Natacha Berkovits www.latredactrice.wordpress.com
La grammaire est une chanson douce
Adaptation de l’ouvrage d’Erik Orsenna
Par Natacha Berkovits
Natacha Berkovits www.latredactrice.wordpress.com
Jeanne et son frère, Thomas, deux adolescents, partent en
bateau rendre visite à leur père en Amérique. Pendant le voyage
il y a une tornade et ils font naufrage. Après une nuit entière de
tumulte, ils échouent sur une île ils sont recueillis par
Monsieur Henri. Mais il leur arrive un fait étrange: ils ne peuvent
plus parler! Tous les mots se sont échappés de leur tête…
Monsieur Henri va alors les aider et pour commencer, il leur fait
découvrir un bien étrange village.
Le village des mots
Monsieur Henri nous amena au sommet d'une colline et
nous demanda de nous taire. Alors, tout doucement, je
m'approchai de la balustrade en bois brillant. Juste en-dessous
de nous, je vis une ville, une vraie ville, avec des rues, des
maisons, des magasins, une mairie, une église, un hôpital, une
caserne de pompiers… Une ville exactement comme nos villes!
À trois différences près:
1. La taille: chaque maison ne dépassait pas la taille d'une
maison de poupée.
2. Le silence: pas un bruit, rien, pas de voiture, pas de cris.
3. Les habitants: il n'y avait pas d'enfants, pas de femmes, pas
d'hommes. Aucun humain. Seulement des mots. Des mots qui
se promenaient tranquillement, bronzant leurs syllabes* au
soleil. Certains mots avaient un air sévère (on voyait les mots
"Chef", "Rendez-vous", "Devoirs"…) et d'autres paraissaient plus
légers, plus sympathiques (il y avait "Plaisir", "Jeux Vidéos",
"Chocolat"…)
Je regardais leurs allers et venues depuis la colline, j'étais
fascinée. Jamais je n'aurais imaginé que les mots vivaient
comme nous, avec leurs propres caractères, leurs propres
émotions! Je n'en croyais pas mes yeux. Alors Monsieur Henri
nous raconta l'histoire de cette cité*:
- Un beau jour, dans notre île, les mots se sont révoltés. C'était il
y a bien longtemps, au siècle* dernier. Un matin, les mots ont
refusé de continuer à servir les humains, ils en avaient marre
d'être traités comme des esclaves. Viens ici! Maintenant!
Repars! Ils ne voulaient plus être convoqués à n'importe quelle
heure, à n'importe quel moment. Ils ne voulaient plus être
utilisés puis rejetés dans le silence. Ils ne voulaient plus nous
obéir, ils voulaient qu'on les respecte. Et puis ils étaient fatigués
des bouches. Ces bouches ils mijotaient avant de sortir, ces
bouches sales et puantes, pleines de dents, de langues, de
salive, du sucre collant des bonbons et des restes de viande de
la cantine… Les mots ne voulaient plus habiter les bouches.
Même plus une seconde. Tout ça, c'était fini pour eux. Alors, ils
se sont enfouis et sont partis à la recherche d'un abri, un pays
vivre entre eux, loin de ces bouches détestées. Et ils sont
Natacha Berkovits www.latredactrice.wordpress.com
arrivés ici, dans cette ancienne ville minière*, ils se sont
installés. Voilà, vous savez tout maintenant! Bon, je vous laisse.
Je reviens vous chercher ce soir… Bonne après-midi!
Je restai là, tout abasourdie*. Les mots vivaient libres alors! Et
leur vie semblait très joyeuse: ils passaient leur temps à se
déguiser et à se marier! Je vais vous expliquer. Au début bien
sûr, je n'ai rien compris, mais après une bonne concentration j'ai
commencé à reconnaître les principales tribus. Et toutes ces
tribus forment ensemble le peuple des Mots. Car les mots
s'organisent en tribus, comme les humains. Et chaque tribu a un
métier qui lui correspond.
La tribu des NOMS
Le premier métier, c'est de désigner les choses. Vous savez,
comme dans les jardins botaniques, avec un petit écriteau ou
une étiquette pour dire qu'est-ce que c'est. Voici le premier
métier des mots: poser sur toutes les choses une étiquette,
pour ne pas mélanger les choses. Il y a tellement de choses sur
la terre! Et pour chaque chose il faut trouver une étiquette.
Quelle mince affaire… Les mots chargés de ce métier s'appellent
les NOMS. La tribu des noms est la principale et la plus
nombreuse. Par exemple, devant un arbre, on met l'étiquette,
c'est-à-dire le nom, "arbre".
Et il faut savoir que, comme les humains, les noms sont
distribués en plusieurs groupes: les noms-hommes, les
MASCULINS et les mots-femmes, les MININS. Il y a aussi les
noms spécialement pour les humains: ce sont les PRÉNOMS,
comme par exemple Jeanne, ou Thomas.
Les noms étiquettent aussi bien les choses que l'on voit
(comme "table", "poisson"…) mais ils étiquettent aussi des
choses que l'on ne voit pas, comme les sentiments: la colère, la
joie, la tristesse… Et à nommer toutes ces choses, visibles et
invisibles, les mots pullulaient* en bas de la colline, il y a en
avait partout!
[dessin avec une montagne et des noms. Exercice: Ajoutes
des noms et prénoms que tu connais (Attention aux
majuscules!)]
