ils se composaient de triangles dans lesquels
seulement 3 personnes se connaissaient (dont l’une possédant une autorité supérieure).7
Leurs activités se concentraient particulièrement sur les diffusions de documents, le
détournement des affiches et des panneaux de propagande. Le système des liaisons entre
les différents triangles reposait exclusivement sur les femmes et les jeunes filles.
En mars 1941, dans la zone romillonne, Raymond BIRER puis Marcel BULARD
devinrent les deux principaux représentants locaux avec Lucien ROY et se placèrent sous
l’égide de BOUHELIER, chef de secteur. Initialement, 5 triangles existèrent à Romilly.
Les 3 premiers furent fondés aux ateliers de la Société Nationale des Chemins de Fer
(S.N.C.F.) :
Le 1er avec Maurice PERARD, habitant à Gélannes ; Alphonse DENUAULT de Romilly ;
Lucien SEVESTRE de Romilly.
Le 2ème avec Aimé POIGNANT, Paul LELEU, René REAUX, trois romillons.
Le 3ème avec Constant LUCOT de Romilly ; Mary FAVIN de Romilly ; Eugène VERGET
de Conflans.
Corrélativement, deux autres triangles comprenant uniquement des romillons agissaient
aux camps militaires allemands de Châtres et de la Belle Idée :
Le 1er avec Raymond BALDET, Marcel BARDIN, Calixte BOITARD.
Le 2ème avec Roger PROTAT, René MICHELOT, Bernard PRUNIER.8
Les triangles de la S.N.C.F. oeuvraient au sabotage sur le matériel et pratiquaient la
recherche de renseignements concernant le trafic ferroviaire. Ceux de Châtres et de la Belle
Idée rendaient inutilisables les installations électriques et confiaient des informations sur
les mouvements constatés au camp d’aviation.
Par ailleurs, les tracts parvenaient au lieu de travail de ROY par l’intermédiaire de deux
femmes, Mauricette BIRER et Renée BULARD qui elles, tâchaient de correspondre avec
6
OUZOULIAS, Albert. Les bataillons de la jeunesse, éditions Sociales, 1967, p 221.
SC 4273
8
NA 10099
7
les dirigeants troyens. En corollaire, chaque triangle désignait l’un de ses membres (jamais
le même) pour aller chercher ces tracts auprès de ROY.
On constate aisément que la Résistance puisa avant tout parmi le milieu militant
préexistant et s’appuya sur des forces homogènes socialement comme les cheminots,
utilisant des relais d’obédience variée (politique, syndicale, professionnelle). Elle sut
exploiter précocement les possibilités offertes par des ensembles partageant des valeurs
communes.
Au total, si certains actes conservaient avant tout un caractère isolé, appartenant
indubitablement à une Résistance « a-organisationelle », d’autres provenaient au contraire
de réflexions plus soutenues, traduisant une volonté « pré-organisationelle »9 (les triangles
témoignant parfaitement de cette évolution). Désormais, une hiérarchie prit corps même si
les tentatives de cloisonnement demeuraient encore incomplètes. Mais surgirent d’autres
impulsions aux visées singulièrement différentes, reposant sur des postulats théoriques
militaires.
B) LE GROUPE HECTOR
1/ La formation des noyaux initiaux
Blessé au cours de la campagne de 1940, Georges WAUTERS, industriel et ancien affidé
du P.S.F., fut contacté dès le mois de septembre 1940 par Pierre GRUNY, armurier à
Troyes, qui lui fit rencontrer un agent de Paris, lui-même en relation avec les Forces
Françaises Combattantes (F.F.C.) de Londres.
Celui-ci cherchait une personne susceptible de transmettre ses observations sur les
déplacements des divisions ennemies dans le département de l’Aube. WAUTERS offrit ses
compétences. S’insérant peu après dans le groupement HECTOR dirigé par le colonel
HEURTEAUX (appartenant au 2ème Bureau de l’état-major de l’armée d’Armistice), il
devint l’agent départemental de cet organe avant tout parisien.10
9
Jacqueline SAINCLIVIER, Op. Cit., p.162.
NA 10563
10
En octobre 1940, quelques individualités rejoignirent WAUTERS, émanant en grande
partie des bureaux de la mairie de Troyes. Nicolas SOLIVELLAS, qui y travaillait au
bureau des réquisitions allemandes, donna son accord. Sous le pseudonyme de DEFOE, il
collectait toutes les indications susceptibles d’intéresser ses supérieurs puis s’attacha la
collaboration de Jacques JEANNY, secrétaire à la mairie, et de Charles REIDEL.
Ce dernier, secrétaire de l’intendant du ravitaillement aubois et interprète, compulsait des
documents de grande valeur qu’il communiquait à WAUTERS. Sa connaissance de
l’allemand se révéla également précieuse pour obtenir, avec des risques limités, nombre de
données sur les unités venues d’outre-Rhin. En outre, un autre interprète, Louis
ROTHFUSS, donna son acquiescement pour aider ses camarades.11
Cependant, les participants d’HECTOR affrontèrent brièvement la concurrence d’un
mouvement, l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.), crée en zone nord, à Paris,
quelques mois après l’Armistice
12.
Ses cofondateurs, le colonel TOUNY et BLOCQ-
MASCART, en firent un bloc d’inspiration militaire, avec nombre d’officiers issus des
états-majors et divisés en cellules départementales.
Leur atout principal résultait du fait qu’ils s’entretenaient régulièrement avec la
Résistance française de Londres. L’O.C.M. pouvait donc tirer profit de sa position
favorable pour parfaire son équipement en matériel. Son objectif consista à favoriser le
recrutement, à augmenter ses cadres pour fédérer les patriotes. En sus de ces
considérations, ils s’efforçaient de connaître les armements des détachements de
l’occupant afin de les communiquer en Angleterre.
Dans l’Aube, il reste ardu de préciser l’origine exacte de l’O.C.M., notamment parce que
des confusions ont été commises avec des formations présentants des caractères similaires.
Seul l’intendant MERLINGE, veillant au ravitaillement du département, relata avoir
entretenu quelques rapports avec le capitaine CHOUPOT (CHARCOT), ex-chef du 2ème
bureau de la 2ème division de cavalerie où tous deux venaient de servir en 1940. Dans ces
11
Témoignage de Nicolas SOLIVELLAS, rencontré le 17 janvier 1997.
CALMETTE, Arthur. L’O.C.M.-Organisation Civile et Militaire-Histoire d’un mouvement de Résistance
de 1940 à 1946. P.U.F.,1961. p 6.
12
circonstances s’installèrent le réseau URANUS et le service de renseignements KLEBERNORD au sujet desquels on ne dispose d’aucun autre élément complémentaire.13
2/ L’exploitation des renseignements
A l’opposé de cette O.C.M. anémique, les adhérents d’HECTOR possédaient une plus
grande vitalité, marquant l’existence d’une parfaite entente entre corps civils et militaires.
Chacun se préoccupait de s’emparer, selon ses possibilités, des armes et de recenser des
camions camouflés.
Simultanément, les soldats français internés au camp des Hauts-Clos à Troyes
bénéficièrent de secours, tels l'octrois de vêtements, de nourriture et de faux certificats de
démobilisation par l’entremise de complicités à l’intérieur du personnel de la Préfecture.
Finalement, WAUTERS accrut sensiblement le nombre de ses amitiés et put exprimer sa
satisfaction :
« Nous connaissions tous les logements ennemis avec le nom de la division, l’emploi de
chaque soldat par l’intermédiaire du service d’entretien. Tous les régiments dans le
département étaient localisés et nous pouvions suivre les déplacements des troupes. Au
camp de Brienne le Château, nous relevions l’état des stocks de munitions pour chaque
catégorie et nous étions tenus au courant de toutes les sorties. »14
Communément, des notes étaient remises soit à WAUTERS qui les faisait parvenir à
l’état-major national parisien, soit à DALIT, commerçant troyen, dont le fils possédait un
poste-radio et émettait en direction de Londres. Dans le dessein de favoriser une meilleure
concertation, une réunion se déroula au début de l’année 1941, dans un immeuble rue du
général SAUSSIER à Troyes.
Deux membres d’HECTOR, Robert GAUTHIER et Fernand HESTIN, présentèrent le
propriétaire, le commerçant Albert EGELE, à WAUTERS qu’ils avaient amené chez lui.
La conversation porta sur les moyens capables de porter préjudice au dispositif de
l’oppresseur. Consécutivement à ces débats, EGELE décida de s’entremettre avec les
13
14
NA 10434
BEURY, André. 1940-1944 dans l’Aube : de la Résistance à la Libération. Troyes, 1984. p 12.
communistes à des fins de coordination15. Ainsi se précisèrent les principes d’un
agencement des forces résistantes.
C/ UN ORGANIGRAMME EN EVOLUTION
Avec l’instauration de l’O.S. (Organisation Spéciale) à l’intérieur du P.C.F., s’introduit
une inflexion déterminante. En effet, une hiérarchie rigoureuse naît autour de la réalisation
de deux ambitions : protéger les militants par un service d’ordre interne, rassembler des
dépôts d’armes. Emile AFOUFA, bonnetier troyen, l’intégra avec Pierre CHAPUT
(ROGER), menuisier demeurant à Pont Saint Marie. CHAPUT s’occupait de la Résistance
intérieure avec André BURTIN, coiffeur à Troyes. Ils se tenaient sous les ordres de
POIROT (ANDRE).16
Dans ces conditions, un système cohérent apparut, s’appuyant sur le P.C.F. qui maîtrisait
un écheveau de responsabilités verticales, avec des cadres interrégionaux contrôlant
plusieurs départements alors que les cadres régionaux maintenaient leur emprise sur un
seul département. A tous les niveaux, l’organigramme se scindait selon le triangle : P
(politique),
O
(organisation),
M
(masses).
L’interrégion
Champagne-Bourgogne
comprenait la Côte-d’Or, l’Aube, l’Yonne, la Saône et Loire et la Marne.
Par le truchement des sabotages, on constata une nette recrudescence de l’activité. Les
lignes téléphoniques entre les villes de Saint Léger et Troyes, Saint Julien les Villas et
Verrières furent coupées en plusieurs endroits. Des distributions de tracts s’amplifièrent, à
la fois sur les quais d’embarquement des gares (sur les indications fournies par le cheminot
NIEPS de Saint Julien les Villas) et à la fois dans les casernements, appelant à la
désobéissance et à la désertion.17
Une autre action plus psychologique avait pour but de compléter un texte sur les affiches
collées sur les murs de Troyes et portant le terme V (Victoire) en joignant au V une bande
collée en lettres de la même dimension que le mot VORBEI, rendant cette proposition
15
Archives DANESINI
Archives NIGOND
17
Archives BIZZARI
16
insultante pour les occupants. Toutes les affiches subirent ce sort dans la nuit du 2 mars
1941 dans la cité troyenne, à la même heure et à la même minute.
Cette initiative prouvait la puissance coordinatrice résistante, incitant les autorités
bafouées à tenir des propos comminatoires18.C’est pourquoi en avril 1941, KILLIAN et
une quarantaine de ses camarades ne purent se soustraire aux recherches policières. Leurs
captures mirent momentanément un terme aux opérations de propagande du P.C.
Au total, un bref bilan permet de s’apercevoir que la combinaison entre civils et
militaires éprouva quelques contrariétés pour s’épanouir. La multiplication des arrestations
nuit grandement à tout travail pérenne et les connexions entre les divers niveaux de
pouvoir décisionnel restèrent aléatoires. Aussi, les entités existantes s’orientèrent surtout
vers la propagande ou vers la quête d’informations, bien qu’ils éprouvassent des difficultés
à les acheminer pour les rendre exploitables.
On assista à un dualisme certain dans l’attitude adoptée qui puisa sa source dans deux
origines : le patriotisme et l’antifascisme pour les uns (les communistes), le nationalisme et
l’antigermanisme pour les seconds (les officiers de l’armée d’Armistice). Ces différences
expliquèrent l’impréparation des premiers mois et les obstacles rencontrés pour construire
des assises stables, profitant d’appuis suffisants, tant humain que matériel. Néanmoins, ces
déficiences ne purent interdire à terme de parfaire l’élaboration d’une contexture plus
ferme qui s’évertua à se développer en collaboration avec les autorités résistantes
nationales.
18
Annexe n°2
II L’EMERGENCE D’UNE COHERENCE
A/ LA CREATION DU FRONT NATIONAL
1/ Les bases d’une solidarité
En mai 1941, Bernard BALESTIE (DUPRE) reçut la visite de PERIER, instituteur à
Paris, militant du mouvement Front National (F.N.) tout nouvellement fondé le 26 avril de
la même année par le P.C.F., reprenant les directives du Front National de lutte pour
l’indépendance de la France. Les deux hommes établirent conjointement le Front National
dans l’Aube. BALESTIE, promu chef départemental, chercha à détacher la population du
régime de Vichy19. Primitivement, seuls 5 membres se réunirent (GIROUX, GERVAIS,
PAVOILLE, FERROUILLE, BALESTIE).
Dans un deuxième temps, les volontaires se recrutèrent par l’intermédiaire d’échanges
verbaux avec des personnes dont les opinions étaient partiellement connues. La persuasion
et les amitiés amenèrent par la suite un nombre plus important d’adhérents dont les noms
restaient secrets.20
Pour renforcer une homogénéité naissante, un appel du F.N. fixa 7 objectifs à la
population en juillet 1941 : empêcher que les ressources de la France ne servent l’industrie
hitlérienne ; soutenir les luttes revendicatrices des ouvriers pour nuire aux usines françaises
19
1 J 786
travaillant pour l’occupant ; faire obstacle aux chemins de fer transportant dans le Reich les
richesses et les produits nationaux ; aider les paysans à gêner la livraison des produits
agricoles outre-Rhin ; soutenir ardemment le combat contre la répression hitlérovichyssoise ; répandre les écrits, appels ou documents du F.N. ; partager et exalter face à
l’envahisseur et à ses séides les sentiments patriotiques et la volonté de libérer la France du
joug germanique.21
Pour répondre à ces exigences, des sympathisants garantissaient la réception et la
diffusion du journal clandestin Le Front National, imprimé dans la région parisienne. Dès
que les exemplaires parvenaient en gare de Troyes, ils transitaient par des planques
diverses avant d’aboutir au domicile de Marcel PLANSON, à Saint Julien les Villas.
Or il parut nécessaire d’agir avec beaucoup de prudence, de rappeler aux chefs de groupe
les incertitudes qui pesaient sur les actions. En conséquence s’imposa la parution locale du
Front de l’Aube, (première sortie en septembre 1941) dans lequel BALESTIE et GIROUX
prirent une grande part dans la rédaction des articles.
Le journal était tiré à la ronéo chez les époux GERVAIS de Troyes pendant que des
jeunes du F.N. répartissaient les exemplaires, soit à domicile (boites aux lettres), soit par
l’intermédiaire de la poste. Des militants s’astreignaient quotidiennement à joindre les
quartiers de Troyes et ceux de l’agglomération environnante. On note à ce propos que le
F.N., organe avant tout soucieux de propagande politique, ne s’instaura que dans le monde
urbain et ne réussit pas à s’épanouir pleinement dans les campagnes alentours qui ne
disposaient que d’une culture politique encore trop médiocre.
Malgré ces lacunes portant sur l’expansion géographique, BALESTIE sut accroître son
autorité en entretenant des intelligences avec le professeur LANGEVIN, alors en résidence
surveillée à Troyes, et avec ZEVACO, inspecteur d’académie de cette ville. Tous deux lui
apportaient la plus grande aide22. Par la suite, devant la persistance des risques, la direction
décida de faire imprimer Le Front de l’Aube à Paris.
2/ L’établissement d’un écheveau de soutiens
20
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22
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21
A l’intérieur du F.N., les structures se voulaient à la fois verticale (interrégion regroupant
plusieurs départements appelés régions) et horizontale (à tous les niveaux : responsables
politiques, aux opérations et aux effectifs). Marcel FREON, conseiller municipal de Reims,
occupa les fonctions de chef départemental. Il sollicita en premier lieu le concours de
Raymond MAURY, (LEBLANC), employé à la ville de Troyes, adjoint F.N. aux
renseignements.23
A ces éléments s’agrégèrent les époux GERVAIS, commerçants ravitaillants les
clandestins. Louise et Jules FERROUILLE, maraîchers à Saint André les Vergers,
participaient aux distributions de tracts avec les PAVOILLE. André PAVOILLE, leur fils,
et Léon GRAND s’occupaient des Jeunesses Communistes dissoutes. Ils s’associèrent à
Robert ORTELLI, Marcel NOEL, Alphonse GUENIN, Suzanne PARISE, Gaston
THUILLIER de Montigny les Monts, Roger THUILLIER de Chessy les Prés, Robert et
Betty DIE.24
Après l’attaque de l’Union Soviétique par l’Allemagne en juin 1941, la répression
s’intensifia. Les 14 et 15 juillet 1941 eut lieu une vaste opération anticommuniste tant à
Troyes qu’à Romilly. Les policiers français procédèrent à près de 600 perquisitions et à
plus de 80 interpellations, dont celles de Maurice ROMAGON et de nombre de ses
compagnons.
Les sections clandestines furent presque toutes démantelées avec l’arrestation des 3
frères JOUVET du quartier des Tauxelles, d’Armand LAUBY et de MENAULT. La
plupart des suspects gagnèrent la prison centrale de Clairvaux. De fait, les dirigeants
aubois perdirent presque totalement leur capacité de nuisance. Toutefois, des tentatives
éparses se manifestèrent comme l’indique un rapport de police du 5 août 1941 déclarant
que « ce jour, nous avons trouvé au lavoir municipal de Troyes des tracts émanants du
Parti Communiste qui avaient été déposés à chaque place des laveuses. »25
Mi-août 1941, une nouvelle action intervint à l’encontre des employés de la S.N.C.F., en
gare de Troyes et aux rotondes de la Chapelle Saint Luc. Les agents du maintien de l’ordre
inspectèrent toutes les locomotives, principalement celles rattachées au dépôt de la Villette
23
Archives NIGOND
1 J 794
25
Archives PLANSON
24
et de Noisy le Sec. Sur l’une d’elle, on découvrit un paquet de feuillets portant une
étiquette rédigée en ces termes : cellule 107. Les armoires du personnel subirent une fouille
systématique, ce qui permit de s’emparer de près de 200 kilos de tracts.
En dépit de ces échecs patents, il parut indispensable de passer à une seconde phase
prenant davantage en considération l’expérience des départements voisins mieux organisés
par l’apport de cadres externes. Les adhérents de Champagne méridionale dépendant du
colonel HEURTEAUX essayèrent de reproduire ces modèles limitrophes.
B/ RENFORCEMENTS ET DEPLOIEMENTS DES GROUPEMENTS
Mi-juin 1941, la formation HECTOR, alors la plus élaborée, comprenait outre
WAUTERS : Albert EGELE, Camille EGELE, Henri MISWALD, Marius LIEBERT,
GAUTHIER et HESTIN. Chacun s’ingéniait à poursuivre la progression des effectifs
considérés comme trop faibles. Dans ce contexte défavorable, Albert EGELE fit la
connaissance de GAUSSOT, secrétaire départemental du Parti Populaire Français (P.P.F.).
WAUTERS lui donna l’ordre de sympathiser avec ce collaborateur notoire pour
qu’EGELE s’introduise parmi les partis pro-allemands.26
En plus de ce travail d’infiltration, l’attention principale se porta sur le recrutement de
nouveaux soutiens. Raymond MAYER, agent d’assurances influent, consentit à aider la
Résistance. Il intervint avec : Pierre FERAT, garagiste à Mailly le Camp, surveillant les
installations militaires proches de son domicile ; ANDRE, ingénieur S.N.C.F. aux ateliers
de Romilly sur Seine ; Camille MATHELIN, électricien à Nogent sur Seine et lieutenant
de réserve ; Jean POTRON appartenant au Poste Central de Renseignements à la gare de
Troyes ; Georges MAHEE, docteur à Troyes ; Georges SIMARD, inspecteur des
contributions directes, lieutenant de réserve à Saint André les Vergers.27
Avant la fin de l’année rejoignirent l’avocat André MUTTER, le docteur BOUVIER et
l’intendant MERLINGE (qui accepta en principe le poste de Préfet de l’Aube dès que la
26
27
Archives DANESINI
NA 10562
libération surviendrait)28. Quant à Fernand HESTIN, il s’entretint avec le médecin Georges
MAHEE. Le docteur MAILLARD et Pierre CLAVEL, occupant un poste au service du
ravitaillement, oeuvraient ensemble autour de la ville de Bar sur Aube.
Deux équipes franches se constituèrent avec Marcel MULLOT, tueur aux abattoirs de
Troyes et Edouard BAUDIOT, cultivateur à Torvilliers29. Les deux dernières personnes
précitées se distinguèrent par leur origine sociale puisqu’il est remarquable de constater
que le recrutement se fit presque exclusivement parmi des notabilités et la bourgeoisie
urbaine. Il semble que les amitiés antérieures entretenues naguère au sein du P.S.F. aient
servi pour partie à élargir le cercle des initiés. Avec l’accroissement tangible des
sympathisants, la répartition des attributions adopta l’organigramme subséquent :
Organisation générale
WAUTERS
Renseignements sur l’aviation
MAYER et HESTIN
Renseignements sur le camp de Mailly
Renseignements sur le camp de Brienne le
FERAT
adjudant du camp
Château
Renseignements sur le terrain d’aviation de
ANDRE
Romilly
Renseignements généraux sur la région de
MATHELIN
Nogent sur Seine
Renseignements sur le département
GAUTHIER
Renseignements divers
SIMARD
Renseignements sur la S.N.C.F.
POTRON
Responsable des évasions
MAILLARD
Adjoint à l’organisation générale
MAHEE
Récupération des armes et recensement des
BAUDIOT et MULLOT
camions
Renseignements
sur
les
réquisitions
SOLIVELLAS
allemandes
A côté de cette Résistance point une autre forme de lutte qui, si elle touche des catégories
professionnelles sensiblement semblables, n’en revêtit pas moins des aspects différents.
28
29
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NA 10563
L’engagement en faveur de l’action directe paraissait plus avancé comme le certifie un
rapport du Préfet de l’Aube au ministre de l’Intérieur en date du 30 janvier 1941, ayant
pour objet « la détention d’armes et des menées anti-allemandes. »
Il s’agissait d’un « groupe de jeunes hommes (10 à 12) » identifiés à Troyes par le
commissaire de la police spéciale et plusieurs de ses inspecteurs comme se livrant à la
détention et au maniement d’armes de guerre :
« Ces jeunes hommes, dont la plupart appartienne à de bonnes familles et au milieu de
l’ancien Parti Social Français, tenaient des réunions dans des granges aux abords de la
ville. (...) . Les deux principaux meneurs ont été arrêtés. Plusieurs de ces agitateurs sont
vivement désavoués par leur famille.
Deux d’entre eux ont été trouvé porteurs de la photographie du lieutenant-colonel DE LA
ROCQUE, membre du Conseil National. Il est à noter que le colonel DE LA ROCQUE est
passé à Troyes le 14 janvier dernier et a tenu au café du Buffet de la Gare une réunion avec
un nombre restreint de ses partisans. J’attends d’avoir réuni assez d’éléments sur cette
entrevue pour vous en rendre compte en détail. Mais dès à présent, j’ai la certitude que des
consignes favorables à l’action de l’ex-général DE GAULLE ont été données par ce chef
de parti à ses représentants locaux. »30
Pourtant, il paraît difficile de rattacher ces agissements à un mouvement déterminé. Ne
répondant pas à des mots d’ordre précis, il semble que seules des considérations de
caractère patriotique animaient ces jeunes gens. Dans tous les cas, ces attitudes montraient
nettement que persistaient des comportements ne se soumettant pas seulement aux
directives édictées par des instances dominantes puisque la part d’autonomie se
caractérisait encore par sa vigueur. A l’opposé de telles positions, les noyaux attachés au
P.C.F. clandestin se développaient avec célérité selon des modalités précises, ce qui les
autorisa à renforcer leurs principes organisationnels.
C/ L’ECHEC DE L’AFFERMISSEMENT DU DISPOSITIF MILITAIRE
30
Annexe n°1
Le renouveau advint de l’extérieur et plus précisément de la Côte-d’Or, inaugurant les
prodromes d’une excellente coordination entre les deux départements. Lucien DUPONT,
traqué par la Gestapo en Bourgogne en tant que chef militaire de l’interrégion, se réfugia
dans l’Aube avec un camarade, Charles GROSPERRIN (BUREAU), commandant régional
de l’O.S. OUZOULIAS, un de leurs supérieurs à l’échelle nationale, les rencontra pendant
l’hiver 1941-1942 dans une bâtisse de Troyes.31
Ils s’enquirent des problèmes posés par l’exacerbation des pressions assurées par les
occupants et leurs complices. Consécutivement aux exécutions d’otages effectuées de
juillet à septembre 1941, BUREAU rédigea un tract, traduit en allemand, avertissant les
soldats adverses que pour un français fusillé, dix officiers germaniques trouveraient la mort
dans des attentats.
Les 2 seules machines à écrire disponibles étaient alors installées à Saint André les
Vergers et à Saint Julien les Villas, fonctionnant grâce à une Dijonnaise, Jeanine LEJARD,
associée à Pierrette GONDON (ARMANDE). Mais lors d’un rendez-vous au domicile des
époux FERROUILLE à Saint André les Vergers, Charles GROSPERRIN échappa de peu à
l’arrestation et se résolut à gagner la région parisienne.
Quoiqu’isolé, Lucien DUPONT s’efforça de venger la mort de Maurice ROMAGON,
fusillé comme otage à Clairvaux en février 1942. Il réussit à travailler comme employé au
siège de l’état-major de la Wehrmacht en Champagne méridionale et souhaitait faire sauter
ladite habitation. Le projet ne put finalement pas aboutir. DUPONT gagna donc la Marne
par l’intermédiaire de Roger BOURDY, du P.C.F. marnais.
En bref, le printemps 1942 se distingua par une phase d’indétermination dans le
département. Ne pouvant plus recourir aux militants locaux, le Comité Militaire National
(C.M.N.) désigna PIERROT, de Paris, pour occuper la place vacante. Il ne put prendre ses
fonctions car en mars 1942 la Brigade Mobile de Reims le blessa grièvement et le C.M.N.
dut le remplacer promptement.
31
Albert OUZOULIAS, Op. Cit., p 221.
D’autre part, Eugène KILLIAN n’assuma qu’une éphémère direction, étant appréhendé
le 8 avril 1942 avec Auguste LIENHARDT32. Enfin quelques semaines plus tard, le pôle
romillon disparaissait avec l’arrestation des époux BIRER et BULARD. La totalité des
triangles cessèrent d’exister.
Après la dissolution des ensembles militaires, il ne restait plus qu’à se consacrer à la
consolidation de l’organigramme politique épargné par les démantèlements. René
ROULOT, un cheminot icaunais, prit début 1942 la tête de la région, composée de l’Aube,
de l’Yonne et de la Côte-d’Or.
A Laroches-Migennes, on amenait le matériel venant de Saint-Denis : tracts de
propagande, papier pour l’impression des journaux locaux, le tout transporté ensuite à
Dijon. Dans la cité bourguignonne se faisait la répartition des paquets qui revenaient à
Migennes par l’entremise de 2 mécaniciens du dépôt dijonnais. Les colis attribués aux
Aubois transitaient grâce à un aiguilleur de Saint Florentin.33
Mais les mouvements de Résistance ne purent prendre corps dans l’Aube que quelques
mois plus tard, bénéficiant du travail préparatoire de groupes maintes fois annihilés et
toujours reconstitués. Pour parvenir à des résultats satisfaisants, il convenait de préciser les
emplois de chacun des acteurs pour parfaire l’ordonnancement général. Les efforts
portaient sur les manières de concilier l’établissement de nouvelles forces paramilitaires
tout en consolidant les avantages acquis parmi les éléments civils de la population.
III AUX PREMISSES D’UNE ORGANISATION
A/ UN POLE RESISTANT : CEUX DE LA LIBERATION
32
Archives BIZZARI
1/ La segmentation des responsabilités
Les mouvements souffrirent amplement de cloisonnements insuffisamment respectés, ce
qui provoqua des pertes significatives. A l’instar de Ceux de la Libération (C.D.L.L.) qui
naquit de la destruction du groupe HECTOR dans la mesure où en mars 1941, suite à
l’arrestation d’un fils du colonel HEURTEAUX, son père intervint de manière
intempestive pour obtenir sa libération. Repéré par la police, il ne put éviter d’être
capturé34. WAUTERS et ses compagnons désormais coupés de l’organe parisien
cherchèrent à intégrer une autre formation. Quelques semaines de flottement se
produisirent avant qu’ils ne parviennent à s’introduire parmi Ceux de la Libération.
L’accord bilatéral se concrétisa par le truchement de HASS dont le fils servit en 1940
sous les ordres du capitaine SAVOUREY (à la tête de C.D.L.L. en octobre 1941).
SAVOUREY se rendit à Troyes et demanda de mettre à sa disposition tous les services
préexistants, utilisant surtout les compétences de PERGAULT, de la S.N.C.F. Et cette
unité se raffermit d’autant plus que C.D.L.L. présenta dès l’origine une forte implantation
grâce à une stricte hiérarchie et à un encadrement qui puisa largement dans le vivier des
officiers issus de l’armée d’active ou de réserve.35
Devant des perspectives encourageantes, WAUTERS acquit en juin 1942, lors d’une
réunion à Paris, la délégation régionale de C.D.L.L. pour 5 départements (Aube, HauteMarne, Marne et une partie de la Seine et Marne et de l’Yonne), désignant le capitaine de
réserve Jean HOPPENOT (TERROT) comme chef militaire départemental aubois.
HOPPENOT constata rapidement que la prééminence nationale du mouvement échut à son
ami Roger COQUOIN, connu sous le pseudonyme de LENORMAND. Quant à
WAUTERS, il eut une entrevue avec le colonel SCHIMPF (LE COR) avec qui il partagea
l’autorité sur la moitié de la Seine et Marne.36
Dans chacun de ces départements, WAUTERS, qui prit comme adjoint régional le
docteur MAHEE, sépara les attributions civiles et militaires qu’il confia respectivement
pour l’Aube à l’intendant MERLINGE puis au proviseur du lycée de Troyes, CASATI,
33
BAILLY, Robert. Les feuilles tombèrent en avril. Témoignages et documents sur la Résistance dans
l’Yonne en liaison avec l’Aube et la Côte d’Or. Paris, éditions sociales, 1977, p 66.
34
Arthur CALMETTE, Op. Cit., p.37.
35
NA 10097
36
NA 10033
pour les affaires civiles ; HOPPENOT veillait aux aspects exclusivement militaires.
Concernant le territoire de la Seine et Marne qu’il contrôlait, WAUTERS choisit de se
dessaisir de cet espace au profit de Camille MATHELIN.
