LA COMMUNAUTÉ ET LA FRATERNITÉ, PILIERS DE NOTRE CONSÉCRATION Prot. N. PG. 0650/01 À tous les frères de l’Ordre Mes chers frères, Je me retrouve à Rome, après avoir présidé tous les chapitres provinciaux et je rends grâce à Dieu pour le bien qu’ils ont suscité dans l’Ordre. Au moment où je vous écris, les supérieurs majeurs se trouvent réunis à la Nocetta; 50% d’entre eux ont été reconduits et les autres assument cette responsabilité pour la première fois. Je vous écrit cette lettre le jour de la fête de l’archange saint Raphaël qui a été si important pour saint Jean de Dieu, pour la tradition de l’Ordre et continue à l’être comme médecine de Dieu qui soulage les souffrances et comme frère aîné qui étend son aile protectrice sur nos vies. Je le prie de veiller sur notre Ordre, sur nos provinces, sur nos communautés et sur chacun d’entre nous; je le prie d’être frère de ses frères et de nous aider à l’être les uns pour les autres. Je vous ai dit à plusieurs reprises que nous accomplissions du bon travail et que nous devrions nous en sentir satisfaits parce que c’est Dieu qui agit par notre intermédiaire. Il nous faut toutefois revoir, améliorer et changer tant de choses encore. L’une d’entre elles concerne la vie fraternelle et la communion tellement importantes pour la vie des frères et des communautés. Il existe des facteurs de division, dans certains endroits plus que dans d’autres certes, et je vous invite instamment à tout mettre en œuvre pour les éliminer. Les nombreuses diversités qui nous distinguent ne devraient pas constituer une difficulté pour la vie communautaire mais être perçues comme un don qui nous enrichit et nous permet de valoriser la fraternité et la communion. Je ne souhaite nullement philosopher sur cette question, mais apporter des éléments qui éclairent la vie de la communauté. Je m’étais promis d’aborder ce thème pendant mon mandat car j’estime que nous ne vivons pas suffisamment l’idéal de fraternité et de communion auquel nous invite le n.27 de nos constitutions. J’aimerais que la fraternité et la communion deviennent des piliers solides qui étayent notre consécration. 1 1. L’Église nous invite à la communion Le magistère de l’Église présente à maintes reprises la communauté comme étant l’idéal de vie pour les religieux « en se construisant comme un espace humain habité par la Trinité » (VC 41). Nous connaissons tous le document de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique publié en 1994 et intitulé « La vie fraternelle en communauté ». Je vous invite à reprendre ce texte, à le lire dans un climat de prière et d’en faire l’objet de vos réflexions pendant vos réunions de famille. L’introduction de ce document nous rappelle l’idéal auquel doit tendre toute communauté religieuse. Pendant les quarante dernières années, les changements ont été multiples et ceux d’entre nous qui avons connu le régime de l’uniformité les percevons davantage. À un moment donné nous les avons jugé nécessaires et souhaitables et nous en attendions beaucoup. Aujourd’hui, certains d’entre nous se sentent déçus parce qu’ils n’ont pas apporté tout ce que nous en escomptions. J’aimerais examiner ici les raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans la situation actuelle et vous donner quelques lumières pour vous aider à réfléchir sur la manière d’y remédier. Je suivrai pour ce faire la piste de réflexion ébauchée dans le n. 7 du document que je viens de citer. 2. Notre communauté comme don. Nous devons remercier Dieu pour tous les dons qu’il nous offre gratuitement : la vie, la santé, l’intelligence, la foi, la vocation pour n’en mentionner que quelques uns. Les expériences passées, les difficultés, le moment présent influent sur la manière positive ou négative de percevoir ces dons. Quoi qu’il en soit, nous devons tous nous efforcer de vivre ce que Dieu nous offre comme un don; nous devons acquérir la capacité de lire notre vie avec le regard de la foi et d’accepter notre communauté comme un don. Ceci ne signifie nullement que nous devions rester passifs et ne pas rechercher des solutions quand les situations nous semblent peu claires ou même injustes, mais nous devons le faire avec une attitude positive car nous sommes convoqués par Dieu avec nos frères pour