DESCHAMPS Amaury LINCOT Stéphanie PICHON Jean-Baptiste PI LA FINANCE COMPORTEMENTALE Une approche originale des marchés financiers. Mémoire dirigé par GRANDIN Pascal 3ème année année 2004 Synthèse Cette étude a pour objectif de présenter une alternative à la finance traditionnelle afin d’expliquer des phénomènes présentés comme irrationnels. Elle reprend brièvement l’analyse classique qui tente à l’aide d’outils mathématiques de caractériser la finance omettant que cette même finance est faite au jour le jour par des hommes et des femmes par définition faillibles. A l’aide d’une étude des différents effets qui affectent les prévisions de la droite de marché nous tentons d’expliquer que cette finance comportementale qui est devenu un outil de gestion à part entière pour quelques fonds comme Fuller&Thaler, est une méthode d’analyse du marché qui fait ses preuves quotidiennement. This study aims to present an alternative to traditional finance in order to explain phenomena presented like irrational. It briefly carries out the traditional analysis which tries, using mathematical tools, to characterize finance but it omits that this same finance is driven day after day by men and women by definition fallible. Thanks to a study of the various effects which affect the forecasts of CAPM, we try to explain that this behavioural finance which became a management tool for some funds like Fuller&Thaler, is a method of market research which demonstrates its efficiency daily. SOMMAIRE Introduction ______________________________________________________________ 3 I/ La finance comportementale : un courant de pensée qui s’est développé en réponse à un certain nombre d’anomalies de marché ________________________ 6 A. Définition de la finance comportementale _________________________ 7 B. Les anomalies de marché ________________________________________ 9 1/ Les effets calendaires ________________________________________________ 9 L’effet de janvier ___________________________________________________ 9 L’effet du changement de mois (« turn-of-the-month effect ») ___________ 10 L’effet du lundi (ou effet du week-end) _______________________________ 11 2/ Les anomalies fondamentales : une remise en cause du MEDAF et du « bêta » _____________________________________________________________ 12 Le rapport « valeur de marché des actions sur leur valeur comptable »___ 12 Le ratio « capitalisation boursière sur chiffre d'affaires » ________________ 13 Le rapport « capitalisation boursière sur bénéfices » (PER) _____________ 13 Les actions distribuant des dividendes élevés _________________________ 14 L’effet « taille de la société » _______________________________________ 14 Les titres « négligés » _____________________________________________ 15 3/ La fluctuation des cours ne reflète pas nécessairement la prise en compte correcte de nouvelles informations ______________________________________ 16 Excès de négociation sur les marchés _______________________________ 16 Une volatilité exagérée ____________________________________________ 16 4/ L’effet d’annonce et les tendances boursières __________________________ 17 5/ Les introductions en bourse et le rachat d’actions cotées _________________ 18 II/ Mise en évidence des comportements irrationnels des individus __________ 19 A. Ce qui relève du traitement de l’information / les erreurs cognitives __ 20 1/ La surcharge cognitive ______________________________________________ 20 2/ La représentativité heuristique ________________________________________ 21 3/ L’ancrage cognitif ___________________________________________________ 21 4/ La dissonance cognitive _____________________________________________ 22 5/ L’excès de confiance ________________________________________________ 23 6/ L’effet de disjonction ________________________________________________ 24 7/ La rationalisation ___________________________________________________ 24 8/ Le « framing » ______________________________________________________ 24 B. Ce qui relève de l’attitude et des préférences ______________________ 25 1/ La Théorie des perspectives (Prospect Theory) de Tversky et Kahneman __ 25 2/ La crainte du regret ("Fear of regret") __________________________________ 27 3/ Le comportement de jeu et de spéculation _____________________________ 27 4/ L’inapplicabilité de l’Histoire __________________________________________ 28 C. Ce qui relève du social et du culturel _____________________________ 29 1/ La contagion sociale et culturelle _____________________________________ 29 2/ Une culture globale _________________________________________________ 29 1 III. Quelle reconnaissance pour la finance comportementale aujourd’hui ? ___ 31 A. La consécration de nouvelles stratégies d’investissement ___________ 32 B. Une reconnaissance académique: le prix Nobel d’économie 2002 décerné à Vernon Smith et Daniel Kahneman ________________________________ 39 Communiqué de presse: Le Prix de Sciences économiques institué par la Banque de Suède à la mémoire d'Alfred Nobel, 2002 ___________________ 39 Conclusion ______________________________________________________________ 41 Bibliographie ____________________________________________________________ 42 Annexes ________________________________________________________________ 43 LES STRATEGIES D’INVESTISSEMENT MISES EN PLACE PAR LA SOCIETE FULLER & THALER ASSET MANAGEMENT. ______________ 44 ARTICLES PARUS SUR LA FINANCE COMPORTEMENTALE ________ 69 Redonner aux marchés une dimension humaine __________________________ 70 Si les marchés se trompaient ? _________________________________________ 77 2 Introduction La théorie moderne de la finance, développée par des économistes comme Markowitz, Miller, Modigliani, Samuelson ou Sharpe s’est davantage orientée vers la comptabilité que vers l’économie, en se dotant d’outils mathématiques. Ce processus qui a consisté à conférer à la finance une précision toute mathématique a eu pour effet de faire de la finance un champ d’exploration totalement dépourvu de présence humaine. Les enseignants en finance et les livres auxquels ils se réfèrent s’intéressent essentiellement à la performance des marchés financiers (cours, volumes, dividendes…). En revanche, peu d’entre eux accordent un tant soit peu d’attention aux véritables acteurs de