Idéal : "le fait que l'idéal ascétique ait tant signifié pour l'homme, voilà qui exprime le trait fondamental de la
volonté humaine, son horror vacui : elle a besoin d'un but, -et plutôt que de ne rien vouloir, elle veut le rien."
(Généalogie… III, 1) "Le prêtre ascétique est le désir incarné du vivre autrement, du vivre ailleurs, il est le
suprême degré de ce désir, sa ferveur et sa passion véritable." (Généalogie… III, 13) "c'est ce que signifie l'idéal
ascétique : il voulait dire que quelque chose manquait, qu'une immense lacune enveloppait l'homme, -incapable
de se justifier, de s'expliquer, de s'affirmer, il souffrait du problème de son sens. Il souffrait aussi d'autres choses,
il était pour l'essentiel un animal maladif : mais son problème n'était pas la souffrance en elle-même, c'était
l'absence de réponse au cri dont il interrogeait : "pourquoi souffrir?" " (…) "le non-sens de la souffrance, et non la
souffrance, est la malédiction qui a pesé jusqu'à présent sur l'humanité, -et l'idéal ascétique lui donnait un sens! "
(…) "En lui la souffrance était interprétée; l'immense vide semblait comblé; la porte se fermait devant le nihilisme
et son suicide. Sans aucun doute, l'interprétation entraînait une nouvelle souffrance, une souffrance plus
profonde, plus intime, plus venimeuse, plus dévorante : elle plaçait toute souffrance dans la perspective de la
faute…Mais malgré tout –l'homme ainsi était sauvé, il avait un sens, il cessait d'être comme une feuille dans le
vent, jouet de l'absurde, de la privation de sens, il pouvait désormais vouloir quelque chose, -et ce qu'il voulait,
pourquoi et par quoi il le voulait importe peu : la volonté elle-même était sauvée" (…) "…tout cela signifie, osons
le comprendre, une volonté de néant, une aversion de la vie, une révolte contre les conditions fondamentales de
la vie, mais cela est et demeure une volonté!… Et pour répéter à la fin ce que j'ai dit au début : l'homme aime
mieux vouloir le néant que ne pas vouloir…" (Généalogie… III, 28, fin) "La réapparition constante de ces
doctrinaires de la finalité de l'existence n'en a pas moins eu pour effet de modifier la nature humaine –cette
nature a désormais un besoin de plus, précisément le besoin de la constante réapparition de pareils doctrinaires,
de pareilles doctrines de la finalité. L'homme est devenu peu à peu un animal fantasque, lequel, plus que tout
autre animal, se trouve devoir satisfaire à une nécessité vitale : il faut que de temps en temps l'homme croie
savoir pourquoi il existe, son espèce ne saurait prospérer sans une confiance périodique dans la vie." (Gai
Savoir Folio, pp.51-52)
Lecture : "Evidemment, pour pouvoir pratiquer la lecture comme un art, une chose avant toute autre est
nécessaire, que l'on a parfaitement oubliée de nos jours –il se passera donc encore du temps avant que mes
écrits soient "lisibles"-, une chose qui nous demanderait presque d'être de la race bovine et certainement pas un
"homme moderne", je veux dire : savoir ruminer…" (Généalogie… Avant propos, 8) "Dans les moments où je
travaille beaucoup on ne voit pas de livres chez moi : je me garderais bien de laisser parler ou seulement penser
quelqu'un dans mon voisinage... " (Ecce Homo, "Pourquoi j'en sais si long?"§3) "Une autre mesure de
sagesse et de tactique défensive consiste à réagir le plus rarement possible, à se soustraire aux situations, aux
conditions qui vous condamneraient à suspendre en quelque sorte votre initiative et votre « liberté » pour devenir
un simple réactif. Je prends comme terme de comparaison nos rapports avec les livres. Le savant, qui ne fait
plus au fond que « déplacer » des livres - deux cents par jour pour un philologue de dispositions moyennes finit
par perdre radicalement la faculté de penser par lui-même. S'il ne remue plus de livres il cesse de penser. Il
répond simplement à une excitation, à une idée qu'il a lue, et finit par se contenter de réagir. Le savant dépense
toute sa force à approuver et à contredire, à critiquer du déjà pensé, lui-même ne pense plus du tout... Son
instinct de défense s'est usé, autrement il se garderait des livres. Le savant est un décadent. J'ai vu de mes yeux
des natures riches, douées et nées pour la liberté, ruinées dès la trentaine par la lecture et réduites pour jamais
au simple rôle d'allumettes qu'il faut frotter pour leur faire donner des étincelles, des « pensées ». Lire un livre de
bon matin, au lever du jour, en pleine fraîcheur d'esprit, en pleine aurore de la force, j'appelle cela du vice !"
(Ecce Homo, "Pourquoi j'en sais si long?"§8)
Mariage : "Quel grand philosophe a été marié? Héraclite, Platon, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant,
Schopenhaeur ne l'étaient pas; bien plus, on ne peut même pas les imaginer mariés. Un philosophe marié est à
sa place dans la comédie, voilà ma thèse : et Socrate, qui fait exception, ce malicieux Socrate s'est sans doute
marié ironice, précisément pour démontrer la vérité de cette thèse." (Généalogie… III, 7)
Matérialisme : "Cette conception n'empêche aucunement, soit dit entre nous, de rester l'adversaire le plus
intransigeant de tout matérialisme…]" (Généalogie… III, 7)
Mauvaise conscience (Schlechtes Gewissen): "La mauvaise conscience est à mes yeux une maladie grave,
suite inévitable de la presssion qu'a exercée sur l'homme le changement le plus profond de tous ceux qu'il ait
jamais vécus, -ce changement qui s'est produit lorsque l'homme s'est vu pris dans la contrainte de la société et
de la paix." (…) "Ces remparts terrifiants que l'Etat érigea pour se défendre contre les vieux instincts de liberté –
les châtiments y appartiennent éminemment –réussirent à retourner tous ces instincts de l'homme nomade,
sauvage et libre, et à les retourner contre l'homme lui-même. L'inimitié, la cruauté, le plaisir de persécuter,
d'attaquer, de transformer, de détruire –tout cela tourné contre les possesseurs dotés de tels instincts : voilà
l'origine de la "mauvaise conscience"."(Généalogie… II, 16)
Métaphysique : "C'est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre croyance en la
science, -nous autres qui cherchons aujourd'hui la connaissance, nous autres sans dieu et antimétaphysiciens,
nous puisons encore notre feu à l'incendie qu'une croyance millénaire a enflammé, cette croyance chrétienne qui
était aussi celle de Platon, que Dieu est la vérité, que la vérité est divine… Mais quoi, si cela même se discrédite
de plus en plus, si rien ne se révèle plus comme divin, sinon l'erreur, l'aveuglement, le mensonge, -si Dieu même
se révèle comme notre plus durable mensonge?"" (Généalogie… III, 24) «Un désavantage essentiel qu’emporte
avec soi la disparition de vues métaphysiques consiste en ce que l’individu restreint trop son regard à sa courte
existence et ne ressent plus de fortes impulsions à travailler à des institutions durables, établies pour des