vivre le don de la même vocation religieuse hospitalière. Si nous adoptons cette attitude, nous éliminerons beaucoup de causes d’insatisfaction sur le plan personnel et communautaire. Pour arriver à transformer les rapports humains et créer un nouveau type de solidarité nous devons vivre « pour » Dieu et « de » Dieu (VC 41). Nous commençons notre vie religieuse avec un grand élan d’enthousiasme convaincus d’avoir répondu à l’appel du Seigneur et d’avoir découvert un grand trésor. Cette conviction nous permet de vivre des moments forts, exigeants, sans retour : quitter notre famille, opter pour un état de vie, entrer dans l’Ordre comme lieu de notre épanouissement, se réjouir de la nouveauté qu’offre la vie communautaire, se réjouir de la nouveauté que représente le service des malades et des démunis. Tout, à ce moment là, a la couleur de l’espérance. Nous avons tous accomplis de nombreux sacrifices pour nous préparer à la mission. 2 Je parle au passé car c’est moi qui vous écrit et je suis depuis plus de trente-sept ans dans l’Ordre. Ce que je décris est vrai pour de nombreux frères et les postulants, les novices, les scolastiques et ceux qui viennent de faire leur profession solennelle vivent ce même état d’esprit. J’espère que cette lettre aidera ceux qui sont encore dans cette étape de leur vie à mieux comprendre ce qui les attend peut-être dans l’avenir. La communauté doit devenir toujours davantage pour nous une réalité théologale, car elle est la manifestation de la présence de Dieu, « le lieu privilégié où l’expérience de Dieu doit pouvoir être atteinte dans sa plénitude et être communiquée aux autres »(Const. 27). Je ne parle pas ici d’une communauté théorique, mais de celle à laquelle j’appartiens, celle que forme ma Province, celle dans laquelle je vis. Ma communauté où je rencontre du positif et du négatif car ceux qui la composent sont des êtres humains avec leurs richesses et leurs faiblesses. Au début de la vie religieuse nous rêvons d’une communauté parfaite. Nous pensons parfois que ceux qui nous connaissent le mieux dénoncent les incohérences qui existent dans nos communautés. Si nous avions pu trouver une communauté parfaite elle représenterait un vrai don du ciel. Le Seigneur nous a donné de vivre dans une communauté moins parfaite, peut-être pas aussi idéale que nous le souhaiterions, mais pas moins réalité théologale pour autant. Il est parfois difficile d’accepter que la communauté dans laquelle je vis est celle que Dieu avait prévu pour moi en ce moment précis de ma vie; que c’est la réalité théologale dans laquelle je dois me développer sur le plan spirituel; que c’est dans cette communauté que je dois être le témoin de Jésus, bon Samaritain et signe de la communion fraternelle. Je dois comprendre que c’est dans ma communauté que je dois vivre l’esprit de saint Jean de Dieu et que celle-ci représente un don qui me vient de Dieu. Peut-être en aurais-je préféré une autre, mais Dieu m’a destiné celle-ci. Il faut que nous comprenions que notre Ordre, la Province à laquelle nous appartenons et la communauté dans laquelle nous vivons sont un don de Dieu. Une telle acceptation requiert parfois un grand acte de foi qu’il faut répéter chaque jour. Il n’est pas toujours facile d’accepter la volonté de Dieu ni les difficultés que nous rencontrons par moments dans nos communautés. C’est pour cela précisément que la communauté constitue une réalité théologale qui nous aide à accomplir une telle démarche. La communion avec Dieu nous fait apprécier ce don et vivre avec joie la communion fraternelle. Nous devons souvent évoquer la communauté dans notre prière. « Seigneur accorde-moi de comprendre et d’accepter que ma communauté est le don que Tu m’as fait; accorde-moi d’y vivre avec joie des relations fraternelles dans la communion à laquelle Tu nous as appelés ». Nous devons le faire dans notre prière personnelle et dans notre prière communautaire; nous devons le faire quand nous écoutons la Parole de Dieu et dans la liturgie que nous célébrons ensemble chaque jour. La célébration de l’Eucharistie en tant que sacrement de la communion est particulièrement importante dans ce contexte. « Notre communauté hospitalière reçoit sa vie dans l’Eucharistie » (Const.30). Elle est la source