un maître de la langue, avec un sens aristocratique du
rapprochement brillant, de la formule inattendue mais révélatrice,
des délices de la digression, de l’ornementation syntaxique, du jeu
de mots enchanteur" (Ann Smock).Les romans de Giraudoux se
forment autour d’un personnage central, dont la place dans le monde
semble problématique et que l’auteur observe, comme un rêveur
détaché : Suzanne et le Pacifique (1921), Juliette au pays des
hommes (1924), Les Aventures de Jérôme Bardini (1930) sont les
récits d’individus en fuite, en état d’évasion, essayant une nouvelle
vie, comme Suzanne, qui tente, d’un point de vue de femme, de
revivre l’expérience de Robinson Crusoé, seule sur une île. Dans
Siegfried et le Limousin (1921), le héros est un soldat français
amnésique qui devient citoyen allemand, comme si les frontières
n’étaient après tout que des objets de la mémoire. L’oeuvre de
Giraudoux apparaît souvent comme une tentative de réconciliation
entre l’humanité et le cosmos, dont elle s’est détachée : "’L’homme a
voulu avoir son âme à soi. Il a morcelé stupidement l’âme générale"
(Ondine). Les acteurs, les personnages de Giraudoux aspirent – sans
pourtant y croire complètement, a retrouver le bonheur sur cette
terre, et un lieu symbolique, l’Eden, c’est-à-dire "l’intervalle qui
sépara la création et le péché originel" (Juliette au pays des
hommes).
Provoquée par sa rencontre avec l’acteur et metteur en scène
Louis Jouvet (1887-1951), Giraudoux n’a commencé sa carrière
d’écrivain de théâtre qu’en 1928, avec Siegfried, tiré de son roman
précédent. Cette pièce a été suivie par ses grands chefs-d’oeuvre :
Amphytrion 38 (1929), Intermezzo (1933), La Guerre de Troie
n’aura pas lieu (1935), Electre (1937), Ondine (1939), Sodome et
Gomorrhe (1943).
Ces pièces, dont certaines s’inspirent de tragédies antiques,
d’autres de mythes bibliques ou de légendes germaniques, sont une
manière distanciée de s’intéresser à son époque, à cette atmosphère
lourde des années trente, hantée par la montée des tragédies
contemporaines, du fascisme et des guerres. Par l’humanisation et
l’actualisation des dieux et des héros antiques, Giraudoux propose
dans ses oeuvres théâtrales une reformulation du sacré comme une
réponse possible aux interrogations et aux angoisses de son temps.