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« Forum de Fès » 2006
Résumé des échanges de vues, 5 juin : Islam et mondialisation
Les travaux du troisième jour du Forum ont consisté en une introduction de Faouzi Skali et en deux
tables rondes, dont l’une dans la matinée et l’autre dans l’après-midi. Le puissant film de Wim Wenders,
Land of Plenty (Terre d’abondance), a fait fond sur les échanges de vues de dimanche sur le thème
« Richesses et pauvretés ». Faouzi Skali a rappelé l’accent mis l’année dernière sur la ville de Fès, faisant
ressortir les travaux de la Fondation Esprit de Fès, en particulier le tourisme spirituel et culturel. Le souhait
partagé de traduire les paroles et la réflexion dans des actes et des résultats peut commencer à se réaliser
avec cette ville bien-aimée.
La formulation des questions et le choix même des termes parfument et tempèrent chaque débat au
Forum, mais le thème, « Islam et mondialisation », a eu des échos particuliers qui ont persisté toute la
journée. Chaque syllabe était décortiquée et analysée. La sensibilité et la complexité des questions sur
l’Islam transparaissaient dans la passion, les nombreuses questions posées, et les différences nuancées des
perspectives. Les échanges de vues de la matinée ont navigué à travers l’histoire et le monde contemporain,
préconisant des idées de réforme et de changement. L’après-midi a ramené les problèmes mondiaux à
l’échelle locale, en se concentrant sur les questions concernant les Musulmans et la France, illustrant ainsi
les tensions qui existent entre le niveau mondial et le niveau local dans toutes leurs dimensions. Des appels
ont été lancés à chaque stade en faveur de nouveaux ponts de compréhension et d’action, qui doivent
notamment revêtir la forme de nouvelles alliances, mais aussi valider et renforcer l’importance vitale du
dialogue et des contacts et de l’engagement personnels.
Les échanges de vues de la matinée resteront gravés dans nos mémoires comme étant parmi les
plus intenses que nous ayons eus. Faouzi Skali, en introduction au thème du débat, a souligné que les
questions de l’Islam dans le monde actuel se posent chaque jour, sans cesse amplifiées par le rôle central
des médias, par la levure de la culture et de la foi, de la politique et de la religion. Comment l’Islam
« vécu » se définit-il par rapport aux images de l’Islam qui inondent les écrans de télévision et émaillent le
discours politique ? Les valeurs et les préoccupations communes au sujet de la citoyenneté et les droits
humains dont nous avons parlé le premier jour entrent-elles en conflit, d’une certaine manière, avec les
croyances religieuses profondément enracinées ? Comment l’Islam est-il le même à travers le monde ?
Comment est-il différent ? Comment représente-t-il un courant constant ? Dans quelle mesure est-il un
cours d'eau rapide et changeant ou une inondation ? Comment l’Islam, dans toutes ses dimensions et
formes, contribue-t-il à rendre le monde plus pacifique ?
a) L’Islam dans le monde. Le panorama mondial actuel de l’Islam a fondamentalement changé, depuis le
début du Forum en 2001 ; les débats sur l’Islam ont revêtu des formes très nouvelles après le 11 septembre,
et ce changement s’aperçoit très clairement dans une explosion visible d’intérêt et d’attention. Ce débat
nourri se caractérise par des différences profondes d’approche, de programmes d’action, de ton et d’impact,
mais dans l’ensemble, l’image d’un Islam « en pleine expansion » est à la fois une perception fausse (car il
a toujours été là, avec de solides courants de continuité) et une qui détermine la forme des stratégies et les
colore à plusieurs niveaux. Les différences de perception sont frappantes, allant, il faut bien le reconnaître,
des visions importantes (parce que très répandues) de l’Islam en tant que « projet visant à dominer le
monde », liées au vocabulaire que l’on utilise pour décrire le terrorisme, à d’autres visions, plus sages, nous
semble-t-il, d’un phénomène spirituel et culturel à l’oeuvre, bien plus réaliste, complexe et positif. Au delà
des débats on a l’impression, pour l’exprimer d’une manière assez neutre, que l’on se préoccupe
essentiellement aujourd’hui de savoir à quel point les sociétés islamiques à travers le monde, à certaines
exceptions près (la Malaisie, par exemple), sont marginalisées dans la communauté internationale, en
particulier dans l’économie mondiale, mais et surtout, dans la diffusion de l’information. Le style agressif
de l’« Occident » ne facilite pas la recherche d’une solution à ce problème fondamental. Sans être le sujet
central, la conviction sous-jacente un thème commun de base de ce Forumest celle du défi qui consiste
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à trouver une voie que les sociétés musulmanes peuvent emprunter pour jouer un rôle plus important,
créatif et pacifique dans l’édification de sociétés, d’économies et de cultures mondiales et diverses.