qui nous aide à dépasser la solitude et pousse chacun à se sentir corresponsable; elle nous prépare 3 au pardon qui cicatrice les blessures et renforce de la part de tous l’engagement à la communion. (VC 45b). Dans la mesure où nous apprendrons à consacrer davantage de temps à Dieu nous apprendrons à en faire autant pour la communauté et nous grandirons ensemble dans cette communion que toute communauté authentique exige. J’espère que la réflexion sur ces questions et leur approfondissement dans la prière vous y aidera. Je passe maintenant au deuxième point que je souhaite aborder dans cette lettre : la construction d’une communauté de frères. 3. Nous sommes frères La communauté se compose des frères avec lesquels nous vivons. S’agissant d’une réalité ontique, théologale elle n’est pas un acquis une fois pour toutes, mais doit se construire au quotidien. Il s’agit d’un processus long et arrride, avec des hauts et des bas et des prises de position distinctes selon les moments et les personnes. Nous devons tous y participer activement. Il y a des frères qui, pour toutes sortes de raisons, de caractère, de spiritualité, de formation, d’âge ou parce qu’ils vivent un moment particulier, soutiennent avec ardeur toutes les initiatives qui promeuvent la vie fraternelle. Il y a en a d’autres qui, pour les mêmes raisons répondent avec réticence ou par l’inertie à ces mêmes initiatives. Le document « La vie fraternelle en communauté » nous demande à tous de fournir dans ce domaine. Tout en reconnaissant les diversités des situations, le document réitère une fois de plus la valeur de la communauté et de la vie fraternelle et démontre à quel point celles-ci constituent une force pour bien vivre notre consécration. Il faut alimenter sans cesse les raisons pour lesquelles chacun d’entre nous doit construire sa communauté au quotidien. Celle-ci est un don de Dieu et nous, qui sommes frères de cette communauté, nous avons l’obligation de la construire ensemble. À la lumière de cette réflexion nous devrions tout mettre en oeuvre pour intensifier la communion et pour adopter une attitude positive par rapport à nos communautés. J’aimerais que nous fassions le nécessaire pour nous sentir vraiment frères les uns des autres. Je vous demande instamment de tout miser sur la communion et la vie fraternelle. Je crois que pour entrer dans une telle syntonie chacun d’entre nous doit faire un travail sur soimême tant sur le plan humain que spirituel. Mais en sommes-nous capables? Pour ma part, j’en suis convaincu. Une des tentations qui nous guette est celle de nous justifier en trouvant de bonnes raisons pour ne rien faire : nous sommes déjà âgés, nous nous connaissons déjà, nous n’y arriverons jamais… Il faut que nous soyons convaincus que opportunité. le Seigneur nous offre chaque jour une nouvelle 4 Quelques suggestions pour y arriver : Forger sa personnalité, approfondir ses valeurs humaines, réfléchir sur sa manière d’agir, lire des textes qui orientent ses comportements, se faire accompagner personnellement par des personnes compétentes. Se comprendre n’est pas une tâche facile comme d’ailleurs promouvoir sans cesse des attitudes évangéliques. Il est difficile de s’accepter tel qu’on est. Vivre avec un sentiment de joie intérieure requiert tout un processus d’intégration personnelle. Nous avons probablement tenté de le faire à maintes reprises sans y parvenir. Essayons encore une fois. Il se peut que dans le passé nous n’y ayons pas accordé toute l’importance que cela mérite et nous nous retrouvons embusqués à rechercher les causes de notre insatisfaction là où elles n’existent pas ou en train de refuser de les analyser là où elles existent. Recommençons donc et demandons au Christ de nous aider à voir clairement ce qui se passe en nous. Croissance personnelle Il faut faire le nécessaire pour arriver à bien comprendre son frère, l’écouter, l’accepter, le respecter et l’aimer. Il faut intensifier nos relations interpersonnelles ou fraternelles si vous préférez les appeler ainsi. De nos jours nous disposons de nombreux moyens que nous devons utiliser pour développer l’esprit communautaire : réunions de famille, projet de vie, formation permanente, dialogue, recours à des experts capables de soutenir le