Au premier semestre 1942, après quelques délibérations au domicile de WAUTERS,
l’état-major aubois trouva sa forme définitive, avec 4 bureaux conventionnels, à l’image
des armées traditionnelles :
chef régional de C.D.L.L. pour la WAUTERS
Champagne
adjoint au chef régional
MAHEE
chef militaire dans l’Aube
Jean HOPPENOT, capitaine de réserve
1er Bureau
Pierre MILLERET, capitaine de réserve
2ème Bureau
WAUTERS
provisoirement
ultérieurement
par
DALIT
(remplacé
et
MICHEL,
officiers d’active)
3ème Bureau
BOUGUIER, capitaine d’active au Centre de
Libération des Prisonniers de Guerre
4ème Bureau
Roger FLEURY, capitaine de réserve
« Nous organisions, dit WAUTERS, deux genres de groupes. Les premiers, les groupes
francs, travaillant immédiatement, les seconds, les troupes de réserves, ne devant agir et se
grouper que sur ordre et après le débarquement. »37
De fait, les corps francs ne comprenaient jamais plus de 5 personnes afin de restreindre
les risques de dérèglement survenant après les potentielles investigations policières. Aussi,
la répartition des tâches reproduit le schéma suivant :
1) Les groupes francs, travaillant immédiatement pour :
a) La récupération des armes.
b) Le renseignement.
c) Les évasions.
d) La recherche de terrains pour opérations Lysanders.
e) La quête de terrains pour les parachutages.
f) La recherche de maisons-asiles pour émissions-radio.
37
NA 10563
g) Le service de santé.
h) Les maquis.
2) Les troupes de réserves qui ne devaient agir et se grouper que sur ordre, après le
débarquement (capitaine HOPPENOT).
3) Organisation civile comprenant :
a) Le préfet.
b) Le procureur.
c) La presse.
d) Les transmissions.
e) Le ravitaillement.
f) Le service hospitalier.
g) L’électricité.38
Pour appliquer un plan si ambitieux, il fallait dans le même temps favoriser toute
tentative tendant à rendre plus aisé les liens entre les participants résistants.
2/ A la quête d’une coordination
Après l’occupation de la zone libre (novembre 1942), Maurice DALIT et Pierre
MICHEL se soumirent aux notifications de WAUTERS qui les dirigea vers le 2ème
Bureau encore embryonnaire. Jean POTRON dorénavant muté, les contacts reprirent avec
son successeur à la S.N.C.F., l’inspecteur Gabriel THIERRY (Marcel MISMER).
THIERRY proposa de fournir un calque de neutralisation des principales lignes de
chemin de fer de la région en vue des destructions à pratiquer dès que le matériel serait
efficient. On prévoyait d’immobiliser les grues de Châlons sur Marne et de Chaumont et de
copier le plan des relais des communications téléphoniques allemandes. THIERRY
rapporta au surplus des indications sur les déplacements des trains, les transports de
troupes et leur ravitaillement, les expéditions en Allemagne, le moral des cheminots.39
Par ailleurs, grâce au docteur MAHEE, WAUTERS essaya d’intensifier ses appuis dans
l’environnement judiciaire. Il devisa avec le procureur VASSART qui jouissait de
quelques soutiens à l’intérieur de l’administration pénitentiaire (parmi les gardiens de la
38
39
1 J 787
1 J 792
prison de Clairvaux)40. Il nomma le procureur comme magistrat présidant le tribunal
militaire de l’Aube, amené à siéger lorsque les circonstances le commanderaient.
En décembre 1942, un rassemblement se produisit à Paris pendant lequel furent
officiellement données aux membres nationaux et régionaux de C.D.L.L. des consignes
dont on leur dit qu’elles émanaient de l’état-major allié. WAUTERS, oeuvrant en
Champagne, région où C.D.L.L. occupait la plus forte position en zone occupée, souscrit à
l’accomplissement d’instructions inédites :
« Au cours de ces débats, j’ai reçu l’ordre d’être prêt pour fin avril 1943, en vue d’un
débarquement possible en mai 1943. De plus, il fallait rechercher des terrains de
parachutage ARMA-DEPOT et des maisons asiles pour les émissions-radio. »41
Dès lors, durant les premiers mois de 1943, une grande activité affecta l’Aube. D’après
Londres, la Champagne méridionale offrait en zone occupée une structuration telle qu’elle
pouvait prétendre à être pourvue en matériel. En mars 1943, deux parachutages parvinrent
au mouvement C.D.L.L. : sur le terrain DINDE près de Bar sur Aube et sur un site à
proximité de Nogent sur Seine42. Dans cet environnement propice apparut un mouvement
complémentaire qui démontra une vive propension à reprendre certaines mesures
susnommées.
B/ L’INSTITUTION DES FRANCS TIREURS ET PARTISANS
La recomposition entreprise à la fin de l’année 1942 dans l’Aube correspondit à l’échelle
nationale à des principes innovants d’intervention, par lesquels le Comité Militaire
National substitua la lutte armée à la distribution de tracts. Dès ce moment, le groupe servit
de modèle : 2 équipes de 3 ou 4 individus, sous l’égide d’un chef et de son adjoint,
conservaient le plus longtemps possible leurs occupations quotidiennes légales, ne se
retrouvant qu’au cours des opérations, se dissolvant après l’engagement dans l’anonymat
de leur métier et de leur domicile (selon la tactique des « gouttes de mercure » préconisée
par Charles TILLON).
40
1 J 793
NA 10563
42
Archives SOLIVELLAS
41
Par conséquent, le F.N., orienté vers la propagande, se dota d’une branche militaire, les
F.T.P. (Francs Tireurs et Partisans), au cours du second semestre 1942 pour faire face à ces
exigences. Utilisant initialement l’O.S., les F.T.P. souhaitaient accueillir tous les hommes,
sans distinction politique ou confessionnelle, décidés à combattre prestement l’occupant et
à pratiquer la guérilla contre l’armée ennemie.43
Ils affirmèrent le mieux leur originalité dans leur approche spécifique de la lutte armée,
profitant d’une plus grande expérience acquise dans la clandestinité. Les F.T.P furent
étroitement dépendants de ces conceptions et insistèrent fortement sur une nécessaire
déconcentration des fonctions, offrant une certaine latitude de décision pour les acteurs
concernés.
De manière théorique, le département constituait l’unité référentielle, appelée région.
Cinq départements représentaient une interrégion, vingt départements une subdivision.
L’Aube se trouva rattachée avec la Saône et Loire occupée, l’Yonne, la Côte-d’Or et la
Marne à l’interrégion que commandait Fernand GRILLOT, cheminot de Dijon
(GERMAIN). Au niveau départemental, à chaque échelon géographique, le titulaire du
poste entretenait une correspondance étroite avec le F.N. et le Parti Communiste
clandestin.
A la base, 8 hommes se fractionnaient en deux équipes. Trois groupes s’agrégeaient en
un détachement, 3 détachements en une compagnie. Les F.T.P. puisèrent largement parmi
les réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) pour étoffer les noyaux initiaux
et mettre en place des strates ordonnées. De ce fait, ils présentaient une mobilité certaine
par leurs facultés à se mouvoir dans les délais les plus brefs.
Le secteur F.T.P. le mieux connu recouvrait la zone de Chamoy-Saint Phal-Montigny les
Monts, dans le sud du département, où Gaston THUILLIER, maçon à Montigny, joua un
rôle décisif. En mars 1942, il se mit en rapport avec Marcel MARCHAND, habitant la
Côte-d’Or, mais la coupure intervint très rapidement. Puis un Icaunais se présenta en août
1942. Un mois après, la césure s’installait une fois encore. Nonobstant ces difficultés
récurrentes, THUILLIER réussit à s’adjoindre le concours des villageois de Montigny les
43
SC 4273
Monts, Davrey, Villiers le Bois, Saint Phal, Chamoy, Villeneuve au Chemin et des
Chaillots.44
A cet effet, on dissimula dans les régions de Chaource et d’Ervy le Châtel des
syndicalistes cégétistes et des sympathisants communistes recherchés, soit 3 ensembles de
30 personnes. En septembre 1942, GEHIN (FELIX) se mit en relation avec un adhérent
parisien des Francs Tireurs et Partisans qui lui offrit d’apporter sa protection à ces
volontaires en leur procurant des armes et de l’argent. GEHIN accepta et se plaça
officiellement sous la tutelle des F.T.P.
Les hommes bénéficièrent d’une immatriculation partielle et reçurent le matériel promis,
qui consistait en tracts et en brochures communistes (France d’Abord, l’Humanité, Front
National). En corollaire, Edouard BAUDIOT répartit un armement substantiel aux F.T.P.
et hébergea à son domicile de Torvilliers des équipes de sabotage travaillant dans l’Aube et
dans la Marne.45
Dans tous les cas, le fait important résida dans l’extension géographique que prit la
Résistance puisque les centres urbains jusqu’alors prépondérants perdirent leur primauté
exclusive au profit d’individus provenant du monde rural. Une telle évolution modifia
notablement les dispositions internes des mouvements. Dorénavant, ces derniers durent
veiller à maintenir une bonne concordance entre les sympathisants disséminés dans les
campagnes et dans les villes. Il importe de noter que ces changements affectèrent même de
manière irréversible quelques forces qui devinrent inopérantes.
C/ DES ENTITES AUX COMPOSITIONS DISPARATES
1/ La disparition de l’O.C.M.
Dans la zone nord, l’O.C.M. se singularisait avant tout par son influence auprès des
industriels, des hauts fonctionnaires et des professions libérales. Elle s’attira les faveurs des
environnements socialement et politiquement conservateurs. Or en Champagne, les
44
Archives BIZZARI
membres se recrutèrent en majorité au sein des ouvriers bonnetiers, des commerçants et
des artisans même si subsistaient quelques militaires ; aux environs de Bar sur Aube et Bar
sur Seine, ils provenaient même du monde agricole ; le groupe de Romilly sur Seine
comprenait nombre d’employés de la S.N.C.F46. En conséquence, l’O.C.M. s’illustra dans
la région par une composition professionnelle atypique.
Un rapport adressé à Londres, donnant un aperçu de la situation au 31 décembre 1942,
permet de dresser un bilan global de son fonctionnement interne. Il existerait à cette date
16 groupements dotés chacun de 33 résistants sédentaires, commandés par des officiers.
Néanmoins MERLINGE, représentant essentiel de l’Organisation Civile et Militaire dans
le département, demeura pondéré et émit même quelques réserves sur ces précédents
chiffres, en particulier sur l’exacte réalité des effectifs :
« Personnellement, j’avais embauché le plus possible d’officiers, de sous-officiers et de
Saint-Cyriens licenciés dans les services du Ravitaillement Général et au centre de
libération des prisonniers de guerre et tous dirigeaient des subordonnés demeurant
principalement à Bar sur Aube, Brienne le Château et Bar sur Seine. »47
Malgré une faiblesse évidente de l’O.C.M., une réelle capacité de mobilisation se
maintînt grâce à l’intendant MERLINGE. Des transports (autos et motos), des réserves
d’essence, des installations sanitaires, des terrains d’aviation et de parachutage étaient
reconnus. Quelques maires acceptèrent d’appuyer l’O.C.M, en collaboration avec des
entreprises civiles, comme les Ponts et Chaussées, la Société Lyonnaise d’Electricité, la
Compagnie du Gaz de Troyes.
Des correspondants signalaient les mutations des troupes allemandes et leur
stationnement dans l’espace aubois. Un bombardement allié du camp d’aviation de
Romilly sur Seine survint en décembre 1942 par l’entremise des agents romillons de
l’O.C.M. : MERLINGE, en association avec LELIEVRE, avait fourni au Service de
Renseignements (S.R.) KLEBER un plan fort complet des 6 emplacements de batteries
antiaériennes germaniques. Ils transmirent postérieurement une missive et un calque pour
annoncer les résultats obtenus et faire connaître semblablement l’état du réseau de
transport des lignes électriques.
45
109 J 108
Arthur CALMETTE, Op. Cit., p.84.
47
NA 10434
46
Mais le 18 janvier 1943, la police mit un terme aux activités de MERLINGE, dénoncé
par un agent appartenant au S.R. KLEBER-NORD, rencontré à Epernay, se disant du 2ème
Bureau48. Etêtée, l’O.C.M. évanescente ne put obvier à réduire ses insuffisances et s’inclut
presque intégralement à l’intérieur de C.D.L.L.. Elle perdit toute autonomie et la rapidité
avec laquelle elle se désagrégea prouva son absence de vivacité et de relais dans la
population, à l’opposé d’autres corps démontrant leurs aptitudes à adopter des mesures
idoines, susceptibles d’asseoir une hiérarchie.
2/ La croissance de mouvements novateurs
Fondée en novembre 1940, Libération-Nord s’installa seulement en 1942 en Champagne
méridionale, sous l’impulsion du Rémois GUYOT (CHRISTIAN), délégué pour la région
avant que Gabriel THIERRY ne le remplace. Celui-ci put compter sur l’aide indéfectible
de Germain RINCENT, un instituteur qui sut s’entourer d’hommes sûrs et diffuser
régulièrement la publication clandestine Libération, ce qui lui valut d’accéder aux plus
hautes responsabilités.49
Son but prédominant consistait à utiliser les amitiés professionnelles antérieures à la
guerre. RINCENT se lia avec Georges LAPIERRE, (secrétaire général du syndicat des
instituteurs demeurant dans la partie septentrionale de l’Aube, à Périgny la Rose), qu’il vit
soit à Paris, soit à Troyes. LAPIERRE lui demanda au préalable de commencer la
récupération de moyens de transports légers (motos ou vélos) et RINCENT lui fit faire la
connaissance de WAUTERS.
Les débuts s’avérèrent ardus et « le milieu instituteur et syndicaliste ne se montra guère
actif. Il fallut même faire preuve de prudence vis à vis de plusieurs collègues de
l’enseignement. »50 En dépit de ces aléas, THIERRY prescrit de faciliter l’introduction de
militants syndicalistes, de membres de cercles philosophiques, du Parti Socialiste et de la
Démocratie-Chrétienne, etc... Cet effort de dilatation géographique porta sur les territoires
de l’agglomération troyenne, de la forêt d’Othe et de Bar sur Aube.
48
NA 10142
NA 10095
50
72 AJ 101 A/N°9 I
49
Dans le dessein d’accroître les infrastructures naissantes, Germain RINCENT approcha
RIBIERE mi-1942 et s’entretenait le plus souvent avec DENIAU et RICHARD de l’étatmajor national. Il fréquenta à de rares occasions Pierre BROSSOLETTE, Daniel MAYER,
BIONDI, VERDIER.
Il toucha parallèlement les officiers de réserve du corps enseignant bien que Libération
Nord se distingua de prime abord par l’appétence de l’encadrement à privilégier le monde
civil. D’où des assises inégalement développées. Cette conjonction de facteurs explique
sans nulle doute que toute velléité d’expansion cessa suite à la capture de LAPIERRE en
mars 1943.
L’extension de la Résistance ne résulta pas seulement du déploiement d’énergies
spécifiquement départementales puisque des Français acceptèrent résolument de dépendre
directement de Londres et des Britanniques du Special Operation Executive (S.O.E.), crée
le 22 juillet 1940 par CHURCHILL. Cet organe relevait du ministère de la guerre
économique et les divisions en sections correspondaient aux différents pays occupés (la
France composant la section F).
Son objectif initial se limitait à détruire la production ennemie, à équiper les patriotes
pour suppléer les efforts consentis par les Alliés. Pour accéder à ces résultats, on pratiquait
des sabotages de toute nature de façon à altérer les capacités de l’occupant en accentuant le
sentiment latent d’insécurité. Dans ce contexte s’implanta dans l’Aube le réseau BUCKABELARD qui devait contribuer à la préparation du débarquement des armées angloaméricaines.51
Un noyau naquit en août 1942 sous l’emprise de Pierre MULSANT (un industriel
travaillent chez STEIN-OUDOT, entrepreneur de matériaux à Troyes) qui s’assura
l’attention bienveillante de SIMON, un sculpteur parisien52. Sa mission visait à
réceptionner et stocker des armes parachutées et à former des unités prêtes à paralyser le
trafic sur les voies de communication adverses. De la sorte, on vit poindre deux types de
mouvements : les uns reliés étroitement avec Londres mais non soumis aux services
français du général DE GAULLE ; les seconds ne représentant que des délégations de
grandes associations nationales de Résistance.
51
Témoignage de Charles RASETTI, rencontré le 4 novembre 1996.
En terme de bilan, il est aisé de constater la pluralité des situations. Sur les 5 ensembles
conçus de 1940 à 1942, un seul a disparu : l’O.C.M. Un tel échec s’explique en mettant en
perspective deux phénomènes complémentaires. D’un côté, l’O.C.M. ne pouvait aspirer à
garantir sa pérennité lors de crises majeures, étant donné l’insuffisance de ses capacités
humaines et la carence intrinsèque de ses cadres. D’un autre côté, elle semblait trop proche
socialement (et politiquement) de C.D.L.L. pour espérer s’épanouir, son organisation
ressemblant par trop à celle de sa puissante consoeur :
« A Ceux de la Libération, l’O.C.M. apparaissait comme une entreprise rivale et
réactionnaire à laquelle il s’agissait seulement de répondre en recrutant des officiers. »53
En définitive, les F.T.P., C.D.L.L. et dans une moindre mesure l’antenne auboise du
S.O.E s’affirmèrent. En effet, on assista à une véritable tripartition des fonctions où chacun
joua un rôle défini. Libération-Nord resta en marge, possédant certes des dirigeants de
qualité mais sans pouvoir prétendre posséder un réel soutien populaire. D’autant que
l’influence d’un mouvement se définit entre autre par sa faculté à rassembler des
volontaires et à utiliser leurs compétences à bon escient.
Incontestablement, on se trouvait à une époque charnière où l’indécision prévalait
encore. Mais dans ces circonstances peu avantageuses, il semble nécessaire de remarquer
que les formes résistantielles changèrent de nature avec la substitution des solidarités
antérieures à la guerre par des dispositifs plus cohérents, exploitant pleinement les
possibilités offertes par les strates de commandement verticales et horizontales.
Assurément, les essais de construction d’infrastructures plus rigides mettaient en exergue
ce désir de bâtir un ordonnancement endogène.
Ainsi, après une phase de croissance du potentiel humain, les mouvements aubois se
consacrèrent dans un second moment à des entreprises précises contre l’occupant. Ils
adoptèrent des attitudes fort diverses selon leur degré d’autonomie face aux pouvoirs
concentrés essentiellement à Paris. Ces modulations induisent l’analyse des trois
comportements qui émergèrent dans le dessein de parvenir à l’instauration d’une
contexture appropriée.
52
NA 10092
En premier lieu, il faut s’attacher aux ensembles qui ne furent que de simples émanations
de mouvements nationaux, reprenant presque intégralement les singularités en vigueur
chez ces derniers. Ensuite notre attention se portera sur les formations proches de la
Résistance extérieure au territoire national (S.O.E.). Enfin, il conviendra de s’intéresser
tout particulièrement à l’Armée Secrète. Quoique régie par des règles endogènes qui
semblaient fort peu adaptées aux exigences qu’imposaient le combat de l’ombre, celle-ci
s’imposa par sa capacité à fédérer les aspirations patriotiques grâce
53
PASSY (colonel), Missions secrètes en France (novembre 1942-juin 1943). Plon, Paris, 1951, p.157.
I LA MISE EN PLACE DE DELEGATIONS
A/ DES FORCES RESISTANTES PUISSANTES
1/ Les progrès des principes organisationnels
Chez les F.T.P., l’activité dominante reposait sur la personne de GEHIN qui veillait au
domaine paramilitaire et institua de petits agrégats légaux disséminés dans des secteurs
favorables, souscrivant à un service de renseignements recueillant toutes les informations
possibles sur les troupes allemandes. Dès février 1943, l’implantation essentielle se situait
au sud de Troyes, dans les imposantes forêts chaourçoises et ervytaines 54. Les
dénominations usitées par les groupes sédentaires reprenaient le plus souvent des attributs
topographiques locaux (le Perchoir, Spada, le Mé) ou exaltaient le sacrifice consenti par
des militants fusillés en 1942 (PELLERIN).
Bien que soumis à des approximations et à des incertitudes, les F.T.P. aubois surent
mettre en oeuvre un organigramme reproduisant celui du modèle national. Par suite, à
l’organisation par unités combattantes se superposait une organisation territoriale verticale
par département et association de départements. Au sein du Centre parisien, le Comité
Militaire National des F.T.P. comprenait Charles TILLON, commandant en chef, Eugène
HENAFF, commissaire aux effectifs (remplacé par René CAMPHIN en mai 1943), Albert
OUZOULIAS aux opérations, Georges BEYER à l’armement et au renseignement.55
Sous leurs ordres, les subdivisions relevaient des C.M.I.R. (Commissaires Militaires
Interrégionaux) qui coiffaient de leur autorité plusieurs régions. Dans ces dernières, un
C.M.R. (Commissaire Militaire Régional) s’imposait à tous les membres d’une région (un
ou plusieurs départements). Son rôle se réduisait à impulser la lutte contre l’ennemi et à
parfaire la discipline sur toute la zone circonscrite.56
54
NA 10096
La Résistance et les Français : lutte armée et maquis. Actes du colloque international de Besançon 15-17
juin 1995, Besançon, 1996, p.135.
56
13 P 46
55
A chaque niveau du dispositif vertical en vigueur, on retrouvait le commandement du
C.M.R. se répartissant en un triangle de trois personnes solidaires devant l’échelon
supérieur : le Commissaire Politique (C.P.), Militaire (C.M.), Technique (C.T.). Début
1943, le C.M.I.R. André DUCROIX (RICHARD) de Reims coordonnait plus spécialement
l’action des F.T.P. avec le C.T.I.R. François GRILLOT (GERMAIN) 57. Mi-1943, ce
triangle devint : Effectifs, Opérations, Technique (Armement). L’effectivité des mesures
prises resta difficile à discerner à cause de l’ampleur de la répression et du renouvellement
fréquent des titulaires. Cependant, on assista à une véritable tripartition des attributions.
Le Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.) dépendait directement de Paris, ce qui
lui conférait une place prépondérante. Il avait sous ses ordres des adjoints pour faciliter le
recrutement. Le C.E.R. devait contrôler les engagements, prévoir des maquis, fixer des
lieux de stationnement pour les hommes dans le but de maintenir leur moral, assumer les
difficultés inhérentes à l’instauration de la discipline, connaître l’état de la comptabilité et
des fonds, s’entretenir hebdomadairement avec les partis clandestins.
Il préparait les entrevues du Comité Militaire Régional et du Bureau Militaire Régional.
Quant au Commissaire Technique Régional (C.T.R.), il « dirigeait l’ensemble des services
de l’armement, des renseignements et de la santé »58, c’est à dire qu’il s’intéressait aux
problèmes matériels et de logistique.
Le C.O.R. (Commissaire aux Opérations Régionales) transmettait les ordres de la région
aux recruteurs de réfractaires (au nombre de quatre dans l’Aube). Il prenait en charge la
préparation et l’exécution des opérations, entraînait les individus au combat selon les
directives fournies par le Comité Militaire National. Ces trois représentants « se
réunissaient en bureau militaire pour élaborer des plans et juger de leur application par les
échelons inférieurs. »59
Pour finir, un chef de détachement ou de secteur commandait deux ou trois groupes et
chaque chef de groupe dominait 30 hommes. Toutefois, il faut reconnaître que « ces règles
strictes furent bien souvent bousculées par les circonstances ou les nécessités pratiques de
la lutte. »60 Aussi, les lourdes pertes subies nécessitèrent de recourir à des militants
57
Témoignage de Jules JACQUESON, rencontré le 6 mars 1997.
TILLON, Charles. Les F.T.P. : témoignage pour servir à l’histoire de la Résistance. Julliard, 1962, p.175.
59
Annexe n°8
60
COURTOIS-GARCIA, Noëlle. Les F.T.P. dans l’Yonne pendant la seconde guerre mondiale (1942septembre 1944). Dijon, 1970, p. 14.
58
extérieurs mais nantis d’une solide expérience prompte à s’exercer à l’encontre de
l’envahisseur.
2/ L’emprise de la sphère d’influence bourguignonne
Début 1943, le C.O.R. Léon BOUCHARD (ALAIN), de Migennes, se rendit dans
l’Aube. Gaston THUILLIER lui présenta un effectif, somme toute théorique, de 150
hommes en février 1943. Traqué par la Gestapo, ALAIN passa peu après dans l’illégalité et
ne put échapper à l’arrestation en mars suivant. Son successeur se révéla un Côte-d’Orien,
Charles COUCHE.
Travaillant parmi les cheminots de Dijon-Perrigny, il participa à de nombreuses
destructions de voies ferrées dès le début de l’année 1941. Il se vit dans l’obligation de
quitter le département le 15 février 1943, après l’interpellation de ses 4 frères résistants.
Activement recherché, il rejoignit pourtant François GRILLOT dans le cadre aubois pour y
devenir Commissaire aux Opérations le 1er avril 1943.
Spécialisé dans les sabotages, hébergé à Torvilliers chez Edouard BAUDIOT
(MARIUS), il endommagea plusieurs lignes électriques, perturba les transports ferroviaires
et intégra l’équipe qui mit hors d’usage les locomotives du dépôt de Troyes, dans la nuit du
3 au 4 juillet 1943. Mais son ardeur le fit repérer et il gagna alors l’ouest de la France où
COUCHE prit la tête des opérations dans 8 départements bretons.61
Dans les faits, la situation présenta seulement en octobre 1943 une cohérence dans
l’interrégion car antérieurement une certaine confusion l’emportait suite aux multiples
départs de militants et aux vacances des postes. Louis MUTIN (SEGUIN) fut nommé
C.E.I.R. (Commissaire aux Effectifs dans l’Interrégion) tandis que Jean VANTALON
(MARCEAU), un bonnetier troyen, faisait office de correspondant aubois. Leur supérieur,
un subdivisionnaire, demeurait Jean NICOLAS.62
Louis FRANCOIS (ALBERT) se souciait du recrutement dans l’interrégion alors que
François
GRILLOT (GERMAIN) était
le
commandant
militaire.
Les
Aubois
n’apparaissaient nullement au sein de l’organigramme interdépartemental des F.T.P.,
61
Témoignage de Charles COUCHE, rencontré le 10 avril 1997.
traduisant concurremment leur faiblesse du moment et une relative incapacité à dégager
des personnalités fortes, à même de contribuer aux processus décisionnels. En
conséquence, les cadres envoyés par la Côte-d’Or l’emportèrent très largement dans tous
les organes de direction.
Jules JACQUESON (ROBERT) accéda de la sorte au poste de Commissaire aux
Opérations Interrégionales et prit ses fonctions le 1er octobre 1943 dans l’Aube où son
prédécesseur l’accompagna pour lui indiquer quelques préceptes relatifs à la sécurité. Il
joignit Gaston THUILLIER et s’appuya sur la famille JEANSON de Baudement, habitant
l’extrême sud de la Marne.
Caché à Troyes, JACQUESON constitua un état-major avec comme adjoints
LESSUISSE qui se consacra au sud du département et Raymond ROGER qui s’intéressait
à la partie la plus septentrionale63. Proche du F.T.P. Pierre OUY, il conçut avec Roger
BERGANZ, Guy JEANSON et Gaston GAGNIERE nombre d’expéditions contre les
installations allemandes, visant les communications ferroviaires à Saint Julien les Villas et
à Romilly :
« Je dominais des groupes de destruction qui avaient pour but d’anéantir les réservoirs
d’essence, de paralyser les déplacements sur les voies ferrées, de s’emparer des tickets de
ravitaillement grâce à la complicité de secrétaires de mairie, de bloquer les transports par
écluses. Je rencontrais le saboteur Charles COUCHE dans un café-épicerie à Sainte-Savine
et recevais indifféremment la visite des autres interrégionaux, tels que NICOLAS,
SALOMON ou GRILLOT. »64
Concomitamment, une autre Côte-d’Orienne, Jeanine LEJARD, se vit confier les Forces
Unifiées de la Jeunesse Patriotique (F.U.J.P.) pour les zones bourguignonnes et
champenoises. En novembre 1943, elle assuma en outre les transmissions pour
l’interrégion des F.T.P. (Marne, Aube, Yonne, Côte-d’Or et Saône et Loire en partie). En
résumé, on observe aisément que le mouvement F.T.P. aubois éprouva de grandes peines à
se manifester comme un élément d’impulsion, à cause du manque de moyens mis à sa
disposition.
62
13 P 71
Annexe n°6
64
Témoignage de Jules JACQUESON, rencontré le 6mars 1997.
63
De plus, sans l’apport incessant de facteurs exogènes, toute tentative de consolidation
aurait connu un sort défavorable. Le recours à des résistants n’appartenant pas à la région
permit de satisfaire à une dynamique, d’autant que l’aspect politique de la lutte semblait
connaître un sort plus favorable et une croissance certaine, correspondant semble-t-il aux
attentes formulées.
3/ Vers une vigueur nouvelle
Le F.N. départemental poursuivit sa quête de documents ayant trait aux occupants
(cantonnements, matériels) pour les faire parvenir à Paris. Le travail aboutissait par
l’entremise de noyaux de 5 éléments qui représenteraient 100 à 150 hommes. Leur chef,
Bernard BALESTIE, recouvra la liberté en février 1943 après plusieurs mois
d’incarcération.
Se sentant étroitement surveillé, il abandonna provisoirement toutes ses prérogatives
avant de reprendre en juillet 1943 son activité en relation avec le P.C. BALESTIE fit
délivrer de fausses cartes d’identité aux individus traqués et aux réfractaires du S.T.O.
auxquels il procura du travail dans les campagnes65. L’application de ces résolutions se
produisait sur les recommandations de Marcel DUFRICHE (LAURENT), interpolitique
F.N de mars à décembre 1943, date à laquelle René POIROT, hébergé à Dijon, le suppléa.
Acquiesçant aux préconisations susnommées, THUILLIER rassembla un détachement et
le dirigea sur le hameau des Chaillots, au sud de Troyes, en septembre 1943. On comptait
32 hommes qui composèrent le premier groupement armé aubois. Attaqués par une section
allemande, ils furent contraints de se replier le 10 novembre 1943.
Mais ils n’hésitèrent pas trois jours plus tard à assaillir une patrouille germanique à
Chesley, accrochage au cours duquel deux ennemis trouvèrent la mort. Un tel épisode revêt
une dimension particulière car il marqua le moment où le mouvement de Résistance,
pourvu de cadres et d’un armement même léger, s’engagea dans la guérilla dans les zones
qu’ils contrôlaient.66
65
66
NA 10179
Archives BIZZARI
Les déplacements incessants des volontaires mettaient en exergue une intention accrue de
parfaire aux règles de mobilité dans le dessein de ne pas adopter les habitudes néfastes des
sédentaires. Or le 6 décembre 1943, la capture de Gaston THUILLIER mit fin aux efforts
déployés depuis plusieurs mois, renouvelant une fois encore totalement la hiérarchie des
F.T.P.
Au commencement de l’année 1944, un axe directeur inédit se mit donc en place. Jules
JACQUESON quitta sa situation de Commissaire aux Opérations dans l’interrégion à la fin
du mois de janvier. Peu de jours auparavant, le 19 janvier à Boulogne Billancourt, le
subdivisionnaire NICOLAS ne pouvait échapper aux rets policiers en se rendant à une
réunion du C.M.N. à Sartrouville.