ces performances : les investisseurs, traders, gestionnaires de portefeuilles ou de fonds de pension… Il nous apparaît judicieux de rappeler les fondamentaux de la droite de marché afin de définir précisément la théorie moderne de portefeuille qui est profondément remise en question par les économistes et les financiers qui s’intéressent à la finance comportementale : La théorie du portefeuille qui s’élabora en une dizaine d’années –1952/1964– par Harry Markowitz et Sharpe, se base sur une analyse espérance–variance de la rentabilité des actifs financiers. Les différents actifs et portefeuilles sont repérés par leurs couples(rendement moyen, risque) où le risque est supposé mesuré la variance. Le problème de chaque gestionnaire étant de déterminer l’utilité maximale de son portefeuille. Pour se faire, il faut déterminer dans un premier temps la frontière des portefeuilles efficients et dans un second temps déterminer le point de la frontière maximisant l’utilité. Tobin et Sharpe ont étendu la théorie du portefeuille de Markowitz en supposant l’existence d’un actif sans risque et en transformant la théorie du portefeuille en une théorie positive. Sharpe a tirer de son étude ce que tout le monde appel aujourd’hui le Modèle d’Equilibre des Actifs Financiers (MEDAF) ou Capital Asset Pricing Model(CAPM), en ajoutant trois hypothèses essentielles : 3 – « les marchés financiers sont parfaits au sens où les agents peuvent prêter et emprunter en l’absence de toute contrainte quantitative » ; – « les marchés financiers sont parfaitement concurrentielles » ; – « les agents ont les mêmes anticipations sur les rendements ». Un des principaux résultat de ce modèle fut d’évaluer de manière précise la prime de risque des actifs reposant sur la prise en compte des possibilités de diversification. Il spécifie la relation existant ex–ante sur le marché et à l’équilibre entre le risque d’un titre et sa rentabilité : Formule du MEDAF : E( Ri )= r + i [E( RM ) – r] r : taux sans risque, auquel on suppose qu’il est possible de s’endetter. i : volatilité par rapport au marché de l’action de l’entreprise endettée RM : rendement du marché Néanmoins, l’image véhiculée dans l’esprit populaire par les marchés financiers est dominée par la présence humaine (individus stressés, qui crient des ordres d’achat ou de vente de titres…) En théorie, ces individus sont censés se comporter de façon rationnelle, postulat de base de l’hypothèse d’efficience des marchés, qui elle-même régit la finance classique (impossibilité de battre le marché de façon systématique puisque les individus sont rationnels et incorporent immédiatement et correctement toute l’information disponible dans les cours de bourse). Mais cette rationalité des individus est remise en cause. Cette apparente contradiction conduit à se poser une question : si on intègre la dimension humaine inhérente aux marchés financiers, cela ne modifie-t-il pas le comportement du marché ? En d’autres termes, est-ce que les marchés réagiraient 4 différemment si les hommes étaient remplacés par des programmes informatiques ? C’est ainsi que Richard Thaler pose la problématique de la finance comportementale. L’objectif de ce devoir est de rendre compte de ce nouveau courant de pensée qu’est la finance comportementale. Après avoir défini dans un premier temps la finance comportementale et avoir présenté les anomalies de marché qui ont été à la base de l’engouement pour ce courant, nous nous tournerons vers les sciences sociales pour évoquer les comportements des acteurs qui viennent influencer le marché et remettent en cause l’hypothèse de rationalité des acteurs. Enfin, nous nous intéresserons aux développements actuels de la finance comportementale à sa reconnaissance. 5 I/ La finance comportementale : un courant de pensée qui s’est développé en réponse à un certain nombre d’anomalies de marché La finance comportementale est un courant de pensée qui se développe depuis une vingtaine d’années. Certains économistes considèrent que la finance comportementale est née à la publication de l’article de Werner DeBondt et Richard Thaler attaquant directement l’hypothèse d’efficience des marchés : « Does The Stock Market Overreact ? » (Les marchés sur-réagissent-ils?) en 1986 dans Journal of Finance. Mais il faut également mentionner les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky pour leur article « Prospect Theory : An Analysis of Decision Under Risk » (1979). Il faut toutefois mentionner que ces deux articles sont passés relativement inaperçus lors de leur parution et que ces ides novatrices n'ont réellement donné lieu à une nouvelle approche de la finance dite finance comportementale que dix ans plus tard. Ces théoriciens de la finance et des sciences sociales ont posé les fondamentaux de la finance comportementale en remettant en cause l’hypothèse d’efficience des marchés (notamment le postulat de rationalité des acteurs) et en contestant la pertinence du Modèle d’Evaluation des Actifs Financiers (MEDAF) et en particulier le « bêta ». De nombreux autres chercheurs ont mis en évidence un certain nombre d’anomalies de marché, phénomènes qui ne trouvent pas d’explication dans les théories traditionnelles. C’est la constatation de ces anomalies qui a entraîné le développement de la finance comportementale et sa reconnaissance au niveau international. Alan Greenspan soulignera d'ailleurs lui-même en 2001 dans son rapport "Monetary Policy Report to the Congress" avant la tenue du "Comittee on Banking, Housing and Urban Affairs" que "nos modèles économiques n'ont jamais été particulièrement couronnés de succès dans la capture du processus conduit, ceci en grande partie dû à un comportement irrationnel". 