processus de croissance de la communauté, supérieurs qui nous ont aidés avec plus ou moins de succès dans ce cheminement. Il nous faut accorder une plus grande attention à la communication pour assurer un épanouissement de la vie fraternelle. Dans beaucoup d’endroits cette communication est pratiquement inexistante non seulement pour ce qui concerne les activités du centre, dont nous devrions être informés, mais également entre les membres d’une même communauté. Chacun d’entre nous doit avoir à coeur le bien de sa communauté et s’y intéresser. Si nous ne montrons aucun intérêt pour notre communauté, nous ne parviendrons jamais à la construire. Un autre grand danger est de croire que les moyens que je viens de nommer sont inutiles. Si c’est le cas, pourquoi revenons-nous sans cesse sur les mêmes questions et ne progressonsnous pas? Essayons de le faire une fois encore, cela pourrait être mon heure, ton heure, notre heure. Il ne s’agit pas de ressasser sans cesse les mêmes thèmes mais de grandir dans la communion pour être des témoins de la communion dans ce monde déchiré et divisé. Nous devons avoir des échanges sur nos critères de vie et intensifier notre communion sur ces mêmes critères afin de devenir une communauté authentique pour la mission. Quand de tels critères manquent, les divisions surgissent; les membres d’une même communauté s’éloignent affectivement les uns des autres et semblent incapable de respecter leurs opinions respectives. 5 Un autre écueil à éviter est celui de l’individualisme. Notre culture voit la personne sous un jour nouveau. Elle accorde une plus grande place à la liberté personnelle et respecte la valeur unique de chaque frère et de son rythme de vie. L’uniformité a cédé du terrain au pluralisme. Tout cela au lieu de nous éloigner de la communauté doit nous aider à mieux vivre la fraternité et à rejeter l’individualisme enraciné dans notre culture. Cette liberté doit nous aider à mûrir, à assumer nos responsabilités, à devenir autonomes mais pas au détriment de l’impératif de la communion exigée par notre idéal de vie. Nouveau visage de nos communautés Dans le passé nous avions une conception monacale de la communauté qui à cette époque comptait un grand nombre de frères. Ce type de communauté où les horaires sont bien définis existent encore dans l’Ordre aujourd’hui. La participation des frères aux différents actes communautaires témoignent alors de la vitalité de la communauté. De telles communautés doivent se pérenniser à condition que tous les éléments qui les caractérisent portent les membres qui la composent à vivre en communion de cœur. À défaut de celle-ci la communauté ne serait qu’une écorce vide. Du fait de la diminution des vocation dans certaines régions, nos communautés y sont devenues plus petites tout en conservant ce même style de vie. Elles risquent de se noyer dans un tourbillon d’activités et de se retrouver écrasées par trop de demandes. Par ailleurs, il existe dans l’Ordre comme c’est le cas dans d’autres congrégations, une nouvelle conception de la communauté : plus petite, plus souple sur le plan des horaires et de l’organisation. Le lieu de travail de ses membres est distinct de celui de leur résidence, et, en outre, tous ne travaillent pas au même endroit et chacun réalise la mission à sa façon. Ces communautés risquent de perdre leur cohésion et d’accepter trop d’activités au détriment d’une communion authentique. L’Ordre doit donc promouvoir partout et toujours, quel que soit le type de communauté, l’idéal de la communion. Celui d’entre vous qui risque davantage de se briser contre l’écueil de l’éparpillement c’est moimême. Les nombreux voyages que j’entreprends et bien qu’ils soient tous organisés dans le but de rencontrer mes frères dans l’exercice de mon ministère, n’en constituent pas moins un danger dont je suis pleinement conscient. La communauté de la curie général est exposée au même danger : elle est internationale et certains de ses membres accomplissent la même mission que moi alors que d’autres assurent une présence plus stable dans certains lieux. Que le Seigneur nous aide tous à surmonter les difficultés qui nous empêchent de vivre la joie de la fraternité et de la communion. 