L`hypnose et la science L`hypnose pose problème. Depuis plus de

L’hypnose et la science
L’hypnose pose problème. Depuis plus de deux siècles, elle défie les tentatives d’approches
scientifiques tout en persistant comme pratique aux effets évidents. Aujourd’hui, les nouvelles
techniques d’imagerie permettent d’observer le cerveau en temps réel et apportent la
promesse d’une objectivation véritable. Où en est-on ?
La pratique de l’hypnose se porte bien. Elle compte parmi les techniques de psychothérapie qui ont
le vent en poupe. A l’hôpital, on la rencontre en salle d’opération, comme complément d’anesthésie,
ou dans les centres de traitement de la douleur, à titre d’analgésique. Ses applications sont diverses
et bien implantées. Mais qu’en est-il de sa légitimité scientifique ? Jusqu’il y a peu, le débat patinait
dans les mêmes termes, à peu de choses près, qu’au XVIIIème siècle qui vit naître les premières
demandes de légitimation.
L’hypnose depuis Mesmer
Le 12 mars 1784, le roi Louis XVI nomma une commission d’enquête scientifique destinée à faire
la lumière sur l’affaire du « magnétisme animal ». Cette médecine inquiétante pratiquée par le
Viennois Franz Mesmer, qui prétendait manipuler un « fluide magnétique», pouvait mener les
femmes de la meilleure société dans des crises de convulsions fort embarrassantes. Les
commissaires procédèrent à de nombreuses expériences, notamment sur des sujets aux yeux bandés,
qui ressentirent des effets alors qu’ils n’étaient pas magnétisés, ou n’en ressentirent pas alors qu’ils
l’étaient, et ils conclurent à l’inexistence du fluide : « L’imagination est la véritable cause des effets
attribués au magnétisme ». Pour beaucoup, le débat était clos. Pour d’autres, il commençait
seulement. Car, comme le disait Deslon, disciple de Mesmer, « si la médecine d’imagination est la
meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas de la decine d’imagination ? ». Encore fallait-il pouvoir
la manœuvrer à bon escient. Donc la comprendre un tant soit peu. La discussion se focalisa
durablement en deux camps scindés par la question du substrat physiologique. Quand un patient
tombe en transe hypnotique (le mot hypnose apparaît en 1843, pour se débarrasser de mot
magnétisme, inapproprié), exhibe-t-il un comportement étrange tout en se portant comme vous et
moi, ou bien est-il physiquement altéré ?
Charcot penche pour l’explication anatomique. Neurologue à La Salpêtrière à la fin du XIXe, il
reconnaît dans l’hypnose une manifestation de l’hystérie et la classe parmi les états pathologiques
issus d’un trouble fonctionnel du système nerveux. Pour Bernheim et Liébeault, au contraire,
l’hypnose n’est que le résultat d’une suggestion. Correctement formulée, celle-ci peut mettre
n’importe qui en état d’hypnose. Après la mort de Charcot, l’école de Bernheim s’impose, mais le
débat se transforme. S’il ne s’agit plus de pathologie, on s’interroge sur la spécificité du
fonctionnement cérébral. L’hypnose témoigne-t-elle d’un état spécifique du cerveau, distinct de la
veille et du sommeil, ou est-elle totalement assimilable à l’état de veille ?
Tout au long du XXe siècle, la polémique rebondit entre « étatistes » et « non-étatistes ». A partir
des années 30, à la suite de Clark Hull, plusieurs générations de psychologues américains
multiplient les études quantitatives avec protocoles standardisés. A la fin des années ’50, Ernest
Hilgard, pour ne citer que lui, établit une échelle d’hypnotisabilité et entreprend des études
statistiques sur la perception de la douleur (par immersion de la main des sujets hypnotisés dans un
bain d’eau glacée). Il observe que la variation de la sensation douloureuse ne s’accompagne pas de
modifications parallèles dans les réactions physiologiques et conclut à une forme de dissociation
entre perception physique et perception consciente.
A la fin du siècle, on a accumulé des centaines de recherches en psychologie scientifique, sans pour
autant fournir d’argument qui soutienne la réalité d’un substrat neuro-physiologique. C’est alors
qu’apparurent les techniques de mesures s’adressant au cerveau directement.
Mais avant de les décrire, de quoi parle-t-on au juste? Sans préjuger de ce que sont les mécanismes
profonds de l’hypnose, on peut s’en tenir à cette définition opérationnelle : l’hypnose est une
interaction sociale au cours de laquelle une personne fournit des suggestions à une autre.
L’interaction débute par une phase d’induction qui implique généralement la focalisation de
l’attention et la relaxation du corps, et qui porte le sujet à devenir plus réceptif aux suggestions. Son
expérience subjective peut se trouver profondément altérée, notamment en ce qui concerne le libre
arbitre, la perception de la douleur, la mémoire, les perceptions sensorielles.