Par suite, Maxime SALOMON (MAX) accéda au poste de Commissaire Technique
Interrégional (C.T.I.R.). Le même mois, GRILLOT, commandant interrégional F.T.P.,
rappela Maurice CETRE pour remplacer JACQUESON et le nomma dans l’Aube et la
Marne où les F.T.P venaient d’endurer une sévère répression.
Bien qu’affecté par les pertes de nombreux camarades, un Comité Consultatif Militaire
(C.C.M.) se créa en Champagne méridionale avec notamment les présences de Pierre
CHAPUT (ROGER) et Marius CATRIN (OLIVE), ajusteur-mécanicien à Troyes67. Cette
démarche démontrait explicitement la volonté générale de ne pas abandonner tous les
organes départementaux à des personnes venues de l’extérieur.
Un bref bilan permet d’insister successivement sur deux points développés lors de la
présente étude. En premier lieu, il paraît évident que les F.T.P. ont connu d’amples
problèmes pour étendre leur influence, faute non pas seulement du peu de patriotes locaux
acquis à ses idées mais parce que les polices vichystes et allemandes concentrèrent en
priorité leur attention sur ses sympathisants.
Ensuite, il semble important de noter que les rapports avec les départements limitrophes
évoluèrent notablement : si l’Aube établit des contacts initiaux avec l’Yonne, dans un
second moment la Côte-d’Or joua le rôle central et celle-ci utilisa les structures auboises,
67
Archives NIGOND
les alimentant pour partie en hommes et en matériel. D’autres forces, démunies de tout
concours extrinsèque, pâtirent de ces déficiences.
B/ LA PERSISTANCE D’ENSEMBLES INSTABLES
Libération-Nord ne possédait pas de réel soutien populaire, ce qui restreignit son rôle à
cause essentiellement d’un tissu de militants trop pauvre numériquement pour être exploité
pleinement. Seule une demi-douzaine de réfractaires au S.T.O. et de prisonniers évadés
d’Allemagne se rassembla en septembre 1943, aux environs des Grandes Chapelles, dans
la contrée la plus au nord du département, ne bénéficiant que d’installations pour le moins
sommaires.68
Le paradoxe de ce mouvement tint au fait que sa relative impéritie à recruter se
compensait par la valeur et la qualité de ses adhérents. La Marne, la Haute-Marne et
l’Aube dépendaient de Germain RINCENT. Dans le pôle champenois s’érigea un restreint
mais solide écheveau d’auxiliaires avec des noyaux à Troyes, Bar sur Seine, Romilly, Bar
sur Aube, Aix en Othe et dans l’agglomération troyenne.
Les correspondances avec Paris s’exécutaient dans de bonnes conditions. Fin 1943,
environ 300 exemplaires de Libération, imprimés dans cette dernière ville, 60 rue des
Vinaigriers, étaient acheminés dans la cité troyenne. Les personnes traquées pouvaient se
munir de faux papiers obtenus 10, rue des Pyramides à Paris, dans un magasin possédé par
LAIR.69
Au demeurant, l’action se poursuivit en se concentrant sur des secteurs déterminés.
Premièrement, la collecte de documents par le Noyautage des Administrations Publiques
(N.A.P.) et plus exactement à l’intérieur de l’administration des impôts s’accentua
nettement. Jean-François PIQUEMAL, contrôleur principal des contributions indirectes à
Troyes, centralisait par devers-lui les contributions fournies par ses collègues et oeuvrait à
l’élaboration de pièces d’identité falsifiées.
68
69
NA 10095
72 AJ 101 A/N°9 I
Il obtint la collaboration de Joseph ANGLADE, receveur des contributions indirectes
dans le bourg d’Aix en Othe. Dans le milieu enseignant, on ne compta guère que
l’engagement de Marcel FEBVRE, instituteur à l’école d’Aix en Othe, approché
préalablement par l’Aixois Roger BIDAUT (PAUL), lui-même enseignant, comme Paul
BRANDON, instituteur à Troyes.70
Dans la S.N.C.F., Gabriel THIERRY (CHATEAU) recourut aux compétences de René
FRANQUIN, chef-aiguilleur à la gare de Troyes-Preize, (possédant le pseudonyme
d’Auguste BARBE) et de Roger BEAUDOUIN, employé S.N.C.F. D’autres cheminots
offraient occasionnellement leurs services pour délivrer des précisions sur les itinéraires
des trains de marchandises.
C’est pourquoi, plus que tout autre mouvement, Libération profita grandement de
l’existence d’amitiés entretenues antérieurement à la guerre, dans le cadre du métier
pratiqué et sur une base uniquement professionnelle. Maurice MONTENOT, inspecteur
commercial dans une société d’alimentation, fit exception grâce à son expérience militaire
dans la mesure où Libération-Nord n’accordait nullement sa faveur aux stratégies requises
par les bellicistes.
Un aperçu plus détaillé met en évidence les conclusions subséquentes : les militants
provenaient avant tout non pas des centres urbains dominants mais bien plutôt des petites
ou moyennes villes périphériques du département, dans des régions aux limites territoriales
hautement définies : le Barsuraubois autour de Bayel où la presque totalité des membres
travaillait à la cristallerie71 ; la forêt d’Othe autour d’Aix en Othe (avec DANGOUMAU,
BIDAUT, JADOT) et des centres isolés à l’exemple de Marigny le Châtel ou Vauchassis
(avec Alphonse SOUQUET, délégué cantonal).
La diffusion ne cessa de revêtir un caractère épars, laissant de vastes espaces sans nul
contrôle, même partiel. Il est vrai que tout en participant (avec des réserves) à l’effort
militaire, un organe à dominante politique comme Libération-Nord, ne savait trouver sa
finalité dans la confrontation directe avec l’ennemi. Surtout que les acteurs principaux de
la formation durent fuir et en septembre 1943, Paul BRANDON remplaça RINCENT,
recherché par la Gestapo72. Quoique subissant de rudes épreuves, Libération Nord
70
72 AJ 101/A II n°3
Témoignage d’Abel THIERRY, rencontré le 13 décembre 1996.
72
72 AJ 101/AII 3
71
poursuivit ses activités résultantes de l’interpénétration existante avec Résistance-Fer,
autorisant des échanges réciproques.
C/ L’APPARITION D’ORGANES COMPLEMENTAIRES
Résistance-Fer tenta d’accomplir un objectif dual : donner des indications scrupuleuses
sur les trafics ferroviaires ; provoquer les conditions favorables à l’exécution des sabotages
(voies, matériels...). Toutes ces dispositions avaient déjà été prises précédemment par des
entités isolées et Résistance-Fer se proposait de fusionner le potentiel humain pour garantir
des effets optimaux.73
Dans l’Aube, Lucien BOURGEOIS, ancien inspecteur S.N.C.F. promu par avancement à
Paris, revint à Troyes pour implanter Résistance-Fer avec THIERRY, de Libération-Nord.
Prestement s’agrégèrent André CONIN, BAUDRY, BLOT, PANIER, GUILLAUME. A
l’origine, ce comité décida d’effectuer uniquement des actes illicites sur les wagons partant
pour l’Allemagne.
Puis Londres se résolut à tirer profit d’un réseau pouvant fournir des synthèses sur la
direction et la contenance des convois ennemis, sur leur itinéraire et l’heure d’atteinte des
différentes gares. De telles directives devaient à la fois faciliter les interventions aériennes
alliées et limiter les pertes de la population civile résidant près des objectifs virtuellement
exposés.
Paul DUVAL, agent S.N.C.F. au 2ème arrondissement, s’employa à concrétiser ces
ordres. Pour réaliser expressément cette mission, MARCHAND et LEVAULT, contrôleurs
au service des lignes téléphoniques aériennes, assistaient DUVAL, se souciant plus
particulièrement des écoutes clandestines par branchements directs sur les câbles.
Hughes PORTAILLER, qui possédait un poste-émetteur-récepteur radio, recueillait tous
les résultats, sous l’égide de Maurice DALIT. De fait, Résistance-Fer maintenait des
complicités dans la presque totalité des gares champenoises (comme Charles DEVAUX à
73
NA 10131
Bar sur Seine ou Louis MAILLOT à Romilly) et même dans quelques-unes des
départements limitrophes.74
Mais à l’été 1943, le dispositif fut étêté. Gabriel THIERRY, chef régional de RésistanceFer, se réfugia à Paris où il continua à diriger à un niveau plus élevé. Au terme de débats
internes, Pierre BERNARD (FLUTEAU), inspecteur S.N.C.F. (agent technique de la
surveillance générale de la gare de Troyes) lui succéda avec comme auxiliaire Paul
DUVAL (LELOUP).
D’où la création en août 1943 du Comité de Résistance S.N.C.F. avec les deux
personnalités citées peu avant auxquelles vinrent se greffer quatre Troyens : Marcel
AUBIN (PILLOT), contrôleur technique adjoint ; Pierre LEVEAU (DIORA), des services
techniques ; René CHAPOUTOT (LAGNEAU) ; Jean FONTAINE (TONNEAU),
dessinateur.
Une réunion du Comité de Résistance S.N.C.F. se déroula le 6 novembre 1943 pour
entériner la naissance d’équipes de sabotage. FLUTEAU commandait, accompagné de
LELOUP et de LAGNEAU. PILLOT s’occupait des secours éventuels pour lesquels un
docteur fut pressenti75. Dans tous les cas, Résistance-Fer sembla le premier agrégat
résistant qui se dota d’un organisme collégial, à vocation délibérative quant à la prise de
décisions.
Tous les mouvements analysés présentaient des caractères similaires : issus de la
Résistance intérieure, fortement interdépendants, ils résultaient de choix édictés par le
centre parisien. Leurs organisations reprenaient largement celles prescrites par les autorités
supérieures, modérant les velléités de liberté. Parallèlement à leurs développements
s’affirmèrent de nouvelles constructions conçues sur des formes sensiblement différentes
puisque influencées directement par Londres.
74
1 J 792
II L’APPORT DE CADRES EXTERNES
A/ LA PERENNISATION DES PARACHUTAGES
1/ La rigueur d’une hiérarchie
En mars 1943, la Résistance extérieure fixa des règles pour l’accomplissement des
opérations aériennes. Le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.) devait permettre
d’augmenter ostensiblement la sécurité des parachutages en zone nord. En effet, il parut
indispensable de répondre aux demandes réitérées concernant l’armement. Début avril
1943, Jean MOULIN mandata AYRAL (PAL) pour soutenir l’ordonnance de ce
mouvement, reproduisant le Service des Opérations Aériennes et Maritimes (S.O.A.M.) en
zone sud.
Le B.O.A. reposait sur une assise régionale. La zone d’occupation nord se divisait en 4
blocs, chacun reprenant un certain nombre de régions de l’Armée Secrète (A.S.) nationale.
Paris faisait office de siège central. AYRAL coordonnait les 4 blocs opérationnels tout en
75
NA 10093
portant personnellement intérêt au bloc Centre, région P du B.O.A., avec la coopération de
PERGAUD.76
Seuls des officiers parachutés assumaient les tâches d’encadrement, ayant reçu en
Angleterre un entraînement approprié, à l’instar des opérateurs-radio. Elaboré en avril
1943, le nouveau découpage des secteurs n’entra pas en application avant mai. Dès lors,
Michel PICHARD (BEL) prit la tête du bloc Est où il conservait des amitiés avec
l’O.C.M.. Ce vaste ensemble déployé géographiquement s’étendait sur :
-la Marne, l’Aube, la Haute-Marne.
-la Meuse, la Meurthe et Moselle, les Vosges.
-le Doubs, la Haute-Saône, le Jura.
-la Côte-d’Or, l’Yonne.
-la Nièvre, l’Allier, la Saône et Loire.77
PICHARD s’appuya sur C.D.L.L. dans les régions de Nogent sur Seine, Troyes et Bar
sur Aube. Durant cette période, chaque chef s’entremettait personnellement avec les
groupements qui possédaient des éléments dans son bloc. Aussi précocement, le B.O.A. et
C.D.L.L. s’interpénétrèrent, les équipes homologuées et mises en place provenant pour une
part non négligeable de C.D.L.L. Une telle concordance se heurta néanmoins à des
impondérables.
Par conséquent, des évolutions profondes eurent lieu en mai 1943. Paul SCHMIDT
(KIM), PICHARD et AYRAL procédèrent à des modifications dans les choix des terrains
dans la Nièvre, l’Aube et l’Yonne. Comme à l’époque les secrétariats du B.O.A. n’étaient
guère étoffés, un certain temps de latence apparut avant d’aboutir à des conclusions
singulièrement probantes.
A l’usage, quelques rectifications territoriales intervinrent. PICHARD prit en charge, en
plus des régions C et D, la quasi-totalité de la subdivision P 3 (Yonne, Nièvre et Aube,
excepté le secteur de Nogent sur Seine)78. Le bloc Centre se trouvait réuni avec la région
parisienne et PERGAUD, secondant le chef national KIM, joignit dans l’Aube
76
1 J 788
AN 72 AJ 38
78
Annexe n°3
77
WAUTERS, commandant toutes les équipes de parachutage de C.D.L.L., pour qu’il
accepte de se placer sous sa tutelle.
La segmentation de l’espace autorisa une répartition pyramidale des attributions : le
département étant scindé en secteurs, incluant chacun un ou plusieurs terrains, la hiérarchie
comprenait au sommet un responsable départemental, puis à l’échelle inférieure des chefs
de secteur et de terrains. Théoriquement, 20 hommes au maximum composaient une équipe
par terrain79. De surcroît, à chaque niveau, les résistants s’ignoraient entre eux pour
parfaire les exigences de sûreté et profiter pleinement des avantages relatifs aux
cloisonnements.
Selon les instructions, les armes gagnaient des caches. Les inventaires étaient acheminés
à Londres (avec le courrier mensuel) et aux représentants nationaux des organisations
auxquelles appartenaient les équipes. Le B.O.A. restait strictement indépendant des autres
groupes de Résistance, auxquels il tentait de distribuer équitablement les quantités
parachutées de matériel. La particularité auboise du B.O.A. tint dans l’établissement de
liens intenses avec les F.T.P. car Edouard BAUDIOT possédait des amitiés avec deux de
ses représentants : Charles COUCHE et Léon BOUCHARD.80
En juillet 1943, KIM, en partance pour l’Angleterre, commença à remettre les consignes
à son successeur PICHARD. Ce dernier occupa la fonction de coordinateur national des
B.O.A. Il s’intéressait particulièrement à l’Est (soit 15 départements), transmettant aux
autres chefs les ordres de Londres, répartissant les budgets alloués au B.O.A.,
communiquant régulièrement avec la délégation générale parisienne.
A la lune d’août 1943 arriva l’officier d’opérations Jacques GUERIN (AMPERE) destiné
à la région P. PICHARD, adoptant le pseudonyme de GAUSS, gardait les deux régions de
l’Est (C et D), rendant P 3 (Yonne et Aube) à AMPERE pendant que René COLLIN
(JEROME) veillait sur les parachutages dans le secteur Marne-Ardennes. Dans ces
conditions, le B.O.A. s’efforça de promouvoir les échanges intermouvements.
2/ Assumer un rôle d’interface
79
80
SC 4273
109 J 108
A l’été 1943, des démantèlements successifs provoquèrent la destruction d’équipes
entières et placèrent le départemental B.O.A., le docteur MAHEE, hors d’état d’exercer sa
position. Raymond MAYER assuma par la suite la prééminence. Dans le Barséquanais, un
directeur d’usine de Mussy sur Seine, Gérard BERNET, suppléa Henri GAUTHIER,
dorénavant recherché, en juillet-août 1943. Il renouvela sa confiance aux agents B.O.A
précédemment disponibles.
A savoir : VASCHALDE à Merrey sur Arce, POINTIS et Lucien MAITRE à Celles sur
Ource, DARLEY à la ferme de Beauregard, MOUCHOTTE à Cunfin, Madame
CARSIGNOL à Polisy, GUICHARD à Chaource, DEMUSSY et THIEL à Gyé. Dans un
second temps, il rallia à son service 18 personnes de Mussy sur Seine (dont Paul
TERRILLON, Albert DROUIN, Gabriel MASSON, Henri VUILLAUME, Pierre
PIERRON, Albert MARGERIE).81
Par ailleurs, BERNET rencontrait JEROME à Troyes et dans d’autres localités du
département plusieurs fois par semaine pour que celui-ci lui donne des instructions. En
octobre, après l’interpellation de MAYER et son remplacement par le docteur BELL, il est
certain que l’ascendant de JEROME, émanation du centre parisien, prévalut plus nettement
encore : tous les chefs de secteurs convergeaient vers lui.
De même, lorsque BAUDIOT voulut remettre des terrains de parachutage aux F.T.P.
quand certains de ses camarades s’y refusaient opiniâtrement, JEROME se déplaça dans
l’Aube pour régler ces discordes internes. L’entrevue se produisit avec une personnalité
mandatée par les F.T.P., ce qui permit de leur accorder effectivement les terrains
demandés.82
Mais le 12 octobre 1943, dans la Nièvre, AMPERE ne put échapper aux investigations
policières consécutives aux dénonciations d’un officier d’opérations qui, trahissant au
profit de la Gestapo, livra de nombreux militants du B.O.A. Aussi, en novembre 1943, on
attribua la région P (Bassin Parisien / Morvan) à l’O.R.O. (Officier Régional d’Opérations)
TOUBA (SEIGNEUR). Aucun parachutage n’aboutit pendant cette phase, d’autant que la
répression exercée par les forces du maintien de l’ordre nuit grandement à l’expansion
envisagée.
81
109 J 107
Le B.O.A. régional, dès sa première année d’existence, concentra quelques remarques
peu amènes, faisant office de corps privilégié de par la suffisance des officiers formés à
Londres. Toutefois, l’étendue des dommages humains éprouvés dès les premiers mois
signifiait que ce dernier cristallisait l’attention des polices et que l’inobservation des règles
de sécurité pénalisa sa croissance. Surtout que détruire les équipes de parachutage
équivalait à supprimer les rares approvisionnements en armes d’une Résistance progressant
régulièrement.
Quoiqu’il en soit, la singularité du B.O.A. aubois résida dans l’alliance entretenue avec
les F.T.P., nonobstant les consignes discriminantes du Bureau Central de Renseignements
et d’Action (B.C.R.A.). Ce souci de prendre en compte les réalités organisationnelles
champenoises affecta également le S.O.E. pendant qu’il s’évertuait à multiplier ses relais
dans la société.
B/ LA PRIMAUTE DU MODELE BRITANNIQUE
1/ Le concours d’agents du S.O.E.
Le 1er semestre 1943 permit aux éléments aubois dépendants du S.O.E. de prétendre à
l’obtention de soutiens extérieurs. Le 11 avril 1943, Benjamin COWBURN (GERMAIN
présent pour la 3ème fois en France)83 et son radio, Denis John BARRETT (HONORE)
furent parachutés sur un terrain près de Blois avant de gagner Paris où COWBURN se fit
présenter Pierre MULSANT :
« Je lui expliquais ce que j’attendais de lui et lui demandais s’il pouvait m’aider dans ma
tâche la plus urgente : transporter HONORE et ses deux postes dans la zone dont il
s’occupait. »84
Ces délibérations revêtirent un caractère important, COWBURN disposant de par son
grade élevé de la possibilité de ravitailler ses subordonnés aubois et de compléter leur
82
1 J 786
FOOT, Michael R.D. S.O.E. in France :An account of the work of the British Special Operation Executive
in France 1940-1944. Londres, Her Majesty’s Stationnary Office, 1966, p.272.
83
instruction. Quelques jours plus tard, les envoyés anglais se présentèrent dans la préfecture
troyenne, trouvèrent des locaux dans la ville et déposèrent les postes-radio dans deux
bâtisses.
Pour davantage de sûreté, le choix se porta simultanément sur d’autres maisons à une
vingtaine de kilomètres de Troyes, notamment à Dierrey Saint Julien, chez Madame
BOURGEOIS, à Lusigny et Saint Benoît sur Seine 85. Les émissions se faisaient
hebdomadairement et s’intensifièrent :
« A l’occasion d’une conversation avec des membres des professions libérales, je fis la
connaissance du docteur MAHEE. C’était un homme admirable, d’une loyauté parfaite et il
ne voyait que des avantages à ce que je le fisse profiter d’une partie du matériel que j’étais
à même de recevoir. Il m’aida à m’établir, me présenta des résistants locaux. »86
Un petit noyau dans l’obédience du S.O.E. se forma, utilisant le nom de code TINKER,
se spécialisant dans le sabotage ferroviaire. Une trentaine d’hommes seulement en faisait
partie. On retrouvait Gabriel MANSER, représentant en vin, ancien cheminot révoqué en
1920 ; AVELINE de Sainte-Savine ; Cyrille THOURAULT, commerçant, qui servait
d’interprète avec les Britanniques87 ; BALTHAZAR, un mécanicien. Yvonne FONTAINE
(WATERLOO) se consacrait aux rapports interdépartementaux.
COWBURN délivra trois missions à ces patriotes : photographier les points stratégiques
des lignes de chemin de fer du département ; esquisser le plan de toutes les écluses du
canal de Bourgogne depuis Tronchoy jusqu’à Ancy le Franc ; rechercher des habitations
susceptibles d’abriter des parachutistes anglais, de recevoir des postes-émetteurs, de
stocker des armes, munitions et explosifs.
La principale action de la période s’acheva par la destruction de six locomotives aux
rotondes de Troyes dans la nuit du 3 au 4 juillet 1943. A la mi-septembre, les enquêtes
menées par la Gestapo prirent un caractère menaçant, ce qui obligea COWBURN à
regagner l’Angleterre le 17/18 septembre 1943.
84
COWBURN, Benjamin. Sans cape, ni épée. Gallimard, 1958, p.241.
72 AJ 101/A II N°18
86
Benjamin COWBURN, Op. Cit, p.264.
85
Il laissa TINKER à Pierre MULSANT. Pourtant les Allemands poursuivaient ardemment
leurs recherches et MULSANT dut également partir pour la Grande Bretagne dans la nuit
du 15 au 16 novembre 1943. Il emmena avec lui le courrier Yvonne FONTAINE et le
radio HONORE. TINKER cessa faute de commandement et il parut opportun de le
remplacer par un second réseau, DIPLOMAT, qui correspondait mieux à l’effectivité de la
situation.88
2/ La séparation des tâches
La délégation auboise du S.O.E. revint à un jeune parisien, Maurice DUPONT (YVAN),
qui possédait une expérience certaine des opérations militaires, ayant oeuvré près d’Agen,
dans le Lot et Garonne, en 1941. Parachuté avec un autre agent le 20 octobre 1943 sur le
terrain de Mesnil-Lettre, on lui donna l’autorisation de maintenir les équipes disponibles
autour de Troyes, ville-carrefour et centre stratégique : 5 voies ferrées y aboutissaient et la
ligne menant de Paris à Belfort traversait le centre urbain.
Porteur des plans de sabotage à employer uniquement lors du débarquement des Alliés en
France, DUPONT inspecta les unités opérationnelles89. Il opta pour une position d’attente
pendant l’hiver 1943, selon les modalités décisionnelles émises par Londres, sondant la
fiabilité de ses aides et se préparant à rendre DIPLOMAT actif dès que le moment
opportun se présenterait. Il se plaçait par là même en opposition avec nombre de
mouvements qui prônaient l’affrontement direct avec les Allemands.
Entre temps, YVAN résolut d’améliorer la configuration locale de la Résistance en
reprenant à son profit les individus précédemment engagés depuis plusieurs mois. Ainsi
s’instituèrent les Commandos M qui prolongeaient les initiatives prises par BUCK
ACTION. La lettre M fut désignée par le fondateur des Commandos en souvenir de son
pays d’origine, l’île Maurice.
Les Commandos M s’édifièrent sur un principe déterminant : ils comprenaient
conjointement un réseau Renseignements et un réseau Action. Ceux-ci agissaient en totale
indépendance l’un vis à vis de l’autre tout en se centralisant à l’échelon radio et au niveau
87
Témoignage de Cyrille THOURAULT, rencontré le 15 février 1997.
Annexe n°9
89
NA 10092
88
le plus élevé des Commandos. Dans la partie inférieure se situaient des mains (de 5
personnes), dont un seul responsable connaissait les 4 autres hommes et son supérieur
immédiat, le chef de dizaine. Sur ce modèle, Hubert JEANNY, travaillant dans une
entreprise de travaux publics, obtint l’accord de 4 camarades dont l’agent de police Serge
PETTERENS et ses cousins André GAUDET et Georges JEANNY.90
Au niveau intermédiaire dominait le chef de trentaine, relié directement à l’échelon
spécial et connu simplement des chefs de dizaines. Les risques d’indiscrétion demeuraient
ténus alors que corollairement l’unité s’exécutait rapidement. La mobilité, gage de sécurité,
représentait la condition indispensable pour acquérir une parfaite réussite.
Au total, à partir d’octobre 1943, les Commandos M cherchèrent avant tout à conserver
une indépendance de fait, se contentant d’un simple rôle d’observateur. Ils négligèrent
quelque peu les autres intervenants de la Résistance régionale. Leur objectif consistait à
intercéder en faveur des troupes alliées dans le cadre du prochain débarquement et à
soutenir les maquis qui ne manqueraient pas de naître pendant cette phase. D’où
l’utilisation de structures plus contraignantes pour les participants, dans le dessein
d’accomplir en totalité les buts fixés grâce à des schémas idoines préalablement définis.
En conséquence, seules des mesures limitées dans le temps et dans l’espace pouvaient
être menées pour altérer le potentiel de guerre allemand. Face à de telles forces adoptant
des dispositions perçues comme trop restrictives par certains des acteurs résistants, on
constata ensuite l’essor d’un ensemble qui souhaitait proposer un exemple achevé des
formes existantes : l’Armée Secrète.
90
Témoignage de Hubert JEANNY, rencontré le 1er février 1997.
III UN MOUVEMENT ORIGINAL : L’ARMEE SECRETE
A/ L’AFFAIBLISSEMENT DES STRUCTURES PREEXISTENTES
La stratégie adoptée par les mouvements résulta originellement d’un choix que les
fondateurs énoncèrent explicitement. Certains privilégièrent la dimension militaire comme
Ceux de la Libération. AMPOULE, dépendant de C.D.L.L., incarnait la référence
numérique dans le secteur aubois même s’il reste difficile d’en apprécier les effectifs. Les
chiffres exposés par CALMETTE91 ne présentaient que des proportions pour le moins
incohérentes (170 adhérents pour 10.000 habitants), qui ne pouvaient reproduire la
présente réalité. Surtout que les sympathisants n’affluaient guère, ce qui provoqua
quelques tiraillements entre les éléments paramilitaires et civils.
Après
plusieurs
entrevues,
l’entente
se
fit
définitivement
sur
l’unicité
du
commandement : le procureur VASSARD continua à s’occuper du recrutement de par son
statut professionnel privilégié bien qu’il se soumit à HOPPENOT pour toutes les questions
générales. VASSARD se vit encore décerner le poste de procureur général de l’Aube en
cas de libération prématurée.92
Mais vers avril 1943, MUTTER, surveillé par la Gestapo, demanda à gagner plus
souvent l’état-major C.D.L.L. de Paris tandis que WAUTERS se sentait de même épié.
Celui-ci transmit à DERRIEN le contrôle de la Marne. DERRIEN réalisa ensuite plusieurs
déplacements à Troyes puis son fils le suppléa. Quant à WAUTERS, il désigna le
lieutenant méhariste Jean PANAS, un officier d’active, comme son auxiliaire immédiat.
En mai, au cours d’un voyage à Paris, le service de contre-espionnage demanda à
WAUTERS de redoubler de prudence et de ne plus rentrer à son domicile. Le 3 mai 1943,
il apprit la capture du colonel SCHIMPF, son supérieur, possédant malencontreusement un
carnet contenant des noms et des adresses. WAUTERS ne cessa cependant de gérer à
distance la région de la Champagne, par le truchement de deux officiers de renseignements
91
Arthur CALMETTE, Op. Cit., p.100.
qu’il recevait ponctuellement à Paris : Maurice DALIT et Pierre MICHEL, des Saint
Cyriens appartenant à son 2ème Bureau.93
Le 6 mai 1943, les Allemands pénétrèrent en vain dans le logement du chef régional.
Finalement, devant la montée des périls, WAUTERS reçut l’ordre de quitter le territoire
français. Maître ROBERT (GIRARD) qu’il présenta lui-même à ses amis le remplaça et
WAUTERS acheva sa mission régionale le 30 juin 1943.
Le 7 juillet 1943, il prenait le train pour Rion des Landes, point de ralliement de
nombreux clandestins, puis gagnait l’Espagne le 11 juillet. Arrêté à Zuggaramondi par les
carabiniers espagnols, enfermé à la prison d’Irun, il connut l’internement au camp de
Miranda del Obro à partir du 15 juillet avant de parvenir à solliciter l’aide de l’attaché
militaire britannique. Sorti du camp le 15 août, il se rendit à l’ambassade anglaise à
Madrid. Quatre jours plus tard, muni d’un passeport et d’une nouvelle identité, il se dirigea
sur Gibraltar d’où un avion lui fit rejoindre Londres et les locaux du B.C.R.A. le 28 août
suivant.94
Evidemment, une phase de désorganisation s’ensuivit et les résistants les plus compromis
s’isolèrent pour éviter que la police allemande ne les découvre. Paul LANCE (Jean
DUFLOT), qui devait recruter des hommes en zone urbaine, relata dans quelles conditions
il affronta les difficultés ambiantes :
« Ayant perdu toute possibilité de m’entretenir avec WAUTERS, le docteur MAHEE,
SENEE, tous en fuite ou arrêtés, je me trouvais seul pendant plusieurs mois, comme
nombre de compagnons. »95
La Gestapo voulut en outre se saisir de MUTTER le 11 novembre 1943 mais il réussit à
s’échapper, se cacha à Paris et assista Roger COQUOIN présidant aux destinées nationales
de C.D.L.L. Celui-ci lui attribua le soin de veiller attentivement sur les infrastructures de la
subdivision P 4, en les modelant si nécessaire.
92
SC 4273
ARCELIN, Gérard. Chronique des années noires dans l’arrondissement de Bar sur Aube 1939-1945.
Némont, 1989, p.207.
94
NA 10563
95
72 AJ 101/A 4 N°6
93
Assurément, ces incertitudes autorisèrent l’apparition de l’Armée Secrète auboise
(l’A.S.), au moment même où C.D.L.L., alors la force la plus influente, connaissait une
crise due aux départs de ses cadres les plus éminents (juillet 1943). L’évolution constatée
semblait vérifier le paradigme selon lequel tout groupement déstructuré se recomposait
ultérieurement sous une autre dénomination, autour de corps préexistants.
B/ DES CONDITIONS PROPICES D’INSTALLATION
1/ La reprise de compétences antérieures
Les prodromes de l’A.S. se manifestèrent dans un organisme singulier, le Centre de
Libération des Prisonniers de Guerre de Troyes (C.L.P.G.). Elles restèrent indissolubles de
l’environnement propre à l’Armée d’Armistice démobilisée. L’impulsion provint en
premier lieu du commandant Emile ALAGIRAUDE, à la tête du C.L.P.G. Il eut
préalablement l’occasion d’offrir ses compétences à des prisonniers rapatriés et à des
évadés, à qui il donna les pièces indispensables au franchissement de la ligne de
démarcation.96
Ces agissements et l’attitude anti-allemande d’ALAGIRAUDE incitèrent HOPPENOT à
faire appel à lui en juillet 1943 afin qu’il se consacre exclusivement au ressort militaire.