6 Dans l’impossibilité d’être exhaustif je me suis limité à aborder les aspects qui vous préoccupent et dont vous m’avez parlé lors de mes visites. La communauté apostolique telle qu’elle est présentée dans les Actes des Apôtres doit toujours être notre modèle. (Actes 2, 42-47). Nous devons sans cesse prier le Seigneur de nous aider à construire la communauté pour en faire l’espace théologal dans lequel nous pouvons vivre pleinement le don de la communion comme des frères et, mieux encore, des frères de saint Jean de Dieu. Avant de terminer ce chapitre j’aimerais souligner deux aspects encore, celui de la miséricorde et celui de la réconciliation. Nous devons témoigner de la compréhension et de la compassion les uns pour les autres. Je ne parle pas simplement ici de tolérance, bien que nos activités relèvent actuellement d’une éthique de la tolérance. Faire preuve de miséricorde signifie comprendre ce que vit mon frère, éviter de le juger à la légère, avoir une attitude positive pour l’aider à surmonter ses difficultés sur le plan des relations interpersonnelles. Ceci ne signifie nullement que nous ne devions pas réfléchir personnellement et communautairement sur la manière d’améliorer la qualité de notre vie fraternelle. La correction fraternelle est évangélique, comme le souligne le chapitre IV de la règle de saint Augustin. « La vie fraternelle en communauté » parle des frères qui ne parviennent pas à bien s’insérer dans leur communauté; ils sont les premiers à en souffrir et font souffrir les autres. Ce document nous invite à les traiter avec miséricorde et à ne pas dramatiser ces situations mais à les considérer comme des éléments de croissance pour la communauté. La réconciliation pour sa part est un impératif pour toutes les communautés. Nous sommes humains et même si nous nous efforçons de les éviter des conflits surgissent toujours quand nous nous y attendons le moins. C’est pourquoi nous devons sans cesse avoir recours à l’instrument de la réconciliation comme moyen pour nous rapprocher les uns des autres, nous pardonner mutuellement, reconstruire la confiance réciproque et reprendre le chemin de la communion. Ceci exige de notre part beaucoup de patience et de respect du rythme de chacun. Il est inutile de forcer les situations quand les personnes ne sont pas psychologiquement prêtes pour un acte de réconciliation. Saint Jean de Dieu a été un authentique orfèvre dans ce domaine et nous invite constamment à recourir à la réconciliation pour renforcer l’entente dans nos communautés. Comme nous le savons tous, ses premiers compagnons, Antòn Martìn et Pedro Velasco se haïssaient à mort avant de le rencontrer, ors c’est avec eux et après les avoir convertis qu’il commence la première communauté de frères dont nous sommes maintenant les héritiers. Restons donc attentifs à poser tous les actes de réconciliation et de pardon nécessaires pour vivre avec joie le don de la communauté. Et j’en arrive au troisième point que je souhaite toucher dans cette missive. 4. Nous sommes une communauté apostolique Les changements actuels ont modifié notre manière de comprendre et de vivre la mission. J’en ai déjà mentionné quelques uns plus haut que je voudrais approfondir avec vous. 7 Il y a quarante ans la mission de l’Ordre était réalisée en grande partie pour ne pas dire totalement par les frères eux-mêmes. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Comme je l’ai répété à maintes reprises et, même si tous n’en conviennent pas, la mission accomplie dans nos centres ne dépend plus exclusivement des frères qui s’y trouvent. Il y a même des centres de l’Ordre où il n’existe pas de communauté locale. Partout et particulièrement dans ces cas là, l’Ordre doit s’efforcer de transmettre aux collaborateurs l’esprit de saint Jean de Dieu. Je sais que certains de nos frères réagissent négativement devant cette réalité. Nous aimerions pouvoir compter sur un grand nombre de bons frères pour être capables de nous adapter aux temps actuels et pour forger notre avenir. Je me suis toujours efforcé d’être sincère par rapport à cette question si importante pour nous. En rédigeant ces réflexions je souhaite m’aider et vous aider vous, qui êtes mes frères. Je me trompe peut-être, mais je ne vois pas comment nous pourrions réaliser notre mission