6 A. Définition de la finance comportementale La finance comportementale étudie l’influence des comportements individuels et collectifs sur le cours des titres cotés. Elle cherche à expliquer les nombreuses réactions sur les marchés financiers qui semblent s'opposer à la théorie conventionnelle. En effet, les hommes en général, et les investisseurs en particulier, ne sont pas totalement rationnels dans leurs décisions. Ils sont « sous influence ». La finance comportementale s’intéresse aux cas où ces irrationalités (ou « rationalités limitées »), biaisent les cognitions et comportements des investisseurs. Ces biais créent des inefficiences, sous forme d’anomalies de prix. Il s’agit d’écarts entre les cours effectifs des titres et leur « valeur intrinsèque » calculée à partir des modèles mathématiques traditionnels. La finance comportementale considère donc l’étude de l’activité des marchés financiers du point de vue des sciences sociales, en acceptant la complexité des comportements humains sous-jacents et en utilisant un large répertoire de méthodes de recherches. En ce sens, elle ne diminue guère le travail fondamental de Markowitz, Sharpe, ou d'autres pionniers de la théorie moderne du portefeuille, mais elle intègre des aspects individuels du processus de prise de décision dans les marchés financiers. Ainsi, la finance comportementale s'intéresse aux individus et aux moyens de collecter et d'utiliser l'information. Une différence entre la finance traditionnelle et la finance comportementale est donc l'unité d'analyse choisie. Finance traditionnelle Unité d'analyse: marché, acteurs économiques supposés rationnels et averses au risque Finance comportementale Unité d'analyse: individu avec toutes ses caractéristiques psychologiques et sociales 7 Selon Weber, dans "Behavioral Finance", Research for Practitioners, vol 0-8, paru en 1999, "la finance comportementale combine étroitement le comportement individuel et les phénomènes de marché et utilise la connaissance empruntée aux domaines de la psychologie et de la théorie financière". Fromlet considère dans "Behavioral Finance-Theory and Practical Application", Business Economics, vol 36, paru en 2001 que la finance comportementale a le potentiel de compléter la théorie financière classique et néoclassique qui domine actuellement l'analyse financière. Russel J. Fuller, président de RJF Asset Management définit la finance comportementale de la façon suivante dans Behavioral Finance and the sources of Alpha, Journal of Pension Plan Investing paru en 1998: - la finance comportementale est l’intégration à la finance et à l’économie classique de la psychologie et des sciences de la décision ; - la finance comportementale essaie d’expliquer les causes des anomalies qui ont été observées et reportées dans la littérature financière ; - la finance comportementale est l’étude de la façon dont les investisseurs font systématiquement des erreurs de jugement (« mental mistakes ») Richard Thaler se réfère quant à lui au champ de la finance comportementale de la façon suivante dans The end of behavioral finance, Financial Analysts Journal paru en 1999: « I think of behavioral finance as simply « open-minded » finance. » (Je considère la finance comportementale comme la finance la moins limitée). 8 B. Les anomalies de marché Bien qu’il semble évident que les marchés financiers sont fortement efficients, de nombreuses études, menées depuis le début des années 1980, ont démontré l’existence de phénomènes historiques à long terme qui remettent en cause l’hypothèse d’efficience des marchés et qui ne peuvent pas être expliqués par des modèles basés sur une rationalité totale des investisseurs. On évoque ces phénomènes en termes d’anomalies de marché. C’est l’observation de ces phénomènes qui est la base du développement de la finance comportementale. Quelles sont donc ces anomalies ? 1/ Les effets calendaires L’effet de janvier Selon Robert Haugen et Philippe Jorion, « l’effet de janvier est peut-être l’exemple le plus connu du comportement anormal des marchés dans le monde entier » : les performances des actions dans leur ensemble, et des petites capitalisations en particulier, ont tendance à être particulièrement bonnes durant le mois de janvier (ou meilleures, comparativement, aux performances enregistrées pendant les autres mois de l’année). En général, cet effet est attribué au rebond du cours des actions des petites sociétés, conséquent aux ventes qui ont lieu en fin d’année pour des raisons fiscales. En effet, les détenteurs d’actions ont tendance à vendre leurs participations en fin d'année afin d’enregistrer une perte et de bénéficier de la fiscalité qui s’y rapporte. Les titres vendus subissent donc une chute provisoire de leur cours en attendant qu'ils soient rachetés au début de l'année suivante. Bien que l'impact du comportement des investisseurs s'exerce sur toutes les actions, celui-ci demeure prédominant pour les petites capitalisations, puisqu'à volume de ventes égal leur cours varie plus que celui des grosses capitalisations. 9 Le maquillage de portefeuille (ou « window-dressing ») s’ajoute à cette pression exercée par la vente de titres à des fins fiscales. En effet, de nombreux gestionnaires ne veulent pas voir des titres ayant enregistré de mauvaises performances tout au long de l’année figurer dans leur portefeuille, et ils s’empressent de les vendre en fin de l’année. Il est intéressant de constater que ce phénomène a également lieu dans des pays pour lesquels le 31 décembre ne constitue pas la fin de l’exercice fiscal (Grande Bretagne ou Australie). Cela implique donc que la fiscalité et le windowdressing ne sont pas les seuls facteurs explicatifs à cet effet de janvier. D’autres causes sont à rechercher. De plus, l’effet de janvier est particulièrement intrigant parce qu’il ne semble pas s’atténuer alors qu’il est bien connu et a fait l’objet de nombreuses publications depuis une vingtaine d’années. Beaucoup pensent néanmoins que ce phénomène s’est déplacé dans le temps et a désormais lieu au mois de novembre ou décembre (aux Etats-Unis) pour deux raisons : - les fonds de pension américains doivent faire part de leurs participations en portefeuille au mois d’octobre, - certains investisseurs achètent des titres en anticipation de gains en janvier. L’effet du changement de mois (« turn-of-the-month effect ») Le cours des titres cotés a tendance à se comporter mieux qu’à l’ordinaire le dernier jour du mois et les quatre jours suivants. Cet effet a fait l’objet d’une étude menée par la Frank Russel Company, dans laquelle les taux de rendements des titres cotés sur le Standard & Poors 500 ont été examinés sur une période de 65 années. Cette étude a mis en évidence le fait que les performances des actions des grandes sociétés américaines étaient systématiquement meilleures au tournant des mois. 10 L’effet du lundi (ou