HOPPENOT conservait les domaines civils et financiers, correspondant avec les organes
de tutelle. De fait, il énonçait à ALAGIRAUDE (ROLAND) les instructions parisiennes
tout en rendant compte du travail afférent accompli. Les recrues appartenaient pour la
plupart au Centre de Libération où s’établit un état-major avec l’adjudant-chef
UNTERWALD, le capitaine Alexandre BOUGUIER, le sergent HENRY, les adjudants
HARAND et RENARD.
D’autres sympathisants les augmentèrent : le capitaine POIRIER, le lieutenant Jean
HAVERSIN, LANEZ de Brienne le Château97. Certains intégrèrent l’A.S. quoique
appartenant déjà à d’autres organisations, essentiellement le B.O.A. A l’instar de Gérard
BERNET de Mussy sur Seine collaborant avec Louis DEGE, le docteur BELL de Saint
96
97
1 J 793
109 J 101
Julien les Villas et le notaire GAUTHIER des Riceys. A l’exemple de CLAVEL qui se
distingua par une multitude d’opérations dans le Barsuraubois et en Haute-Marne.
Toutes les sensibilités sociales se trouvaient associées : comme BARDET de Ville sous
la Ferté, l’inspecteur de police Hubert DANESINI et le commissaire BOUGARD de
Troyes, Jacques JEANNY et Jean SOLIVELLAS, Maurice ROUSSINEAU de Bar sur
Seine, etc...Une analyse succincte permet de remarquer que la majorité de ces militants
détenait une pratique des formes clandestines, s’étant aguerris au sein de solidarités
résistantes.
Le 1er juillet 1943, ce rassemblement prit le nom d’Armée Secrète pour mettre en
évidence son caractère à dominante militaire et exclure de ses activités toute préoccupation
à connotation politique. Crée localement, il se dissociait complètement de l’Armée Secrète
du général DELESTRAINT, née en mars 1943 (agglomérant l’O.C.M., Libération-Nord...).
Dans cette intention, l’A.S. auboise se voulait un simple prolongement du réseau C.D.L.L.Action.98
Mais à cause de la complexité des connexions et de leur expansion continue, il fallut
mettre directement en relation ROLAND avec les rares émissaires parisiens connus. A
partir de cet instant, HOPPENOT cessa de se rendre au C.L.P.G. où se situait pour des
motifs de commodité le siège paramilitaire.
Dès octobre 1943, une note fut élaborée au sujet de la composition interne de l’A.S. : elle
acceptait tous les combattants de la Résistance qui gardaient leur autonomie politique et
administrative. Un officier qualifié en principe et en fonction représenterait chaque
mouvement à l’Etat-Major (E.M.) de l’A.S. Cet officier coopérant avec l’E.M. devait servir
d’intermédiaire et recueillir les comptes-rendus demandés par l’E.M. de l’A.S.
Pour concrétiser ces souhaits, la division du département en sous-secteurs intervint avec
l’existence d’unités territoriales. En théorie, chaque sous-secteur relevait d’un officier
secondé par un adjoint. Ils se chargeaient du recrutement pour le jour J, encadrant les
volontaires et pourvoyant à leur instruction. On leur assignait la surveillance des villages,
faisant la police sur la zone dévolue, tout en obéissant scrupuleusement à l’A.S. Un projet
98
NA 10628
si ambitieux suivait amplement les injonctions du plan de mobilisation français de 19391940.
ALAGIRAUDE se résolut à segmenter l’espace départemental en 7 sous-secteurs
convergeant vers Troyes, ayant chacun pour axe les routes nationales y aboutissant99. Un
8ème sous-secteur prit forme à l’intérieur même de l’agglomération troyenne qui se dota
d’un statut spécifique relatif à son importance stratégique. La préfecture auboise figurait le
centre initial d’où partaient les différents axes quadrillant la région circonscrite :
secteur 1
Arcis sur Aube-Mailly le Camp
secteur 2
Piney-Brienne le Château
secteur 3
Lusigny-Vendeuvre sur Barse-Bar sur Aube
secteur 4
Bar sur Seine-Mussy sur Seine
secteur 5
Bouilly-Auxon-Ervy le Châtel
secteur 6
Estissac-Villeneuve l’Archevêque
secteur 7
Méry-Romilly-Nogent sur Seine
secteur 8
Troyes et son agglomération
Corrélativement, les dirigeants tentèrent d’étendre la quête de renseignements dans les
bourgs. L’adjudant-chef FERAT de Mailly et le capitaine BEUGE du camp de Brienne
acquirent des armes. Un maquis d’attente pour réfractaires au S.T.O. s’implanta dans le
domaine de Beaumont, à l’est du département100. Quand l’effectif était au complet (15
personnes au maximum), il se dirigeait sur la Haute-Marne où MARTIN, de Chaumont,
leur donnait une fausse identité avant de les faire travailler dans les coupes de bois101. A
partir de ce moment, un organigramme commença à poindre, permettant de délimiter les
attributions de chacun.
Les commandants de sous-secteurs prescrivaient à leurs subordonnés de limiter les
échanges horizontaux. Aucune liste de noms ne pouvait être écrite, ou lorsque cela se
révélait indispensable, les patriotes ne se désignaient que par des pseudonymes. D’autre
part, l’évolution numérique sensible s’expliquait par le fait que désormais C.D.L.L. se
99
NA 10097
1 J 795
101
Témoignage de Hubert DANESINI, rencontré le 10 février 1997
100
fondit, pour ce qui concerne l’action directe, dans l’A.S. qui tentait de maîtriser les aires
spatiales disponibles.
2/ Une exploitation de l’espace géographique
A l’automne 1943, l’A.S. envisageait un plan à visée départementale. Il sollicitait
l’incorporation des jeunes capables de porter des armes dans des formations d’actions
directes, prêtes à agir de jour comme de nuit : équipes de sabotage et de parachutage, corps
francs procédant à l’élimination des délateurs et des agents français passés au service de
l’ennemi.102
L’exploitation territoriale émanait des prescriptions suivantes. Tout village reposait sous
l’autorité d’un ou plusieurs groupes, selon la population dudit centre urbain. Les personnes
mobilisables provenaient des habitants d’âge mûr connaissant déjà les affres de la lutte
résistante, appuyés par des éléments féminins. Des maires agrées avaient l’obligation de
suivre les objurgations subséquentes.
Pendant la période de préparation, ils soutiendraient les réfractaires au S.T.O.,
rechercheraient des données de tout ordre, les feraient parvenir aux commandants de soussecteurs qui les achemineraient sur l’E.M. De plus, ils situeraient les vivres exploitables
pour le ravitaillement, surveilleraient et signaleraient les personnes compromises avec
l’occupant103. Il s’agirait également de recruter tous les hommes valides ayant subi une
instruction militaire et de s’attacher le soutien indéfectible de la population masculine à
partir de 18 ans.
Ces unités de combat disposeraient de l’encadrement suivant :
1-Le groupe avec le chef, un agent de liaison, 6 hommes. Soit 8 hommes au total.
2-La section avec un chef, un adjoint, 2 agents de liaison, 4 groupes. Soit 36 hommes.
3-La compagnie avec un chef, un adjoint, 3 agents de liaison, 4 sections. Soit 149 hommes.
La limite du nombre de compagnies était conditionnée par les disponibilités des
individus pourvus en armes dans chaque sous-secteur. Il convenait pareillement de
s’attacher à l’institution de l’ossature de ces détachements :
102
109 J 101
« Le choix des agents de liaison porterait sur des individus pratiquant la bicyclette et la
motocyclette à l’échelon compagnie. Provisoirement et jusqu’à la réalisation complète des
formations précitées qui devrait s’effectuer le plus rapidement possible, un groupe pourrait
ne comporter que 3 ou 4 hommes, une section que 2 à 3 groupes et la compagnie que de 2
à 3 sections. »104
En sus de ces facteurs, l’A.S. prévoyait une fragmentation des formes paramilitaires entre
:
-celles qui oeuvraient immédiatement, dite d’action immédiate.
-celles qui n’agiraient qu’au moment de la libération, après le déclenchement des
opérations du jour J.
Les premières, les équipes spécialisées, s’entraînaient et devaient intervenir à tous les
instants pour procéder aux destructions et aux répressions éventuelles. Les secondes
reconnaissaient les objectifs, se préparant exclusivement pour le rétablissement d’un
nouveau régime politique acquis au général DE GAULLE mais ne prenaient aucunement
part à la confrontation armée.
Au début et au cours de l’action, les forces territoriales s’empareraient des leviers de
commande (mairie, poste, gare et tous bâtiments publics), rendaient plus aisé les
ralliements de la police et de la gendarmerie, neutraliseraient les individus pouvant nuire à
la réussite de l’entreprise, collecteraient des produits alimentaires pour subvenir à
l’approvisionnement des personnes mobilisées, etc...105
Cette construction théorique, somme toute classique, s’inspirait de nouveau en grande
partie des orientations militaires qui prévalurent pendant la mobilisation de la France lors
de la campagne de 1939-1940. ALAGIRAUDE s’évertuait à imaginer une zone franche de
troupes allemandes avec la coopération d’habitants unanimes à accepter les risques
inhérents à leur engagement.
Bien qu’une adhésion partielle s’exprima, on semblait surestimer assez largement
l’aptitude à fédérer la Résistance et négliger plus encore le fait qu’une majorité de citoyens
103
104
13 P 71
NA 10628
adoptait une attitude sinon prudente du moins attentiste. D’autant que les structures
présentées demeuraient tout de même celles, assez rigides pour une bataille clandestine,
d’une armée régulière, à laquelle l’A.S. s’efforçait de ressembler. Ceci impliqua une
certaine inadéquation et inadaptation, comme le révéla un des participants :
« Ce plan magnifique ne sera que très imparfaitement appliqué car la Gestapo et les
mauvais français veillaient, aidés par quelques inconscients qui, par leurs bavardages
intempestifs, les mirent sur la piste. »106
Il est certain que la Résistance possédait des considérations erronées sur le potentiel de
réaction de l’ennemi et sur ses facultés de riposte. HOPPENOT, ALAGIRAUDE et leurs
camarades, pour la plupart officiers de réserve, ne désiraient pas déroger à certaines règles.
Ils se jugeaient avant tout comme les gardiens de valeurs morales qu’ils se refusaient à
transgresser.
La police allemande ne se formalisait pas de tels cas de conscience et utilisait tous les
moyens de coercition pour parvenir à ses fins. C’est pourquoi l’A.S. modifia sensiblement
les dispositions prises pour élargir le champ social de sa hiérarchie, le support strictement
militaire ayant montré sa relative inaptitude.
C/ DES APPUIS DIVERSIFIES
1/ L’obtention de relais dans la société
Dans le dessein de compléter un organigramme insuffisamment développé, l’inspecteur
de police Hubert DANESINI faisait office de secrétaire de ROLAND et détenait un double
des archives. Il s’occupait aussi du renseignement avec les inspecteurs Abel COSSON et
STROUBLE. Tous bénéficiaient de l’aide des commissaires PARVENCHERES et
BOUGARD qui donnèrent toutes facilités pour le travail à l’E.M. Ces membres de
l’institution policière confectionnèrent des cartes d’identité, permettant à l’A.S. de détenir
des pièces officielles. Fin 1943, le commissaire TISSOT les rejoignit avec l’apport de son
propre personnel : le secrétaire NOEL, les inspecteurs DULOT et AUGROS.
105
BRUGE, Roger. 1944, le temps des massacres. Les crimes de la Gestapo et de la 51è brigade SS. Paris :
Albin Michel, 1994, p.23.
106
110 J 109
GRATTARD, employé à l’administration des Pailles et Fourrages, avec qui collaborait
Jean ALAGIRAUDE, fils de ROLAND, s’inclut avec le commandant CHENEVET pour
pénétrer à l’intérieur de l’état-major germanique. De même dans la police en tenue, le
brigadier Robert SAUVAGE (ROBERT) usa des compétences de : CHAUMONNOT,
François EPPERS de Troyes, Daniel HYVERT gardien de la paix à Sainte Savine,
NALLOT, Léopold GUENS, CHEVALLET, Pierre DUCREUX107. SOLIVELLAS
intervint auprès de certains de ses collègues de la mairie troyenne comme LILLE et surtout
PINEY, chef de bureau.
Au demeurant, en octobre 1943, GAUTHIER contacta HERZOG, fonctionnaire dans les
instances préfectorales, dans le but d’acquérir des autorisations de circulation pour des
voitures automobiles. On le sollicita 5 à 6 fois et les premiers entretiens eurent lieu à
l’annexe de la préfecture, rue du Cloître Saint Etienne à Troyes. DANESINI devisa avec
VITTMAN, directeur du bureau du travail, qui donna des papiers pour les réfractaires et
remit d’autres actes administratifs au profit de l’A.S. BASTIEN, habilité à délivrer des
documents officiels, n’hésitait pas à remettre des bons d’essence, essentiellement pour les
équipes franches qui utilisaient des véhicules.
D’autre part, la Résistance pouvait compter sur Fernand PETEL, chef de service à la
préfecture, surveillant l’entretien des habitations départementales. De par sa fonction
privilégiée, il pouvait accéder aux archives relatant la situation hebdomadaire des
Allemands et leur situation exacte dans l’Aube. Tous les mouvements de troupe, leur
répartition dans les villages, l’indication des unités, le moral des soldats parvenaient à
PETEL qui transmettait ces indications.108
Paul LANCE (Jean DUFLOT), jusqu’alors isolé, s’entretint dans le même temps avec le
commandant ALAGIRAUDE. Ce dernier lui enjoignit de procéder au recrutement
d’hommes parfaitement sûrs, de dénombrer les collaborateurs, d’enquêter sur les
arrestations de patriotes par la Gestapo. LANCE réunit 132 fiches nominatives et
parfaitement détaillées sur l’activité d’agents français à la solde de l’ennemi 109. L’efficacité
du labeur de l’A.S. n’échappait pas à la sagacité des Vichyssois qui ne pouvaient que faire
état de constations peu satisfaisantes :
107
Archives DANESINI
72 AJ 101/A II N°17
109
72 AJ A 4 N° 6
108
« Des complicités se manifestent dans tous les milieux puisque les résistants connaissent
tous les déplacements des forces du maintien de l’ordre et des fonctionnaires. Les
messages sont captés, les télégrammes dévoilés, le plus petit renseignement aussitôt
communiqué. »110
Il paraît manifeste que l’A.S. connut une progression continue à la fin de l’année 1943.
En décembre, elle comprendrait 1500 hommes (300 armés), dont plus de 1000 à Troyes,
Romilly sur Seine et Nogent sur Seine, issus presque exclusivement de C.D.L.L. A
l’exemple du capitaine Paul BOURGEOIS qui reçut en novembre 1943, par l’intermédiaire
du capitaine BOUGUIER, des instructions d’ALAGIRAUDE pour :
-préparer à partir de janvier 1944 la mobilisation générale de la région de Romilly sur
Seine, Nogent sur Seine et Villenauxe.
-identifier les sections pouvant se trouver dans la région.
-s’unir avec les résistants des ateliers S.N.C.F. de Romilly sur Seine.111
La délivrance de ces ordres s’inscrivaient dans une démarche plus complète tendant à
redonner de la vigueur aux éléments dotés de capacités militaires.
2/ Favoriser les formes paramilitaires
Un groupe d’Action Immédiate (A.I.) naquit sous l’égide de Jean SOLIVELLAS qui
coordonnait les efforts de : Emile DELATRONCHETTE de Saint Benoit sur Vanne ; Jean
HAVERSIN, Jacques JEANNY et COLIN de Troyes ; André PAUTRAS de Sainte Savine.
Tout en se déclarant résolument hostile à des manoeuvres prématurées d’envergure qui
risqueraient d’occasionner des pertes massives, l’A.S. croyait à des possibilités de
sabotages perpétrés par des corps francs spécialisés, conformément à une note sur l’A.I. de
décembre 1943.
Il importait de soumettre les volontés des intervenants à un plan général cherchant à
contrarier au maximum l’Allemagne en paralysant les déplacements de la production
destinée au Reich, en désorganisant les communications ferroviaires et fluviales, en
110
111
Annexe n°5
NA 10099
attaquant et en s’emparant de dépôts d’armement et de matériel, en châtiant de manière
exemplaire les traîtres et les partisans de la collaboration.112
L’acte fondateur s’effectua de concert avec la mission ARMADA II, composée de
Raymond BASSET (MARY) et d’André JARROT (GOUJON). Mis au point par le
B.C.R.A. de la France Combattante et le S.O.E. britannique, un plan dénommé bleu
consistait à amoindrir le potentiel productif des usines françaises impliquées dans l’effort
de guerre hitlérien.
A cet effet, on projetait d’endommager gravement les lignes de transport d’énergie
électrique à très haute tension. Parachuté dans la nuit du 8 au 9 novembre 1943 sur un
terrain de Saône et Loire, ARMADA II avait entre autre comme but la destruction des
pylônes des centrales d’Eguzon, de Roye et de Creney acheminant l’énergie jusque dans la
région parisienne.113
Le 15 novembre 1943, MARY se rendit à Troyes puis à Paris. Les 29 et 30 novembre,
par train et par camion, le matériel caché à Reims arriva sans difficulté. Parvenu dans la
préfecture auboise le 1er décembre, MARY pénétra grâce à des papiers falsifiés dans le
poste de Creney, situé dans les environs immédiats de la cité troyenne. Il repéra les
emplacements des pièces antiaériennes, les points où se tenaient les sentinelles et évalua
les chances d’une attaque. En sortant, il demanda à SOLIVELLAS d’agir le soir même.
Mais le complice intérieur se récusa au dernier instant et le tout échoua.
En désespoir de cause, une équipe se détermina à rendre inutilisable les pylônes
extérieurs et non plus les installations mêmes de la centrale électrique. BASSET,
SOLIVELLAS, COLIN se présentèrent avec HAVERSIN qui conduisait la camionnette.
Dans la nuit du 1er au 2 décembre, ils appliquèrent les charges explosives sur le pylône 22,
énorme portique supportant toutes les lignes, et sur 9 pylônes secondaires.
L’ouvrage se termina à l’aube avec un parfait succès puisque les déflagrations se
produisirent entre 5H30 et 6H30. ARMADA quitta immédiatement la région en laissant le
soin aux Aubois de réitérer de semblables dégâts sitôt les réparations achevées. Ainsi, les
112
La Résistance et les Français : lutte armée et maquis. Actes du colloque international de Besançon 15-17
juin 1995, Besançon, 1996, p.108.
113
NA 10629
détériorations provoquèrent l’arrêt, deux jours par semaine, des industries parisiennes
utilisant l’énergie électrique.114
Le 16 décembre suivant, par l’entremise du policier SAUVAGE, le groupe d’Action
Immédiate confirma ses possibilités de nuisance. Effectivement, il apprit incidemment
l’arrivée à la gare de Troyes de deux gestapistes français qui venaient de se manifester
dernièrement dans le département de la Marne. Ils furent neutralisés promptement par
l’A.I. locale.
Quelques jours après, le 18 décembre, SOLIVELLAS et JEANNY décidèrent de faire
sauter des camions des Groupes Mobiles de Réserve (G.M.R.) devant attaquer un maquis.
Ils déposèrent les explosifs sous deux véhicules à gazogène immobilisés dans la cour de la
mairie troyenne. Une admirable réussite conclue la tentative. Ce sabotage eut un
retentissement d’autant plus grand que l’intendant régional de police se présenta peu de
temps après. En dépit de ces résultats honorables, des carences apparurent, dus à
l’inobservation attentive des règles de sûreté.
3/ Les méfaits d’un cloisonnement incertain
A l’intérieur de l’A.S., Joseph BONNEAU se souciait de gérer la trésorerie du
mouvement en tâchant de se faire attribuer de l’argent grâce à des amitiés qu’il entretenait
depuis plusieurs mois. Il revenait de Paris avec des fonds assez conséquents, offrant 10.000
francs mensuels à ROLAND, somme singulièrement incomplète pour satisfaire les
nombreuses charges qui grevaient l’A.S.
Acheter de l’essence, subvenir aux besoins des réfractaires au S.T.O. (placés dans des
entreprises forestières exploitées par BONNEAU dans la forêt de Lusigny, par
HAVERSIN dans les bois du Bailly et BARDET dans la forêt de Clairvaux) impliquaient
des dépenses substantielles. Le groupe d’Action Immédiate avait quelques nécessités.
Quant à HOPPENOT, il collectait des subsides complémentaires auprès d’industriels et
d’organismes professionnels.115
114
115
Témoignage de Nicolas SOLIVELLAS, rencontré le 17 janvier 1997
109 J 101
L’effervescence observée inquiéta les Allemands qui, supplées par des traîtres,
procédèrent à des interpellations. Par suite, le Poste de Commandement (P.C.)
départemental changea souvent de localisation pendant que l’état-major entrait dans la
clandestinité la plus totale à la fin du mois de décembre. ALAGIRAUDE lui-même quitta
son domicile le 23 décembre 1943 quand il apprit que la Gestapo s’enquit d’un
commandant des troupes coloniales. Dès lors, il se cacha dans l’un de ses P.C. au hameau
des Cornées-Alexandre, près d’Aix en Othe, où la famille VIGNEZ le ravitaillait.
De retour à Troyes le 2 janvier 1944, il attendit les consignes d’HOPPENOT alors que
plusieurs de ses camarades ne pouvaient se soustraire aux investigations menées par les
envahisseurs. ALAGIRAUDE alerta ses plus proches compagnons et s’isola de nouveau.
Dans un premier temps, il gagna Courmononcle, un écart de Saint Benoit sur Vanne, où les
DARTHENAY l’approvisionnaient, puis il se réfugia près de Paris.
Le bilan s’avéra détestable. En à peine un mois, des 8 chefs de sous-secteurs, 4 cessèrent
tout commandement (LANEZ ; CLAVEL ; HAVERSIN ; BOUGUIER) et 4 autres prirent
la fuite (ESPINASSE, POIRIER, BERNET et CASTEX)116. En janvier 1944, un petit étatmajor se maintint cependant à Troyes, englobant les membres les moins compromis, pour
régler les affaires courantes. SAUVAGE le présida quelques semaines avant de suivre
ultérieurement ROLAND dans l’agglomération parisienne :
« Le commandant ALAGIRAUDE resta seul. Fin janvier 1944, il ne restait presque plus
rien de l’organisation initiale. Il fallait retrouver des chefs et recommencer presque à zéro
car certains des officiers travaillaient secrètement et leurs hommes nous étaient inconnus.
Et pendant la même période, un certain nombre de dépôts d’armes parachutées fut
découvert par les occupants, ce qui désorganisa encore la Résistance. Aucune liste n’avait
pu être établie et les successeurs étaient obligés de recommencer tout le travail. »117
En janvier, une réunion se tint à Chauffour les Bailly, sous la présidence de Jean
HOPPENOT. ALAGIRAUDE, Henri HURTAULT, agriculteur à Chauffour et Jean
SOLIVELLAS l’accompagnaient. Le thème dominant de la conversation porta sur l’avenir
de l’A.S. et sur le redéploiement à effectuer.
116
117
1 J 793
109 J 107
Pour y parvenir, GUENIN, chef départemental du B.O.A., présenta à ALAGIRAUDE
Pierre OUY (HURET) qui désirait être son nouvel auxiliaire en assumant certaines des
tâches dévolues à ROLAND. Or l’équilibre précaire se rompit rapidement, au moment où
HOPPENOT fut lui-même appréhendé le 4 février 1944. Il semblait que s’exposait la
vacuité de la présente réalisation qui éprouvait des difficultés considérables à pallier
l’irrésolution de ses instances supérieures.118
De fait, l’Armée Secrète constitua un paradoxe de par sa place dans l’Aube. Certes elle
ne possédait, malgré une homonymie avec la puissante formation nationale, aucune
relation avec cette dernière. Nonobstant son isolement vis à vis du centre parisien, l’A.S.
démontra sa capacité à assumer le rôle de principal ensemble résistant de la Champagne
méridionale à la fin de l’année 1943, exploitant amplement l’inanité conjoncturelle des
autres groupements. En tout cas, l’été 1943 autorisa une croissance exemplaire du
mouvement susnommé. Il semble acquis que l’A.S. jouit de ces circonstances éminemment
favorables, avec la persistance de structures préexistantes, ce qui lui permit d’étendre
durablement son emprise.
En reprenant à son profit ces forces, elle forma une entité complexe, tant civile que
militaire et on peut se demander si l’A.S. ne recouvrit pas simplement une réalité
antérieure : l’imposante partie de C.D.L.L. Ceci permettrait de comprendre plus aisément
comment l’A.S. a réussi à supplanter ses rivales pourtant créés bien plus tôt et à affermir
peu à peu sa domination.
En cela, l’Aube se singularisa, car quoique influencé par la pesanteur manifeste des
facteurs externes, l’A.S. composa le seul organe élaboré dans l’environnement local, sans
l’appui de membres extrinsèques, semblant répondre le mieux aux aspirations de la
population. Le premier semestre 1943 marqua en tout cas une étape déterminante dans
l’évolution des formes résistantes avec une grande extension, tant par le recrutement opéré
que par les actions entreprises.
On assista concomitamment à une dilatation géographique de la Résistance, soit par
l’envoi de « sergents-recruteurs »119 (préconisé et appliqué par le S.O.E.), soit par
l’absorption de volontaires préalablement instruits. Tout ceci rend intelligible
118
NA 10141
l’implantation des réseaux et la diversité des milieux désormais concernés parmi lesquels
Londres et Alger, Américains et Britanniques, trouvaient les correspondants qui leur
convenaient120. A ce niveau, la multi-appartenance était fréquente et la séparation entre les
activités civiles et militaires se distinguait par son caractère incertain.
Plus globalement, la période suivante, de novembre 1943 au début de l’année 1944,
témoignait de l’existence d’une césure dans les comportements, étant donné que tous les
mouvements (sauf les plus indépendants du contexte départemental) furent gravement
affectés par des démantèlements successifs. Il semble que ces problèmes mettaient avant
tout en exergue une inadaptation des aménagements jusqu’alors mis en place.
Les tactiques employées marquaient leurs limites et l’absence de séparations rigoureuses
pénalisa les agrégats les plus frêles. Par conséquent, on parvint à une « organisation
centrale très aboutie mais au prix d’une répression féroce »121 La poursuite d’erreurs
commises lors des années clandestines initiales et l’incapacité à repenser les pratiques
quotidiennes provoquèrent ces dysfonctionnements.
De même, ce furent les rassemblements les plus anciennement formés qui souffrirent le
plus de cette incapacité à se conformer aux réalités les plus récentes. Les derniers installés,
à l’exemple des Commandos M, ne rencontrèrent pas ces obstacles, leur isolement relatif
les protégeant sans conteste des difficultés externes.
Néanmoins, cette phase chronologique tourmentée permit une répartition et une
spécialisation des missions afférentes. En dépit de dichotomies réelles entre les groupes,
des similitudes existaient quant aux manières de concevoir l’agencement de la pyramide
hiérarchique, seules des notifications secondaires permettant de discerner de menues
distinctions : les uns restaient attachés à des dispositifs traditionnels avec 4 bureaux
principaux (l’A.S.) pendant que d’autres défendaient âprement une division tripartite des
fonctions organisationnelles (Commandos M).
Assurément, malgré des avancées significatives, les différences persistèrent entre les
forces qui dépendaient directement de Londres (B.O.A., S.O.E.) et celles soumises aux
WIEVORKA, Olivier. Les Cahiers de l’I.H.T.P. , n°29, septembre 1994, p.47.
WIEVORKA, Olivier, Op. Cit., p.48.
121
WIEVORKA, Olivier, Op. Cit., p 25.
119
120
contrôles exercés par les organismes intérieurs nationaux (F.T.P.). Elles s’accentuèrent
même davantage, ce qui pénalisa les tentatives ambitionnant de faciliter une synergie. Il est
vrai que les structures résistantes différaient entre d’un côté des ensembles pourvus d’une
grande autonomie et d’un autre côté de simples antennes de la région parisienne.
I L’AFFIRMATION DES GROUPEMENTS RESISTANTS
Après des tâtonnements, les différents mouvements envisagèrent en priorité la
constitution de groupes de combat autonomes pour procéder à la destruction des moyens
de production utilisés par les troupes allemandes plus que le développement de camps
retranchés imposants. En conséquence, la volonté d’instaurer des maquis naquit
tardivement, ceci à cause d’une conjonction de facteurs concomitants.
D’abord, le manque persistant de cadres qui ne formaient qu’un noyau pour le moins
restreint numériquement s’imposa comme un sérieux handicap. En second lieu, l’absence
précoce de contexture entre les organes de la Résistance ne permit guère d’envisager un
regroupement opportun des divers rassemblements disséminés dans l’aire géographique
auboise. Enfin, on ne peut mésestimer la faible mobilisation des énergies pour disposer
d’éléments nouveaux. Autant de données explicitant que les postulats stricts de
hiérarchisation entre les unités se concrétisèrent pour le moins tardivement, seulement au
printemps 1944.
A/ LA RECONSTITUTION DE L’ARMEE SECRETE
1/ Permettre une réorganisation
Pendant les semaines qui suivirent l’incarcération d’HOPPENOT, chef départemental
militaire de l’Armée Secrète en février 1944, celle-ci interrompit toute action. En
particulier parce que les mesures policières en vigueur contre l’A.S. faillirent détruire dans
le même temps le Comité Résistance-Fer à cause de l’interpénétration existant entre les
deux forces. Les sabotages se trouvèrent stérilisés puisque la direction nationale de
Résistance-Fer à Paris subit parallèlement des pertes sévères qui la contraignirent à
restreindre ses initiatives.122
Toutefois, ALAGIRAUDE reprit le commandement sous le pseudonyme de
MONTCALM. Il s’agissait de reconstruire presque totalement une cohésion militaire et, en
122
1 J 792
application des directives d’Alger de février 1944, d’adhérer à un nouvel organisme
clandestin, les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.), qui réuniraient l’A.S., les F.T.P., le
B.O.A. et les Commandos M.
L’un des antagonismes de la période résida dans le fait qu’affaiblis dans l’environnement
départemental, les mouvements se virent dans l’obligation soit d’adopter une attitude plus
velléitaire (B.O.A. ; Résistance Fer ; A.S.), soit de poursuivre plus avant une phase de
remise en cause de leurs conceptions tactiques et stratégiques (F.T.P., Commandos M). Ils
obtinrent alors le concours d’appuis à l’échelon interrégional.
Le 9 février 1944, MUTTER prit la direction nationale de C.D.L.L. En mars 1944, Jean
SOLIVELLAS, ancien membre influent de l’A.S., devint interrégional-maquis pour les
régions P2 (Eure et Loir, Loiret) et P3 (Aube, Yonne, Nièvre). Il collabora avec des
camarades connus précédemment tel André PAUTRAS qui se manifesta comme un des
agents les plus énergiques tandis que Robert SAUVAGE secondait SOLIVELLAS.
