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Antonin le Pieux (138-161)
Le règne d’Antonin le Pieux passe pour un des plus calmes de l’Empire ; il correspond,
pour beaucoup d’historiens, à l’apogée du « siècle des Antonins ».
On remarquera que ce souverain fut le premier vrai Antonin.
I. Un bon empereur
Antonin le Pieux est à Lanuvium (dans le Latium) ; on lui connaît un ancêtre
nîmois, d’où son succès auprès des historiens français.
De naissance, il s’appelait Aurelius Antoninus et il est devenu, à la suite de son
adoption par Hadrien, T. Aelius Hadrianus (noms d’Hadrien) Antoninus.
Il appartenait à une riche famille et il a su faire fructifier son héritage, essentiellement
constitué de biens fonciers, auxquels il faut ajouter des briqueteries.
La carrière sénatoriale qu’il a suivie (le cursus honorum) l’a mené aux plus hautes
fonctions, un consulat en 120 et le proconsulat d’Asie en 134.
En 138, il avait 52 ans, ce qui, conformément aux critères de l’époque, faisait de lui un
vieillard, donc un homme sage.
Sa désignation par Hadrien, en fait son adoption, a été approuvée par le sénat. Cette
désignation et son comportement ultérieur ont donc permis de l’inscrire au nombre des « bons
empereurs » dans les listes établies par la tradition aristocratique.
Par tous les aspects de sa personnalité, Antonin le Pieux représentait le juste milieu. Il
aimait la culture mais avec modération et il compta au nombre des stoïciens tempérés. À
l’égard de ses sujets, il se montra humain en tout, cultivant l’image d’un homme qui aimait la
campagne, la chasse et la pêche. En politique extérieure, il sut se montrer énergique avec
douceur et patriote sans excès.
II. Une politique du juste milieu
L’empire était heureux, comme l’a dit le rhéteur grec Aelius Aristide dans l’Éloge de
Rome qu’il prononça en 143 ; en 148, la célébration du 900e anniversaire de Rome mit en
évidence un sentiment d’unanimité et de satisfaction de tous les habitants du monde
méditerranéen.
Les sénateurs furent satisfaits : l’empereur supprima les consulaires.
Les citoyens romains furent satisfaits : l’empereur manifesta son évergétisme à l’égard
des habitants de Rome et il créa les puellae faustinianae (c’était une extension des alimenta
aux filles).
Les humbles furent satisfaits : le droit se fit plus doux pour les esclaves, les pauvres et
les prisonniers (sous l’influence du stoïcisme).
Les provinciaux furent satisfaits : l’empereur se montra généreux à leur égard et choisit
avec soin les nouveaux gouverneurs.
Une limite : dans le droit fut introduite une nouvelle distinction, entre honestiores et
humiliores, qui opposait les plus riches aux plus pauvres, ces derniers étant plus durement
sanctionnés pour une même faute.
• L’empire jouit de la sécurité sur tous les fronts.
En Orient, Antonin le Pieux refusa de rendre à Vologèse III le trône de Chosroès. Cette
attitude impressionna les Parthes qui ne bougèrent plus.
Les Alains tentèrent de mener un assaut contre l’empire. Un général célèbre par ailleurs,
Arrien (il était un grand intellectuel), les repoussa.
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Des troubles sont attestés en Dacie, en Maurétanie et en Bretagne (Brigantes, vaincus
par Lollius Urbicus) ; quelques historiens en font de vraies guerres, ce qui est peut-être
excessif.
En Bretagne, fut érigé un deuxième mur pour séparer le monde romain du monde
barbare. Plus au nord que le mur d’Hadrien, qui au demeurant ne fut pas abandonné, il
s’étendait sur 60 km. Les constructeurs ont utilisé davantage le bois et la terre, notamment
pour la palissade, les fortins, les forts et les tours ; du nord vers le sud, il comprenait un fossé,
une berme, un rempart et une route.
III. Une civilisation équilibrée
Ce fut une sorte d’apogée, d’équilibre presque parfait.
Dans le domaine religieux, les cultes traditionnels furent à l’honneur, mais des
innovations sont attestées.
La triade capitoline ne fut pas négligée, pas plus que les autres dieux de la tradition
romaine (Mars, notamment).
Le culte impérial ne fut pas pratiqué avec excès. Une limite : Faustine fut proclamée
diua dès 141 ; être veuf d’une divinité n’était pas sans intérêt, politiquement.
Les cultes orientaux gardèrent leur statut ; l’empereur lui-même en pratiqua quelques-
uns. Cybèle connut une grande diffusion, notamment en Gaule, mais elle avait été introduite à
Rome et « naturalisée » dès la fin de la deuxième guerre punique. Bien qu’iranien, Mithra fut
très honoré parce qu’il représentait le bon ordre cosmique (il eut davantage de succès dans les
camps). Plus exotique et plus original, le Jupiter d’Héliopolis, un Baal syrien (de Baal-bek),
connut aussi une certaine diffusion.