« Comment l’Islam peut-il se donner de l’espoir et mettre fin à la perception négative qui nous oblige à
réagir au lieu d’agir de manière constructive ? »
b) Réécrire l’histoire. La théorie de Huntington concernant un choc des cultures et des civilisations a été
maintes fois mentionnée, avant tout pour démythifier sa simplification excessive d’un monde complexe,
mais aussi pour mettre en évidence la puissance d’une idée. Pendant 10 ans, rares ont été les réunions qui,
ayant la « stratégie » à l’ordre du jour, n’ont pas présenté les problèmes en ces termes. Il ne s’agit
cependant pas d’un débat intellectuel trivial sur les théories de l’histoire. Lorsque, comme cela est trop
souvent le cas, cette théorie détermine une vision du monde dans lequel la Quatrième guerre mondiale bat
son plein, elle produit un climat de peur et accentue ou crée des tensions et inspire des décisions sur les
dépenses d’armements et de sécurité qui influent sur la vie de tout un chacun. Les énormes dépenses
militaires évincent véritablement les dépenses consacrées à la lutte contre la pauvreté. Les visions
utopiques d’un retour à un califat utopique sont cependant tout aussi dangereuses. Ahmed Abbadi nous a
rappelé l’horrible pouvoir de visions utopiques déformées d’un Hitler et d’un Mussolini.
c) Pièges. L’image d’un piège a été souvent utilisée, au moins dans deux sens : les débats sont pris au
piège des idées, d’un langage et d’une compréhension laissant souvent à désirer, et nous abordons les
questions délicates de l’Islam d’aujourd’hui en nous engageant sur un chemin semé de pièges—politiques
et émotionnels. Un piège a été comparé à du chantage : la crainte que même une simple analyse du
terrorisme ne le valide et ne le justifie d’une façon ou d’une autre, ce qui contrecarre la solide analyse qu’il
aurait fallu mener. Un autre piège réside dans le fait qu’un climat de confrontation, qui alimente et accentue
les tensions, donne la force et le pouvoir aux extrémistes et renforce les possibilités de recrutement de
jeunes pour les causes extrémistes. Un troisième piège est celui de l’humiliation et de ses conséquences : le
sentiment d’un manque de respect, d’incompréhension et d’« islamophobie » pure et simple qu’éprouvent
de nombreux musulmans suscite des réactions très humaines, consistant à adopter une attitude défensive et
trop souvent de repli sur soi et de contre-attaque. Les pièges du langage ont été cités, l’exemple le plus
parlant étant une étude de l’École supérieure de guerre des États-Unisétude réfléchie et savante en elle-
même—dans laquelle un document recommandant de faire attention au langage que l’on utilise était
intitulé : How to Fight Islamic Terrorism through Language (Comment combattre le terrorisme islamique
par le langage). Un dernier piège a trait à la manière souvent bizarre de qualifier d’« islamiques » des
phénomènes sociaux, politiques et économiques complexesnon pas seulement le terme détestable de
« terroristes islamistes », mais aussi un signe : « Islamic Culture » (culture islamique) près des signes
« China » et « Europe » au British Museum.
d) Diversité. Si l’on s’est accordé sur un fait c’est le fait que l’Islam est aujourd’hui si complexe, si divers
que personne nulle part ne peut en prendre toute la mesure« hypercomplexité, » a été le terme utilisé à
cet égard. L’« homogénéisation » de l’Islam dans le dialogue public, pour tenter de percevoir de l’ordre
lorsque la compréhension est limitée, n’est pas sans danger en soi. Même au sein d’une ville (Londres ou
Fès, par exemple) les différences entre les différentes communautés sont considérables. « L’Islam consiste
en de nombreuses tendances différentes, » avec de multiples identités qui se chevauchent, déterminant la
manière dont les communautés et les personnes physiques se perçoivent. Le résultat clair, bien compris est
que le grand courant dominant de la foi et de la culture islamiques est marginalisé dans la manière dont on
le comprend et par conséquent dans le traitement que lui réservent les pouvoirs publics. « C’est ici un
Islam dont nous n’entendons plus parler, un Islam représentant le courant dominant »—comme l’a rappelé
M. Abbadi, nous ne devons pas être chagrinés par le fait que notre vision du monde soit définie par un
« homme des cavernes. » L’Islam riche et silencieux doit se faire entendre et se faire voir.