COLIN transportait argent et messages entre les zones géographiques bourguignonnes et
champenoises.123
La solidarité du commandement restait encore incomplète. YVAN, des Commandos M,
n’éprouvait pas d’hostilité particulière à une unification de tous les résistants mais il
entendait continuer à recevoir instructions, armes et munitions de ses supérieurs
hiérarchiques du S.O.E. de Londres. Concernant THIERRY et RINCENT, ils estimaient
que Résistance-Fer et Libération-Nord avaient avantage à se placer sous l’égide des F.F.I
car le B.O.A. avait préalablement donné son accord.124
Seuls les F.T.P. attendaient des consignes émanants de leurs dirigeants nationaux et
l’évolution demeurait lente de leur part. A l’évidence, chacun souhaitait bénéficier des
bienfaits de l’entente à venir tout en conservant une certaine indépendance quant à son
mode de fonctionnement interne.
Caché près de la cité troyenne, ALAGIRAUDE s’occupa avec zèle de faire disparaître
les stigmates relatives aux bouleversements précédents, recevant de nouveau ses agents de
liaisons et diverses personnalités afin d’agencer les efforts déployés par tous. A l’exemple
de OUY, nommé départemental-maquis, et de son adjoint Louis MARRET (MARTIN),
123
NA 10629
gendarme à Essoyes, qui participaient aux tournées d’inspection. ALAGIRAUDE confirma
cette situation :
« OUY était bien le chef départemental-maquis de l’Aube ; il était sous mes ordres. Je le
considérais comme mon bras droit depuis mars 1944. A cette époque, j’étais traqué par la
Gestapo et je m’en remis à ce dernier pour l’organisation des maquis. »125
Puis au début d’avril 1944, le commandant établit son Poste de Commandement (P.C.) à
Sainte-Savine. Il y multiplia les rencontres pour s’accommoder d’un encadrement prêt à se
réunir sous ses ordres : le capitaine POIRIER se vit désigné comme chef militaire
suppléant alors que DURLOT se chargeait des renseignements.126
Le P.C. départemental connut une expansion certaine de ses services. Ceux-ci se
divisaient en 4 bureaux à la tête desquels se trouvaient des hommes subordonnés à
MONTCALM. Les P.C. de sous-secteurs fonctionnaient sur le modèle en vigueur dans les
état-majors de bataillon, avec l’implantation d’un groupe franc pour chaque sous-secteur.
La transformation marquante du printemps 1944 consista dans le déploiement de
membres sédentaires de l’A.S. dans des villages de l’est aubois déjà largement acquis à la
Résistance : Rouilly Saint Loup, Montaulin, Courtenot-Lenclos, Virey sous Bar, Lusigny,
Saint-Mesmin, Rilly Sainte Syre, Creney, Arconville-La Bretonnière et Ville sous la Ferté
(sous l’autorité de l’adjudant-chef GHERARDI).127
Pourvus d’une initiation aux maniements des armes, ils restaient disponibles pour agir
dès que possible contre les Allemands et pouvaient combattre rapidement, les autres
patriotes du jour J, n’étant ni armés, ni en mesure d’être utilisés avant le déclenchement
des opérations de libération du territoire.
Pour préparer les objectifs à atteindre et affermir plus encore le précaire
ordonnancement, une note adressée le 20 avril 1944 aux responsables de sous-secteurs
insista sur deux points :
124
13 P 46
110 J 17
126
109 J 99
127
1 J 795
125
« 1/ Il est rappelé à tous les chefs de groupe de Résistance qu’ils ont le devoir de rendre
compte d’urgence à l’état-major de tout acte accompli contre l’ennemi, les traîtres et les
collaborateurs connus et dépistés, pour pouvoir coordonner l’action de répression et en
tenir un contrôle à jour qui est adressé par l’état-major au Tribunal Militaire de l’A.S. sous
forme de compte-rendu, aux fins d’homologation.
2/ A ce sujet, il est rappelé également que dès qu’un élément d’un groupe de Résistance
trahit, il est obligatoirement jugé par le Tribunal Militaire avant tout acte de répression.»128
Au reçu des indications concernant le plan à appliquer pour masser ses hommes,
MONTCALM prépara un dispositif de départ pour le sud du département. Après une
délibération du Comité Départemental de Libération (C.D.L.), le docteur MERAT
s’entremit auprès de plusieurs de ses confrères qui, sous sa tutelle, soigneraient les blessés
éventuels. De plus, RINCENT demanda que l’A.S. supporte le transport des victimes
potentielles. Les questions portant sur la partie militaire ne purent être satisfaites et les
participants confièrent à RINCENT le soin de solliciter des précisions au commandant de
l’A.S.129
Aussi le 8 mai 1944 furent publiés conjointement une étude sur la mise en oeuvre des
moyens de transport pour les F.F.I. et un ordre préparatoire à destination des troupes F.F.I.
Conformément à ces directives, le commandant MONTCALM se rendit dans le sud-est de
la région, à Bar sur Seine, où il fixa son P.C. Dans l’attente du débarquement, il installa des
postes de renseignements avancés dans le nord de l’Aube et dans les 4 centres urbains de
Brienne le Château, Bar sur Aube, Vendeuvre sur Barse et Troyes. Ces antennes rattachées
au 2ème Bureau observaient les déplacements de l’occupant (trafics routiers et ferroviaires).
Les volontaires se dispersèrent dans les fermes les plus proches des emplacements
reconnus pour les maquis, sur les lignes et les points prévus. La formation diluée facilitait
le cantonnement. Pour autoriser le ravitaillement des troupes, on ordonna de prescrire
d’urgence l’augmentation des dépôts de vivres dans toutes les exploitations agricoles. Le
paiement des denrées intervenait soit immédiatement si la situation le permettait, soit
ultérieurement, contre présentation aux organismes payeurs des bons de réquisitions
réguliers donnés par les représentants qualifiés.
128
129
109 J 101
SC 39175
Or le 30 mai 1944, un câble du B.C.R.A. annonça la suspension de toutes les tentatives
de parachutage en Champagne méridionale consécutivement à la capture du départemental
B.O.A., GUENIN. Une telle décision nuit très sensiblement à l’A.S. qui cherchait des
armes et à maîtriser des moyens numéraires suffisants pour subsister.130
2/ Assurer le financement
Comprendre les conditions dans lesquelles l’Armée Secrète disposa d’argent rend
possible l’étude de l’adéquation entre les disponibilités pécuniaires et les conséquences
induites sur les structures de l’A.S. Assurément, il convient de savoir si l’importance
quantitative des capacités financières eut une influence sur la rapidité avec laquelle crut le
groupement clandestin. De fait, fort rapidement, des besoins impérieux et immédiats
s’exprimèrent nettement.
Originellement, MONTCALM pria quelques industriels d’offrir leur contribution et
début février 1944, le syndicat de la Maille versa 500.000 francs. Un peu plus tard, un
autre syndicat abandonna 551.000 francs au profit de l’A.S. D’autres dons parvinrent,
comme 90.000 francs remis par le maire d’Essoyes, auxquels s’agrégèrent des sommes
minimes saisies sur des délateurs et des collaborateurs notoires. A cette première période
où les fonds manquaient notablement se substitua un second moment où le départementalmaquis OUY (DEGLANE), répartissant l’argent, servit d’intermédiaire avec les délégués
du service national-maquis.
Le 1er avril 1944, à Ossey les Trois Maisons, l’interrégional-maquis SOLIVELLAS
distribua 150.000 francs à DEGLANE131. Fin avril, à Paris, pour le budget de mai à venir,
SOLIVELLAS lui attribua encore 300.000 francs pendant qu’il se trouvait de passage dans
la capitale. Mais ces paiements se révélèrent insuffisants et la position de l’A.S. se dégrada
insensiblement en raison même des hommes à entretenir.
Il avait été entendu qu’un million serait mis à la disposition du chef-maquis pour
subvenir aux besoins considérés comme les plus urgents. Pourtant, à partir d’avril,
MONTCALM reçut un budget de seulement 150.000 francs par mois. A deux reprises, des
auxiliaires sûrs déposèrent l’argent chez un cultivateur de Saint Julien les Villas. L’agent
de liaison PAUTRAS ramena également 200.000 francs à Troyes pour DEGLANE. En
130
Archives SOLIVELLAS
mai, à Ossey les Trois Maisons, SOLIVELLAS délivra 150.000 francs à DEGLANE qui
était accompagné de Pierre CHUCHU, André PAUTRAS, Robert SAUVAGE et Emile
DELATRONCHETTE.132
Puis DEFOE perçut de nouveaux fonds à Lormes dans la Nièvre. Il fit passer 300.000
francs à DEGLANE par PAUTRAS. Après la survenue d’incidents, la direction parisienne
prit la décision que dorénavant tout l’argent reviendrait directement à MONTCALM.
DEFOE transmit donc un million à l’officier de liaison PAYEUX en présence de
MONTCALM et peu de jours plus tard, ce dernier obtint un second million jugé utile par
le Délégué Militaire Régional (D.M.R.) RONDENAY (JARRY) pour l’aider à sortir de la
situation pénible dans laquelle il se trouvait.
Au total, SAUVAGE affirma avoir assisté personnellement à la remise à DEGLANE par
JARRY :
-de 100.000 francs au titre du plan vert (sabotage).
-de trois fois 150.000 francs pour frais de coordination F.F.I. affectés à ALAGIRAUDE.133
Grâce à ces fonds, MONTCALM put enfin pourvoir en partie à l’approvisionnement de
ses équipes et à leur équipement. Il composa de même un système de secours pour les
familles des personnes arrêtées ou déportées. Madame BELL collectait ces subsides au
nom du C.O.S.O.R.(Comité des Oeuvres Sociales de la Résistance). Néanmoins, l’A.S.
souffrit sans cesse de la médiocrité des sommes réparties par ses supérieurs hiérarchiques.
Aussi, dès que les problèmes financiers furent partiellement résolus, l’A.S. reprit plus
vigoureusement les liens avec des ensembles complémentaires, dans le dessein de procéder
à des échanges pour favoriser une entente commune.
3/ Etendre les rapports organiques
En prévision du débarquement, Résistance-Fer choisit de concevoir un comité incluant
quelques salariés supplémentaires appartenant à la S.N.C.F. Il restait proche du comité
directeur de la S.N.C.F. et de l’A.S. départementale, ayant pour objet l’étude d’un projet
131
110 J 17
Annexe n°14
133
Archives DANESINI
132
qui, avant sa réalisation, serait soumis aux représentants tutélaires pour approbation et
accord. On répartit les fonctions des titulaires de l’organisme avec :
-un responsable pour l’arrondissement auprès du comité S.N.C.F. et de l’A.S.
L’arrondissement comprenait l’intégralité du département de l’Aube et les secteurs de
Chaumont (Bologne Bricon) et de Chatillon en Haute-Marne.
-un responsable local pour les gares et les dépôts de Troyes et de Troyes-Preize. Il assurait
l’exécution du plan dans la zone circonscrite entre Saint Julien les Villas et Troyes-Preize.
-un responsable pour les villes de Romilly, Flambain, Brienne et Jessains.
-un adjoint au chef local de Troyes pouvait être utilisé le cas échéant sur l’espace échu à
Saint Julien les Villas.
-un agent S.N.CF. fournissait des conseils techniques.134
Pour l’action préliminaire, il paraissait indispensable de faire connaître à l’A.S., en temps
utile, tout déplacement appréciable des troupes germaniques, en corollaire avec
l’acheminement du carburant, du ravitaillement en nourriture et en munitions. Ces
observations convergeaient dans les plus brefs délais au S.R. de la S.N.C.F. qui les
communiquait immédiatement à l’A.S. en lui indiquant les points intéressants pour
intervenir efficacement et les moyens à employer.
Pour l’action générale, dans toutes les contrées où s’exprimaient les lacunes humaines de
la S.N.C.F., le chef de secteur qui contactait au préalable l’A.S. locale disposait de toute
latitude pour demander à celle-ci aide et assistance. L’A.S. pouvait doubler les chefs
d’équipes S.N.C.F. pour les destructions ferroviaires.
La résolution du chef d’équipe S.N.C.F. primait seulement pour les questions techniques.
Au sujet de l’obtention d’armes et de munitions, l’A.S. donnait le matériel en faveur des
résistants habitants à l’extérieur de Troyes. En cas de défection pour une cause quelconque,
les fournitures provenaient de la S.N.C.F.135
Dans la perspective d’exploiter pleinement ces unités opérationnelles, le personnel de la
S.N.C.F. adhéra en nombre à Résistance-Fer. A Troyes, René BECKER, Julien
VUILLEMIN, André DELORMES, tous trois sous-agents technique joignirent
MONTEMONT, contrôleur technique, pour faciliter l’achèvement de leur entreprise.
134
NA 10131
Des relais existaient dans toutes les principales gares avec : Emilien HUSSON, brigadierchef à Brienne le Château ; Maurice GIRAULT, facteur mixte dans le bourg de Jessains ;
MAILLOT, sous-chef de gare à Romilly ; René HENRIOT, chef de gare à Lusigny ;
MAITROT à Jeugny136. Possédant dès lors une assise solide et des soutiens dans la société,
l’A.S. put se concerter pour concrétiser la tenue d’un imposant rassemblement de
maquisards, répondant à une modification notable des principes jusqu’alors défendus.
B/ LA CONCENTRATION DES ELEMENTS
1/ Répondre à des considérations tactiques
Tactiquement, l’annonce du débarquement des armées alliées en Normandie
s’accompagna d’un changement du P.C. car au 7 juin 1944, un noyau de 30 hommes
occupait le château de Polisy. Le même jour, l’E.M. adressait la note de service N°40/D ciaprès aux chefs de groupement des F.T.P. et de Libération-Nord :
« 1. La situation des effectifs armés du département de l’Aube ne permet pas de tenir le
front prévu au plan d’action primitif. En conséquence, tous les groupes armés désirant se
rallier aux troupes départementales des F.F.I. stationneront dans la région des Riceys,
pendant la période de concentration. Un officier de permanence se tiendra au casino de ce
village, qui dirigera les détachements au fur et à mesure de leur arrivée sur les
cantonnements respectifs.
2. Les groupements constitués et encadrés qui seraient déjà stationnés dans une région où
ils estiment être à l’abri d’une surprise de la part de l’ennemi pourront, s’ils le désirent,
rentrer dans les F.F.I. du département. A cet effet, ils devront s’adresser de toute urgence
au commandant MONTCALM qui leur donnera des instructions. Ils pourront en attendant
rester sur place. »137
135
NA 10093
1 J 792
137
109 J 101
136
Les représentants des F.T.P. refusèrent ce plan puisqu’un autre schéma prévoyait un
premier regroupement dans le Pays d’Othe avant un second dans le Morvan, avec 10.000 à
15.000 combattants. Ceci se traduisit par le fait que le 8 juin 1944, malgré l’ordre donné,
OUY ne rejoignit pas l’A.S. comme convenu. MONTCALM, quoique chef départemental
des F.F.I., put mesurer l’ampleur de la défection de son principal assistant qui, réduisant à
néant les efforts de plusieurs mois, le laissa pratiquement sans armement.
Au demeurant, les F.T.P. qu’ALAGIRAUDE pensait tout acquis à la cause qu’il
défendait rejetèrent la fusion. OUY déclara qu’il ne rallierait pas, arguant de l’existence de
la directive émanant de l’état-major F.T.P. qui envisageait un repli potentiel sur l’Yonne138.
Ces luttes prirent un caractère d’autant plus désagréable qu’elles opposaient les deux
protagonistes dominants l’Aube.
Certes l’A.S. pâtit nettement de ces désagréments bien que le commandement estimât
que son dispositif ne devait point connaître d’évolutions concernant l’organisation adoptée.
Surtout que la Résistance se satisfaisait désormais «de la protection muette de la plus
grande partie des habitants, l’autre partie craignant de s’attirer des ennuis sans nombre. »139
C’est pourquoi l’E.M. proposait la création d’un maquis imprégné par les doctrines
militaires.
2/ L’ampleur du maquis
Le 20 juin 1944, les maquisards jusqu’ici dispersés se réfugièrent tous dans les bois de
Mussy-Grancey, au sud-est du département140. La volonté de former ce grand ensemble
répondait aux souhaits formulés explicitement par l’état-major de l’A.S. de participer de la
manière la plus énergique aux combats de la libération. Opposé au morcellement, ce
dernier prônait une mobilisation accrue des militants en un seul point pour affronter dans
les meilleures conditions les détachements allemands. Pour accéder à de tels desseins, il
fallait instaurer un vaste camp semblable à une redoute fortifiée. POIRIER, chef de l’E.M.,
légitima ces perspectives :
138
SC 4273
Annexe n°5
140
Annexe n°4
139
« Un petit maquis est un bloc perdu dans la nature, qui agit, vit et combat seul,
abandonné, sans aucun espoir d’être secouru en cas d’attaque, en raison même de la
rapidité de l’action (...). Cette poussière de petits maquis se serait révélée incommandable :
les liaisons, les transmissions, les inspections, la coordination des missions auraient
présenté d’énormes difficultés. Pour le combattant, le grand maquis bien organisé offrait
une sécurité reposante et confiante. La présence d’autres combattants sur les ailes, et de
réserves sur les arrières, entretenait chez lui un immense sentiment de solidarité.(...). Au
fond, on pouvait considérer le grand maquis comme celui de Mussy-Grancey comme un
ensemble de petits maquis aptes à toutes les manoeuvres car il n’excédait pas les limites
compatibles avec le plein emploi du commandement. »141
Ainsi le 28 juin 1944, il fut demandé à la subdivision 300 armes antichars avec dotations
de munitions, 1300 fusils-mitrailleurs, 3500 mitraillettes, 3000 revolvers et pistolets, 300
mousquetons. D’autre part, MONTCALM récrimina avec véhémence à l’encontre des
F.T.P., leur reprochant de ne pas accepter ses propres vues décisionnelles relatives aux
conceptions hiérarchiques à appliquer :
« Il n’est pas tenu compte de mes dispositions par le groupe F.T.P. qui me paraît se
complaire dans sa déplorable erreur. L’absence de tout chef qualifié dans ce groupement en
fait un instrument trouble, et l’exclusive jetée par lui sur tout ce qui représente l’ordre et la
discipline ne permet plus de lui faire confiance. Son rêve, c’est le chambardement et la
prise du pouvoir ; la Libération du pays reste le dernier de ses soucis. Il serait donc
dangereux de persister dans notre erreur première, à savoir : continuer à les armer. Il existe
dans le département des milliers de patriotes qui insistent chaque jour pour rejoindre les
forces qui sont sous mon commandement. C’est celles-là uniquement qui doivent être
armées afin d’éviter le pire. » (note N°70/D)142
Il est certain que MONTCALM répugnait à comprendre l’ordonnance caractérisant les
F.T.P., désirant construire un modèle résistant reproduisant en tout point l’agencement de
l’armée régulière. Effectivement, il conservait l’ambition d’accorder une suprématie totale
aux seuls militaires qui se détermineraient toujours en dernière instance.
141
109 J 99
C/ LA FORCE DU COMMANDEMENT
1/ Privilégier les connexités
Pour améliorer les opérations conjointes, POIRIER eut une entrevue à Bar sur Seine avec
deux représentants de Résistance-Fer, AUBIN et BERNARD, vers le 30 juin 1944. Les
discussions portèrent sur l’efficience des sabotages. Les participants se résolurent à ce
qu’une équipe F.F.I. double chaque équipe S.N.C.F. ; la première assumerait l’exécution
tandis que la seconde de caractère technique maintiendrait une correspondance entre
l’ordre et l’exécution tout en participant à celle-ci. Pour les actes d’envergure, une section
mobile du maquis de l’A.S. se rendrait sur les lieux désignés, prévenue grâce à la célérité
du chef de gare de Bar sur Seine143. De surcroît, le 14 juin 1944, des soldats d’un régiment
du Génie, stationnant à Arcis sur Aube, se rendirent à Mussy. L’A.S. profita des
connaissances de ces volontaires en les cachant chez des cheminots pour pratiquer des
ruptures de voies ferrées.
POIRIER plaça 2 sous-officiers sur la ligne Sens-Troyes chez un facteur de la S.N.C.F.
près de Bouilly. Deux autres s’occupèrent de la voie menant à Brienne le Château, en
parallèle avec les Commandos M. Une équipe du Génie procédait à des destructions de
Troyes à Châlons sur Marne. Pour la ligne de Paris à Belfort, des hommes sortant du
maquis oeuvraient. 100 kilos d’explosifs, le tout transporté par camionnette, étaient
octroyés à chacun.
De cette façon subsistaient concurremment des équipes sédentaires sur les différentes
lignes et des équipes volantes engagées à partir de Mussy, destinées à gêner les transports
de l’occupant. Le chef des cheminots s’immisçait dans les débats lors de la désignation des
objectifs à annihiler144. Cependant, l’imperfection des liaisons explique que le comité
d’action de la S.N.C.F. réclama de nouveau des précisions sur la nature de sa mission par
une missive du 17 juillet 1944 :
142
Archives DANESINI
109 J 100
144
Annexe n°12
143
« Le comité départemental S.N.C.F. est à la disposition du commandant des F.F.I. : il
propose de l’informer dans les plus brefs délais des mouvements importants qui seraient
susceptibles d’être paralysés immédiatement par la destruction des voies de
communication. Dans la mesure du possible, il fera tout en son pouvoir pour mettre à
exécution les directives qui lui seront ordonnées. Une mise au point serait nécessaire pour
une action rapide.
Le comité d’action S.N.C.F. demande des indications pour l’action à exercer dans les cas
suivants :
1. Action des F.F.I. sur la ville de Troyes ou dans le département.
2. Arrivée des troupes alliées sans action préalable des F.F.I.
3. Rôle du comité S.N.C.F. à la reprise du trafic ferroviaire.
4. Rôle du comité S.N.C.F. dans la réorganisation immédiate des chemins de fer.
Toute directive sera exécutée dans le sens où elle sera ordonnée. »145
Pour répondre aux sollicitations témoignant de carences dans son agencement intérieur et
pour obvier à ses déficiences, l’A.S. s’évertua à quadriller l’Aube de manière plus
significative en faisant appel à des hommes affectés à des tâches de surveillance.
2/ Préparer un encadrement à caractère territorial
Une notule émise le 20 juillet 1944 (N°133/D) concernait le rôle de la gendarmerie qui
faisait l’objet d’une vigilance toute particulière, marquant l’apport certain des diverses
brigades aux côtés de la Résistance mais plus encore l’excellence des rapports entretenus
entre l’A.S. et les corps paramilitaires. Deux points émergeaient.
D’abord, « seuls les titulaires du brevet de chef de sections volontaires seront dirigés
d’urgence sur le groupement et nommés sous-lieutenants chefs de section. Les brigades
resteront sur place à l’exception des éléments précédemment cités, afin d’assurer la police
en général, mettre hors d’état de nuire les agents de l’ennemi et informer les chefs de la
Résistance. Ils pourront se renforcer de quelques patriotes si besoin est.
145
NA 10093
Enfin, dès que le ravitaillement en armes le permettra, toutes les brigades seront armées
par nos soins. Au total, la surveillance du territoire est confiée aux brigades de
gendarmerie. Dans chaque siège de brigade sera constitué un noyau de 30 hommes qui
devront assurer la police, faire régner l’ordre, garantir la sécurité des déplacements des
troupes du maquis et donner tous les renseignements sur l’adversaire. (...). En attendant,
s’armer avec ce qui existe sur place. Dans chaque localité, il sera procédé également à la
formation d’un petit détachement selon les mêmes principes.
Ces détachements devront pourvoir à leur armement en recherchant les armes disponibles
dans les villages (armes de guerre, pistolets, fusils de chasse). Les détenteurs sont invités à
les remettre aux chefs désignés dans lesdites localités. Sans attendre d’autres
ordres, les chefs de toutes les brigades organiseront et encadreront les divers détachements
demandés. L’armement caché sera strictement recherché. Les officiers et sous-officiers
touchés par l’appel de la radio et par la note du commandant des F.F.I. pourront entrer dans
l’organisation territoriale en attendant leur appel définitif dans les F.F.I. »146
Le commandant MONTCALM reçut aussi l’assistance du C.D.L. qui, dans sa séance du
24 juillet, regretta que les F.T.P. et quelques isolés ne se soient pas, depuis le
débarquement, placés sous sa protection. Le C.D.L. approuva la décision du chef F.F.I. de
n’approvisionner en armes et en argent que ceux qui reconnaissaient sa prédominance.
Libération-Nord, le F.N., C.D.L.L., la C.G.T. paraphèrent le texte.147
Au 24 juillet, l’A.S. se déployait comme suit : 1ere compagnie hors rang, 1er bataillon au
complet, 2ème bataillon en cours d’élaboration. Soit au total, 700 hommes. Pour améliorer
les communications endogènes, on employa des agents choisis pour leurs compétences. Tel
GLEIZE qui parlait couramment l’allemand, secondé par le fils du maire de Bar sur Seine,
DEGUILLY, par l’aîné des enfants de TERRILLON à Mussy sur Seine, par le fils de
l’avocat de Bar sur Seine FERLET. Pour les relations exclusives avec Troyes (notamment
avec le C.D.L.), GRATTARD, GAUTHIER et les inspecteurs AUGROS et DULOT
acceptèrent de servir d’intermédiaires.
Dans le même temps, ALAGIRAUDE prit connaissance d’une réflexion du colonel
VIAT, parachuté le 22 juillet 1944 en France, et qui à la tête du groupe opérationnel du
146
110 J 101
Morvan, envoya des sous-sections de la mission VERVEINE en Côte-d’Or, dans l’Yonne,
en Saône et Loire, en Haute-Marne et dans l’Aube. Le projet envisagé semblait quelque
peu démesuré, ces deux derniers départements ne présentant aucune analogie avec le pôle
morvandiau148. De fait, aucune concentration de résistants ne se produisit à l’échelle
départementale, chaque mouvement alléguant de sa spécificité pour ne pas se soumettre
aux contingences susnommées. D’où l’affirmation de modalités organisationnelles fort
complexes, reposant sur des bases divergentes.
II LES RISQUES D’UNE RECOMPOSITION
A/ LA VOLONTE D’INDEPENDANCE DES F.T.P.
1/ La mobilité des effectifs
Pour rendre intelligible et accessible l’état du dispositif mis en œuvre par les F.T.P. au
printemps 1944, nous avons en notre possession un rapport rédigé par la police française
en juillet de la même année149. Les extraits les plus intéressants concernent les observations
particulièrement détaillées que les forces répressives possédaient sur la complexité interne
des infrastructures résistantes, bien qu’on puisse noter l’insanité de l’assimilation entre
communistes et F.T.P. :
« Comme il l’a déjà été indiqué dans mon précédent rapport du 15 juin 1944 dernier, le
Parti Communiste semble actuellement complètement désorganisé dans l’Aube, permettant
de dévoiler l’organisation clandestine du parti (...) et de disloquer la tête départementale
des F.T.P.
Les animateurs et les dirigeants de l’organisation F.T.P. étaient :
1) un surnommé PETIT MARCEL, demeurant à Sainte Savine, sans autre indication,
Commissaire de l’Organisation Militaire (C.O.M.).
147
NA 10106
13 P 65
149
Annexe n°7
148
2) un surnommé LOUIS logeant chez le cafetier PAULEN, rue Beauregard à Troyes,
Commissaire Technique (C.T.).
3) un nommé GEHIN René, demeurant impasse Beauregard prolongée à Saint Julien les
Villas, Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.).
4) un nommé DHEILLY Georges, demeurant 85 rue Beauregard à Troyes, adjoint du
précédent.
5) un surnommé GRAND MARCEL demeurant 11, rue des Trois Ormes à Troyes, chef
d’un détachement de F.T.P. à Troyes.
Il a pu être établi que le Commissaire de l’Organisation Militaire, le Commissaire aux
Effectifs Régionaux et le Commissaire Technique, se réunissaient en bureau militaire pour
discuter, élaborer les plans d’actions, les faire exécuter et juger de l’exécution par les
échelons inférieurs. C’était le Commissaire Technique qui était chargé de fournir en armes,
argent et vivres les membres du groupement, le Commissaire aux Effectifs Régionaux
n’étant qu’un répartiteur et un comptable. Les membres de cette organisation ont participé
à plusieurs vols à main armée et à des assassinats. Ils recrutaient de jeunes réfractaires.
Le résultat des opérations entreprises en mars 1944 a amoindri les communistes du
département et depuis lors, aucun tract ni aucune affiche n’a été découvert permettant d’en
attribuer l’origine à des membres de l’ancienne organisation. Il est certain que malgré le
succès incomplet de l’opération, le mouvement a été enrayé pour une assez longue période.
Sept individus sont en fuite: Eugène LESSUISSE dit GRAND MARCEL, 24 ans,
manoeuvre à Sainte Savine ; Marcel POILVE dit PETIT MARCEL, 32 ans, terrassier à
Troyes ; Gaston GAGNIERE, employé à la S.N.C.F. ayant demeuré à Courteranges ;
Roger BERGANZ, garde-voies et communications, 41 ans, de Troyes. Charles
ROMAJOT, bonnetier à Troyes ; Hélène BOIGEGRAIN, 41 ans, de Troyes ; Georges
DHEILLY, 33 ans, bonnetier à Troyes.
Les renseignements concernant les organisations dites de résistance se rapportent à ceux
donnés dans le paragraphe précédent. Dans le sud du département, il existait plusieurs
groupes, à savoir : groupes Stalingrad, Ferrouil, Truchot, Pellerin, Patrie, Honneur, les
Alliés, la Marseillaise, Casanova, Valmy. Ils s’étaient implantés dans la région d’Ervy le
Châtel en juillet 1943. Ils furent constitués au début par quelques réfractaires locaux qui
avaient pour chef Roger THUILLIER. (...).
Il n’est actuellement pas possible de recueillir les noms des individus présumés comme
pouvant appartenir à la Résistance, mon service ne possédant aucun des moyens qui
seraient susceptibles de mener à bien ce travail. On peut cependant remarquer qu’un
certain nombre d’individus ont quitté brusquement leur travail et leur domicile et n’ont
depuis donné aucun signe de vie. Il est à présumer que certains d’entre eux ont rejoint un
groupement de Résistance, obéissant à un ordre qui a dû leur être transmis. Cependant, la
plupart de ceux-ci se sont sans aucun doute réfugiés à la campagne dans la crainte
d’événements susceptibles de leur nuire (arrestation par la Milice ou par les autorités
allemandes à la suite du débarquement des armées alliées). »150
Avec la multiplication des interpellations (GEHIN le 1er mars 1944 ; Roger BERGANZ,
chef des saboteurs, en avril) et pour combler ces pertes, le commandement établit en mai
1944 un infléchissement stratégique, avec l’arrivée de cadres extérieurs au département.