effet du week-end) Le lundi a tendance à être le pire jour pour investir en Bourse. En effet, de nombreuses études ont montré que les titres se comportent généralement moins bien le lundi que les autres jours de la semaine. M. J. Fields a été le premier à s’intéresser à ce phénomène, en 1931. Il a également montré que le DJIA avait tendance à se comporter mieux qu’à l’ordinaire à la veille des vacances. Par la suite, cette anomalie a fait l'objet de nombreuses autres études, conduites à différentes époques sur différents marchés. Ainsi French en 1980, ou Gibbons et Hess en 1981 ont déterminé d'importantes différences entre les rentabilités quotidiennes des cinq jours de la semaine. C'est ainsi que la rentabilité moyenne du lundi est fortement négative (entre 1962 et 1968), celle du mardi à peu près nulle et celle des trois derniers jours positive. Alors que ces différences sont statistiquement significatives, la stratégie qui en découle – acheter des actions le lundi et les revendre le vendredi à la clôture – est financièrement perdante car elle rapporte moins que ne coûtent les achats et les ventes qu'elle implique. On pourrait penser que l'impossibilité de mettre en place une stratégie bénéficiaire en se basant sur cette anomalie limite l'arbitrage et explique que des différences de rentabilité entre les jours de la semaine puissent se manifester. Toutefois, il semble que les investisseurs auraient intérêt à acheter à la clôture du lundi et vendre à la clôture du vendredi. Le fait qu'ils suivent une telle stratégie, un arbitrage indirect, aurait comme conséquence d'égaliser les rentabilités des jours de la semaine. Bien que nous manquons de recul historique, il semble que cela ait fini par se produire et que l'effet du week-end ait disparu au cours des années 1990. Lawrence Harris s’est intéressé aux mouvements à l’intérieur d’une même journée et a constaté que l’effet du week-end a tendance à se produire pendant les 45 premières minutes suivant l’ouverture des marchés (les cours chutent, ou augmentent moins vite qu’à l’ordinaire). A l’inverse, les autres jours de la semaine, 11 les cours ont tendance à se comporter de façon plus favorable pendant les 45 premières minutes suivant l’ouverture de la Bourse. Cette constatation conduit à se poser une question intéressante : l’humeur des participants au marché pourrait-elle avoir une incidence sur le cours des titres cotés. En effet les individus ont tendance à être d’humeur maussade le lundi (des études ont mis en évidence le fait que les suicides sont plus fréquents le lundi que les autres jours de la semaine), alors qu’ils sont de meilleure humeur à la veille des week-ends et des vacances… 2/ Les anomalies fondamentales : une remise en cause du MEDAF et du « bêta » Le MEDAF stipule que le rendement attendu d’un titre est d’autant plus grand que le risque systématique, ou « bêta », est élevé. Toutefois, divers travaux empiriques ont montré que le « bêta » n’est pas utile, ou tout du moins n’est pas le seul déterminant nécessaire, pour prédire les rendements. Il est par contre apparu que d’autres facteurs permettaient de prévoir partiellement les rendements. Etant donné qu’ils n’étaient pas prévus par la théorie et qu’ils remettaient en cause l’hypothèse d’efficience des marchés, ces facteurs ont été regroupés sous le terme d’anomalies de marché. Les phénomènes observés les plus célèbres sont présentés ci-dessous. Les études dont il est question ont été réalisées sur les marchés financiers américains, mais les anomalies mises en évidence ont également été appréhendées sur les marchés financiers du monde entier. Notons finalement que ces études ont été réalisées afin de trouver de nouveaux critères pouvant servir à battre le marché de façon systématique. Le rapport « valeur de marché des actions sur leur valeur comptable » Fama et French ont mené une étude portant sur la quasi-totalité des actions cotées sur le NYSE, l’AMEX et le NASDAQ entre 1963 et 1990. Ils ont classé ces 12 titres en fonction de deux critères : leur « bêta », puis leur ratio « capitalisation boursière sur valeur comptable des actions ». Ils ont ainsi pu observer les performances réalisées par chaque classe d’actions et sont arrivés à la conclusion suivante : sur le long terme, les valeurs présentant un rapport « capitalisation boursière sur valeur comptable » faible donnent des niveaux de rendements supérieurs aux titres présentant un tel ratio plus élevé, pour un niveau de risque inférieur. Cette étude a fait beaucoup de bruit lors de sa parution, notamment parce que Fama a longtemps été un ardent défenseur du MEDAF. Certains chercheurs considèrent aujourd’hui que le ratio « valeur de marché des actions sur leur valeur comptable » est un facteur de risque pour lesquels les investisseurs doivent être récompensés (de la même façon que des investisseurs qui achètent des actions s’attendent à obtenir des taux de rendements supérieurs à ce qu’ils pourraient percevoir s’ils achètent des obligations). Le ratio « capitalisation boursière sur chiffre d'affaires » Un certain nombre d’études ont montré que les actions avec un rapport « capitalisation boursière sur chiffre d’affaires » faible tendent à battre le marché et les actions avec un ratio similaire plus élevé. James P. O’Shaughnessy prône l’idée selon laquelle ce ratio est le déterminant le plus fort pour expliquer des taux de rendement excessifs. Le rapport « capitalisation boursière sur bénéfices » (PER) De nombreuses études ont mis en évidence le fait que les actions ayant un PER faible tendent à battre le marché et les titres avec des PER plus élevés. 