e) Les musulmans dans la société occidentale. Il y a beaucoup à apprendre des nombreuses expériences
positives des musulmans vivant dans les sociétés occidentales, qui créent de nouvelles structures sociales,
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allant des instruments financiers à la représentation politique en passant par une culture d'avant-garde. La
participation positive des musulmans à la communauté au sens large constitue un puissant facteur de
mondialisation, qui est bien trop peu reconnu et apprécié.
f) Réforme. La réforme a été un autre puissant thème commun, utilisé dans de nombreux sens. Le problème
le plus complexe et le plus ardu a été celui de savoir comment la théologie et la cosmologie islamiques
évoluent en réalité et la manière dont elles devraient évoluer. Mais le défi de bien plus vaste portée de la
réforme dans les pays à prédominance musulmane s’est également posé, celui de savoir comment l’Islam
s’articule avec les structures sociales, économiques et politiques en évolution. Assia Alaoui Bensalleh a
navigué à travers une gamme extraordinaire de processus qui illustrent l’appétit et la réalité des réformes
sous de multiples aspects. Le rôle des femmes dans les sociétés musulmanes demeure un sujet d’actualité et
de grave préoccupation. Les réformes audacieuses du code de la famille conduites par le Maroc offrent un
merveilleux exemple. Leur réussite a été attribuée à la conjoncture remarquable de deux puissantes forces :
l’activisme positif des femmes dans différents domaines et la direction éclairée d’un monarque investi
d’une remarquable légitimité politique autant que religieuse. Le débat s’est terminé en laissant de
nombreuses portes à ouvrir et de nombreux sentiers à explorer.
g) Les médias. Démon ou sauveur ? Le rôle des médias qui façonnent les images et peuvent exercer une
influence positive a été souvent évoqué. Mais il a été aussi recommandé d’aborder ce sujet de manière
nuancée et prudente, pour éviter d’attribuer aux médias un rôle trop négatif et trop important. Il est
impossible de nos jours de parler d'initiatives ou de réformes sans tenir compte de l’opinion publique et les
médias jouent un rôle crucial à cet égard.
h) Connaissance et recherche. Au cours des échanges de vues, on a évoqué ce qui est qualifié en anglais
de paradoxe d’un marin des temps anciens : « de l’eau, de l’eau, partout de l’eau, mais pas une goutte à
boire. » Partout les gens veulent en savoir plus sur l’Islam et jamais il n’y a eu autant de livres et d’articles
sur pratiquement tous les aspects de l’Islam. Paradoxalement, le plus grand nombre sinon les meilleures de
ces publications proviennent du monde anglo-saxon. Et pourtant il subsiste d’énormes lacunes de
connaissance et bien plus de compréhension. Les intervenants ont fait de nombreuses suggestions
positives : de nombreuses recommandations de livres à lire, de sujets à explorer, de recherches à effectuer ;
des appels en faveur de la libération de la science pour mettre en place un cadre de recherche positif et
ouvert ; et la proposition pratique (de l’Ambassadeur de Finlande) d’organiser une conférence pour
partager les études de cas positives sur des dispositions sociales précises concernant le pluralisme et les
nouveaux problèmes des communautés musulmanes vivant en Occident.
i) Les frontières du culaire et du religieux. Les débats en France et les mesures qui y sont prises pour
faire face à la réalité de sa population musulmane, qui atteint désormais 10 %, offrent à la fois une histoire
et un exemple très particuliers ainsi que certains enseignements sur la complexité des enjeux contemporains
pour toutes les religions en général et l’Islam en particulier. Les échanges de vues de l’après-midi ont
débouché sur un sentiment très vivace de nouvelles réalités des familles de migrants, qui veulent avoir leur
mot à dire sur la scène politique et qui recherchent la sécurité économique, un endroit pour acheter à
manger, pratiquer leur religion et enterrer leurs morts.
Les intervenants étaient les suivants : Introductions musicales : Capela Deministrer, Natalie Nicaud
Résumé du premier jour, Katherine Marshall ; Introductions : Faouzi Skali.
Première table ronde : Amel Arfauoi (modératrice), Pascal Boniface, Assia Alaoui Bensalah, Ahmed
Abbadi, Kristiane Backer, Abdou Filali Ansary ; observations de Hamid Barrada et Zeyba Rahman.
Deuxième table ronde: Abderrahim Hafidi (modérateur), Jean-Pierre Chevènement, Adil Jazouali, Chems
Eddine Hafiz, Patrice Barrat, Veronique Rieffel
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Film de Wim Wenders, « Land of Plenty » (Terre d’abondance).
Note : version provisoire, susceptible de révision.
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