autrement aujourd’hui. Nous sommes moins nombreux et notre vieillissement se fait sentir dans beaucoup de communautés. Les exigences de l’hospitalité nous ont amenés à ouvrir nos portes à une foule de collaborateurs et à leur déléguer des postes de responsabilité dans l’administration et la direction de nos centres. Les conclusions des derniers Chapitres Généraux et le texte du n. 149 des Statuts Généraux y font référence de manière explicite. Le rôle de la communauté, sa présence au sein des comités qui se constituent, sa participation aux décisions et sa responsabilité au niveau de la gestion des centres suscitent aujourd’hui de nombreuses polémiques. Le n. 152 des Statuts Généraux stipule que les Provinces peuvent adopter si elles le jugent opportun, un système unique d’administration et de comptabilité. D’après moi, un juste équilibre entre autonomie locale et centralisation est indispensable si nous ne voulons pas démotiver les frères. Toutes les Provinces sont en train d’élaborer, si elles ne l’ont pas déjà fait, des politiques visant à faciliter une bonne gestion charismatique des centres. Sur ce point les opinions abondent, fruit des expériences positives ou négatives du passé. Dans son document « L’humanisation » le Frère Pierluigi Marchesi nous invitait à pratiquer l’hospitalité conformément à l’esprit de notre fondateur. « L’hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000 » du même auteur affirmait que le nouveau rôle des frères était d’être témoin, guide moral, conscience critique et précurseur. Les Provinces se sont efforcées de préciser le rôle de la communauté en tenant compte de leur contexte culturel. J’ai personnellement abordé cette question à plusieurs reprises et notamment dans les lettres « Laissez-vous guider par l’Esprit » et « Jean de Dieu, apôtre de l’hospitalité » écrite cette année à l’occasion de la fête de notre fondateur. Il nous reste encore à préciser aujourd’hui comment nous voulons être communauté dans la mission. Il revient à chaque Province ou groupe de Provinces de le définir dans le respect de nos Constitutions et de nos Statuts Généraux. Il faut reconnaître toutefois que les membres d’une même province ne partagent pas toujours la même opinion sur ce point. Pour ma part mes convictions sont les suivantes: 8 Les frères sont les premiers dépositaires du charisme de saint Jean de Dieu. Chaque frère doit être un témoin du don de l’hospitalité comme le doit être chaque communauté. La communauté doit analyser comment elle réagit devant la souffrance et la douleur et comment elle devrait les soulager dans ses œuvres apostoliques. Les frères doivent acquérir une formation professionnelle adéquate pour la mission. Notre culture moderne ne nous permet plus d’assumer des responsabilités pour lesquelles nous ne sommes pas à la hauteur. Les frères doivent rester en contact avec les malades et les démunis. Quand pour des raisons de ministère nous occupons des postes dans l’administration du centre, nous devons cependant trouver le moyen d’atteindre les destinataires de notre charisme et leurs proches. Nous ne pouvons pas limiter notre apostolat au service direct des malades. Nous devons veiller tout autant à transmettre la culture et la philosophie de l’Ordre à nos collaborateurs. Nous devons intégrer les valeurs humaines, professionnelles et religieuses de nos collaborateurs et en enrichir notre charisme. De nombreux textes existent sur ce thème. Il faut en faire l’objet de notre réflexion pour en retirer les lignes d’application concrètes pour chaque communauté et pour chaque centre. Dans la mesure du possible il faut essayer d’adopter des critères identiques pour toutes les communautés d’une même Province, Vice-Province ou Délégation Générale. Il revient aux Provinces de préciser comment vivre la mission et le rôle de chaque communauté. A cet effet il faut prévoir des assemblées ouvertes au dialogue, permettant à chacun de faire entendre sa voix pour aboutir ensuite à l’élaboration de critères d’application acceptés par tous. De grands progrès ont déjà été réalisés en ce sens, dans certaines provinces plus que dans d’autres. Quelle que soit la démarche suivie, nous devons poursuivre notre réflexion dans ce domaine tout en sachant que l’un ou l’autre