13 Les actions distribuant des dividendes élevés De la même façon que précédemment, il a été montré que les actions qui permettent à leurs détenteurs d’obtenir des niveaux de dividendes élevés tendent à battre le marché et les autres actions. L’effet « taille de la société » Des études ont mis en évidence le fait que les petites sociétés (en terme de capitalisation ou d’actifs) tendent à battre le marché sur de longues périodes. Rolf W. Banz a été le premier à s’intéresser à cette anomalie dès 1981. Il s'est intéressé à l'influence de la taille (mesurée par la capitalisation boursière) sur la rentabilité des titres économiques. Il a montré qu'en classant par taille décroissante les actions américaines contenues dans la base de données du Center for the Research in Security Prices ou CRSP les performances de celles appartenant aux deux derniers déciles dépassaient d'environ 6% celles des fortes capitalisations. Comme le bêta des titres à faible capitalisation ne semblait pas, en moyenne, être inférieur à celui des titres à forte capitalisation, il attribua leur "sur-performance" à la rémunération d'un facteur de risque supplémentaire. Ce phénomène a cependant fait l’objet de nombreux débats et les arguments adverses sont nombreux : - Le travail de Banz a été fortement critiqué: en effet, pour certains, l'effet taille ne serait explicable que par performances exceptionnelles d'un petit nombre de titres; ou bien Banz n'aurait pas pris en compte les résultats des entreprises qui, à cause de leur mauvaise performance, ont été exclues de la base de données du CRSP, ou encore, Banz aurait ignoré les coûts de transaction, élevés pour les petites capitalisations, qui de ce fait grèvent lourdement leur performance; - Certains défendent l’idée que ce n’est pas la taille de la capitalisation qui importe, mais plutôt le degré d’attention et le nombre d’analystes qui s’intéressent à ces actions ; - Jeremy Siegel prétend quant à lui que ce phénomène a simplement été observé sur la période 1974-1983 ; 14 - James O’Shaughnessy pense que les bonnes performances enregistrées pour les petites sociétés (« small cap ») sont entièrement imputables aux cours des titres de sociétés de très petite capitalisation boursière (« micro-cap »), inférieure à 25 millions de dollars. Les titres « négligés » Werner DeBondt et Richard Thaler ont mené une étude portant sur les 35 actions ayant engendré les meilleures performances boursières et les 35 pires sur le NYSE entre 1932 et 1977. Ils ont également examiné leurs performances sur les cinq années précédant cette période d’étude. Ils ont ainsi pu constater que les titres dont les cours avaient connu les meilleures performances de 1928 à 1932 s’étaient ensuite en moyenne moins bien comportées que le marché, et inversement concernant les actions qui s’étaient d’abord mal comportées. La constatation de tous ces phénomènes remet donc en cause l’hypothèse d’efficience des marchés et le « bêta » du MEDAF dans le sens où : - les cours peuvent être en partie prévisibles puisque certaines catégories d’actions tendent à réaliser de meilleures performances que d’autres ; - le « bêta » n’est pas le critère qui détermine l’appréciation des niveaux de rendement de ces actions. Selon la finance comportementale, les valeurs d’actif affichent de bonnes performances car elles sont sous-évaluées : les investisseurs, trop déçus par leurs mauvaises performances passées ont contribué à tirer les cours vers le bas. Lorsque le cours renoue avec les bénéfices (partiellement en raison du phénomène naturel de convergence vers la moyenne), le cours rebondit. En revanche, les valeurs « séduction » ont été trop demandées ; les cours ont été tirés artificiellement à la hausse par des pronostics trop optimistes et les titres ont sous-performé lorsque les bénéfices ne correspondaient pas à ces attentes irréalistes. 15 3/ La fluctuation des cours ne reflète pas nécessairement la prise en compte correcte de nouvelles informations Dans le cadre d’un marché efficient, régi par des acteurs rationnels, les actifs sont valorisés à leur valeur réelle et intrinsèque. Les cours varient donc uniquement lorsque cette valeur change, c’est-à-dire lorsque des informations réellement pertinentes apparaissent. Or, l’observation de la réalité semble remettre en cause cette assertion. Excès de négociation sur les marchés Un excès de négociation est très largement observé sur les marchés financiers. En effet, un jour ordinaire sur le NYSE, 400 millions d’actions changent de mains. Pourquoi tant d’échanges de titres ? Certains acteurs pensent-ils être mieux informés que leurs contreparties ? C’est certainement le cas. En effet, des études ont montré qu’environ 90% de la population américaine pense se situer au-dessus de la moyenne dans la plupart des domaines comme la conduite ou les relations interpersonnelles. Or ce n’est pas possible. L’excès de négociation pourrait donc être dû à ces types de croyance, qui seront étudiées de façon plus approfondie dans la seconde partie du devoir. Une volatilité exagérée Une volatilité exagérée des cours des actions est également observée : les cours peuvent fluctuer sans raison de façon apparente. Un des exemples les plus frappants à cet égard est la semaine du 19 octobre 1987. Cette semaine-là, les cours ont enregistré de fortes variations dans le monde entier, alors même que la véritable « information » était que les cours fluctuaient rapidement. La valeur de l’économie américaine a ainsi perdu plus de 20% ce lundi-là (après avoir déjà perdu 5% le vendredi précédent et repris plus de 9% le mercredi). Une trop forte volatilité des marchés boursiers est interprétée comme signifiant que les marchés ne sont pas efficients soit parce que les investisseurs réagissent 16 trop fortement aux informations existantes, soit parce qu'ils réagissent à des informations non pertinentes. Shiller avait mené une enquête à ce sujet : il avait envoyé des questionnaires à de nombreux investisseurs afin de comprendre les raisons qui les avaient poussé à se séparer de leurs titres, et il avait mis en évidence le comportement moutonnier des investisseurs, et l’absence totale de nouvelle information susceptible de venir modifier effectivement la valeur des titres. De plus, dans une étude publiée en 1991, Haugen, Talmor et Torous affirment qu'ayant recherché dans la presse les évènements pouvant être associés à de fortes hausses de volatilité, ils n'en ont pas trouvé dans neuf cas sur dix (les évènements associés à des baisses de volatilité sont encore moins fréquetnts). Ainsi, il apparaît donc, que non seulement les volatilités des marchés sont trop élevées, mais aussi qu'elles changent de manière rarement explicable dans le détail. 