Hypnose et douleur
Dans un premier temps, l’hypnose a été abondamment étudiée au moyen de
l’électroencéphalogramme, mais sans qu’il soit possible de mettre en évidence de traspécifique
dans l’activité électrique du cerveau. Des rythmes lents, communs à l’état de veille, coexistent avec
des rythmes très lents, présents dans la concentration intense, l’imagerie ou encore la méditation. La
difficulté de localiser l’activité cérébrale détectée a conduit à une littérature confuse et divergente.
Dans les années ’90, les techniques d’imagerie cérébrales ouvrent de nouvelles possibilités dans
l’exploration du cerveau. Grâce à la mesure des variations locales du débit sanguin, des
cartographies précises de l’activité cérébrale lors de tâches données devenaient possibles. Les
premiers à tenter l’expérience avec des sujets en état d’hypnose furent des cliniciens qui utilisaient
l’hypnose au quotidien dans le traitement de la douleur. La technique donnait de bons résultats,
mais on manquait d’une légitimité scientifique. Au CHU de Liège, Marie-Elisabeth Faymonville,
anesthésiste, lance dès 1995 une étude destinée à étudier la modification de l’activité du cerveau
sous hypnose au moyen de la tomographie à émission de positrons (TEP). Avec un nombre de sujets
limité, elle obtient des résultats suggérant un fonctionnement particulier du cerveau sous hypnose.
Ces observations sont confirmées par des travaux réalisés à Montréal sous l’impulsion de Pierre
Rainville : « La comparaison de l’activité cérébrale mesurée immédiatement avant et après la
procédure d’induction hypnotique démontre des changements, robustes et convergents entre les
études, dans l’activité de plusieurs régions du cerveau, en particulier des structures que l’on sait être
responsables de la régulation des états de conscience. Certains schémas d’activité font état d’une
vigilance relâchée, comme dans l’endormissement, tandis que d’autres ressemblent à une attention
focalisée sur une tâche. S’il s’agit d’un état, c’est un curieux mélange de relâchement et d’attention.
Ce qui pourrait être propre à l’hypnose, c’est la combinaison particulière de facteur neuronaux
actifs dans la régulation de la conscience ».
L’équipe de Liège mène ensuite une étude de grande envergure sur la perception de la douleur.
Celle-ci montre que le stimulus douloureux provoque une réponse cérébrale différente lorsque le
sujet est sous hypnose. Cette différence se marque principalement au niveau du cortex cingulaire
antérieur.
Plus intéressant encore, il est possible de distinguer plusieurs composantes dans la perception de la
douleur. L’équipe de Pierre Rainville a procédé sur des sujets hypnotisés à des suggestions visant à
intensifier le caractère désagréable de la douleur tout en maintenant une stimulation thermique
constante. Les sujets ressentaient les désagréments suggérés, tandis que l’étude par TEP révélait une
activité accrue du cortex cingulaire antérieur. Les structures responsables de la perception
sensorielle, elles, ne changeaient pas de niveau d’activité. En revanche, si la suggestion concernait
l’intensité de la stimulation, les activités des deux aires étaient modifiées. Autrement dit, les
composantes sensorielles et affectives de la douleur sont dissociables, tant sur le plan subjectif que
sur le plan neurologique. Et la structure qui module la composante affective de la douleur serait le
cortex cingulaire antérieur, qui semble jouer un rôle-pivot dans l’état hypnotique.
L’établissement de ces premiers résultats est une plate-forme importante pour la recherche future,
car elle valide l’idée qu’il existe un fonctionnement particulier en hypnose. Ce qui était un pari
difficile à relever, selon Pierre Rainville : « L’hypnose est un outil très complexe. Dans la pratique
clinique, la seule limite est l’imagination du thérapeute. Les suggestions peuvent varier à l’infini. Et
on peut supposer que leur nature aura un impact sur la réponse. Etudier ce phénomène de manière
expérimentale revient à n’explorer qu’un tout petit aspect. Car notre approche est un peu bête : il
nous faut des protocoles standardisés, le thérapeute s’ingénie justement à s’adapter à son
patient, à chercher ce qui lui convient le mieux, pour trouver le meilleur accès à son imaginaire.
Donc, nous devons appauvrir le phénomène pour pouvoir l’étudier, et malgré cela nous trouvons
des résultats robustes. »
Dans une étude récente réalisée par W. Derbyshire en imagerie fonctionnelle par résonance
magnétique, l’hypnose a été utilisée non pour réduire ou moduler une douleur, mais pour la créer de
toutes pièces. Une sonde thermique est placée sur la paume de la main de sujets hypnotisés. On les
prévient qu’un stimulus douloureux (la sonde atteignant 48,5°C) se produira toutes les trente
secondes. Mais dans la moitié des cas, le stimulus n’est pas administré la sonde reste froide. La
douleur hallucinée alors produit les mêmes schémas d’activation que la douleur réelle, quoique
moins intenses. Ainsi, le réseau neuronal de traitement la douleur qui s’active normalement sous
l’effet d’un stimulus pour l’amener à la conscience peut également « travailler à l’envers » et
s’activer sous l’effet d’une simple suggestion. Selon Pierre Rainville : « On touche au domaine
encore controversé des rapports entre conscience et physiologie. Pour les neurophysiologistes, la
conscience émerge du cerveau et n’a pas d’action sur le corps. Avec une approche comme
l’hypnose, on montrerait plutôt qu’en modifiant l’expérience subjective on peut modifier la
physiologie. »
Le fait qu’on ait pu mettre en évidence une modulation effective des processus neuro-physiologique
de la douleur par l’hypnose s’ajoute aux autres effets physiologiques déjà observés, comme la
diminution de la réponse cardiaque, ou même de la réponse réflexe. L’équipe de Didier Bouhassira,
à l’hôpital Ambroise Paré, a montque le réflexe provoqué dans la cuisse par une piqûre au pied
peut se trouver fortement réduit par l’hypnose, alors qu’il n’est pas contrôlé au niveau du cerveau
mais seulement de la moelle épinière. C’est donc que la réponse de la moelle épinière peut être
modulée par un système de contrôle qui part du cerveau et sur lequel l’hypnose est capable de jouer.
L’effet de l’analgésie hypnotique a donc pu être démontrée à de multiples niveaux. Cela confirme
que l’information douloureuse peut être modulée à de multiples niveaux, comme le laissaient déjà
penser de nombreuses observations, dont par exemple l’absence de corrélation entre l’importance
d’une lésion et la douleur qui en résulte. L’hypnose apporte aussi la possibilité d’agir à ces
différents niveaux. Par exemple, un nerf comprimé peut sensibiliser la moelle épinière au niveau de
la rentrée du nerf dans la moelle. La douleur finit par être activée centralement, et non plus de
manière périphérique, alors que la moelle épinière ne présente aucune lésion. Il s’agit d’une réponse
physiologique aberrante, qu’il sera peut-être possible de bloquer au niveau du système nerveux
central.
Mais comment l’analgésie hypnotique opère-t-elle concrètement? On a pu envisager qu’elle
dépende d’opioïdes endogènes, des substances proches de la morphine, produites par le cerveau.
Mais ce n’est pas le cas, car l’analgésie hypnotique ne semble pas perturbée par la prise de
naloxone, un antagoniste spécifique de la morphine. A ce jour, la question reste donc ouverte.
Luis Garcia Larréa, ainsi que d’autres équipes, par des études en TEP, ont établi que l’activité
cérébrale associée aux sensations douloureuses est extrêmement proche de celle qui caractérise une
focalisation de l’attention (par exemple lors d’un calcul mental). Le circuit de la douleur serait le
même que celui de la concentration. Une concentration intense aurait-elle alors pour effet de
chasser la douleur en « prenant sa place » ? Une recherche de Pierre Rainville appuie cette
hypothèse. Des sujets soumis à un stimulus douloureux constant changent brusquement de
perception lorsqu’on les incite à porter leur attention sur un autre stimulus (des sons par exemple).
L’intensité douloureuse ressentie passe de 6 à 4 sur une échelle de 10. De plus, l’activité cérébrale
n’est pas modifiée au niveau du cortex cingulaire antérieur, mais seulement du cortex
somatosensoriel, contrairement à ce qui se passe sous hypnose. C’est l’intensité même de la douleur
qui a été modulée par la concentration sur autre chose, et non son ressenti émotionnel. Autrement
dit, lorsqu’on mobilise son cerveau dans un exercice de concentration, on « chasse » la douleur, au
sens premier du terme, car les circuits qu’elle emprunte sont les mêmes.
Quant à l’hypnose, elle peut agir sur ces mêmes circuits, qui traitent le stimulus douloureux, ou bien
elle peut agir sur le cortex cingulaire antérieur, qui traite l’accès à la conscience.
Mais si les effets de l’hypnose sur les divers niveaux des mécanismes de la douleur sont de mieux
en mieux établis, l’état hypnotique ne s’en trouve pas pour autant objectivé en tant que tel. Selon
Didier Bouhassira : « On a objectivé les effets de l’hypnose, pas l’hypnose elle-même. Si on injecte
un médicament analgésique, on observera les mêmes effets sur l’activité cérébrale. L’effet démontré
n’a donc pas de spécificité. Par des études équivalentes, on pourrait sans doute objectiver l’effet de
beaucoup d’autres procédures psychothérapeutiques. Par exemple la relaxation, l’acupuncture, le
biofeedback, la psychothérapie cognitive… pour n’importe quelle technique qui modifie la douleur,
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