de nos frères restera sur ses positions. Pour ma part je reste convaincu qu’il n’y a pas d’autre solution. Je n’ai pas abordé la question du discernement au moment de parler de la communauté comme don de Dieu, bien qu’il s’agisse d’un instrument précieux pour grandir dans la communion. Le discernement communautaire est particulièrement nécessaire au moment d’examiner la manière d’assurer notre présence dans la mission. Le numéro 6 de nos Constitutions en parle et précise que la responsabilité de la communauté dans ce domaine dépasse celle du supérieur. Ce numéro s’applique également à notre manière d’être dans une œuvre; notre présence doit être autre qu’elle ne l’était dans le passé pour répondre aux exigences de ce XXIème siècle que nous venons de commencer. Je n’ai pas voulu parler de l’autorité ni de la responsabilité du supérieur dans la mission et le gouvernement de la communauté et du centre. C’est une question que j’aborderai à une autre occasion car je n’ai pas voulu mélanger plusieurs thèmes ni dépasser le nombre de pages que j’avais prévu pour ce type de lettre. Dans tous les chapitres provinciaux toutefois, au moment du discernement avant les élections, j’ai présenté une réflexion sur le sens du numéro 74 de nos Constitutions qui souligne que l’autorité doit être vécu comme un service rendu à la communauté et à la mission en suivant l’exemple du Christ. Les supérieurs jouent un rôle important dans la vie de la communauté : orienter, inviter au partage, informer. Ils doivent établir une bonne communication avec les frères, les écouter, les respecter, les soutenir et les encourager à être les corresponsables de leur communauté pour qu’elle soit présente comme telle dans l’œuvre, conformément au nouveau style que nous promouvons. 9 Je l’ai déjà dit dans le discours d’ouverture du LXVème Chapitre Général : « Les responsables des communautés doivent s’efforcer de réaliser leur service au mieux de leurs capacités; ils doivent rester proches des frères en tout moment même si parfois ils ne partagent pas leur manière de penser ni d’agir ». Que le Seigneur nous aide à faire au bon moment ce qu’Il attend de nous. 5. Conclusion Je vous ai écrit cette lettre le coeur débordant d’affection. Si j’y dénonce des faiblesses c’est dans le désir de nous voir tous, sans exception, grandir dans la mission. J’ai été heureux d’assister à vos côtés aux chapitres provinciaux, même pendant les moments difficiles. Je me suis senti heureux de pouvoir à cette occasion rencontrer les frères et travailler avec eux malgré les barrières linguistiques. Je vous présente ces réflexions dans l’espoir de vous aider et de m’aider moi-même à mieux connaître notre réalité avec ses lumières et ses points d’ombre, à grandir sur le plan humain et spirituel, comme personnes et comme frères. Continuons donc dans cette lancée en ayant confiance en Dieu et en nous-mêmes. Je termine en nous mettant sous la protection de saint Jean de Dieu que je proclame patron de la réconciliation et de la communion. J’élève ma prière à Dieu, Père et Providence, à Jésus-Christ, notre Frère et Sauveur et au SaintEsprit, force créatrice qui nous projette vers l’avenir. Je rends grâce à la très sainte Trinité pour son exemple de communion. Prions pour que notre vie fraternelle et notre communion deviennent vraiment une force motrice pour mieux vivre notre consécration dans l’Église. Je vous remercie tous pour l’exemple que vous donnez. J’ai particulièrement pu le constater et l’apprécier cette année pendant laquelle, grâce à la célébration des chapitres, j’ai effectué un authentique pèlerinage de l’hospitalité. Je vous remercie également pour les nombreuses marques d’affection qui m’ont été témoignées tant de la part des frères que de celle des communautés. En principe je resterai à Rome jusqu’après les fêtes de Noël. Stabilité bien méritée pour ne pas dire repos bien mérité! Que nos communautés soient d’authentiques écoles de charité, de communion fraternelle et d’hospitalité. Souvenons-nous toujours que là ou deux ou trois sont réunis en Son nom, le Seigneur est au milieu d’eux. Demeurons fidèles à l’esprit de saint Jean de Dieu et en union de prière. Frère Pascual Piles Supérieur Général 24 octobre, fête de l’archange saint Raphaël. 10