4/ L’effet d’annonce et les tendances boursières L’évolution du cours des titres a tendance à se poursuivre après des annonces initiales. C’est ainsi que les titres qui bénéficient d’annonces positives ont tendance à voir leur cours s’engager sur un trend de croissance, et inversement pour des annonces négatives. Il existe des tendances boursières, momentums, bifurcations, alternances, cycles, dont les principales causes sont ces changements de croyance (cf. 2 ème partie du devoir). Prenons l'exemple du momentum (inertie). En 1993 et 2001, Jegadeesh et Titman ont trouvé que les portefeuilles composés de 10% des titres de l'ensemble des bourses américaines ayant eu la plus forte appréciation au cours des six derniers mois continuent pendant les six mois suivants à "sur-performer" le marché. L'effet contraire pour les portefeuilles composés de 10% des titres ayant eu la plus forte dépréciation est également démontré. 17 Dans les cas les plus extrêmes, des bulles spéculatives se forment, au cours desquelles la valeur de marché des titres n’a plus rien à voir avec les fondamentaux des sociétés concernées. 5/ Les introductions en bourse et le rachat d’actions cotées De nombreuses études ont mis en évidence le fait que, en moyenne, les entreprises qui entrent en bourse réalisent de moins bonnes performances que le marché dans son ensemble dans la période qui suit cette opération. Ces actions sont sous-valorisées d'un pourcentage pouvant atteindre 12%. Néanmoins, le phénomène inverse existe également. On parle alors d'effet "indice". En effet, lorsqu'un titre fait son entrée dans un indice comme le S & P 500, son cours bénéficie d'une hausse pouvant atteindre 3%. Cette hausse s'explique par l'accroissement de la demande d'achats du titre de la part des fonds pratiquant la gestion indicielle. Cette explication va également à l'encontre de la théorie d'efficience des marchés. Le rachat d’actions cotées par le management ou les actionnaires de cette société peut être appréhendé comme un signe positif pour les perspectives de l’entreprise, et des études ont montré que des sociétés annonçant le rachat de leurs propres actions réalisent de meilleures performances que le marché dans les périodes qui suivent ce rachat. C’est donc la mise en évidence de ces anomalies de marché qui a contribué au développement de la finance comportementale. Les théoriciens de ce courant de pensée ont mené un ensemble d’études et de recherches et ont trouvé les causes de ces phénomènes : les individus ne se comportent pas de façon aussi rationnelle que le présente la théorie financière traditionnelle. 18 II/ Mise en évidence des comportements irrationnels des individus La théorie financière est basée sur l’hypothèse de rationalité des individus. Les théoriciens de la finance comportementale (économistes et chercheurs en sciences sociales) s’intéressent aux cas d’irrationalités ou de « rationalités limitées » qui engendrent et permettent d’expliquer les anomalies de marché. Lorsque l’on évoque les « irrationalités », on est amené à parler de rationalité et donc de la raison. Sans s’aventurer dans des questionnements philosophiques, la raison qui nous importe ici sera en fait comprise dans le sens de la logique. Un acteur aura un comportement irrationnel car illogique. Par exemple si un investisseur lambda conserve un titre dont la valeur se déprécie sur le marché en espérant que la tendance se retourne, il a un comportement irrationnel. Nous tenterons ici de comprendre pourquoi est-ce que l’on rencontre ce genre de comportements. De nombreux éléments interviennent lors d’un choix en situation d’incertitude : des éléments d’ordre informationnel, émotionnel, psychologique et social influencent le comportement d’un individu. Quel est le rapport de l’individu à l’information qu’il reçoit ? Dans quelles dispositions se trouve-t-il vis à vis du futur ? Quelles aspirations ou désirs souhaite-il combler ? Nous choisissons de faire une tentative de classification des différents « comportements irrationnels » observés, selon qu’ils relèvent de données informationnelles, purement comportementales ou sociales. 19 A. Ce qui relève du traitement de l’information / les erreurs cognitives En premier lieu on pourrait remettre en cause les caractéristiques attribuées par l’hypothèse d’efficience des marchés à l’information c’est-à-dire la disponibilité, qualité, exhaustivité et vérité de l’information. Il est assez aisé de comprendre que ces hypothèses sont difficilement vérifiées. Ici, nous allons, au-delà des considérations sur l’information, nous intéresser au rapport de l’individu à l’information, que celle-ci remplisse ou non les qualités mentionnées ci-dessus. Quels sont les défauts (par rapport à la théorie) intrinsèques du rapport de l’individu à l’information ? On relève un ensemble de biais regroupés sous la notion d’« erreurs cognitives » : le manque d’attention, l’ancrage, la surcharge cognitive, les erreurs heuristiques (simplification excessive), l’excès de confiance, la rationalisation, l’erreur rétrospective, le framing ( forme de présentation). Cela revient à fouiller la cognition des individus, c’est-à-dire la capacité à connaître, appréhender, comprendre et interpréter correctement les signaux délivrés par le marché à un moment donné et à en déduire son état futur. 1/ La surcharge cognitive Un premier phénomène relativement naturel et compréhensible est le « trop plein » d’information ou surcharge cognitive. Cette surcharge cognitive mène un individu à établir, consciemment ou non, une « priorisation » des informations reçues. Ainsi il aura tendance à ignorer certaines informations et à en préférer d’autres sur des critères peu objectifs, ou encore à faire des classifications. La surcharge cognitive peut ainsi expliquer le tendance à rester ancré à de vieux faits et croyances, pour suivre les fausses pistes les plus apparentes et rejeter les signaux faibles. 20 2/ La représentativité heuristique Il en est ainsi dans le phénomène de la représentativité heuristique (« representativeness heuristic » ), une tendance de la part des individus à essayer de catégoriser et reconnaître des évènements ou faits comme typiques ou représentatifs d’une classe de faits bien connus. Ils surestiment ensuite cette classification dans leur estimation du risque. « La représentativité est un outil qu’utilise l’esprit pour classer rapidement des informations ; les gens évaluent la probabilité d’un événement futur incertain par le degré auquel cet événement ressemble à un phénomène récemment observé. La représentativité peut faire sur-réagir les investisseurs à certaines informations. » Une conséquence de cette heuristique est de percevoir des modèles dans des chiffres qui relèvent plutôt du hasard, de se rassurer et de se sentir confiant, par exemple de voir une série qui est en fait « une marche aléatoire » comme n’étant pas issue du hasard. 