D'autres rôles thématiques
Dans l'état actuel des recherches en linguistique, il est difficile de spécifier exactement où finit la classe des rôles
thématiques. Mais il reste qu'un certain nombre de rôles sont relativement bien connus. Dans ce qui suit, nous allons
utiliser les syntagmes prépositionels pour en explorer quelques-uns.
Par syntagme prépositionnel (SP), nous entendons une préposition suivie d'un syntagme nominal,
comme sur la table, avec sa soeur, avant trois heures}.
Les SP de circonstance
Prenons l'exemple suivant:
1. Sa fille prend le train à cinq heures.
On remarque que le SP à cinq heures peut se déplacer dans la phrase:
1. À cinq heures sa fille prend le train.
De même, le SP peut tomber:
1. Sa fille prend le train.
On note aussi qu'on peut utiliser plus d'un seul SP de la sorte dans une phrase.
1. Sa fille prend le train à cinq heures après sa classe.
2. Sa fille prend le train à cinq heures après sa classe à tous les lundis.
Et finalement, la relation entre le SP et les autres parties de la phrase est assez lâche. On peut remplacer sa fille prend
le train par une grande variété de phrases possibles, comme l'illustrent les exemples suivants:
1. Je pars à cinq heures.
2. La chatte a eu ses petits à cinq heures.
3. L'examen se termine à cinq heures.
4. Tu as oublié de fermer la porte à cinq heures.
5. Je déteste me lever à cinq heures.
Ces quatre critères: le déplacement, l'emploi facultatif, la répétition et l'absence de contrôle
sémantique nous permettent de constituer une classe. Les SP de cette classe s'appellent des SP
decirconstance, et plus précisément, des SP de temps.
Il existe aussi des SP de circonstance pour l'espace, comme l'illustre l'exemple suivant.
1. Il dort dans son lit.
Exercice: Appliquez les critères identifiés ci-dessus (déplacement, etc.), pour montrer que les SP de
circonstance (espace) ont le même fonctionnement que les SP de circonstance (temps).
Les quatre critères nous permettent de constater que les SP de circonstance ont une relation assez lâche avec la
phrase. Par contre, d'autres SP ont une relation plus étroite.
Les SP d'instrument
Voyons les exemples suivants.
1. Elle a cassé la fenêtre avec un marteau.
2. Au moyen de ses clés, elle a ouvert l'enveloppe.
Il s'agit d'un SP d'instrument. Comme le montre l'exemple 2, le SP d'instrument peut se déplacer comme le SP de
circonstance. Il peut aussi disparaître ( Elle a cassé la fenêtre). Par contre, le SP d'instrument n'accepte pas la
répétition:
1. *Elle a cassé la fenêtre avec un marteau, avec une pierre.
2. *Au moyen de ses clés, avec des ciseaux, elle a ouvert l'enveloppe.
Et il existe un plus grand niveau de contrôle sémantique entre la phrase et le SP d'instrument. On ne peut pas mettre
n'importe quelle phrase avec n'importe quel SP d'instrument:
1. *Elle boit avec un marteau.
2. *Au moyen de ses clés, elle lit son livre.
Les SP de manière
Voyons les exemples suivants:
1. Le renard s'avance.
2. Le renard s'avance à petits pas.
À petits pas, le renard s'avance sur la pointe des pieds.
*Je bois mon lait à petits pas.
Ces exemples nous montrent un type de SP qui est facultatif (1), qui peut se déplacer (4), et qui se répète (3). Par
contre, comme le montre (5), ce type de SP n'accepte pas n'importe quelle sorte de phrase. Nous avons ici un SP de
manière.
Les SP de destination
Examinons les exemples suivants:
Micheline dépose ses livres sur la table.
Micheline dépose ses livres.
?Sur la table Micheline dépose ses livres.
*Micheline dépose ses livres sur la table sur la chaise.
Nous avons ici un SP qui indique la destination de déposer. Ce SP est facultatif (exemple (2)), mais ne se déplace pas
facilement (exemple (3)) et ne se répète pas (exemple (4)). Le SP de destination a une parenté étroite avec le SP qui
indique le bénéfacteur. La différence tient surtout au fait que le premier renvoie à quelque chose de non-animé, et le
deuxième à quelque chose d'animé. Cela se manifeste dans le choix des pronoms aussi. Ainsi, à Micheline dépose ses
livres sur la table correspond Micheline y dépose ses livres, tandis qu'à Micheline explique la réponse à Jean-Pierre
correspond Micheline lui explique la réponse.
Exercice: Utilisez les critères appropriés pour identifier la fonction thématique de chacun des SP dans les exemples
suivants: elle replace le manuscrit dans le casier; elle part à la course; elle lance le ballon à son frère; elle lance le
ballon vers son frère.