Cette évolution provint du Comité Militaire National comme l’atteste une correspondance
d’OUZOULIAS adressée à l’interrégional GRILLOT le 27 mars 1944 :
« Renforcez l’Aube en envoyant des compagnies de manière à étendre notre action. Le
moment est venu de truffer les bois avec nos maquis bien armés. »151
Suite à ces instructions, un maquis s’implanta en mai 1944 dans la Marne, à la ferme de
Varsovie, avec nombre d’Aubois. Il prit naissance sous l’empire de Hubert JEANSON et
de Marcel LESSUISSE, C.O.R. François IMPERIAL constitua une compagnie à 3 sections
dite compagnie France, s’intégrant au sein des F.T.P. « Cette unité devait se regrouper en
vue d’un départ imminent pour rejoindre un front intérieur prévu près de Paris.152 » Le chef
demanda alors à la direction des F.T.P. de lui envoyer un ou deux spécialistes de la guérilla
possédant de bonnes connaissances militaires. Quelques jours après se présentèrent
GERARD et CLAUDE (KATYN).
Par ailleurs, OUZOULIAS s’entretint avec Albert LAFOND, ancien participant des
Brigades Internationales et du Comité Central des Jeunesses Communistes. Il l’envoya
auprès de GRILLOT (GERMAIN), interrégional F.T.P.F. pour la Champagne et la
150
110 J 14
72 AJ 56
152
Témoignage de François IMPERIAL, rencontré le 22 juin 1997.
151
Bourgogne. LAFOND (RIVOIRE) gagna l’Aube pour présider aux destinées du maquis de
Rigny la Nonneuse153. Il est indubitable que l’encadrement se révéla insuffisant et l’un des
membres F.T.P. reconnut que « dans nos maquis, les formations ne reposaient pas sur la
base des armées traditionnelles. Les effectifs variaient énormément, les structures
également d’un endroit à un autre. Les grades aussi d’ailleurs. »154
L’étude du secteur nord-est aubois permet de mettre en exergue l’échelonnement des
F.T.P. BOUHENRY, de Saint Martin de Bossenay, reçut GABY, un officier radio, pour
préparer un poste d’émission dans la région. Par la suite, il conserva avec lui des
connexités pour autoriser la transmission de ses messages. Dans cette intention, il coopéra
avec BOURGEAT à la Fosse Cordouan, BENOIST à Saint Loup de Buffigny, FLON à
Ferreux, VILLIOU à Rigny la Nonneuse, SOUPOST à Avon la Pèze. Quant à SCHMITT
ou HEURTEVIN, ils se rendaient à Romilly pour maintenir le lien avec leurs supérieurs.155
Il existait des ensembles identiques à Marcilly le Hayer par l’entremise d’ORY et de
PAILLET. La zone contrôlée s’étendait aux villages de Pâlis, Dierrey Saint Pierre,
Villadin, Bourdenay, Trancault, Fays les Marcilly. Les entrevues journalières se
déroulaient à 7H15 au domicile de BOUHENRY. Une entité demeurait aussi à Marigny le
Châtel avec LAPLACE et Louis VAST. Ils se chargeaient de l’espace compris entre Saint
Flavy, Echemines et Saint Lupien. Roger BAUDOUIN, du S.R., les aidait pour acheminer
les comptes-rendus écrits.156
En conséquence, les F.T.P. se « déplacèrent fréquemment, exploitant des circonstances
territoriales indépendantes les unes des autres, d’un canton à l’autre (de même d’un
département à l’autre).157 » En somme, les dirigeants disséminèrent les maquis soit dans
des contrées excentrées, aux confins des limites territoriales auboises (Arcis sur Aube,
Rigny la Nonneuse), soit même sur des aires géographiques hors de la Champagne (maquis
de Suy dans l’Yonne, de Varsovie dans la Marne).158
En outre, pour préserver leur autonomie, les F.T.P. réussirent à mettre en place une
équipe devant prendre part aux parachutages dans le Barséquanais. S’appuyant sur des
153
Annexe n°4
Roger BRUGE. Op. Cit., p.145.
155
NA 10099
156
Archives NIGOND
157
Annexe n°5
154
sédentaires dispersés dans les bourgs ruraux et sur de petits noyaux de réfractaires au
S.T.O., celle-ci prit l’appellation de réseau F.T.P. G. Le ravitaillement émanait de Louis
EULLAFFROY, boulanger à Sainte-Savine tandis que le régional Jacques FELLA
(PAOLI) et l’interrégional Pierre HUISARD (MARTIN) commandaient. Toutefois, le
démantèlement intervint rapidement. PAOLI appréhendé, HUISARD seul parvint à
échapper aux recherches.159
Pourtant, dans le dessein de financer la lutte clandestine, les F.T.P. obtinrent des fonds
expédiés d’Angleterre. Durant la nuit du 9 au 10 mai 1944, un imposant parachutage eut
lieu sur le terrain ARCHE, près de Méry sur Seine, sous l’égide de Guy JEANSON, chef
du secteur nord des F.T.P.
Près de 36.000.000 de francs destinés essentiellement au Centre parisien furent
décomptés. Immédiatement, on avertit GERMAIN qui répartit l’argent. Alors que FINOT à
Romilly en dissimulait une partie, le reliquat gagna la ville de Saint Quentin, chez
TESTART. La soeur de GERMAIN vint chercher la somme le plus importante et repartit
par le train pour Paris, accompagné de Guy JEANSON porteur de trois valises.160
Ces actions témoignaient bien du fait que l’Aube apparaissait en premier lieu comme une
base arrière des F.T.P. parisiens. D’autant que sensibles à ces influences exogènes, les
militants locaux surent adopter des instances suprêmes délibératives, non soumises à la
volonté d’une seule personne.
2/ La primauté des charges collégiales
A la faveur de l’été 1944, une vaste réorganisation affecta l’organigramme aubois qui
semblait s’atrophier consécutivement aux condamnations exercées à son encontre. D’une
part, Jean VANTALON (MARCEAU) faisait office de C.E.R. avec le soutien de Jean
MAZUIR (LENOIR) pour le renseignement. KILLIAN, récemment libéré, les complétait.
Son travail consistait à repérer les Alsaciens engagés dans l’armée allemande et à les
inciter à déserter avant de les remettre à un interrégional d’origine alsacienne. Au niveau le
158
Annexe n°4
Témoignage de Louis EULLAFFROY, rencontré le 2 décembre 1996.
160
110 J 117
159
plus élevé, André SEGUIN veillait scrupuleusement à maintenir une bonne coordination
entre les divers acteurs impliqués.
D’autre part, le C.M.N. utilisa les compétences de René CONTASSOT, ancien
responsable technique régional (C.T.R.) dans la Marne, nommé dans les mêmes fonctions
en Champagne méridionale. Puis en juillet, on désigna CETRE comme interrégional aux
opérations (C.O.I.R.) à la place de François GRILLOT161. Pierre OUY (DEGLANE)
conservait son poste de départemental F.T.P. avec l’aide de CHARPENTIER
(NEUNEUILLE).
Gaston GAGNIERE favorisait l’ordonnance avec les F.F.I. comme C.O.R., Roland
NIGOND le secondant. Ils se réunissaient rarement tous simultanément, les quelques
débats se déroulant le plus souvent au café PAULEN lors de la tenue du Comité Militaire.
Des auxiliaires féminines servaient de messagers, ayant appris par cœur des textes qu’elles
s’estimaient capables de transmettre avec exactitude.162
Par le truchement d’un écrit rédigé par VANTALON, il est loisible d’avoir un aperçu de
la situation des F.T.P. pendant la période du 1er au 15 juillet 1944. Ce document possède
un caractère exceptionnel car il s’agit de la seule archive contemporaine des événements
décrits. Il relate expressément les diverses pérégrinations du C.E.R. :
« Je suis parti en tournée à Bar sur Aube où un groupe est formé à Fontaine, composé de
6 hommes et d’un chef de groupe ; à Bar sur Seine où j’ai pu reprendre contact avec un
chef de groupe qui me donnera le nombre d’hommes et la composition du groupe. Dans le
secteur de Bouilly-Jeugny et Troyes, un Commissaire aux Effectifs Régionaux Adjoint
(C.E.R.A.) est au travail. Pour Arcis (groupe DANTON), on compte 19 hommes et un chef
de détachement. Je dois aller prendre contact avec un groupe à Bouy-Luxembourg. »163
Simultanément, le compte-rendu évoque nettement la persistance de tensions avec
MONTCALM : « ALAGIRAUDE ordonne aux maquisards de rejoindre le sud du
département à tous les hommes. Aussi j’ai dit aux camarades de rester là où ils se trouvent
et que nous étions seuls habilités à leurs donner des ordres. ». Le C.E.R. dressa en
161
Témoignage de Roland NIGOND, rencontré le 3 mars 1997.
Annexe n°5
163
Archives BIZZARI
162
complément un bilan du Bureau Militaire du 7 juillet 1944. La transformation des maquis
en équipes de 10 hommes s’achevait dans des conditions favorables. Le C.O.R. GASTON
s’occupait de la région de Chaource, le C.O.R. PIERRE de Bar sur Aube et Bar sur Seine.
Les unités du maintien de l’ordre ne relâchaient guère leur étreinte puisque « ce que nous
avions prévu pour le 14 juillet a été éventé et que la police a manifesté sa présence dans
tous les parages. »164
Au surplus, il est possible de se doter de données substantielles portant sur les F.T.P. en
analysant le texte du Comité Militaire du 26 juillet 1944. Les participants préservent pour
la plupart leur anonymat, à l’exception notable de VANTALON et GAGNIERE dont les
présences sont avérées. L’I.P.A.P. et le T ne peuvent être dénommés et leurs attributions
respectives échappent à toute tentative de désignation. En tout cas, le matriculage se
distinguait par sa lenteur résultant de l’éclatement des hommes et de la difficulté à les
surveiller tous.
Nonobstant cet éparpillement, 4 compagnies rassemblèrent les combattants : 1ère
compagnie LES GLIERES avec le lieutenant NENESSE (Ernest WOERTH) ; 2ème
compagnie GEOFFROY avec le lieutenant RENE ; 3ème compagnie LIBERTE avec le
lieutenant DULOU ; 4ème compagnie FRANCE avec le lieutenant JOSEPH (IMPERIAL).
3 sous-lieutenants les accompagnaient dans leurs déplacements : un sous-lieutenant au
matériel, le second au renseignement, le dernier à l’état-major.
Or le Bureau Militaire, organe départemental agglomérant les secteurs, fit preuve de
circonspection sur l’opportunité de créer des détachements spécifiquement urbains. En
effet, on privilégiait les maquis, donc la déconcentration de la lutte dans le monde rural, en
négligeant quelque peu les villes. C’est pourquoi la zone de force des F.T.P. se situait
avant tout au sud d’une ligne Nogent sur Seine-Troyes, dans un espace n’offrant que de
pôles urbains secondaires165. Libération-Nord présentait les mêmes similitudes quoique la
ténuité de son dispositif nuise à sa pérennité.
B/ LA DESAGREGATION DE LIBERATION-NORD
164
165
Annexe n°7
Annexe n°4
A l’évidence, le mouvement pouvait bénéficier de relais appréciables dans le
Barsuraubois, dans le Pays d’Othe et dans les communes limitrophes de Troyes. Mais une
antinomie subsistait entre la faiblesse des adhérents et sa représentation sans commune
mesure à l’échelon local et plus encore régional. THIERRY, chef régional de RésistanceFer et de Libération-Nord, présidait le C.D.L. de l’Aube, appuyé dans ce comité par
Germain RINCENT et Paul BRANDON. La dichotomie résida certainement dans le fait
que Libération-Nord soit parvenue à susciter les assises d’un maquis bien qu’amoindrie par
le nombre limité de ses sympathisants et par sa médiocre pénétration dans la population.
Seuls THIERRY et RINCENT jouissaient de soutiens au sein du comité parisien tout en
ne portant pas une prévenance particulière pour intensifier l’encadrement aubois. Même si
Maurice MONTENOT (POIRIER) faisait figure de commandant militaire pendant
qu’André LAPLANCHE s’efforçait de recruter des volontaires, avec l’appui de Marcel
FEBVRE, André CHANTRENNE, Abel COSSON, Roger BIDAULT et Joseph
DANGOUMAU, tous chefs de section166. L’apparition concomitante d’une conjonction de
facteurs défavorables ébranla durement ces résistants.
Le 24 avril 1944, une vague d’arrestations les décimèrent. Les fonctionnaires Joseph
ANGLADE et Jean-Francois PIQUEMAL, l’ébéniste Henri PRADERE, le mécanicien
Georges CONAT, le commissaire de police TISSOT subirent l’éprouvant régime carcéral
allemand167. Dans le but de pallier à ces captures, Maurice LAFONT, receveur des
contributions indirectes à Aix en Othe, devint le délégué de Libération-Nord dans le canton
othéen.
En sus de ces changements, le 6 juin 1944, les patriotes se présentèrent dans un maquis
nouvellement installé à Montaigu, à quelques kilomètres au sud-ouest de Troyes168. Après
une expédition menée sur le camp de jeunesse de Sommeval, les 120 à 150 hommes purent
s’équiper et se vêtir. Ils quittèrent ensuite les bois, faute d’abris suffisants, et occupèrent le
hameau voisin des Grandes Chapelles. Les maquisards ayant commis plusieurs
imprudences, les troupes d’occupation les attaquèrent violemment le soir même (7 juin
1944).
166
NA 10095
NA 10141
168
Annexe n°4
167
Le combat paraissant par trop inégal, le repli fut décrété. Deux jours après, les rescapés
se regroupaient à Forêt Chenu puis au Haut du Lait avant de se réfugier au maquis de
Mussy-Crancey, où il se placèrent sous la tutelle de l’A.S. L’expérience de l’indépendance
du groupement prit fin suite à cette expérience malheureuse.
Il est incontestable que Libération-Nord, qui semblait presque exclusivement
consubstantiel de la société civile, éprouva des désagréments à maîtriser des unités
paramilitaires, ne possédant que fort peu d’ascendant sur l’Armée d’Armistice. S’appuyant
sur un organigramme fort lâche, il ne parvint pas à concilier les exigences de sûreté avec le
souhait de laisser toute latitude aux différents protagonistes impliqués contre le régime
d’oppression. Au contraire, d’autres formations s’épanouirent pleinement en réussissant à
profiter d’ordres conférés par des officiers confirmés qui s’employaient à accroître la
structuration hiérarchique résistante.
C/ UN MOUVEMENT EN QUETE D’HOMOGENEITE : LES COMMANDOS M
1/ La tripartition des fonctions décisionnelles
A la fin du mois d’avril, Maurice DUPONT (YVAN) comptait une centaine de
subordonnés entraînés et équipés pour isoler Troyes, par route et par rail, dans la partie
nord-est du département. Pour les renforcer et prolonger leur action, l’officier britannique
André WATT (RASE MOTTE) fut envoyé en France, le 12 avril 1944. Il se substitua à
BARRETT, opérateur-radio de DIPLOMAT, qui transmit par radio pour DUPONT
pendant six semaines.169
Dès lors, à l’été 1944 s’établit une répartition des attributions qui induit de manière
définitive une tripartition des fonctions. YVAN l’emportait sur ses camarades et ses
décisions ne pouvaient être contestées. A ses côtés, WATT tentait de préserver
quotidiennement la liaison avec Londres et LOPEZ (BEAUBLOND) s’assurait de la sûreté
interne et externe. Autour de cet ensemble existaient :
-un service sanitaire (mobile et fixe).
169
NA 10092
-un service de sécurité.
-une section spéciale (pour surveiller les hommes).
-un échelon ravitaillement, confié à Robert LEBLANC, courtier en animaux.
-une section camouflage (permettant l’hébergement des personnes recherchées par les
Allemands).
-un service-radio (connu uniquement de WATT et de DUPONT). Strictement
indépendants, tous ces services s’ignoraient entre eux.170
Pour parachever l’homogénéité, les Commandos M surent utiliser à compétences égales
les résistants clandestins et sédentaires, ces derniers offrants de multiples avantages de par
leurs obligations professionnelles. Cyrille THOURAULT usait de son magasin d’articles
de pêche à Troyes pour couvrir ses activités de boites aux lettres et de lieu de rendez-vous
pour les Commandos M.
CUISIN, agent de renseignements, vint à deux reprises y apporter de l’argent à remettre à
YVAN. Tous les soirs, THOURAULT rencontrait un adhérent de Résistance-Fer. Le plus
fréquemment, il s’agissait de Jean MARCHAND, contrôleur adjoint au service technique
de la S.N.C.F., qui donnait la marche des trains militaires ennemis, avec la complicité de
l’ingénieur TOUCHOT.171
En règle générale, il n’y avait pas de réunion mais simplement une tournée hebdomadaire
d’inspection. Habituellement, l’itinéraire recouvrait le parcours suivant : à Luyères chez les
BRIET, à Fontaines-Luyères chez les 3 frères LAFFILLEE, à Nogent sur Aube chez les
BURIDANT, à Longsols chez les BERTRAND, à Epagne chez les DOIZELET, à
Bréviandes chez Marcel VEZIEN172. Chaque entretien permettait de connaître exactement
la situation dans les localités.
Dès que tous les hommes se rassemblèrent, le maquis se répartit sur une ample étendue,
avec une ceinture extérieure de protection et des postes avancés (avec P.C. à Ramerupt).
Les villages appartenant à la zone d’influence des Commandos M se distinguaient selon le
schéma subséquent : mains (5 individus), dizaines, trentaines. Leurs apports se voulaient
170
1 J 785
Témoignage de Cyrille THOURAULT, rencontré le 15 février 1997.
172
Témoignage de Charles RASETTI, rencontré le 4 novembre 1996.
171
avant tout logistique en permettant l’approvisionnement en nourriture et la fourniture de
main d’oeuvre pour les équipes de parachutage.
Il est manifeste que les Commandos M tenaient un secteur stratégique, avec les voies
ferrées Troyes-Brienne, Troyes-Mailly, Paris-Belfort et les lignes internes aux trafics plus
secondaires. En conséquence, YVAN détermina des frontières territoriales pour que ses
affidés les plus compétents deviennent responsables d’un ou de plusieurs villages. A
l’exemple de Daniel HUBAIL de Jaucourt, ex sous-officier de l’Armée d’Armistice, qui
domina la zone comprise entre Vendeuvre sur Barse et Bar sur Aube.173
Il élabora une section capable d’effectuer des sabotages contre l’occupant, sur le modèle
prôné par YVAN : s’accommoder de la mobilité de petites compagnies promptes à se
déplacer, montrant leurs parfaites aptitudes au harcèlement, n’agissant que sur des objectifs
ponctuels définis antérieurement. A l’instar de l’expédition qui détruisit l’usine
pyrotechnique d’Héry, près de Tonnerre, dans l’Yonne.174
Dans un deuxième temps, les détachements se déplacèrent aux côtes 165 et 192, près de
Fontaine-Luyères. Puis ils se rendirent à la côte 140 (à l’ouest de Voué) avec des
commandos fort épars. Après un nouveau départ jusqu’à la forêt de Soulaines, à 4
kilomètres au nord du village de la Chaise, ils se répartirent de manière très dispersée dans
le triangle Arcis sur Aube-Bar sur Aube-Troyes. Cette volonté de se mouvoir continûment
supposait un éclatement des combattants disponibles, une telle dissémination se trouvant
accentuée par le désir de s’affranchir des limites géographiques auboises.
2/ La multiplication des liens interdépartementaux
Les Commandos M insistèrent sur la tenue d’une réelle coopération avec les
départements voisins, surtout avec le sud de la Marne où la Résistance éprouva des pertes
sensibles. Aussi, 4 hommes d’un Jedburgh arrivèrent par parachutage le 4 juin 1944 : un
Français, un officier canadien (Jacques TASCHEREAU dit le capitaine JACK) et deux
Anglais (dont un radio). Ils devaient contribuer à la reconstitution des groupes marnais
disloqués.
173
174
NA 10110
Témoignage de Marcel DAUTIL, rencontré le 4 avril 1997.
De plus se manifesta une concordance fonctionnelle avec l’Armée Secrète pour parvenir
à une meilleure coordination pour la répartition des tâches et des zones d’action. Le 7
juillet 1944, le capitaine JACK, mandaté par le général KOENIG, se présenta au P.C. de
l’A.S. à Mussy-Grancey. Il revint les 26-29 juillet 1944 avant de regagner Bar sur Aube.
Des projets militaires d’envergure furent étudiés entre les deux états-majors, français et
interallié.175
Pour renforcer davantage les Commandos M, 3 soldats appartenant au Special Air
Service (S.A.S.) survinrent lors d’une opération aérienne à Pel et Der dans la nuit du 7 au 8
juillet 1944 : le radio anglais Herbert Maurice ROE (BOUBOULE), le radio britannique
Alfred SAWDEN (LA FOUINE), le lieutenant américain Roger CORMIER, un saboteur.
En définitive, 3 radios émirent du centre de la ville de Saint André les Vergers en juillet
1944 : WATT, ROE et SAWDEN.
Peu après advint le parachutage du major Nick BODINGTON, le 11 juillet, sur le terrain
de la côte 192, pour prendre la tête des S.A.S. A partir de ce moment, les militaires alliés
se dirigèrent vers leurs affectations respectives. Maurice ROE et Roger CORMIER allèrent
conjointement en Haute-Marne pour intervenir rapidement non loin de la cité de RobertMagny.176
Quant à SAWDEN, il rejoignit la Marne avec trois sympathisants des Commandos M :
Olivier JOURDAN, l’inspecteur de police Charles CASARI et LEMONNIER. Charles
RASETTI, alléguant de sa profession de transporteur, se rendait tous les mardi à Epernay
pour les ravitailler en armes et matériel, accompagné quelquefois de BODINGTON. Au
surplus, le capitaine canadien Jacques TASCHEREAU et le lieutenant canadien René
LANDREAU contrôlaient les maquis de Lévigny et de Vernonvilliers avec le lieutenant
Jack ROLLAND, aux confins de la Champagne et de la Bourgogne.
Au total, on remarque que les Commandos M privilégièrent nettement des forces
fortement décentralisées, accordant la primauté à l’autonomie de leurs membres plutôt qu’à
leur assujettissement au commandement. YVAN rejeta toute hypertrophie des organes
décisionnels, préférant déléguer partiellement ses pouvoirs en faveur de petites cellules
175
176
Annexe n°14
Témoignage de Hubert JEANNY, rencontré le 1er février 1997.
combattantes pratiquant la guérilla. Le morcellement spatial des unités disponibles
répondait parfaitement à la volonté de mettre en pratique ces théories.
Face à de telles conceptions se dégagèrent des propriétés organisationnelles qui se
souciaient avant tout d’appliquer une contexture reprenant presque intégralement celle en
vigueur chez les militaires. Les choix formulés corroboraient ces analyses puisque l’A.S.
s’érigea sur ce modèle, façonnant son fonctionnement interne sur celui pratiqué par les
armées traditionnelles.
III L’ABOUTISSEMENT : LA REALISATION D’UNE SYNERGIE
A/ L’EMPRISE DE L’A.S.
1/ Une mise sous tutelle des parachutages
L’Aube connut à l’été 1944 une modification de ses missions de par sa situation
géographique. Alors qu’originellement les armes devaient satisfaire uniquement aux
besoins des maquis régionaux, dans un second temps il fallut dorénavant soutenir
simultanément l’équipement de la Résistance icaunaise et donner du matériel aux équipes
du plan TORTUE (notamment attribuer des mines antichars dans le dessein de retarder les
blindés allemands durant leur progression vers le front de Normandie).177
Mi-1944, TOUBA (SEIGNEUR) assumait la direction interrégionale du B.O.A., les
transmissions avec le Centre parisien se réalisant grâce à Robert ROUILLON (MICHEL).
Mais les échecs prirent un caractère considérable et les autorités rappelèrent prestement
TOUBA à Londres. En avril 1944, Alain GROUT DE BEAUFORT (PAIR) le remplaça
dans la région P.
Une certaine confusion régnait alors en Champagne car Londres indiquait les
coordonnées de très vieux terrains à utiliser dont on ignorait visiblement en Angleterre s’ils
remplissaient à nouveau les conditions de sécurité requises. La résolution d’enfreindre
sciemment les règles admises ne fut prise qu’en raison de la nécessité d’armer à tout prix
l’agglomération parisienne, dans l’attente des combats libérateurs.178
En mai 1944, Edouard BAUDIOT (MARIUS) devint le départemental B.O.A. pendant
que Jean-Marie REYNAUD (FRANCOEUR III) faisait office de régional B.O.A. (Aube et
nord de l’Yonne ). Communément, André PAUTRAS les secondait, agissant comme agent
interdépartemental, transportant des fonds et des plis issus des parachutages. Il importe de
remarquer que le B.O.A. conservait seul l’habilitation à recevoir de l’argent et à le
redistribuer aux groupements concernés (à l’exception des Commandos M). L’entente avec
les F.T.P. ne cessa d’être excellente, comme le démontre le journal de marche de
MARIUS :
« Nous avons eu 4 parachutages en juillet-août 1944 qui furent attribués aux F.T.P. et il
me semble qu’un autre est allé dans l’Yonne. L’ordre de distribuer les parachutages nous a
été donné par l’état-major national, composé du commandant GILLOT (DUPRE) et du
commandant LAURENT (MATHELIN) que nous avons contacté à Estissac et qui nous
enjoignirent de signaler nos parachutages au commandant DEGLANE, ordres que nous
avons exécuté. »179
177
NA 10179
1 J 788
179
109 J 108
178
Ces délivrances de matériel engendrèrent l’ire d’ALAGIRAUDE qui émit des notes
comminatoires180. Dans le but d’apaiser ces tensions, BAUDIOT se rendit dans l’est du
département pour se placer sous la protection de l’A.S., d’autant qu’existait de nombreux
terrains dans le Barséquanais. MARIUS s’efforça par la suite de servir d’intermédiaire
privilégié entre MONTCALM et FRANCOEUR qui se trouvait en zone icaunaise, à Saint
Florentin.
Le 14 juillet 1944, BAUDIOT se présenta même avec Alain DE BEAUFORT au maquis
de Mussy, confirmant par là-même la place privilégiée de l’A.S. qui acquit
irrémédiablement la maîtrise sur le B.O.A. départemental (hormis dans la zone de la forêt
d’Othe). ALAGIRAUDE confirma ces faits en prescrivant « la remise des fonds à ma
personne et la répartition des armes aux troupes F.F.I. de l’Aube par nos soins, à
l’exclusion de tout autre canal. »181
En bref, le B.O.A. perdit progressivement sa sphère de liberté et une certaine
indépendance pour se placer sous l’égide de l’A.S. qui représentait le pivot de la
Résistance auboise de par sa faculté à intégrer civils et militaires dans le combat contre
l’occupant. Effectivement, l’A.S. domina successivement Résistance-Fer, Libération-Nord
puis le B.O.A., avant de changer notablement ses principes constitutifs. L’accroissement
sensible de ses composantes induit une nécessaire redistribution des fonctions rendues
obsolètes par la multiplication des organes dirigeants.
2/ L’introduction d’une inflexion stratégique
Avec l’augmentation de ses capacités humaines, ALAGIRAUDE demanda le 1er août
1944 à l’état-major de la subdivision, outre des besoins financiers pour le mois d’août qui
s’élevaient à 2.600.000. francs, l’équipement indispensable pour 3 bataillons et les troupes
territoriales. Dans une réponse au questionnaire adressé par la région 182, MONTCALM
estimait que son maquis comprenait à cette date environ 900 individus, gradés et soldats.
Selon les prévisions établies, les apports numériques permettraient d’atteindre 1500
membres à partir du 10 août : soit 3 bataillons de 500 hommes. La pesanteur de
180
Annexe n°16
Annexe n°10
182
Annexe n°14
181
l’encadrement militaire s’exprimait par l’uniformité de la fourniture des armes. Soit par
groupes de combat de 10 maquisards : 1 fusil-mitrailleur, 2 mitraillettes, 7 fusils, 15
grenades.
Pour les patriotes non présents au maquis, une division territoriale s’esquissait lentement
avec 900 personnes environ, soit 30 hommes par brigade de gendarmerie (il existait 30
brigades dans le département). Pour le 15 août, on escomptait que 500 d’entre eux
disposeraient d’un armement suffisant. Enfin, les réserves comportaient près de 3000
volontaires, chiffre en singulière diminution par rapport aux estimations primitives, à cause
du recrutement opéré par les diverses missions militaires interalliées implantées dans la
partie la plus septentrionale de la région.183
Pour étendre son autorité, l’A.S. consentit à inciter les F.F.I. de Haute-Marne à envoyer
des stagiaires état-majors et troupes à Mussy pour y puiser une instruction qui leur
permettrait d’intervenir dans les meilleures conditions. Cependant, peu après, les services
d’ALAGIRAUDE s’emparèrent d’un compte-rendu écrit qui se révéla une transcription
d’une entrevue entre WIEGAND, chef régional de la Gestapo et SPACH, intendant du
maintien de l’ordre en Champagne. Ce document témoignait de la valeur des informations
en possession de l’occupant quoique des imprécisions demeuraient quant à la réalité des
moyens matériels des résistants184. Mais bien qu’en état d’alerte, le regroupement de
Mussy subit une violente offensive des troupes allemandes les 2-3 août 1944 et dut se
replier pour ne pas connaître la destruction.
C’est pourquoi le 7 août 1944, suite à l’échec patent résultant de la concentration, la note
n°18 édictée par l’E.M. de l’A.S. reprit des conceptions opposées aux idées jusqu’alors
formulées et ardemment défendues. Assurément, l’insuccès constaté se comprenait par la
rigidité des formes prises par l’encadrement et par le refus d’accorder aux subordonnés une
part d’initiative. Dorénavant, l’axiome de base reposait sur de petits maquis essaimant dans
des contrées favorables pour couvrir la presque totalité de l’espace. Ensuite, il convenait de
fixer irrévocablement au siège de chaque brigade de gendarmerie une section dite du
territoire.
183
184
Archives DANESINI
Annexe n°11
Les premières formations seraient contrôlées par zone d’action du triple point de vue de
l’organisation, du ravitaillement et des directives tactiques par en théorie : 1 capitaine par 3
maquis de 30 hommes, 1 chef de bataillon par 12 maquis de 30 hommes. Quant aux
sections territoriales, elles se placeraient dans l’obédience du capitaine DENIS, officier
assisté d’adjoints qui se rendraient maître de 4 zones : nord-ouest, nord-est, sud-est, sudouest. Ces sections aideraient les groupes maquis, « y compris à fournir l’assistance par les
armes si le besoin s’en faisait sentir et si la demande leur en était faite expressément par le
commandement. »185
Un officier d’armement confiait le matériel à sa charge aux maquis, selon les
disponibilités, au fur et à mesure des arrivages. Il correspondait étroitement avec le B.O.A.
qui lui communiquait les inventaires des parachutages. A côté de ces obligations, l’officier
indiquait les emplacements appropriés de distribution. Le ravitaillement des troupes
n’intervenait que grâce à des bons de réquisitions réguliers remis aux habitants des villes et
des villages.
Une synthèse des développements antérieurs traduit les différences entre les mouvements
F.T.P. et A.S. qui tinrent principalement dans la confrontation entre deux postulats
distincts. Au sein de l’A.S., une hiérarchie rigoureuse l’emportait, avec un système avant
tout pyramidal et vertical où tout désir d’autonomie se trouvait fortement prohibé au profit
d’une soumission contraignante à l’encadrement. Au contraire, chez les F.T.P. s’instaura
un plus grand souci de la collégialité et donc de l’horizontalité des fonctions.