3/ L’ancrage cognitif Dans le phénomène d’« ancrage » (anchoring), les individus ont en mémoire un point de référence et ajustent leurs raisonnements et prévisions en fonction de cette référence, par exemple un cours ou une tendance passés. On observe par ailleurs que les individus sont influencés par une suggestion lorsqu’ils doivent faire une estimation quantitative. Exemple célèbre développé par Northcreft et Neale (1987) de l’estimation du prix d’achat et du prix de vente acceptable pour une maison : Un grand nombre d’informations présentant les caractéristiques d’une maison est donné à l’ensemble des individus assistant à l’expérience. Ces informations sont toutes identiques. Seul le prix de vente proposé diffère entre les individus. On obtient, à l’issue de cette expérience, des propositions de prix de la part des individus qui diffèrent. 21 Conclusion : Il y a une réaction rationnelle d’insertion de l’information « prix demandé » dans l’estimation, mais l’influence de cette information sur les résultats varie en fonction des individus (variation de 11 à 14%). Et pourtant, les personnes interrogées ne citent pas cette information comme étant réellement déterminante de leur estimation. Cela devient bien compliqué quand il s’agit d’estimer le prix d’une action, compte tenu du nombre d’informations relatives à apprécier une action, et donc du nombre de points de référence possibles. NB : Le phénomène d’ancrage est lié aux phénomènes de sur- et sousréaction, qui seront évoqués plus loin : lorsque l'agent reçoit une nouvelle information, il n'ajuste pas son comportement suffisamment, il reste "accroché" à son idée de départ ou à un point d'ancrage; il y a "sous-réaction". Plus tard, lorsque l'information tend à se confirmer, l'agent va "rattraper" son défaut d'ajustement et réagir trop fortement par rapport au temps d'information ; il y a alors "sur-réaction". 4/ La dissonance cognitive On parle de dissonance cognitive lorsque les individus rejettent des faits ou des informations parce qu'elles sont contraires à leurs opinions et idées préconçues. Une dissonance cognitive est un conflit mental, c’est-à-dire un conflit de connaissances que les individus expérimentent lorsque leurs croyances ou suppositions s’avèrent fausses. Les individus adoptent un comportement de façon à réduire cette dissonance cognitive. Ils vont éviter des informations nouvelles ou développer des arguments pour continuer à croire en leur opinion. D'autres simplifications biaisent la connaissance et l'interprétation de l'information : les habitudes, les biais heuristiques, la « vision tunnel » (raisonnement basé sur un trop petit nombre de mots-clés, paradigmes, modèles), utilisation de dénominateurs communs simplistes. 22 5/ L’excès de confiance Les individus ont tendance à surestimer l’information qu'ils reçoivent et leur capacité à les connaître, comprendre, interpréter et assimiler. Ils surestiment leurs jugements. Dans le cas extrême, c’est ce qu'on appelle la "Pensée Magique" : les gens s'imaginent qu'ils peuvent influencer les évènements extérieurs, tels que le marché, qu’une de leur décision est à l’origine d’une modification de l’environnement. L’excès de confiance a été mis en évidence par des études statistiques et semble encore plus apparent chez les experts que chez les investisseurs relativement inexpérimentés. Les 2 effets de l’excès de confiance sont : - un effet direct : les individus accordent trop d’importance à l’information qu’ils collectent eux-mêmes (effet momentum) ; - un effet indirect : les individus filtrent l’information et biaisent leurs comportements de façon à maintenir leur confiance ; en d’autres termes les individus occultent des informations contraires à leurs estimations pour ne pas engendrer une perte de confiance (cf. dissonance cognitive). Excès de confiance, sous-réaction et sur-réaction Un comportement généré par un excès de confiance engendre une valse à quatre temps : 1. Nouveau signal faible négligé => la tendance précédente se maintient ; 2. Nouveaux signaux => les individu commencent à ajuster leurs comportements (sous-réaction) ; 3. Confirmation de l’information => une nouvelle tendance s’établit ; 4. La tendance se prolonge et s’accentue => les agents réagissent trop brutalement (sur-réaction). Les conclusions d’Odean (1988) : Les investisseurs en excès de confiance ont tendance à échanger plus de titres que les autres, ont une utilité espérée plus faible et font moins de profit. Ils 23 dépensent trop de ressources pour obtenir de l’information, détiennent des portefeuilles plus risqués et augmentent la volatilité du marché. Lorsque beaucoup de traders souffrent d’un excès de confiance les marchés sous-réagissent à l’information des traders rationnels et à l’information statistique pertinente (et inversement). Il semble y avoir un biais commun dans l’excès de confiance, lié à un phénomène psychologique plus profond (Ross, 1987) : une difficulté à intégrer l’incertitude dans sa propre vision d’une situation. Apparemment beaucoup d’investisseurs sentent qu’ils ont des raisons spéculatives d’échanger et cela a sûrement à voir avec une tendance que chaque individu a à croire qu’il perçoit mieux les choses, que ses opinions et jugements sont meilleurs. Le phénomène d’excès de confiance connecté à celui de l’ancrage, explique l’existence de divergences d’opinions qui permettent l’échange. 6/ L’effet de disjonction L’effet de disjonction est une tendance à vouloir attendre, pour prendre une décision, qu’une information soit révélée, même si cette information n’est pas décisive, et même si la décision avait été la même en regard de cette information. 7/ La rationalisation Quoiqu’il décide, un agent trouve une « bonne raison » pour expliquer sa décision. 8/ Le « framing » La décision dépend de la façon dont est présentée l’information (forme de présentation). 