Dans le domaine intellectuel, le monde grec s’imposa avec une brillante école de
rhétorique (la « deuxième sophistique »).
Hérode Atticus n’a laissé aucun écrit, mais il a fortement marqué les esprits.
Aelius Aristide, auteur de nombreux discours, illustra la richesse culturelle et matérielle
de la Grèce d’Asie, et son attachement à Rome.
Pausanias, lui aussi Grec d’Asie, a laissé une Périégèse, une sorte de Guide bleu de
l’Antiquité, il exprima son patriotisme culturel, un sentiment qui n’était pas incompatible
avec un fort attachement à Rome.
Lucien de Samosate a laissé une œuvre abondante, plus populaire, notamment un roman
picaresque, L’âne d’or. On lira aussi ses Dialogues des morts.
• L’Occident n’était pas en retrait.
Aulu Gelle se rendit en Grèce pour y écrire ses Nuits attiques, un recueil d’anecdotes et
de réflexions sur des sujets de son temps. Le choix de cette retraite montre l’importance de la
Grèce pour les intellectuels, même italiens.
Apulée de Madaure, un Africain, a laissé une œuvre importante. Elle manifeste
également la croissance, dans tous les domaines, de cette partie de l’empire. On lira de lui les
Métamorphoses, un roman picaresque qui brode sur le même thème que l’Âne d’or de
Lucien : un homme est transformé en âne par la magie et il vit des aventures étonnantes ; on
lui doit également l’Apologie, un plaidoyer prononcé pour se disculper d’avoir séduit une
femme riche en recourant à la magie (il risquait la peine de mort), et les Florides, des
conférences au contenu assez cuistre.
Fronton de Cirta, un autre Africain, a acquis la célébrité pour avoir eu un excellent
élève, encore inconnu à cette époque, le futur Marc Aurèle. Il a laissé une œuvre légère, un
Éloge de la fumée, un autre éloge, de la poussière. C’était là jeux d’intellectuel.
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Conclusion
Le règne d’Antonin le Pieux n’a pas marqué l’apogée de l’empire dans tous les
domaines : les découvertes les plus récentes de l’archéologie montrent que la prospérité s’est
poursuivie jusqu’au temps des Sévères. Et toutes les régions n’ont pas suivi un même cours :
l’Italie se développait moins vite que l’Afrique.
Mais le règne d’Antonin le Pieux fut un temps d’équilibre, de grand équilibre. Et les
anciens appréciaient beaucoup ce genre de situations.
Bibliographie : en cas de besoin, utiliser les manuels
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L’Afrique romaine
1. Le poids de l’autorité
[Pour suivre ce cours, il faut utiliser une carte : voir la bibliographie, ci-après].
L’Afrique romaine compta au nombre des régions les plus prospères de l’empire, et
ses habitants adoptèrent la civilisation venue de l’Italie (ce que les historiens appellent d’un
mot impropre la « romanisation »). Le pouvoir central ne fit pourtant que peu d’efforts pour
favoriser cet essor : l’Afrique fut faite surtout par les Africains. Nous ferons une exception
pour les Flaviens : en Afrique, « les Antonins ont récolté ce que les Flaviens avaient semé »
(M. Le Glay).
I. L’organisation des provinces
• L’Ouest de la Libye, la Tunisie et l’Est de l’Algérie formaient officiellement la
province d’Afrique proconsulaire.
Elle entrait dans la catégorie des provinces sénatoriales, c’est-à-dire que son
gouverneur, en principe désigné par le Sénat pour un an, n’était responsable que devant le
sénat, auquel il appartenait. Ancien consul, il portait le titre de proconsul. Il était assisté par
un questeur (pour les finances) et par deux légats (pour la justice).
Au plus tard sous Domitien, les biens impériaux furent confiés à un procurateur
ducénaire (qui recevait un salaire annuel de 200000 sesterces). Au temps de Trajan et
d’Hadrien, le ducénaire disparut et il fut remplacé par plusieurs autres procurateurs, aux
salaires moindres (sexagénaires : 60000 sesterces/an ; centenaires : 100000 sesterces/ an), les
procurateurs de Carthage, Tébessa, Hippone, Hadrumète et Leptiminus.
Quelques dizaines de personnes, pour l’essentiel des esclaves et des affranchis
impériaux, formaient tout le personnel administratif disponible : l’empire n’était pas sur-
administré.
Un légat impérial propréteur commandait l’armée d’Afrique. Sénateur, il était désigné
par l’empereur et responsable devant l’empereur. Ancien préteur, il recevait parfois le
consulat pendant son commandement. Jusqu’à Caligula, le titulaire de cette fonction
dépendait du proconsul ; Caligula retira au proconsul l’autorité qu’il avait exercée sur le
commandant de la légion. Petit à petit se créa une province de fait qui ne fut officiellement
créée que sous Septime Sévère, sans doute entre 197 et 201. Mais il est évident que le
proconsul n’intervenait jamais dans une zone qui comprenait la confédération cirtéenne (la
région de l’actuelle Constantine), la zone des Hautes Plaines qui se trouvait au sud, ainsi que
l’Aurès et les secteurs où se trouvaient des soldats, le fameux « limes ».
