KARSENTI B. et BENOIST J. : "Phénoménologie et Sociologie", Presses universitaires de France, dans la collection fondements de la politique, 2001. Contexte et place dans la recherche : la communication entre les sciences. Le travail dans les interfaces, dans les interlignes, qui permet de mieux étudier les porosités dans des domaines qui paraissent de prime abord étrangers l'un à l'autre. Page 5 : " Ce n'est pas sans quelque conscience du paradoxe -- paradoxe consenti et voulu par lui-même -que nous abordons ici le thème « sociologie et phénoménologie ». À vrai dire les deux termes ne paraissent pas faire bon ménage : d'un discours théorique consacré à l'être social de l'homme, pris dans le contexte de formes d'organisations collectives, à un autre voué en premier lieu à la description des formes d'expérience de la conscience individuelle, il semble y avoir loin. Et toute tentative pour combler ce gouffre pourrait conduire à des contresens majeurs." Page huit : "Dans cette mesure, c'est donc des structures universelles du monde de la vie qu'il est question dans ce qui pourrait n'apparaître à première vue que comme un problème de spécialisation disciplinaire. Et l'on ne s'étonnera pas que celui qui peut être considéré comme l'un des pionniers d'une approche de ce type en sciences sociales, Alfred Schütz, ait placé expressément son projet sous la rubrique d'une « anthropologie philosophique », élucidation des conditions premières de l'expérience et de l'action où sciences sociales et philosophie sont conjointement engagées." Page 9 : "Tout d'abord, la société existe sans le sociologue, la frontière entre la connaissance dont celui-ci est capable et celle qui tisse la trame son propre objet est par définition instable, soumise à une tâche de reformulation incessante qui témoigne de sa porosité, faisant précisément de celle-ci un enjeu épistémologique crucial." Mon analyse : l'auteur témoigne ici d'un travail sur les marges entre les sciences. C'est dans ces marges que l'inter et la transdisciplinarité ouvrent des voix dans une porosité de fait. Page 10 : " La critique primordiale des « prénotions », aspect de ce que l'on a longtemps dénoncé comme relevant du « chosisme » durkheimien, creuse encore cette frontière de l'intérieur et de l'extérieur au sein d'une sociologie débarrassée autant que possible de ce qui subsistaient en elle de philosophie de l'histoire, et se tournant d'ailleurs de plus en plus vers l'ethnographie pour mettre en oeuvre son comparatisme objectivant, à un niveau résolument synchronique. De fait, c'est bien du partage entre sociologie et ethnologie qui est essentiellement question : car si la sociologie à tant de difficultés à introduire en elle cette rupture sans laquelle elle ne peut se constituer, on peut se demander si elle n'a pas sa vérité épistémologique hors d'elle-même, dans le savoir des sociétés autres, qu'un évolutionnisme persistant appelle primitives et qu'une désignation plus exacte du problème qu'elles sont censées résoudre, en ce qu'il nous est propre et ne les concerne que très indirectement, tendraient plutôt à qualifier d'exotiques." Mon analyse : le handicap et son champ sont peut être considéré comme ces champs exotiques dont parle l'auteur. Pages 14 et 15 : " La sociologie compréhensive de Weber, avec la place qu'elle réserve à la distinction des motifs et aux modalités de la visée significative, et la critique qui s'y trouve impliquée des entités collectives abstraites qui servent de base aux constructions positives, [...] À cette inspiration s'ajouta la tradition pragmatiste américaine, celle de James, Dewey ou Mead, avec laquelle Schütz s'était confronté et qu'il avait cherché à intégrer dans sa démarche, [...] Parallèlement, on relèvera l'importance du courant ethnométhodologique initié par Garfinkel et Sacks, dont la rupture avec l'objectivisme classique et le modèle sociologique hérité de Parsons a elle aussi procédé d'une référence phénoménologique essentielle, s'attachant à remettre en jeu l'évidence du monde social en la considérant à partir de sa déstabilisation, celle produite par les breaching experiments où la compréhension commune est suspendue et soumise à un travail de restauration." Page 16 : " Aux synthèses molles et pacifiantes, combien tentantes aujourd'hui, nous avons préféré la mise en lumière systématique des différences. C'est à elles, nous semble-t-il, que les véritables structures conceptuelles des discours se révèlent." Mon analyse : notre travail se situe bien dans ces différentes approches. À propos de l'enquête de terrain Page 43 : "Nous mettrons alors à l'oeuvre les notions de conversion réflexive, d'expérience corporelle, de relations d'interaction, de cadres de pertinence et de monde de la vie quotidienne pour porter un éclairage sur les activités constitutives de l'enquête de terrain." Page 53 : "Enquêter, c'est faire preuve dans une situation problématique de réceptivité et d'imagination, et entretenir un rapport de réflexivité pratique avec ce qui est dit et fait en étant orienté vers les autres et vers les choses. Enquêter, s'est assumer le remaniement de ses repères d'expérience, la réorientation de ses activités pratiques, le double jeu en miroir de l'interrogation de soi et du questionnement d'autrui, c'est aussi, dans l'épreuve de cet ébranlement, faire apparaître la structure de typicité des cadres d'interprétation et des motifs d'action des enquêtés et, en retour, de l'enquêteur lui-même. Le corps est le médium de ces séries d'épreuves. Il est l'organe de savoir-faire, de savoir-voir et de savoir-dire qui ne se réduisent pas à la projection de problématiques théoriques ou de techniques méthodologiques. La phénoménologie génétique a rendu compte de la formation d'habitus, où sédimente le parcours biographique et qui (où) s'articulent des réserves d'expérience." Page 123 : " Les phénoménologies en ce qu'elles nous parlent de l'expérience humaine peuvent servir de point d'appui à une modélisation sociologique de cette expérience. Elles ont donc une affinité particulière avec les sociologies du second degré ; le passeur étant Schütz. On sort là des préjugés de nombreux sociologues selon lesquels la philosophie ne renverrait qu'à une connaissance « spéculative » n'ayant pas vraiment de rapports avec une réalité empiriquement constatable." Mon analyse : comme les auteurs l'enquête de terrain en sciences sociales, emprunte à la phénoménologie, au pragmatisme et au naturalisme.Comme dans le champ du handicap on travaille les flous, les intersections et les fragilités des délimitations de chaque science. Page 209 : "Dans une page célèbre de l'essai sur le don, Marcel Mauss montrait que les "faits sociaux totaux" qui mobilisent "la totalité de la société "ou au moins "un très grand nombre d'institutions ", envisagés précisément de ce point de vue, laissent "percevoir l'essentiel, le mouvement du tout, l'aspect vivant, l'instant fugitif où la société prend, où les hommes prennent conscience sentimentale d'eux-mêmes et de leur situation vis-à-vis d'autrui." Mauss M. : "Sociologie et anthropologie", Presses Universitaires de France, Paris, 1950 et 1968 p.274276. Mon analyse : le Téléthon pour le handicap devient ainsi "un fait social total !