
irréversible le détricotage du compromis de 1945, et d'assurer définitivement la transition du modèle
social que nous avons connu vers un modèle de type anglo-saxon.
Alors j'ai utilisé le terme de « rentiers » à dessein, mais en référence à la littérature économique. Parce
que si l'on prend les classiques chez les économistes, Adam Smith et David Ricardo, par exemple, qu'on
enseigne en première année aux étudiants, l'économie qu'ils dépeignent est une économie, au XVIIIe
siècle, où les rentiers sont les propriétaires terriens et les capitalistes sont les agriculteurs, les fermiers
capitalistes. Et puis la troisième classe d'acteurs, parce que c'est le terme de classes sociales qu'ils
utilisent - tout économistes libéraux qu'ils étaient -, c'étaient les travailleurs agricoles.
Et donc, si on fait une analogie avec cette période-là, aujourd'hui les nouveaux rentiers, c'est quoi ? Ce
sont les propriétaires d'actifs physiques, qui ont remplacé les propriétaires terriens d'antan. Les
capitalistes ce ne sont plus les agriculteurs capitalistes, ce sont aujourd'hui les entrepreneurs, les cadres
dirigeants qui œuvrent sous la férule des nouveaux propriétaires. Et puis les salariés sont toujours là,
mais ils travaillent beaucoup moins à la ferme et beaucoup plus dans l'industrie et le tertiaire.
La seule différence, c'est une différence de terme mais, au fond, la rente qu'exigeaient les propriétaires
terriens aux agriculteurs capitalistes est un parallèle qu'on peut effectuer avec la rente financière
qu'exigent aujourd'hui les fonds de pension et les fonds de placement aux entrepreneurs qu'ils
rémunèrent grâce aux stock-options et aux salaires extrêmement élevés.
Alors la « Sarkonomics » fait le lit d'une société de rentiers sans le dire. Au nom de la réhabilitation du
travail. C'est là où c'est pervers, si vous voulez, c'est un discours qui fait rêver les pauvres et qui leur
fait croire que, par le travail, ils pourront devenir des Dassault, des Bolloré, des Bouygues, etc. Sans dire
que la fortune des nouveaux rentiers n'a absolument pas été obtenue par le travail, mais par
l'exploitation, en vérité, du travail des salariés d'une façon tout à fait classique.
Pascale Fourier : Mais certains pourraient peut-être vous dire : « Mais c'est bien qu'il y ait des rentiers,
qui gagnent plein de sous, parce qu'ils le réinvestissent, et ça fait tourner l'économie! ». Donc oui, il y a
des riches, mais c'est un peu ce qu'on disait tout récemment à propos d'un cuisinier qui s'est fait
naturaliser monégasque. A ce moment-là, on a entendu des gens de l'UMP dire : "Les pauvres ont besoin
des riches." J'ai entendu ça à propos de l'ISF...
Liêm Hoang Ngoc : Oui, alors là, il faut être un petit peu post-keynésien, au sens des économistes
cambridgiens qu'étaient Nicolas Kaldor, Michal Kaleski ou Joan Robinson, qui sont des économistes très
peu connus en France, mais qui ont tenté de prolonger la théorie keynésienne en considérant par exemple
qu'il existait différentes propensions à consommer et à épargner dans une économie, selon la classe à
laquelle appartiennent les agents économiques. Par exemple la propension à consommer d'un smicard est
égale à un - il consomme tout son revenu - donc sa proportion à épargner, symétriquement, est égale à
zéro. Et, généralement, un smicard aujourd'hui est même endetté: sa propension à consommer est
supérieure à un. Il consomme plus que son revenu, il ne boucle plus ses fins de mois.
Si vous prenez par contre un rentier - un actionnaire pour ne pas utiliser les grands mots, un actionnaire
qui est très riche, qui gagne plus de 30 fois le SMIC -, une fois qu'il a consommé la moitié de ses 30
SMICs, l'autre moitié, il a du mal à la consommer, ou alors il faut vraiment qu'il soit collectionneur de
belles italiennes - les voitures, bien entendu –. Mais, même s'il collectionne les belles voitures, il lui
restera toujours une fraction de revenu que son banquier va se charger de placer sur les marchés, ou bien
lui conseiller de placer dans l'immobilier, où il va plumer un locataire qui ne pourra pas boucler ses fins de
mois.
Donc ça se passe comme ça. Quand vous distribuez de l'argent aux nouveaux rentiers, par exemple si vous
faites un paquet fiscal où la moitié du paquet fiscal revient à distribuer du revenu aux classes à forte