La Numidie militaire était donc une province impériale de fait, dite par les historiens
« de première catégorie » parce que son gouverneur appartenait au sénat.
La Maurétanie fut annexée par Caligula et Claude (le premier tua son dernier roi,
Ptolémée ; le second dut vaincre les résistances que ce meurtre avait soulevées). Elle fut
divisée en deux provinces impériales dites, par les modernes, « de deuxième catégorie » : la
Maurétanie Césarienne (dont la capitale était Césarée, Cherchel) et la Tingitane (dont la
capitale était officiellement Tanger, en réalité Volubilis, ville plus dynamique) étaient
administrées chacune par un procurateur ducénaire.
Attention : ne parlez jamais de « Mauritanie » ; c’est un État moderne.
• L’autorité de tout gouverneur était limitée.
La durée des commandements empêchait d’établir des réseaux d’influence.
Le concilium (assemblée des prêtres municipaux du culte impérial) pouvait censurer le
gouverneur et le traîner devant un tribunal, le sénat constitué en haute cour, ou le prince. Il
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valait donc mieux que s’établisse une bonne entente avec les notables municipaux. Il est vrai
que les sanctions qui frappaient des gouverneurs concussionnaires n’atteignaient jamais une
bien grande sévérité.
II. Les armées d’Afrique, de « Numidie » et des Maurétanies
Le proconsul a toujours eu de 500 à 1500 hommes : une cohorte urbaine (la XIIIe puis
la Ière), plus une cohorte prêtée par la légion et une ou deux unités auxiliaires. Ces soldats lui
fournissaient une garde d’honneur et une force de police.
La vraie armée d’Afrique se trouvait en « Numidie ». Une légion, la IIIe Auguste, trois
ou quatre ailes et six ou sept cohortes faisaient un total d’environ 10000 hommes dont
quelque 5000 fantassins lourds.
Le quartier général se trouvait à Lambèse, et les unités étaient dispersées sur un vaste
territoire allant de l’Aurès jusqu’à la limite entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque.
Les camps étaient disposés de façon à former des « systèmes défensifs ». Pour cette
période, nous distinguerons les systèmes de l’Aurès (qui encerclait cette montagne) et du
Sahara de Numidie (entre l’Afrique utile et le désert).
Il est possible qu’un long mur, la Seguia bent el-Khrass, ait été construit sous Hadrien
au sud de l’Aurès.
L’organisation de cette armée, pour le reste, ne présentait aucune particularité : pour la
hiérarchie des unités, des hommes, pour la vie quotidienne (exercice, etc.), il suffit de
renvoyer au cours qui a été fait au premier semestre ou à un manuel. Il en va de même pour
les armées défendant les deux Maurétanies.
L’armée de Maurétanie Césarienne, puisqu’elle était commandée par un procurateur,
ne pouvait être formée que de soldats auxiliaires ; les effectifs ont été estimés à 5 ou 6000
hommes.
L’originalité du dispositif militaire de cette province tient à la stratégie adoptée. À
toutes les époques, Cherchel (Césarée) conserva une importante force militaire, qui servait de
réserve.
Depuis la conquête jusqu’au temps de Trajan, la province resta limitée à une mince
bande de terre littorale.
Trajan puis Hadrien disposèrent une deuxième série de forteresses parallèles au littoral,
plus au sud, ce qui correspondit à l’annexion de nouvelles terres ; cette seconde ligne passait
par Albulae, Malliana, Zucchabar et Auzia.
L’armée de Maurétanie Tingitane présentait les mêmes caractéristiques :
commandement confié à un procurateur, présence uniquement d’auxiliaires, et effectifs de 5 à
6000 hommes.
Ici aussi, c’est le dispositif stratégique qui fait l’originalité de la région. La ville de
Volubilis fut entourée par des camps et des tours. La vallée du Sebou fut également protégée.
Une défense linéaire, la seguia Faraoun ou fossé de Sala, fut construite à une date inconnue.
Une autre particularité de cette province, c’est que les unités qui y servaient sont
connues grâce à un assez grand nombre de diplômes militaires. On donne ce nom à la copie
certifiée conforme devant témoins d’une loi qui définissait les droits accordés à des soldats au
moment de leur libération.
L’armée a noué des liens étroits avec les civils vivant dans les provinces. Rappelons
que les soldats dépensaient des salaires, qu’ils étaient fiers de leur appartenance au monde
romain et qu’ils diffusaient un genre de vie (c’est ce que certains historiens appellent la
« romanisation »).
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