Mais tous s’accordèrent sur deux propositions : favoriser les groupements situés aux
limites territoriales auboises pour les rendre moins vulnérables aux éventuelles attaques
ennemies ; s’associer avec les aires limitrophes pour amalgamer les énergies et non les
fractionner. Il est vrai les F.T.P. aubois s’unirent aux Icaunais et aux Marnais lorsque
l’A.S. collaborait étroitement avec la Haute-Marne et la Côte-d’Or et que les Commandos
M veillaient à étendre leur influence sur la Marne et la Haute-Marne.
L’augmentation appréciable des rapports entre chacune des parties provoqua
indubitablement une remise en cause des préceptes longtemps acceptés. Les divers
commandements intégrèrent ces nouvelles réalités dans leurs organigrammes respectifs. Ils
cherchèrent à apaiser les antagonismes en acceptant de comparer leurs expériences dans le
185
110 J 101
but de mettre en exergue les dispositifs les plus favorables à la poursuite de la lutte
antigermanique.
B/ L’UNIFICATION DES STRUCTURES RESISTANTES
1/ La fédération de rassemblements antinomiques
A cause de l’opposition latente entre les F.T.P. et l’A.S., tant du point de vue tactique
que stratégique (désaccords entre centralisation et déconcentration, entre les délégations de
pouvoirs et l’existence d’un état-major restreint et omnipotent), les échanges entre tous les
mouvements ne purent s’épanouir que tardivement, ne faisant que refléter la vigueur des
tensions. La première réunion intermouvement se produisit seulement le 11 août 1944, au
château de la Cordelière près de Chaource.
Etaient présents : Maurice DUPONT, WATT, JACQUELIN et Charles RASETTI, tous
des Commandos M. ALAGIRAUDE et POIRIER côtoyaient les officiers alliés Nick
BODINGTON, du S.O.E., et le capitaine JACK, qui oeuvraient tout deux dans la Marne et
la Haute-Marne. L’absence de représentant de Libération-Nord et des B.O.A. marquait leur
inanité du moment tandis que les F.T.P. refusèrent de participer à ces conciliabules et que
manquait le lieutenant-colonel MATHELIN (LAURENT) de la subdivision P 3 qui devait
présider.186
Chacun des intervenants accepta quelques concessions concernant ses prérogatives et
l’accord put intervenir. Les Commandos M scindés en bataillons et l’équipe de JACK
restèrent à la disposition de MONTCALM sur le plan tactique dans le triangle TroyesMailly le Camp-Bar sur Aube. Administrativement, ils dépendaient aussi de lui. On définit
également les principaux emplacements des zones F.F.I. pour les régions de Chaource, de
Bar sur Seine, des Riceys et de la forêt d’Othe.187
Trois heures plus tard, MONTCALM reçut d’un agent de liaison envoyé par
MATHELIN l’ordre de se présenter au village des Bordes-Aumont, non loin de Troyes, où
186
SC 39175
un nouveau rassemblement était prévu. Il s’y rendit toujours accompagné de son chef
d’état-major, POIRIER. Ils y rencontrèrent : PETITBON, préfet clandestin ; THIERRY,
président du Comité Départemental de Libération, OUY, des F.T.P. et MATHELIN.
Les entretiens se déroulèrent dans un climat exécrable, LAURENT expliquant à
ALAGIRAUDE que celui-ci n’ayant pu réussir la fusion de toutes les forces clandestines
du département, il envisageait de le placer sous la subordination d’un lieutenant-colonel
qui prendrait les mesures idoines. MONTCALM protesta fermement contre ces arguments
fallacieux et réaffirma que seuls les F.T.P. avaient toujours rejeté toute idée d’intégration
au sein des F.F.I. Il se déclara même en position de force avec 3 bataillons armés et
instruits face à des F.T.P. jugés indisciplinés, souffrant de l’absence d’officiers de
réserve.188
Pourtant un compromis s’institua pour ne pas déconsidérer l’action de la Résistance,
d’autant que les Alliés s’apprêtaient à venir dans un laps de temps très court. PETITBON
atténua les difficultés en insistant pour une réconciliation. Il prôna la concorde, les F.T.P.
conservant leur zone traditionnelle d’influence autour de Romilly sur Seine tout en
reconnaissant MONTCALM comme unique responsable militaire départemental. YVAN
acquiesça à ces nouvelles directives. Par conséquent, la proximité de la libération de la
Champagne méridionale autorisa l’apparition d’unités résistantes s’accordant une aide
réciproque.
2/ La participation aux combats de la libération
Le 18 août 1944, le commandement procéda à une modification de l’organigramme de
l’A.S. Le 1er bataillon (BERNET) comptait 4 compagnies qui se situaient dans les bourgs
d’Auxon, Crésantignes, Chamoy. Le 2ème bataillon comprenait 5 compagnies cantonnées
dans les villages de Vauchassis, Villemoiron, Chennegy et Cormost. Enfin la compagnie
franche stationnait à Crogny, au sud de Troyes, pour entraver la retraite des détachements
de l’occupant.
La publication d’un ordre général préconisait l’application des modalités précédemment
adoptées : « se disperser aux environs du P.C. de compagnie en petits maquis de 30
187
SC 4273
hommes maximum (1 section), les maquis de 10 (1 groupe) étant préférables ; limiter les
sorties au minimum pour des questions de ravitaillement ; veillez à ce que les hommes
n’aient avec eux que le strict nécessaire afin de ne pas être encombrés et alourdis au
moment où seront reçus les ordres de se mouvoir. »189
Toutefois, c’est seulement le 19 août 1944, à Villemereuil, qu’ALAGIRAUDE et
POIRIER s’entretinrent pour la dernière fois avec OUY dans le but de compléter les
tentatives locales de fusion. Ceci avec l’assentiment généralisé d’YVAN, de PETITBON,
de THIERRY et de RINCENT. Les F.T.P. admirent de se placer sous la tutelle de
MONTCALM.
Consécutivement à la ratification de cette entente, DURLOT, laissé dans un corps de
réserve avec d’autres officiers, fut mis le 22 août à la discrétion des F.T.P. ralliés aux
F.F.I., en sollicitant un encadrement plus important190. L’agencement entre les
détachements devint effectif, l’A.S. l’emportant nettement dans les instances suprêmes de
direction.
Aussi le groupement sud du département put s’appuyer sur 2 bataillons (MARCEAU et
NICOLAS) à 4 compagnies de 115 hommes environ : 1 compagnie franche (veillant aux
missions spéciales, à la garde du P.C.), 2 compagnies F.T.P., 1 compagnie instruite par le
capitaine BOURGEOIS dans la région de Nogent-Romilly. L’armement des 2 bataillons et
de la compagnie franche était à peu près semblable avec 9 armes automatiques par
compagnie, plus un certain nombre de fusils, mitraillettes et grenades.
Chaque chef de bataillon possédait un organe de commandement composé de 6 agents de
transmissions sur motos ou bicyclettes, de 2 camions ou camionnettes susceptibles de
transporter rapidement sur un point quelconque une trentaine d’hommes et un secrétaire.
Une compagnie incluait parallèlement 3 sections à 33 hommes.
Chaque unité recourait aux compétences d’un médecin, de quatre brancardiers et d’un
infirmier, tous prêts à soigner les victimes. Les forces, légères et souples, se distinguaient
par des bagages peu volumineux. Dès leur entrée en campagne, toutes les troupes logèrent
188
1 J 793
109 J 101
190
109 J 99
189
et s’approvisionnèrent dans les localités rurales pour pourvoir à leur ravitaillement en
vivres.191
Lors de la phase de la libération, les 22-29 août 1944, les Commandos M protégèrent les
ponts de l’Aube pour favoriser la percée américaine. La majeure partie des maquisards,
soit 300 éléments, se groupa dans le quadrilatère formé par Avant-les-Ramerupt-Mesnil
Lettre-Ramerupt-Coclois pour contrôler la route de Troyes à Châlons et le triangle ArcisBrienne-Troyes. Une équipe demeura dans le secteur de Vendeuvre-Lusigny, une seconde
opérant à Payns, une troisième se préoccupant du secteur Précy-Lesmont-Brienne192. Ils
accompagnèrent et appuyèrent donc la progression des Alliés.
Dès la Libération, les Commandos M formèrent d’une part le 3ème Bataillon du 106ème
Régiment d’Infanterie, entièrement équipé avec du matériel parachuté. Une compagnie
partit en renfort en Haute-Marne pour terminer la délivrance de ce département selon les
instructions de Nick BODINGTON. De leur côté, les F.T.P. s’engagèrent dans le 2ème
Bataillon du 106ème Régiment d’Infanterie qui s’illustra lors de la campagne d’Alsace.
D’autre part, les combattants du maquis de l’A.S. formèrent les 1er et 2ème Bataillons du
131ème Régiment d’Infanterie en octobre 1944 avant d’affronter les armées allemandes
repliées autour des poches de l’Atlantique dans l’ouest de la France, au printemps 1945.
191
Annexe n°15
Au terme de la présente étude, il nous est possible de dégager plusieurs points
déterminants résultant des hypothèses de recherche développées antérieurement. En
premier lieu, il paraît indispensable d’insister sur l’étroite corrélation entretenue entre les
phases chronologiques de la période et les évolutions affectant les structures résistantes.
Ainsi, on ne peut mésestimer la situation géographique initiale de la lutte contre l’occupant
qui modela durablement les comportements. Les centres urbains constituèrent les milieux
dans lesquels émergèrent les éléments destinés à affaiblir l’oppression ennemie.
Dès lors, ces conditions influèrent sur les principes d’élaboration originelle. D’où la
faveur accordée à une propagande active, susceptible de toucher une population des villes
plus sensible aux difficultés quotidiennes et devant subir davantage la présence physique
de l’occupant. Un tel environnement explique sans nul doute que le monde rural n’ait pas
fait préalablement l’objet d’une attention soutenue pour y augmenter de manière notable le
concours de soutiens.
Ensuite, la seconde remarque concerne plus précisément l’Armée Secrète. Quoique
présentant un grand classicisme dans ses formes, reprenant de manière presque exhaustive
celles en vigueur dans les armées traditionnelles, elle s’inséra parfaitement dans
l’environnement clandestin. De surcroît, en dépit de son caractère intrinsèquement
militaire, l’Armée Secrète se manifesta comme le mouvement qui sut maintenir avec le
monde civil les relations les plus intenses et les plus constantes. Elle parvint à concilier
concurremment les aspirations des formations paramilitaires prêtes à se battre car déjà
expérimentées et les souhaits des unités s’évertuant à soutenir les efforts produits par ces
combattants.
De plus, le paradoxe de l’A.S. tint dans la place privilégiée qu’elle acquit à l’intérieur de
la Résistance départementale alors que ce fut le seul groupement aubois qui ne possédait
pas de liens réguliers avec un organe supérieur, parisien ou britannique. Malgré cette
192
NA 10092
originalité, l’A.S. cristallisa vivement la prévenance des responsables et proposa un
ensemble cohérent, strictement hiérarchisé, où les velléités d’autonomie des membres se
trouvaient singulièrement réduites. Seuls les participants appartenant à l’état-major
détenaient l’effectivité du pouvoir décisionnel.
Par ailleurs, on peut concevoir un parallèle entre les formes organisationnelles des F.T.P.
et celles des Commandos M, avec une volonté semblable de faciliter une déconcentration
des noyaux armés, même si les seconds s’attachèrent primitivement plus que tout autre
mouvement à une mobilité de leurs sympathisants.
En terme d’approches globales, les bilans semblent plus contrastés en raison des diverses
perspectives et stratégies adoptées. Si l’A.S. disposa de prime abord de plusieurs groupes,
elle consentit dans un second moment à n’en créer qu’un qui s’affirma comme le pôle
mobilisateur, doté d’installations propres à l’expansion d’un vaste camp. Puis devant
l’insuccès de cette tentative, elle revint ultérieurement à un accroissement substantiel de
petits maquis, avec une dispersion spatiale explicitement recherchée.
Au contraire, les F.T.P., fidèles aux missions traditionnelles attribuées à la guérilla, ont
toujours privilégié nettement la multiplicité de rassemblements numériquement restreints.
Ils estimaient que l’éclatement des forces, loin d’amoindrir leurs facultés offensives,
correspondait parfaitement aux exigences de la guerre clandestine. L’instauration de
conseils collégiaux, habilités à statuer en dernière instance, témoignait de ces priorités. Les
entités dépendantes du S.O.E. tinrent pareillement à éviter résolument les vaines
confrontations en s’attachant à promouvoir l’activité de patriotes disséminés sur tout le
territoire, tirant avantage des ordres fournis par les officiers alliés venus pour les instruire.
Or il faut bien comprendre que ces toutes ces modifications structurelles furent
davantage subies que voulues par les commandements concernés. Aussi, plus que tout
autre facteur, les circonstances même de la lutte influèrent sur la composition des
détachements et imposèrent des adaptations.
Les obstacles rencontrés pour exploiter complètement les énergies disponibles
témoignèrent d’influences extérieures contradictoires portant sur le département, les
mouvements exogènes éprouvant de la peine à greffer leurs organigrammes sur le cadre
local. En somme, la prédominance de l’A.S. révéla incontestablement que les
infrastructures résistantes sises en Champagne méridionale parvinrent en définitive à
s’épanouir pleinement, s’affranchissant des apports extrinsèques des contrées limitrophes.
INDEX DES PRINCIPAUX NOMS
ALAGIRAUDE, Emile (ROLAND, MONTCALM) : p 56, 58, 61, 63, 66, 67, 70, 73 75,
78, 80, 83, 89, 99, 102, 103, 105
ANGLADE, Joseph : p 42, 91
AYOT, Georges : p 8
AYRAL (PAL) : p 46, 47
BAILLET, Jean : p 6
BALDET, Raymond : p 7, 10
BALESTIE, Bernard : p 16, 17
BARDET : p 57, 66
BARRETT, Denis John (HONORE) : p 50, 92
BASSET, Raymond (MARY) : p 64, 65
BAUDIOT, Edouard (MARIUS) : p 20, 29, 37, 48, 49, 97, 98
BELL : p 49, 57
BERGANZ, Roger : p 38, 85, 86
BERNARD, Pierre (FLUTEAU) : p 44, 80
BERNET, Gérard (MARCEAU) : p 48, 49, 57, 67
BIDAUT, Roger : p 42, 43, 91
BIRER, Raymond : p 9, 23
BODINGTON, Nick (NICK) : p 95, 96, 102, 105
BONNEAU, Joseph : p 66
BOUCHARD, Léon (ALAIN) : p 37, 48
BOUGUIER, Alexandre : p 25, 56, 63, 67
BOURGEOIS, Paul : p 63, 104
BOUVIER : p 19
BRANDON, Paul : p 42, 43
BULARD, Marcel : p 9, 23
BURTIN, André : p 14
CETRE, Maurice (ANDRE) : p 40, 89
CHAPUT, Pierre (ROGER) : p 13, 40
CHUCHU, Pierre : p 75
CLAVEL, Pierre : p 20, 27, 57, 67
COLLIN, René (JEROME) : p 48, 49
COQUOIN, Roger (LENORMAND) : p 25, 55
CORMIER, Roger : p 95
COSSON, Abel : p 62
COUCHE, Charles : p 37, 38, 48
COWBURN, Benjamin (GERMAIN) : p 50, 51
DALIT, Maurice : p 13, 25, 26, 44, 55
DANESINI, Hubert : p 57, 62
DE LA ROCQUE : p 6, 21
DELATRONCHETTE, Emile : p 64, 75
DIE, Betty : p 18
DUCROIX, André (RICHARD) : p 36
DUPONT, Lucien : p 22
DUPONT, Maurice (YVAN) : p 52, 71, 92, 93, 94, 102, 103
DUVAL, Paul (LELOUP) : p 44
EGELE, Albert : p 13, 19
EULLAFFROY, Louis : p 88
FERAT, Pierre : p 19, 58
FONTAINE, Yvonne (WATERLOO) : p 51
FRANCOIS, Louis (ALBERT) : p 38
FREON, Marcel : p 17
GAGNIERE, Gaston (GASTON) : p 38, 85, 89, 90
GAUTHIER, Henri : p 13, 19, 20, 48, 57, 62
GEHIN, René (FELIX) : p 29, 35, 84, 86
GERVAIS : p 16, 17, 18
GIROUX, Maurice : p 16, 17
GRILLOT, François (GERMAIN) : p 28, 36, 37, 39, 86, 88, 89
GROSPERRIN, Charles (BUREAU) : p 22
GROUT DE BEAUFORT, Alain (PAIR) : p 97, 98
GUENIN, Marcel : p 67, 74
GUERIN, Jacques (AMPERE) : p 48
HAVERSIN, Jean : p 57, 64, 65, 67
HESTIN, Fernand : p 13, 19, 20
HOPPENOT, Jean (TERROT) : p 24, 25, 26, 54, 56, 57, 61, 66, 67, 70
HEURTEAUX : p 11, 19, 24
HUISARD, Pierre (MARTIN) : p 88
IMPERIAL, François (FRANCOIS) : p 86, 90
JACQUESON, Jules (ROBERT) : p 38, 40
JEANNY, Jacques : p 11, 57, 64, 65
JEANNY, Hubert : p 52
JEANSON, Hubert : p 38, 86
KILLIAN, Eugène : p 7, 8, 14, 23, 88
LAFOND, Albert (RIVOIRE) : p 86
LANCE, Paul (JEAN DUFLOT) : p 55, 63
LANEZ, Jean : p 57, 67
LANGEVIN, Paul : p 17
LAPIERRE, Georges : p 32, 33
LAPLANCHE, André : p 91
LESSUISSE, Marcel : p 38, 85, 86
MAHEE, Georges : p 19, 20, 25, 27, 48, 51, 55
MANSER, Gabriel : p 51
MARCHAND, Marcel : p 29
MARRET, Louis (MARTIN) : p 72
MATHELIN, Camille (LAURENT) : p 19, 20, 25, 98, 102
MAZUIR, Jean (LENOIR) : p 88
MAYER, Raymond : p 19, 20, 32, 48, 49
MERAT : p 73
MERLINGE : p 12, 19, 25, 30, 31
MONTENOT, Maurice : p 42, 91
MULLOT, Marcel : p 20
MULSANT, Pierre : p 33, 50, 51
MUTTER, André : p 19, 54, 55, 71
NIGOND, Roland : p 89
OUY, Pierre (HURET, DEGLANE) : p 38, 67, 72, 74, 75, 78, 98, 102, 103
OUZOULIAS, Albert : p 22, 35, 86, 89
PARISE, André : p 7
PAUTRAS, André : p 64, 71, 75, 97
PERGAUD : p 46, 47
PETEL, Fernand : p 63
PETITBON : p 102, 103
PICHARD, Michel (BEL, PIC) : p 46, 47, 48
PIQUEMAL, Jean-François : p 42, 91
PLANSON, Marcel : p 17
POIRIER, Jean : p 57, 72, 79, 80, 81, 102, 103
POIROT, René : p 14
PORTAILLER, Hugues : p 44
RASETTI, Charles : p 96, 102
REYNAUD, Jean-Marie (FRANCOEUR III) : p 97, 98
RINCENT, Germain : p 31, 41, 43, 71, 73, 91, 104
ROE, Maurice (BOUBOULE) : p 95
ROMAGON, Maurice : p 7, 18, 22
RONDENAY (JARRY) : p 75
ROULOT, René : p 23
SAUVAGE, Robert (ROBERT) : p 62, 65, 67, 71
SAVOUREY : p 24
SAWDEN, Alfred (LA FOUINE) : p 95
SCHMIDT, Paul (KIM) : p 47
SCHIMPF (LE COR) : p 25, 54
SOLIVELLAS, Nicolas (DEFOE) : p 11, 20, 57, 62, 64, 65, 67, 71, 75
TASCHEREAU, Jack (JACK) : p 95, 96, 102
THIERRY, Gabriel (CHATEAU) : p 26, 27, 31, 42, 43, 44, 71, 91, 102, 104
THOURAULT, Cyrille : p 51, 93
THUILLIER, Gaston : p 18, 29, 37, 38, 40
TILLON, Charles : p 28, 35
TOUBA (SEIGNEUR) : p 97
VANTALON, Jean (MARCEAU) : p 38, 88, 89, 90
VASSARD : p 27, 54
VIAT : 83
WATT, André (RASE-MOTTE) : p 92, 93, 102
WAUTERS, Georges : p 11, 13, 19, 20, 24, 25, 27, 32, 47, 54, 55
LE PREFET DE L’AUBE AU MINISTRE DE L’INTERIEUR
Le 30 janvier 1941.
Objet : détentions d’armes et menées anti-allemandes.
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance le fait suivant : un groupe de jeunes
hommes (10 à 12 identifiés pour le moment) vient d’être découvert à Troyes par le
Commissaire chargé de la Police Spéciale, comme se livrant à la détention et au
maniement d’armes de guerre.
Ces jeunes gens, dont la plupart appartienne à de bonnes familles et au milieu de l’ancien
Parti Social Français, tenaient des réunions dans des granges aux abords de la ville. Ils
portaient l’emblème de la Croix de Lorraine. Une douzaine de fusils LEBEL modernes,
des torpilles de 1,5 kilogrammes parfaitement entretenues ont d’autre part été saisis par la
Feldgendarmerie.
J’ai obtenu du Colonel-Feldkommandant et des services de la police, que l’enquête dont
les premiers éléments ont été découverts par la police française, fut continuée par elle.
Cette méthode permettra d’éviter aux coupables des peines particulièrement graves. Les
deux principaux meneurs ont été arrêtés.
Mes services de police recherchent actuellement de qui dépendait cette organisation qui,
de l’aveu des jeunes hommes arrêtés jusqu’à présent, était décidée à commettre un ou
plusieurs attentats contre les forces allemandes isolées, sur un ordre qui devait venir de
l’extérieur du département.
Il est à noter que plusieurs de ces agitateurs sont vivement désavoués par leur famille.
Deux d’entre eux ont été trouvés porteurs de la photographie du lieutenant-colonel DE LA
ROCQUE, membre du Conseil National. Il est à noter également que le colonel DE LA
ROCQUE est passé à Troyes le 14 janvier 1941 et a tenu au Buffet de la Gare une réunion
avec un nombre restreint de ses partisans. J’attends d’avoir réuni assez d’éléments sur cette
réunion pour vous en rendre compte en détail.
Dès à présent, j’ai la certitude que des consignes favorables à l’action de l’ex-général DE
GAULLE ont été données par ce chef de parti à ses représentants locaux. Ce fait, selon
toute apparence, n’est pas sans relations avec la recrudescence d’agitation anti-allemande
observée à Troyes depuis huit jours. Aussitôt l’enquête terminée, je m’empresserai de vous
en faire parvenir un compte-rendu d’ensemble.
Le préfet de l’Aube
Source : 110 J 10
COMMUNIQUE DE LA PREFECTURE AUBOISE
AVIS A LA POPULATION
2 avril 1941
Depuis quelques jours, on a pu remarquer que la lettre V avait été peinte sur de
nombreux murs de l’agglomération troyenne pour répondre à l’invitation d’un poste
d’émission étranger dont l’activité anti-française a été de nouveau récemment flétrie par le
Maréchal PETAIN, chef de l’état.
L’autorité occupante, considérant ces faits comme une provocation systématique, la
population est prévenue qu’une surveillance est organisée pour surprendre le auteurs de ces
inscriptions qui feront l’objet de sanctions sévères et immédiates.
Par ailleurs, tout propriétaire ou gérant d’un immeuble sur les murs duquel seront relevés
des signes de ce genre ou tout autre signe injurieux pour l’armée d’occupation, est invité à
effacer ces inscriptions s’il ne veut pas s’exposer également à des sanctions.
D’autre part, au cours de la première moitié du mois de mars, 20 employés d’un
établissement industriel troyen ont été arrêtés pour avoir distribué des tracts anti-allemands
ou pour ne pas avoir remis à la Kreiskommandatur de Troyes les tracts en leur possession.
Le cas étant le premier que l’on ait observé à Troyes, le Tribunal Allemand n’a condamné
les accusés qu’à une légère peine ; il est certain que si de nouveaux tracts de ce genre
étaient distribués ou détenus, les coupables seraient exposés à des peines beaucoup plus
sévères, par application de l’ordonnance allemande du 14 septembre 1940.
Le Préfet attire de nouveau l’attention de la population sur le caractère inutile et
dangereux de ces manifestations, qui risquent, si elles se renouvellent, de provoquer une
généralisation des sanctions prévues par l’autorité occupante.
Source : archives BIZZARI
CARTE DU B.O.A. : DIVISIONS DE LA FRANCE EN REGIONS
(AOUT 1943)
Source : 110 J 12
CARTE DES PRINCIPAUX MAQUIS DE L’AUBE (ETE 1944)
RAPPORT DE POLICE SUR LES MAQUIS DE L’AUBE
(JUILLET 1944)
Ainsi que je l’ai indiqué dans mes précédents rapports, les groupes de résistance
subsistent, les attentats et les sabotages ayant redoublé depuis le débarquement angloaméricain. Cependant, il est très difficile et même pour dire impossible de les situer
géographiquement ou de donner leur importance dans le département, étant donné que ces
groupes se déplacent fréquemment et le plus souvent de nuit, profitant des circonstances
territoriales indépendantes les unes des autres d’un canton à l’autre (de même d’un
département à l’autre).
C’est ainsi qu’il est à remarquer que le plus souvent leur coup fait, les groupes ou
détachements se retirent dans un autre département ou leur activité n’est pas connue
rapidement de la gendarmerie ou de la police (exemple : enlèvement de l’inspecteur
BALTHAZAR à Essoyes (Aube), assassinat de cet inspecteur à Ormoy sur Aube (HauteMarne).
Quant à parler des complicités locales, le sujet est beaucoup trop vaste pour qu’on puisse
s’y aventurer. On peut déclarer, sans crainte de se tromper, que la population ne donne
jamais à quelques rares exceptions près, le moindre détail sur les agissements ou les
déplacements des groupes. Ceux-ci bénéficient de la protection muette de la plus grande
partie des habitants, l’autre partie craignant de s’attirer des ennuis sans nombre et qui sont
d’ailleurs réprimés par les gens du maquis avec une sévérité qu’ils veulent donner en
exemple.
Bien plus, les services de police de sûreté n’ont pas hésité dans un rapport assez récent à
faire état de ces complicités qui se manifestent dans tous les milieux. C’est ainsi que les
chefs de groupes sont tenus au courant de tous les déplacements des forces et des
fonctionnaires de police. Les messages sont captés, les télégrammes dévoilés, le plus petit
renseignement aussitôt communiqué (assassinat du maire de Villemorien, quelques instants
après qu’il eût signalé à la gendarmerie, par téléphone, la présence de récipients parachutés
sur le territoire de sa commune).
Il en résulte que les liaisons entre groupes s’effectuent au mieux puisque dans un milieu
favorable. Il est à peu près certain (aucun message écrit important n’ayant été trouvé sur les
individus arrêtés jusqu’alors) que ces liaisons s’opèrent par l’intermédiaire de messagers
ayant appris par coeur le texte d’un ordre ou qui sont certains de pouvoir le transmettre
avec exactitude.
En ce qui concerne les ravitailleurs, il découle de ce qui précède que les cultivateurs sont
nombreux à apporter leur aide, si petite soit-elle, aux groupes armés. Les attaques, les
armes à la main contre les épiceries, les bureaux de tabacs, les fromageries, les laiteries
(pour l’octroi des tickets de rationnement) complètent suffisamment le ravitaillement des
groupes en question.
Il est encore à peu près certain que ces groupes disposent de dépôts d’armes et de
matériel et qu’ils connaissent les lieux de parachutages qui ne sont jamais les mêmes à
chaque voyage (des containers chargés d’armes ont été découverts dans les bois de Jully
sur Sarce mais jamais aucun autre n’a pu être aperçu dans les parages).
Pour conclure, j’insiste une fois de plus sur l’impossibilité matérielle dans laquelle je me
trouve de fournir des précisions. Je ne manquerai pas de vous informer de tous
renseignements qui pourraient parvenir à ma connaissance à ce sujet.
Source : 110 J 14
ORGANIGRAMME F.T.P. DE L’INTERREGION I 28 : MARNE, AUBE, YONNE,
COTE D’OR
(DEBUT 1944)
Commissaire Militaire Interrégional (C.M.I.R.) : François GRILLOT (GERMAIN)
Commissaire aux Effectifs :
Jean NICOLAS (GEO)
Commissaire-recruteur : Louis FRANCOIS
Commissaire technique : Maxime SALOMON
Commissaire à l’Organisation : Jules JACQUESON (ROBERT)
Adjoints : Marcel LESSUISSE (MARCEL 75)
Raymond ROGER
Chef régional F.T.P. : commandant Maurice CETRE (ANDRE)
ORGANIGRAMME F.T.P. DE LA REGION AUBE R 5:/I 28
(ETE 1944)
Chef départemental F.T.P. : Pierre OUY (DEGLANE, HURET)
Chef des maquis F.T.P. et Commissaire à l’Organisation Régionale (C.O.R.) : Gaston
GAGNIERE (GASTON)
Commissaire à l’Organisation Régionale Adjoint (C.O.R.A.) : Roland NIGOND
(DONALD)
Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.) : Jean VANTALON (MARCEAU)
Commissaire aux Effectifs Régionaux Adjoints (C.E.R.A.) : Jean MAZUIR (LENOIR)
Commissaires Techniques (C.T.) : Roger CHAPUT
Joseph CONTASSOT
Commissaires chargés du renseignement : Pierre MURARD (604)
Jean LE CROM (MARIUS)
Chefs de groupe : Charles COUCHE
Gaston THUILLIER
Maurice LAFFONT (RIVOIRE)
Liaisons : Madeleine CHALONS (Madame GILLES)
Rolande DIE (BETTY)
Arlette ROUSSEAU (FRANCOISE)
Liliane CATRIN (DANIELE ou MARIE)
Lucienne BLUGEOT (COLETTE)
Josette RIPOLL (DANY)
RAPPORT DU C.E.R. VANTALON
(1.07. au 15.07. 1944)
R 5 / I 28
I) Vu la dispersion des effectifs dans l’Aube, nous n’avons pas pu prendre contact avec
tous les F.T.P.F. mais la situation me semble assez bonne et par la suite de plus amples
renseignements vous seront fournis.
II) Les tournées faites par nous ne sont pas terminées mais déjà, je puis vous donner
quelques listes de groupes que nous avons repêché. Je suis parti en tournée à Bar sur Aube
où un groupe est formé à Fontaine, composé de 6 hommes et un chef de groupe, à Bar sur
Seine où j’ai pu reprendre contact avec un chef de groupe qui me fournira le nombre
d’hommes et la composition du groupe. Dans le secteur de Bouilly, Jeugny et Troyes, un
Commissaire aux Effectifs Régional Adjoint (C.E.R.A.) est au travail.