La tribu des ARTICLES
Une deuxième tribu était installée juste à côté de la
première tribu: la tribu des ARTICLES. Le métier de la tribu des
Natacha Berkovits www.latredactrice.wordpress.com
articles dépend toujours des noms. Il s'agit d'un métier assez
simple: les articles avancent devant les noms une clochette à la
main et crient: "Attention, ce nom est masculin!", "Attention,
c'est un féminin!". Ou bien ils crient pour indiquer s'ils sont
plusieurs, "Attention, ces sont des féminins pluriels!". Ainsi,
devant le nom "arbre" par exemple, on peut voir "un" (l'article
masculin); ou bien "le" aussi (qui devient "l'" car le mot "arbre"
commence par une voyelle). La différence entre "un" et "le"?
C'est bien simple, lorsqu'on veut parler d'un arbre bien précis,
celui-ci et pas un autre, ce sera l'article "le" qui précèdera le
nom, on pourra dire "l'arbre que tu vois là bas, oui, celui-ci
même…"; en revanche, s'il s'agit d'un arbre parmi tous les
autres arbres, ce sera "un" arbre: "au milieu de la place il y avait
un arbre, mais on ne sait pas lequel".
On pouvait donc voir circuler dans le village: la vache, un
chapeau, une poubelle, des feuilles…
Les noms et les articles se promènent toujours ensemble,
toute la journée. Et tout au long de la journée, leur occupation
préférée est de trouver des habits, ou des déguisements.
Comme s'ils se sentaient tous nus en marchant sans
déguisement. C'est pourquoi ils passent tout leur temps dans les
magasins.
La tribu des ADJECTIFS
Les magasins sont tenus par la tribu des ADJECTIFS.
Regardons la scène pour comprendre… Le nom féminin
"maison" pousse la porte précédé de "la", son article à
clochette.
- Bonjour, je me trouve trop simple comme "maison", je
voudrais me sentir plus originale.
- Oui, venez, nous avons tout ce qu'il faut dans nos rayons!, dit
le directeur en se frottant les mains.
Le nom "maison" commence ses essayages. Le choix est vaste,
"maison" n'arrive pas à se décider. Quel adjectif lui irait le
mieux? Elle hésite… Maison "bleue", maison "haute", maison
"petite", maison "fleurie", "belle" maison? Les adjectifs
tournent autour de la maison avec les yeux doux, ils ont envie
d'être adoptés.
Après deux heures de ce drôle de manège, la maison ressortit
avec l'adjectif-déguisement qui lui plaisait: "chaud". Ravie de
son achat elle parlait à son valet* article:
- "Chaud", tu imagines, plus jamais je n'aurai froid! "Maison" et
"chaud", tu te rends comptes? Ce sera accueillant chez moi…oh
comme je suis heureuse!
- Attends, l'interrompit l'adjectif, tu vas trop vite. Nous ne
sommes pas encore accordés*!
- Accordés? Que veux-tu dire?
Natacha Berkovits www.latredactrice.wordpress.com
- Allons à la mairie, tu verras bien.
- À la mairie! Tu ne veux pas te marier avec moi quand même.
- Et bien…si! On est obligés de toute façon. Et c'est toi qui m'a
choisi.
- Je me demande si tu as raison… Allons voir à la mairie.
La mairie, ou la maison des accords
Thomas, à côté de moi, observait la scène. Ses yeux se
tournèrent vers la mairie commençait une grande agitation:
l'heure des mariages allait sonner. A vrai dire, c'était de drôle de
mariages. Plutôt des amitiés. Comme dans les écoles autrefois
l'on ne mélangeait pas les filles avec les garçons. Ici, dans la
ville des mots, les masculins restent avec les masculins et les
féminins restent avec les féminins.
L'article entrait par une porte, l'adjectif par une autre. Le
nom arrivait en dernier. Puis tous les trois disparaissaient à
l'intérieur de la mairie. Avec Thomas on ne voyait pas à cause du
toit du bâtiment. Mais on les apercevait ressortir, tous trois
mains dans la main, article, nom et adjectif, tous accordés, au
masculin, ou au féminin. Il y avait: le grand bâton, une souris
grise, un gros nuage…
Le nom "maison" apparut au bout de quelques minutes entouré
de son article "la" et de son adjectif "chaude". Elle affichait un
large sourire: la maison chaude
C'était drôle, tous les adjectifs qui accompagnaient un nom
féminin sortaient de la mairie avec un "e" à la fin. Les adjectifs
masculins, eux, ne changeaient pas, sauf si l'article qui les
accompagnait était pluriel, alors ils faisaient comme les
féminins et mettaient un "s" au bout (mais pas de "e", oh ça
jamais!).
Certains, bien sûr, ne voulaient jamais changer. Ils ne
voulaient pas choisir entre féminin ou masculin, ils voulaient
être ni l'un ni l'autre ou bien les deux à la fois! Eux, ils arrivaient
les mains dans les poches à la mairie, ils n'avaient rien à faire!
"Magique" par exemple, je l'ai vu rentrer plusieurs fois à la
mairie, une fois avec "baguette", et une autre fois avec
"magicien". "La baguette magique" (tout féminin). "Un magicien
magique" (tout masculin). Il n'y a qu'avec les pluriels qu'ils
veulent bien coopérer: les baguettes magiques, des magiciens
magiques.
Je regardais tous les adjectifs qui entouraient les noms.
Heureusement qu'ils étaient là, ces adjectifs. Ce sont eux qui
mettent de la couleur aux noms, qui les rendent plus beaux,
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !