Entretien avec Salaheddine Benjelloun, docteur en économie et
expert-chercheur en matière de retraite
«Le socle de la protection sociale ou comment
amortir, pour les plus vulnérables, les effets de la
crise»
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Sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi, un Colloque international sur l’«Extension de la protection sociale
pour une cohésion sociale et un développement humain durable» se tient les 18 et 19 octobre, à Skhirat.
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Salaheddine Benjelloun.
Le Matin : les Nations unies ont adopté, en avril 2009, l’initiative pour un Socle de protection sociale parmi les
neuf initiatives prises conjointement par les Nations unies pour faire face à la crise économique. Pouvez-vous
expliquer cette initiative ?
Salaheddine Benjelloun : Le concept de Socle de protection sociale a été conçu par l’Organisation internationale
du travail. Il a été ensuite adopté par les Nations unies, lors du sommet sur les Objectifs du Millénaire pour le
développement de 2010. Il s’agit d’un ensemble de mesures visant à protéger les populations vulnérables en leur
assurant un revenu décent et un accès à des services sociaux essentiels, dont la couverture médicale de base.
La vision de l’Extension de la protection sociale découlant du concept de Socle de protection sociale est fondée
sur une stratégie bidimensionnelle. L’approche consistant à élargir progressivement la couverture de la sécurité
sociale cède la place à celle visant à faire bénéficier toutes les populations sans exception de services sociaux de
base, financièrement soutenable.
C’est la dimension horizontale. L’élargissement progressif des prestations sociales relève de la dimension
verticale. La conception du Socle de protection sociale puise ses racines dans les enseignements tirés
d’expériences réussies en matière d’extension de la protection sociale de base à toute la population du pays
(expériences réalisées par le Viet Nam, le Rwanda, la Thaïlande, l’Argentine, le Chili et la Chine, pour ne citer
que ceux-là). Ces expériences réussies ont été intégrées par le BIT dans sa conception du «Socle de protection
sociale» visant à étendre la couverture de la protection sociale dans le cadre d’une campagne intitulée «La
sécurité sociale pour tous». La proposition du BIT de lancer l’Initiative pour un Socle de protection sociale est
approuvée par l’Organisation des Nations unies : elle figure désormais parmi les neuf initiatives conjointes de
l’ONU pour amortir les effets de la crise économique.
Dans la conscience collective, la protection sociale est perçue comme étant un droit fondamental. Il reste que
seuls 20% de la population mondiale bénéficient d’une couverture sociale correcte. Qu’en est-il en Afrique, dans
la région MENA et au Maroc ?
Effectivement, en se référant à la Déclaration de Philadelphie, qui reconnaît l’obligation solennelle pour
l’Organisation internationale du travail de contribuer à réaliser l’extension des mesures de sécurité sociale, et à la
Déclaration universelle des droits de l’Homme, toute personne a un droit universel à la protection sociale et à un
niveau de vie décent. Il n’en demeure pas moins que les statistiques publiées par les Organisations
internationales sur les inégalités et la pauvreté dans le monde sont éloquentes : le dernier rapport de
l’Organisation internationale du travail sur la sécurité sociale dans le monde laisse apparaître que seul un tiers
des pays dans le monde, soit 28% de la population mondiale, bénéficie d’une couverture sociale étendue (soins
médicaux, retraite et chômage). Dans les pays du Sud, la couverture sociale s’étend progressivement. Mais elle
concerne principalement les salariés du secteur formel. En Afrique, seuls près de 10% des travailleurs
essentiellement ceux qui opèrent dans le secteur de l’économie formelle bénéficient d’une couverture sociale.
Les exclus de la majorité se retrouvent dans le secteur de l’économie informelle et au sein des populations
pauvres et vulnérables.
Dans la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), la plupart des pays ont mis en place des systèmes
de retraite, et un certain nombre d’entre eux ont un système d’assurance-maladie. Cependant, la couverture de la
sécurité sociale demeure limitée : seuls 33% de la population sont couverts par un régime de retraite obligatoire.
De surcroît, les prestations favorisent souvent une redistribution régressive au détriment des populations
vulnérables.
Au Maroc, si les salariés du secteur public bénéficient tous d’une protection sociale, dans le secteur privé
(formel), 79% de salariés n’ont aucune forme de protection sociale.
En fait, et malgré les soixante années de forte croissance économique qui ont suivi l’adoption, en 1948, de la
Déclaration universelle des droits de l’Homme, la protection sociale reste l’apanage d’une minorité de privilégiés :
environ 75% de la population mondiale n’est pas couverte par une protection sociale adaptée.
Un colloque international sur l’«Extension de la protection sociale, pour une cohésion sociale et un
développement humain durable» se tient les 18 et 19 octobre, à Skhirat sous le Haut patronage de Sa Majesté le
Roi. Quels sont les objectifs de ce colloque ?
Le débat public n’a pas manqué d’aborder, pour l’essentiel, les questions liées à la santé et à la retraite, mais,
souvent, de manière séparée et sans élucider les aspects économiques afférents à la protection sociale dans
notre pays. Aussi, l’Institut CDG ambitionne-t-il d’organiser un Colloque international fondé sur une approche
transversale des questions liées à la couverture des risques maladie, vieillesse et chômage, et au rôle de la
famille. Impliquant des chercheurs et spécialistes de haut niveau, des organisations internationales et les acteurs
de la protection sociale au Maroc et dans le monde, la vision dudit colloque se veut diverse et pragmatique.
Diverse par la richesse des thèmes abordés. Pragmatique en intégrant les spécificités nationales et en mettant en
exergue les fondamentaux à la base de la protection sociale au Maroc.
En termes d’objectifs, le colloque vise à mettre l’accent sur l’importance de l’extension de la protection sociale en
tant qu’outil de réduction de la pauvreté et des inégalités et de contribution à la croissance économique et au
développement humain durable. Il vise également à susciter un débat de fond sur l’avenir de la protection sociale
au Maroc, face aux problèmes d’emploi et d’universalité des couvertures sociales. Le colloque sera l’occasion de
confronter réflexions et analyses développées par les chercheurs et les points de vue des différents acteurs de la
protection sociale. Les participants pourront y échanger les enseignements et les données d’expériences
réussies dans le monde, notamment en matière de mise en œuvre du Socle de protection sociale.
Un mot sur les thèmes qui seront traités ?
Les thèmes du colloque s’articuleront autour de trois axes : «Les enjeux de la protection sociale», «La protection
sociale en tant que moteur d’une croissance pro-pauvres» et «Les chantiers de la protection sociale dans le
monde et au Maroc». Lors de deux séances plénières, des conférenciers et invités de renom mettront l’accent sur
les défis et les enjeux de la protection sociale et le développement humain. Ils présenteront également les
nouvelles orientations et stratégies d’extension de la protection sociale. Des thèmes pointus seront abordés lors
des neuf ateliers parallèles : «Approche genre», «Inégalités et redistribution», «Évolutions démographiques»,
«Réformes des retraites fondées sur les “Comptes notionnels”», «Stratégies et programmes de promotion de la
protection sociale», «Expériences réussies en matière de mise en place de socles nationaux de protection
sociale», «Extension de la protection sociale aux indépendants et au secteur informel» et «Protection de la
santé».
Qu’attendez-vous de ce colloque
Remettre en cause les idées reçues sur l’extension de la protection sociale et sur son financement. Le fait que,
dans des économies émergentes, la protection sociale (santé, notamment) a pu être étendue, dans un laps de
temps très court, atteignant une couverture à grande échelle pour les besoins de base corrobore l’idée qu’offrir
une protection sociale minimale à de larges populations est faisable et permet d’associer croissance économique
et équité. Les exemples de pays émergents comme la Chine, le Rwanda et le Viet Nam sont édifiants à cet
égard. Lors des ateliers parallèles et dans l’Espace protection sociale, conçu à l’occasion de ce colloque, les
expériences de la Thaïlande, de l’Argentine, du Chili et du Rwanda seront présentées par les experts de l’OIT.
Les études réalisées par des organisations internationales font ressortir qu’une part modeste du revenu national
peut financer une protection sociale de base pour tous. Deux Tables rondes réuniront les acteurs impliqués dans
l’extension de la protection sociale et dans la gestion des fonds d’appui et de compensation dans notre pays.
L’idée étant d’examiner les préalables et conditions permettant d’aboutir à un consensus sur les questions
cruciales inhérentes aux réformes des systèmes existants (âge de départ à la retraite ou la pension minimale, par
exemple). Le débat sur le rôle des fonds d’appui et de compensation dans la protection sociale éclairera, à coup
sûr, sur leur efficacité et sur la synergie de leurs actions.
Vous publiez un ouvrage sur les retraites. Pourriez-vous
le présenter ?
Il s’agit d’un livre consacré à la réforme et au financement des retraites au Maroc.
Les aspects inhérents aux inégalités et aux effets redistributifs font, particulièrement, l’objet d’analyses
empiriques.
En fait, le livre est le fruit d’une recherche académique effectuée à l’Université Paris-Dauphine, couronnée par la
soutenance d’une thèse de Doctorat en sciences économiques.
Deux grands chantiers : réforme des retraites et l’amo
Au Maroc, deux grands chantiers de l’extension de la protection sociale sont bien avancés : la réforme du
système de retraite et la mise en œuvre de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Le débat sur la réforme des
retraites s’est focalisé sur l’équilibre financier à long terme des régimes, mettant en lumière des notions
d’«horizon de viabilité» et de «dette implicite», moins éloquentes pour le grand public, pour justifier l’urgence de
la réforme. L’évaluation des effets des réformes sur les situations individuelles des retraités, l’analyse des finalités
des régimes de retraite et les aspects liés à l’équité intra et inter-générationnelle sont ainsi relégués au second
plan, voire ignorés. Force est de constater que la plupart des évaluations réalisées et diagnostics établis ne
permettent guère d’apporter des éléments de réponse à de nombreuses interrogations, notamment celles
relatives à l’impact des réformes intervenues ou projetées sur la «redistribution équitable» dans le contexte des
régimes marocains de retraite : Quelles sont les conséquences redistributives de ces régimes ? Les réformes
engagées ont-elles atténué les inégalités ou, au contraire, les ont-elles aggravées ? Les mesures et ajustements
mis en œuvre ont-ils tenu compte des conséquences négatives des «aléas» de carrière et de précarité qui
caractérisent singulièrement certaines catégories de salariés ou secteurs d’activité ?
Pour la couverture médicale, la mise en place des dispositifs Assurance maladie obligatoire (AMO) et Régime
d’assistance médicale (RAMED) marque un changement institutionnel majeur dans le financement du système de
santé. L’AMO relève de l’assurance sociale, financée par des cotisations obligatoires. Relevant plutôt de
l’assistance et financé par l’État et les collectivités locales, le RAMED qui touche actuellement 1,2 million de
personnes concernera 8,5 millions de citoyens.
Le débat public n’a pas manqué d’aborder, pour l’essentiel, les différentes problématiques liées à la santé et à la
retraite, mais, souvent, de manière séparée et sans élucider les problèmes économiques afférents à la protection
sociale dans notre pays.
Aussi, l’Institut CDG ambitionne-t-il d’organiser un colloque international fondé sur une approche transversale des
questions liées à la couverture des risques maladie, vieillesse et chômage, et au rôle de la famille. Impliquant des
chercheurs et spécialistes de haut niveau, des organisations internationales et différents acteurs de la protection
sociale au Maroc et dans le monde, la vision du colloque se veut diverse et pragmatique.
Publié le : 16 Octobre 2012 - Entretien réalisé par Farida Moha, LE MATIN
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