Le syntagme nominal
Il ne faut pas oublier que le langage nous fournit un outil pour entrer en contact et pour manipuler la réalité. On peut
voir cela surtout dans les cas où il nous manque des outils linguistiques. Par exemple, lorsqu'on se promène dans les
bois ou dans les champs, on est entouré d'une quantité impressionnante d'espèces. À moins d'être botaniste, on
possède très peu de formes pour nommer cette diversité. Dans ce cas-là, les capacités linguistiques sont inférieures à
la complexité de la réalité. Très souvent, on vit la même expérience lorsqu'on apprend une langue seconde, dans le
sens que ses expériences dépassent sa capacité pour les exprimer.
En même temps, il ne faut pas oublier que la quantité de productions linguistiques dont on a besoin varie selon la
situation. Si on vit avec d'autres personnes, on possède une importante quantité d'informations partagées. Prenons le
cas d'une famille qui possède un chat. Dans ce contexte, une phrase comme Le chat veut sortir se comprend
facilement. On sait de quel chat il s'agit. Mais la même phrase serait difficile à comprendre si elle était produite à
l'intention d'un visiteur dans la maison.
En général, le syntagme nominal (le SN) nous fournit un mécanisme pour désigner un aspect de la réalité. Nous
possédons plusieurs sortes de SN pour le faire. D'un côté, nous pouvons utiliser un nom propre comme Pierrepour
renvoyer à un individu. D'un autre côté, là où la réalité nous fournit assez d'information, nous pouvons utiliser un
pronom, comme il ou elle. Et dans d'autres cas encore, on peut utiliser un nom sans article, lorsque le rapport avec la
réalité est évident. Ainsi, sur un contenant de beurre d'arachides, on lit beurre d'arachides et non pas du beurre
d'arachides. L'existence du contenant est suffisant pour déterminer la relation entre le mot et la chose.
Expérience: Trouvez d'autres cas où on trouve un nom sans article et essayez de justifier l'absence de l'article
dans ces cas.
Mais dans beaucoup de cas, il nous faut utiliser un SN plus complexe, qui comprend un niveau de détermination, sous
la forme d'articles définis ou indéfinis, d'adjectifs possessifs, démonstratifs, ou autres. Dans ce qui suit, nous
commencerons par examiner le fonctionnement de la détermination.
La détermination
La détermination nous fournit un mécanisme pour situer un phénoméne dans son existence par rapport à nous. Ainsi,
le choix de l'article défini présuppose la connaissance antérieure de la chose qu'on nomme. Quand je disle chat, mon
interlocuteur doit ou bien savoir de quel chat je parle, ou bien savoir que je parle de l'espèce ( Le chat est un animal).
Mais lorsque je dis un chat, mon interlocuteur sait que j'introduis cet aspect de la réalité pour la première fois. On
dirait par exemple, il y a un chat à la porte dans le cas où il s'agit d'un événement inattendu.
Mais cette distinction entre article défini et article indéfini n'est pas la seule possible en français. Prenez la liste
suivante:
la biologie
?une biologie
de la biologie
une biologie nouvelle
le ciel
?un ciel
du ciel
un ciel bleu
le courage
?un courage
du courage
un courage exceptionnel
la timidité
?une timidité
de la timidité
une timidité excessive
le lait
?un lait
du lait
un lait délicieux
le sucre
?un sucre
du sucre
un sucre fin
le chat
un chat
?du chat
du chat bouilli
le cheval
un cheval
?du cheval
du cheval cuit
Notez que tandis que l'article défini est possible dans tous les cas, l'article indéfini seul est difficile à interpréter dans
certains cas (comme un courage). Par contre, dans ces cas, on peut utiliser l'article partitif ( du/de la). On dit
facilement de la timidité. Par contre, dans d'autres cas encore, on utilise facilement l'article indéfini ( un chat), mais
l'article partitif est difficile à interpréter, à moins de comprendre le nom autrement. Ainsi, on peut diredu chat pour
parler de l'animal cuit, dans un repas, par exemple.
En même temps, si une timidité est bizarre, l'ajout d'un adjectif rend l'emploi de l'article indéfini acceptable: une
timidité excessive. Qu'est-ce qui se passe ici?
Dans notre expression de la réalité par le langage, nous faisons une distinction entre les réalités que nous pouvons
quantifier, et par conséquent isoler dans le temps et l'espace, et celles qui ne se laissent pas quantifier. Les noms qui
désignent des réalités quantifiables s'appellent des noms dénombrables, tandis que ceux qui désignent des
réalités non quantifiables s'appellent des noms non dénombrables. Ainsi, de façon générale, chat est
quantifiable (p.ex. deux chats, trois chats, etc.), tandis que courage est non quantifiable (p.ex. *deux courages, *trois
courages).
Mais, la langue possède aussi une certaine flexibilité. Dans le cas des noms non dénombrables, il est possible
d'ajouter un adjectif, ce qui rend possible l'emploi de l'article indéfini. L'adjectif sert à isoler dans la masse totale une
sous-classe. Ainsi, dans la masse totale `courage', on peut distinguer différentes sortes de courage, courage
exceptionnel, courage héroique, etc..
De même, il est possible de revoir un nom dénombrable comme une masse informe, pour utiliser l'article partitif. On
peut dire du chat.
Au-delà de la distinction entre partitif/indéfini, on constate que l'article défini singulier fournit un pont commun, qui
spécifie ce qui est connu, sans indiquer s'il est dénombrable ou pas. Et à un niveau même plus détaillé, on peut utiliser
un article démonstratif pour insister sur un aspect particulier de la réalité (cf. le livre/ce livre). Et finalement, l'adjectif
possessif fournit un mécanisme pour relier deux aspects de la réalité qui se trouvent dans un rapport spécial
(p.ex. mon livre, mon pays, mon idée).
De façon générale, on peut dire que le déterminant définit une classe. À l'intérieur de cette classe, d'autres éléments
peuvent spécifier un niveau supplémentaire de détail. Prenons les exemples suivants:
1. la population du Canada
2. toute la population du Canada
3. la moitié de la population du Canada
4. la majorité de la population du Canada
5. une bonne partie de la population du Canada
Tous les éléments qui précèdent la fournissent des détails sur la classe définie par l'article défini. En (2), on insiste sur
la totalité de la classe, en (3), on divise la classe en deux parties égales, en (4), on spécifie une partie qui représente
plus de la moitié, et en (5), on indique une partie non négligeable.
Notez que ces éléments qui précèdent le déterminant la sont relativement figés. On peut dire la moitié de, mais non
pas ?la moitié qui m'appartient de la population. On peut dire une bonne partie, mais non pas *une excellente partie.
Il s'agit donc d'unités. Ces unités qui précèdent le DET, et qui spécifient une sous-classe, on les appelle
des prédéterminants (PREDET).
Voyons maintenant d'autres exemples:
1. le chemin
2. l'autre chemin
3. le troisième chemin
4. les trois chemins
Dans ces cas, l'élément qui suit le DET spécifie davantage sa réalité par rapport à la classe définie par le DET. En (2),
il s'agit d'un chemin qui n'est pas identique à un autre déjà spécifié, en (3), il s'agit d'un chemin qui se calcule à partir
d'un chemin déjà connu, et en (4), il s'agit d'un groupe de chemins qui comprennent un nombre spécifié de membres.
Ces éléments qui suivent le DET, et qui fournissent des détails de la sorte, s'appellent
des postdéterminants (POSTDET). Ensemble, les PREDET, les DET et les POSTDET spécifient la
détermination dans le SN. Notons aussi que la relation entre les trois n'est pas égale. Le DET est nécessaire dans tous
les cas, et contrôle le choix des autres. Ainsi, on peut dire les trois chemins, mais non pas *des trois chemins, car
l'article indéfinides laisse la quantification non spécifiée. De même, on ne peut pas dire *un trois chemins, puisque le
DET demande un singulier.
En outre, le PREDET fournit une spécification plus génerale que le POSTDET. On peut capter ces faits au moyen
d'un arbre. Le niveau commun qui relie le DET et le POSTDET s'appelle GDET, et l'ensemble s'appelle le SDET,
comme l'illustre la figure suivante.
SDET
/ \
/ \
/ \
PREDET GDET
| / \
| / \
| / \
| DET POSTDET
| | |
tous les autres
Il existe des éléments qui suivent un DET et qui précèdent le nom qui ne sont pas à classer dans les POSTDET.
Examinons les cas suivants:
1. le même livre
le petit livre
2. *le très même livre
le très petit livre
3. *le livre est même
le livre est petit
Dans le cas de même, on ne peut pas mettre un adverbe de degré, et on ne peut pas déplacer même en dehors du SN.
Par contre, on peut faire les deux actions dans le cas de petit. La différence tient au fait que petit est un adjectif, qui se
relie davantage au nom qu'au DET. C'est pour cela qu'on peut le déplacer. Mais même se rattache davantage au DET,
et ne se déplace pas.
Il existe certaines formes en français qui peuvent fonctionner soit comme POSTDET, soit comme adjectifs.
Comparez les deux exemples suivants:
1. mon propre livre / *mon très propre livre / *mon livre est propre
2. mon livre propre / mon livre très propre / mon livre est propre
Dans le premier cas, propre signifie `qui m'appartient', et dans le deuxième, `qui n'est pas sale'. Dans le premier cas,
c'est un postdéterminant, tandis que dans le deuxième, c'est un adjectif.
Le groupe nominal (GN)
Nous avons vu que le SDET spécifie la réalité du SN. Il reste que le noyau d'un SN se situe dans le nom. Ce sont les
caractéristiques sémantiques du nom qui rendent possibles les différentes possibilités dans le SDET. Or, le nom se
situe, lui aussi, dans une structure complexe. On peut le modifier de plusieurs façons différentes, comme le montrent
les exemples suivants:
1. le livre
2. le livre très intéressant
3. le livre sur la table
En 2, on modifie livre par la suite très intéressant, qui tourne autour d'un adjectif, et en 3, on trouve un syntagme
prépositionnel sur la table. On peut représenter chacun de ces éléments du GN au moyen d'un arbre.
SN
/ \
/ \
/ \
DET GN
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