Arcis : groupe DANTON. Un chef de détachement et 19 hommes. Je dois aller prendre
contact avec un groupe à Bouy. Mais partout, nous trouvons une circulaire émanant de
MONTCALM qui commande les F.F.I. de l’Aube et qui enjoint à tous les hommes de
rejoindre le sud du département (où se trouve l’A.S.). Aussi, j’ai dit aux camarades de
rester où il se trouve, que seul nous devions leurs donner des ordres.
III) Il doit y avoir des fuites car ce que nous avions prévu pour le 14 juillet a été éventé et
la police a manifesté sa présence dans tous les parages. Au Bureau Militaire du 7 juillet, il
avait été décidé :
-de transformer les maquis en équipes (10 hommes), chose en cours.
-que le C.O.R. GASTON s’occuperait de la région de Chaource.
-de placer un homme au F.F.I., chose encore en retard.
Journée du 14 juillet : néant ou presque. Pas d’exécutions de traîtres et aucune action.
J’apprends en dernière minute qu’il faut aller à Nogent pour trancher une question entre les
militaires et le P.
Source : archives BIZZARI
RAPPORT SUR LES F.T.P. AUBOIS
(JUILLET 1944)
Comme il l’a déjà été indiqué dans mon précédent rapport du 15 juin dernier, le Parti
Communiste semble actuellement complètement désorganisé dans l’Aube depuis
l’arrestation de RINGENBACH, le 29 février 1942, qui a permis de dévoiler l’organisation
clandestine du parti et surtout depuis les opérations de police du 1er mars dernier qui ont
disloqué en grande partie la tête de l’organisation départementale des F.T.P. Il semble
important d’insister sur le fait que l’affaire RINGENBACH a, en mars 1942, provoqué une
certaine émotion.
L’instruction de cette affaire qui remonte à deux ans n’est pas encore terminé et, de plus,
les inculpés ont presque tous été remis en liberté provisoire. Parmi ceux-ci, un nommé
GEHIN René, militant communiste d’avant-guerre, domicilié impasse Beauregard
prolongée à Saint Julien les Villas, était après sa mise en liberté parti en Allemagne.
En octobre 1943, au cours d’une permission, il entra dans le mouvement F.T.P. de
l’Aube dont il ne tarda pas à devenir le Commissaire aux Effectifs Régionaux. Les
animateurs et les dirigeants de l’organisation F.T.P. étaient:
1) un surnommé PETIT MARCEL, demeurant à Sainte Savine, sans autre indication,
Commissaire de l’Organisation Militaire (C.O.M.).
2) un surnommé LOUIS logeant chez le cafetier PAULEN, rue Beauregard à Troyes,
Commissaire Technique (C.T.)
3) un nommé GEHIN René, demeurant Impasse Beauregard prolongée à Saint Julien les
Villas, Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.).
4) un nommé DHEILLY Georges, 85 rue Beauregard à Troyes, adjoint du précédent.
5) un surnommé GRAND MARCEL demeurant 11, rue des Trois Ormes à Troyes, chef
d’un détachement de F.T.P. à Troyes.
Il a pu être établi que le Commissaire de l’Organisation Militaire, le Commissaire aux
Effectifs Régionaux et le Commissaire Technique, se réunissaient en bureau militaire pour
discuter, élaborer les plans d’actions, les faire exécuter et juger de l’exécution par les
échelons inférieurs. C’était le Commissaire Technique qui était chargé de fournir en armes,
argent et vivres les membres du groupement, le Commissaire aux Effectifs Régionaux
n’étant qu’un répartiteur et un comptable.
Les membres de cette organisation ont participé à plusieurs vols à main armée et à des
assassinats. Ils recrutaient de jeunes réfractaires. Le résultat des opérations entreprises en
mars dernier a amoindri le mouvement communiste du département et depuis lors, aucun
tract ni aucune affiche n’a été découverte permettant d’en attribuer l’origine à des membres
de l’ancienne organisation.
Il est certain que malgré le succès incomplet de l’opération des forces du maintien de
l’ordre, le mouvement a été enrayé pour une assez longue période. Sept individus sont en
fuite:
1) LESSUISSE Eugène dit GRAND MARCEL, 24 ans, né le 11.09.1919 à Saint Dizier de
? et de STOCHERS Marie, marié, manoeuvre demeurant 22 rue Edmond BILLY à Sainte
Savine (Aube).
2) POILVE Marcel dit PETIT MARCEL, 32 ans, né le 28.01.1912 à Saint Parres les
Vaudes (Aube) de feu Alphonse et de PULOINE Marie, marié, six enfants, terrassier,
habitant 11 rue des Trois Ormes à Troyes.
3) GAGNIERE Gaston, Hilaire, Fabien, 31 ans, né le 28.04.1912 à Igny le Jard (Marne) de
Pierre et MALLIOCHON Juliette, marié, employé à la S.N.C.F. ayant demeuré à
Courteranges (Aube).
4) BERGANZ Roger, Henri, Jacques, 34 ans, né le 31.10.1909 à Troyes de Louis Jean et
de MULTIER Berthe, marié, garde-voies et communications, 41 rue Beauregard à Troyes.
5) ROMAJOT Charles, Marcel, 41 ans, né le 11.02.1902 à Troyes des feus Paul, Jules et
THEVENIN Julie, marié, sans enfant, bonnetier, 9 rue BOUCHER DE PERTHE à Troyes.
6) BOIGEGRAIN Helène, 41 ans, née le 28.07.1902 à Saint André les Vergers (Aube) des
feus Louis Charles et POIRSON Catherine, célibataire, bonnetière, rue du Beau Séjour à
Troyes.
7) DHEILLY Georges, Adrien, Louis, 33 ans, né le 28.12.1910 à Moreuil (Somme) de feu
Camille et de DELASALE Adrienne, marié, sans enfant, bonnetier, 83 rue Beauregard à
Troyes.
Les renseignements concernant les organisations dites de résistance se rapportent à ceux
donnés dans le paragraphe précédent. Dans le sud du département, il existait plusieurs
groupes, à savoir : groupes Stalingrad, FERROUIL, Truchot, PELLERIN, Patrie, Honneur,
les Alliés, la Marseillaise, CASANOVA, Valmy. Ces groupes s’étaient implantés dans la
région d’Ervy le Châtel en juillet 1943. Ils furent constitués au début par quelques
réfractaires locaux qui avaient pour chef Roger THUILLIER. Ces petites formations
avaient tout d’abord trouvé asile dans un pavillon de chasse situé dans les bois de
Lignières. Ils ont été aidés matériellement par Mr BAZIN, châtelain et maire de Chessy les
Prés, qui fut tué par la suite.
Ces individus se livrèrent jusqu’à la fin novembre 1943 à des sabotages et à des
exécutions de collaborateurs notoires très mal considérés. THUILLIER s’était adjoint
Robert MASSE et à partir de décembre commencèrent les agressions contre les
particuliers, les services publics, les épiceries et les bureaux de tabacs.
Au cours de l’attaque d’un convoi, THUILLIER fut tué par des soldats allemands,
MASSE blessé à ce moment réussit à s’enfuir et prit bientôt la tête du groupe. Sous sa
direction, les attentats contre les personnes s’amplifièrent et il fut décidé de son
remplacement par le centre de Troyes. Il mettait son successeur au courant des différents
systèmes de liaisons lorsqu’il a été arrêté.
A la suite d’une opération effectuée par la Police de Sûreté, l’organisation des groupes
fut complètement disloquée et un regroupement s’opéra dans la région des Riceys.
Un autre groupe beaucoup moins important s’était constitué vers la mi-janvier 1944 dans
un bois près de Soligny les Deux Etangs. Ce groupe a été attaqué par les troupes
d’occupation. Vers la fin mai, trois membres du groupe trouvés porteurs d’armes ont été
appréhendés par les forces du maintien de l’ordre. Leur interrogatoire amena l’arrestation
d’autres membres. Il s’agit de :
1) BORELLO ONOFRIO, Ercole, Richard, alias VICTOR ou SPAGHETTI, né le 18 mai
1923 à Rubiera (Italie), bonnetier, sans domicile fixe, ayant demeuré chez sa mère, 127 rue
Gornet Boivin à Romilly, naturalisé par décret en date du 30 mai 1930, déchu par décret du
1er mai 1941.
2) SAUVIGNON Charles, alias EUGENE, né le 13 août 1924 à Grandes Armoises
(Ardennes), ouvrier agricole demeurant à Courgenay (Yonne).
3) LACHAUSSEE Jean, Lucien, né le 28 février 1920 au Mériot (commune de Beaulieu
dans l’Aube), demeurant 5 rue COLLERON à Romilly sur Seine, conducteur de camions,
marié, deux enfants.
4) BISSON Bernard, alias BERNARD, employé S.N.C.F., né le 19.10.1913 à Courteranges
(Aube), demeurant 1 rue des Graviers à Nogent sur Seine.
Il n’est actuellement pas possible de recueillir les noms des individus présumés comme
pouvant appartenir à la Résistance, mon service ne possédant aucun des moyens qui
seraient susceptibles de mener à bien ce travail. On peut cependant remarquer qu’un
certain nombre d’individus ont quitté brusquement leur travail et leur domicile et n’ont
depuis donné aucun signe de vie. Il est à présumer que certains d’entre eux ont rejoint un
groupement de Résistance, obéissant ainsi à un ordre qui a dû leur être transmis.
Cependant, la plupart de ceux-ci se sont sans aucun doute réfugiés à la campagne dans la
crainte d’événements susceptibles de leur nuire (arrestation par la Milice ou par les
autorités allemandes à la suite du débarquement des armées alliées). Il n’est néanmoins pas
permis d’affirmer que ces individus font partie à coup sûr de la Résistance
Signé : le commissaire de police de sûreté
Source : 110 J 14
CARTE DES GROUPEMENTS DEPENDANTS DU S.O.E. (ETE 1944)
LETTRE D’ALAGIRAUDE A RONDENAY
(10 JUILLET 1944)
J’ai l’honneur de vous adresser :
1°. Le barème des soldes établi par mon groupement, ainsi que le montant des soldes et
indemnités qui en découlent pour le mois de juin 1944.
2°. La situation est celle existant au 30 juin 1944 (à noter que les effectifs F.T.P. n’ont pu
être contrôlés, qu’aucun des renseignements demandés ne m’est parvenu et que l’officier
de liaison n’a toujours pas rejoint). HURET, seul, a donné signe de vie par lettre en date du
7 juillet, me demandant 200.000 francs.
3°. Le service de renseignement du groupement que je commande rend compte que tout le
groupe F.T.P. dirigé par HURET demande à rallier mon groupement.
4°. Je vous demande de bien vouloir confirmer par écrit vos instructions de l’entrevue de
Saint-Cyr et d’Argenteuil, à savoir : remise des fonds à ma personne et répartition des
armes aux troupes F.F.I. de l’Aube par nos soins à l’exclusion de tout autre canal.
N.B. : Prière adresser fonds dès que possible
L’effectif armé à la fin de la semaine en cours sera de 500 hommes (F.T.P. exclus)
Source : 109 J 101
ETAT FRANCAIS
RAPPORT WIEGAND
16 JUILLET 1944
Préfecture régionale. Région de Châlons sur Marne
Compte-rendu de mon entretien du dimanche 16 juillet 1944, à 16H30, avec le chef de la
police allemande à Troyes (...).
Monsieur WIEGAND me dit alors qu'il va nous mettre au courant de ses constatations. Il
déclare qu'il a décidé de nettoyer le département de l'Aube en commençant par la région de
Romilly et en descendant vers le sud-est jusqu'à la frontière de la Haute-Marne. Il utilise à
cet effet un détachement spécialisé de feld-gendarmes, muni d'un armement approprié et
les troupes de passage de l'armée de terre ou de l'air.
Un premier engagement a eu lieu d'après ses déclarations dans la forêt de Rigny, aux
environs de Saint Loup. Là, son service avec les troupes du camp de Romilly aurait attaqué
un détachement de F.T.P. Ce détachement aurait été commandé par un nommé GUEGIN,
ancien gendarme. Il comprenait les gendarmes qui ont déserté à Nogent sur Seine et
disposerait du véhicule amené par ces gendarmes lors de leur désertion.
Des individus nommées RIVOIRE et KANDINE dont il ne m'a pas été donné d'autres
précisions seraient les animateurs de ce groupement qui aurait également l'aide d'un
médecin nommé LUPAS. Ce groupement aurait été en contact avec des F.T.P. opérant du
côté de Dizy-Magenta et l’on aurait retrouvé une relation avec l’affaire DE VOGUE.
Monsieur WIEGAND déclare ensuite qu'une opération a eu lieu dans la région de
Marcilly-Aix en Othe. Là, les Allemands ont attaqué un camp de l'Armée Secrète qui
comprenait 310 hommes. Ils ont été anéantis, en particulier 50 terroristes. Les terroristes
disposaient d'un armement redoutable en particulier de petits lances-grenades, appelés
tuyaux de poële. Un important butin en armes et matériel de campement est resté aux
mains des Allemands.
D'anciens militaires de l'armée d'armistice faisaient partie de ce groupe. Enfin,
actuellement les troupes allemandes sont sur la piste d’un groupement de résistance du côté
d’Essoyes, Cunfin et Landreville. Ils ont arrêté un dénommé André MASSIN, né le 22
janvier 1914 à Bertignolles, domicilié à Saint André les Vergers, près de Troyes, 29 rue
THIERS. Cet individu a essayé en prison de se suicider en s’ouvrant les veines, mais il
pourra bientôt être interrogé et fournir des explications et des indications. Le groupe
d’Essoyes serait dirigé par un dénommé GASTON.
Monsieur WIEGAND déclare ensuite qu’il n’y a plus que deux organisations : les F.F.I.
et l’A.I.S. Les F.F.I. comprendraient selon lui 2000 hommes mais beaucoup d’adhérents
partis le 6 juin ont regagné leur domicile légal, estimant que ce n’était pas encore le
moment.
Monsieur WEIGAND dit qu’il existe quelque chose de beaucoup plus dangereux : c’est
l’A.I.S., Armée de l’Intelligence Service. Cette armée comprend environ 400 hommes
stationnés dans la région des Riceys. Elle est dirigée par un commandant qui porte le nom
de guerre de MONTCALM. Elle comprend des officiers anglais et français, parachutés, qui
constituent la plus grande partie des cadres. Elle comprend en outre un certain nombre
d’individus qui travaillent avec les services secrets anglais.
Les hommes de ce groupement sont revêtus d’uniformes kaki. Ce groupement aurait
trouvé une aide très précieuse auprès de la gendarmerie en général et même d’officiers. Ce
groupement aurait son camp près des Riceys. On trouverait dans ce camp des membres
affiliés au groupement des G.M.R. de Bourgogne qui ont déserté et des militaires du 7ème
Régiment, 7ème escadron de la Garde qui ont également déserté.
Ce groupement disposerait de deux chars et d’un armement très complet. Il détiendrait en
outre un certain nombre de prisonniers allemands (soldats allemands enlevés récemment
dans la région). Ce groupement disposerait de moyens de transport très rapides et aurait
commis de nombreux sabotages. Ce serait lui en particulier qui aurait commis des
sabotages importants à Troyes (vols d’essence à Saint Julien les Villas par exemple), les
destructions d’arbres au bord des routes. Ses membres partiraient en petits commandos
depuis la région des Riceys jusqu’à Brienne le Chateau et dans la Haute-Marne. Monsieur
WIEGAND est en train d’étudier de très près l’évolution de cette situation.
Je réponds à Monsieur WEIGAND que pour la police française, la question se présente
comme suit : il y a d’abord des groupements dissidents qui font du banditisme pur, des
anarchistes agissant pour leur propre compte. Il y a ensuite les F.T.P. du Front National.
Enfin il y a la Résistance proprement dite qui a un caractère avant tout militaire, alors que
les deux premiers groupements cherchent avant tout à troubler l’ordre moral et social.
Je déclare à Monsieur WEIGAND que, en ce qui concerne les groupements opérants
pour leur propre compte et les F.T.P., la police française à des moyens suffisants pour
intervenir. Par contre, en ce qui concerne les autres formations, on est en présence
d’opérations militaires qui dépassent nos moyens et de plus, la neutralité de la population
et de l’administration française dans le conflit, rend l’exécution de ces missions
impossibles. Lorsque nous sommes au contact de pareils groupements, nous ne pouvons
que nous retirer et rendre compte ; conformément aux instructions reçues, nous ne pouvons
assumer le combat. Monsieur WIEGAND donne son accord à ce sujet (...), prend acte de
ces déclarations. L’entretien est terminé.
Avant de partir, je résume encore une fois les distinctions à faire entre les trois formes
différentes de terrorisme et de banditisme auxquels nous pouvons nous heurter :
groupements dissidents ou anarchistes ; F.T.P. ; organisations paramilitaires. J'insiste sur le
fait que si la lutte contre les deux premières est entièrement de notre ressort et de nos
moyens, l'attaque de groupements plus importants nous échappe à la police comme à la
Milice. Nous ne pouvons que rendre compte directement à la sûreté allemande ; la police
continuera comme d'habitude à envoyer ses notes d’urgence sur les attentats commis.
Signé : l'intendant régional du maintien de l'ordre
Source : archives DANESINI
MISSIVE DU CHEF DEPARTEMENTAL F.F.I. AU COMITE
D’ACTION S.N.C.F. (21 JUILLET 1944)
1°. Les ordres actuellement en vigueur précisent :
A) L’arrêt total de la circulation des trains, soit par la destruction d’ouvrages à l’exclusion
des gros ouvrages dont la reconstruction nécessiterait de trop longs délais, soit par
déraillements ou destructions de rails.
B) La non-réparation des destructions par les cheminots (beaucoup d’ouvrages ont été
réparés trop rapidement ; cette action est regrettable).
2°. Depuis le 6 juin, nos équipes s’emploient activement à l’interdiction de la circulation
des trains et aux destructions de toute nature. Notre organisation est la suivante :
-d’une part, des équipes sédentaires réparties sur différentes lignes.
-d’autre part, des équipes volantes partant du maquis, destinées à opérer de concert avec
une force armée. Toutes ces équipes détiennent une certaine quantité d’explosifs.
Pour coordonner l’action de tous ces éléments, le commandant ordonne :
A) Le chef cheminot responsable des sabotages prendra la direction et ordonnera toutes les
actions qu’il jugera nécessaires.
B) En cas de destruction nécessitant la force armée, une liaison sera préalablement établie
avec l’équipe volante du maquis.
C) Un compte-rendu mensuel de toutes les opérations devra parvenir au commandant des
F.F.I. pour le 20 du mois. Un compte-rendu immédiat sera adressé à l’Etat-Major après
chaque grosse opération.
D) Une grève générale devra être préparée et déclenchée au moment où l’offensive angloaméricaine progressera. Les cheminots en grève assureront leur sécurité, soit en se
réfugiant à la campagne chez des parents ou des amis, principalement en dehors des grands
axes encore sous le contrôle de l’ennemi, soit en venant s’abriter au maquis.
Source : 109 J 101
RAPPORT MENSUEL SUR L’ACTIVITE TERRORISTE ET SA
REPRESSION
Le commissaire principal de police de Sûreté à Monsieur le Commissaire principal, chef de
la 12ème Brigade Régionale de police de sûreté à Reims.
Reims, le 31 juillet 1944
Depuis un mois, la situation s’est grandement aggravée et ne fait qu’empirer. La fièvre
s’est transformée en délire : c’est près de 500 attentats (au lieu de 250 pour la même
période correspondante) qui ont été enregistrés et le courant ne fait que croître en intensité.
Dans l’Aube, d’après les Allemands, les F.F.I. auraient 2000 hommes, bien que depuis le
6 juin, une partie importante des adhérents serait rentrée chez elle, le moment d’agir
n’étant pas encore arrivé. Il semble en effet que plusieurs rassemblements ont été dissous :
celui dans les bois de Luyères contre lequel nous avions fait une expédition, celui de
Maraye en Othe et celui de Rigny le Ferron attaqués par les Allemands. Il ne doit subsister
que de petites équipes spécialisées dans les sabotages.
Par contre, il existe dans la région d’Essoyes-Bar sur Seine une forte troupe disposant
d’un matériel moderne et puissant de l’aveu même des Allemands. C’est là que seraient
notamment des éléments divers de l’armée, de la garde, de la gendarmerie, de la police
ayant quitté leur poste. En plus, il faut compter avec de petits groupes qui se sont
constitués à l’initiative de quelques uns. Sur les F.T.P., on ne possède pas de
renseignements. Enfin des bandits intrinsèques exploitent la situation.
Pour Troyes et dans un cercle de 15 kilomètres de rayon, on note 97 attentats de tous
genres. Les sabotages de toutes les voies ferrées partant de Troyes sont nombreux. Les
assassinats se montent à 10. Pour le reste, gamme de vols. La région de Bar sur Aube
enregistre 15 attentats ferroviaires, 3 assassinats, 4 vols et une mutinerie à la maison
centrale de Clairvaux. Dans la contrée de Nogent sur Seine-Romilly sur Seine, pour 4
sabotages et 1 assassinat, on trouve 20 vols. Dans le canton de Piney, ce sont les vols qui
prédominent, 7 contre 3 sabotages et un triple enlèvement. Dans la vaste surface que
recouvre les forêts d’Othe et d’Aumont, on se trouve en présence d’une vingtaine de
cadavres, de quelques sabotages et d’une cinquantaine de vols. Les canton d’Ervy et de
Chaource, qui y sont inclus, ont été de tout temps la terre d’élection des F.T.P. Enfin dans
le canton de Bar sur Seine existe un mélange d’assassinats (15), de sabotages (10) et de
vols (15).
BILAN DES ATTENTATS (juillet 1944)
AUBE
HAUTE-
MARNE
MARNE
Assassinats et tentatives (dont
meurtres de 3 membres de la
police en service commandé et
65
9
6
de 5 soldats allemands)
Enlèvements
11
1
0
Disparitions signalées
1
0
0
Agressions contre mairies et
43
1
11
Vols de tabac
40
11
32
Attentats contre voies ferrées et
81
17
20
Destructions de pylônes
7
2
7
Destructions diverses
3
1
8
Incendies
2
1
0
Destructions matériel agricole
2
0
0
Vols camions et automobiles
10
2
9
Vols divers
43
6
6
Manifestations de force par les
4
2
10
administrations
dépôts S.N.C.F.
bandes armées
Source : archives départementales de l’Aube 300 W 108
REPONSE DE L’ARMEE SECRETE AU QUESTIONNAIRE
DEMANDE PAR LA REGION (NOTE N°178)
I EFFECTIFS PAR DEPARTEMENT
A/ Forces actives.
Maquis principal commandé par le commandant MONTCALM.
1200 gradés et hommes. Selon les prévisions établies, cet effectif sera porté à 1500 à partir
du 10 août : soit en gros, 3 bataillons à 500 hommes.
Armement uniforme, soit par groupe de combat de 10 hommes : 1 fusils-mitrailleur, 2
mitraillettes, 7 fusils, 15 grenades. En outre, chaque bataillon est doté d’engins et de
grenades antichars.
B/ Non-maquis. Une organisation territoriale est en voie de formation.
Son effectif sera porté à 900 environ, soit 30 hommes par brigade de gendarmerie. (il
existe 30 brigades dans le département). L’armement de cette formation est commencé.
Pour le 15 août, on peut compter que 500 hommes environ seront armés.
C/ Réserve. 3000 environ.
Cette réserve a baissé par rapport aux estimations primitives du fait d’un recrutement
opéré par des missions militaires interalliées existant dans le nord du département.
II COMPOSITION DE L’ETAT-MAJOR DEPARTEMENTAL
Commandant départemental : commandant MONTCALM
Chef d’Etat-Major : commandant DUPONT
Commandant du 1er bataillon : commandant MARCEAU
Commandant du 2ème bataillon : commandant NICOLAS
1er bureau : capitaine ESPOIR
2ème bureau : capitaine LEFORT
3ème bureau : comandant DUPONT (déjà cité comme chef d’E.M.)
4ème bureau : capitaine FEBVRE
III FINANCES ET MATERIEL
A/ Etat des finances
Mai
Reçu de DURIEZ : 50.000 francs
Reçu de CLAUDE : 150.000 francs (perçu par HURET directement, somme
contestée, à éclaircir avec CLAUDE)
8 juin
Reçu de CLAUDE : 1.000.000 de francs
9 juin
Reçu opérations sur perceptions diverses : 175.000 francs
14 juin
Don d’un industriel : 100.000 francs
23 juin
Reçu de CLAUDE : 1.000.000 francs
5 juillet
Don d’un industriel : 100.000 francs
31 juillet
Don d’un industriel : 50.000 francs
Total : 2.626.000 francs
Les divers paiements et la solde ont absorbé 2.000.000 de francs à la date du 31 juillet
1944.
B/ Armes reçues depuis mai : au total 9 parachutages.
C/ Il n’existe aucun appareil-radio permettant de communiquer avec la subdivision ou
l’état-major national.
IV CONTACTS AVEC DES OFFICIERS ALLIES
Un contact a été établi avec un officier canadien. 3 parachutages sont déjà arrivés par son
canal. Des parachutages massifs sont attendus prochainement. Cet officier canadien est
mandaté par le général KOENIG.
Des opérations d’un caractère essentiellement militaire et concernant strictement le
département de l’Aube (actions contre les agents de la Gestapo et actions de sabotage) sont
en cours après accord.
Des opérations militaires de plus grande envergure seront étudiées et exécutées après
entente entre les deux états-majors (français et inter-allié), toujours dans le cadre du
département de l’Aube.
J’ai été amené à prendre contact avec l’officier canadien JACK en raison d’un besoin
d’armes. Je me trouvais en effet sans moyens après la trahison de HURET. Le B.O.A.
n’avait pas encore repris la liaison avec Londres. La presque totalité de mon maquis n’était
pas armé (100 hommes seulement l’étaient). La situation à cette époque était tragique. Le
premier parachutage ne m’est arrivé que le 6 juillet, soit un mois après la formation du
maquis que je commandais.
V DIFFICULTES
RENCONTREES
DANS
L’EXERCICE
DE
MON
COMMANDEMENT
Des difficultés en nombre considérables et de toutes natures ont jusqu’alors été
surmontées grâce à la technique et au dévouement de tous mes officiers et hommes de
troupe. La formation d’un maquis unique de 1200 hommes tel qu’il existe actuellement et
dont tous les rouages sont coordonnés, constitue une opération de grande envergure. Mon
organisation a même incité les groupements F.F.I. Haute-Marne à m’envoyer des stagiaires
état-major et troupe pour y puiser une instruction qui leur permettra de travailler dans de
meilleures conditions.
Un seul obstacle, c’est toujours le même et je n’y reviendrai jamais assez est l’attitude
plus qu’équivoque de HURET. Tout dernièrement encore, il arrêtait deux artificiers de
mon groupement qui avaient pour mission d’opérer des destructions sur la ligne de
Châlons. Je suis décidé à user de représailles sévères contre cet individu de bas-étage.
Signé : MONTCALM, le 1er août 1944.
Source : 109 J 101
F.F.I. AUBE
Opérations 3ème Bureau
GROUPEMENT SUD-ORDRE N°1
1) Le groupement sud du département aux ordres du commandant MONTCALM
comprend 2 bataillons à 4 compagnies :
1er bataillon MARCEAU
2ème bataillon NICOLAS
-1 compagnie franche (mission spéciale, liaison , garde du P.C.)
-2 compagnies F.T.P. dont on ignore l’effectif réel et l’armement
-1 compagnie aux ordres du capitaine BOURGEOIS dans la région de Nogent-Romilly.
Armement inconnu.
2) ARMEMENT
L’armement des 2 bataillons et de la compagnie franche est à peu près uniforme et
comprend : 9 armes automatiques par compagnie, plus un certain nombre de fusils,
mitraillettes et grenades. L’effectif par compagnie est d’environ 115 hommes.
3) COMPOSITION D’UN BATAILLON
Un bataillon comprend 4 compagnies à 3 sections. En outre, dès maintenant, chaque chef
de bataillon devra se constituer un organe de commandement composé de :
a) 6 agents de transmissions sur motos ou bicyclettes (2 pour les liaisons avec le
commandant MONTCALM et 4 pour les liaisons entre les unités)
b) 2 camion touristes
c) 2 camions ou camionnettes susceptibles de transporter rapidement sur un point
quelconque une trentaine d’hommes
d) 1 secrétaire et 2 plantons
4) COMPOSITION D’UNE COMPAGNIE
Une compagnie se décompose en 3 sections à 33 hommes plus un organe de
commandement de 5 hommes. En outre, chaque unité doit prévoir un médecin, 4
brancardiers avec brancard de fortune à confectionner, 1 infirmier avec une trousse
d’infirmerie.
5) MODE D’ACTION GENERALE DES UNITES
Elles devront être légères et souples, les bagages restreints au minimum. Dès leur entrée
en campagne, toutes les troupes logeront et s’approvisionneront dans les villages. Chaque
unité pourvoira à son approvisionnement en vivres. Si possible, le commandement donnera
deux jours de vivres de réserve.
6) OPERATIONS PROPREMENT DITES
Phase préliminaire
Interdire par tous les moyens la circulation sur les routes : Sens-Troyes, Saint FlorentinTroyes, Châtillon-Troyes et les routes secondaires que l’ennemi pourrait emprunter. Les
coupures seront effectuées par des compagnies sous la direction d’un capitaine. Le point de
rupture devra être choisi de telle manière que les voitures ennemies ne puissent utilisées les
abords immédiats de la route pour éviter l’obstacle. La coupure consistera en abattis sur
une longueur de plusieurs centaines de mètres. L’obstacle sera battu par le feu.
P.C., le 21 août 1944
Le commandant départemental
Signé : MONTCALM
Source : archives DANESINI
CORRESPONDANCE ENTRE ALAGIRAUDE ET LE
COMMANDANT DE LA SUBDIVISION
Août 1944. Additif à l’ordre d’opérations n°3 (note N°209)
J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’un fait très grave vient d’être porté à ma
connaissance par les chefs B.O.A. du département que je commande. Toutes les armes
parachutées dans l’Aube depuis le début d’août ont été mises par FRANCOEUR III, chef
interrégional, à la disposition de HURET. Or je ne puis accepter cette manière de faire.
D’abord parce que je suis le seul chef qualifié pour armer le département et aussi parce que
je suis responsable de l’ordre dans ce même département, ordre qui est profondément
troublé précisément par des éléments que HURET contrôle.
Je reçois des plaintes de tous côtés chaque jour et je suis loin de tous connaître car les
gens ont peur de parler. D’autre part, vous n’ignorez pas les desseins de prise en main du
pouvoir par ce même parti et cela par tous les moyens dès le départ de l’ennemi. Nous
n’avons donc pas le droit ni vous, ni moi, de laisser se perpétrer une telle chose et je vous
demande de donner des ordres immédiatement pour que ces armes me soient remises sans
délais car j’ai tous les éléments sains du département à armer.
Si vous n’intervenez pas, vous porterez alors seul devant le commandant en chef la
responsabilité des actes graves qui ne manqueront pas de vous être reprochés. Enfin, si je
n’ai pas satisfaction dans les 48 heures, je prendrai les dispositions que m’imposent mon
commandement.
Source : 109 J 101
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