24 B. Ce qui relève de l’attitude et des préférences La théorie de l’utilité espérée ne se vérifie pas toujours ; le fonctionnement de la satisfaction de l’individu n’est pas aussi « simple ». Quels sont les défauts intrinsèques dans l’attitude et le comportement de choix de l’individu (par rapport à la théorie) ? 1/ La Théorie des perspectives (Prospect Theory) de Tversky et Kahneman La théorie des perspectives développée par Tversky et Kahneman en 1979 est une alternative, mathématiquement formulée, de la théorie de l’utilité espérée qui explique comment les individus font des choix rationnels en fonction de l’utilité, c’està-dire en fonction de la satisfaction qu’ils attendent de chaque option d’un choix. L’exemple d’Allais illustre l’échec de la théorie de l’utilité espérée : Il s’agit pour un individu de choisir entre deux loteries : - 1er cas : o 25% de chance de gagner 3000 (E[u1]= 0.25 x 3000 = 750) o 20% de chance de gagner 4000 (E[u2]= 0.20 x 4000 = 800) Dans ce cas 65% des sujets choisissent la seconde loterie. - 2ème cas : o 100% de chance de gagner 3000 (E[u1]= 3000) o 80% de chance de gagner 4000 (E[u2]= 3200) Dans ce cas 80% des sujets choisissent la première option. Pourtant entre le premier et le second cas, on a seulement multiplié par 5 les probabilités, et selon la théorie de l’utilité espérée le choix devrait être le même dans les deux cas. En fait la probabilité 100% correspond à l’assurance de gagner la somme. Cet exemple illustre la non-linéarité des préférences et introduit «l’effet certitude». 25 Il faut noter que les individus ont des pondérations différentes pour des gains ou des pertes. La peine qu’ils ont à perdre une certaine somme d’argent est plus grande que la joie qu’ils ressentent à gagner cette même somme. Ils prennent donc plus de risque pour éviter de perdre de l'argent que pour en gagner. Ils ont un comportement d’aversion pour le risque dans un contexte de gain et de preneur de risques (« risk taker ») dans un contexte de perte ! Gain Valeur Perte En axe des abscisses, la valeur, l’utilité ou encore la satisfaction retirée par l’individu attribuée à un certain niveau de consommation, de gain ; en ordonnée le numéraire, la somme, le profit. Dans le zone des pertes, la pente de la fonction est plus forte : l’agent retire une satisfaction marginale élevée à diminuer sa perte, c’est-à-dire à ne pas perdre d’argent. Dans la zone de gains, la pente est moins forte : il retire une satisfaction marginale plus faible à gagner un peu plus d’argent. La théorie des perspectives tente de prendre en compte de tels phénomènes. Elle ressemble à la théorie de l’utilité espérée ; les individus maximisent une fonction objective où les pondérations accordées à chaque option (ou gain) ne sont pas les probabilités d’occurrence et les « utilités » ne sont pas déterminées par une « fonction d’utilité » mais par « une fonction de valeur ». Un coefficient de pondération est attribué à chaque option en fonction de la probabilité d’occurrence : plus la probabilité est élevée plus le coefficient se rapproche de 1. 1 1 Pondération de décision 0 Une hypothétique fonction de pondération Probabilité fixée Le modèle reste imprécis quant à l’appréciation des probabilités. La « hauteur» d’une probabilité est subjective, elle dépend de l’appréciation de l’individu. 26 2/ La crainte du regret ("Fear of regret") Les individus ont tendance à éprouver une peine liée au fait d’avoir commis une erreur : ils ont tendance à regretter leur choix passé. En conséquence, pour éviter ce sentiment de regret, ils altèrent leurs comportements, qui sont alors considérés comme irrationnels, à moins que cette anticipation ne soit prise en compte. Loomes et Sugden mentionnent une fonction d’utilité modifiée ou l’utilité attribuée à un choix est telle qu’elle prend en compte l’utilité qui aurait été retirée d’un autre choix. La « théorie du regret » permet de comprendre le fait qu’un individu évite de vendre une action dont le cours s’est déprécié pour ne pas reconnaître ou rendre évidente l’erreur qu’il a commise et ne pas ressentir ce regret. Par exemple notre investisseur lambda aura tendance à conserver un titre dont la valeur se déprécie sur le marché en espérant que la tendance se retourne et dans la peur d’assumer une perte et un regret de son choix d’investissement. Il suit la foule ou les croyances conventionnelles de peur de regretter sa décision passée dans le cas où elle se révèlerait incorrecte («pourquoi n'ai-je pas fait comme tout le monde ?») 3/ Le comportement de jeu et de spéculation Les individus ont tendance à jouer, à parier, à spéculer, c’est à dire à prendre un risque qui n’est pas nécessaire. C’est un trait de la nature humaine qui persiste dans des cultures très différentes à travers le monde (61% des adultes vivant aux Etats Unis participent à une forme de jeu). Il faut associer cet « amour du risque » à l’aversion rationnelle de l’individu pour le risque. D’une manière générale, les joueurs ne sont pas systématiquement preneurs de risques ; ils sont plutôt à la recherche d’une forme spécifique de divertissement. Il y a toujours une part de jeu dans la vie des gens mais elle prend des formes différentes selon les individus. Le jeu préféré est celui qui « flatte l ‘ego », celui où l’on se sent particulièrement bon ou chanceux. 27 La complexité des comportements humains illustrée par cette attitude de spéculation doit être prise en compte dans la compréhension de l’étiologie des bulles spéculatives. 4/ L’inapplicabilité de l’Histoire Les individus ont tendance à penser que l’Histoire n’est pas significative pour prédire l’avenir. Le futur dépend des observations présentes. Jusqu’à ce que des recherches académiques commencent à collectionner des données financières dans le temps, les participants au marché n’étudiaient jamais l’histoire d’un marché, d’une action et se fiaient à un point d’ancrage du passé récent. Ce rapport à l’Histoire est à rapprocher d’une tendance humaine vis à vis du déterminisme historique, une tendance à penser que les évènements historiques devraient être connus par avance. D’un point de vue rétrospectif, on perçoit l’enchaînement des évènements comme logique ; ils s’intègrent dans un ordre régulier (Florovsky). Cette tendance au déterminisme historique tend à encourager les gens à croire que de grands évènements comme le krach de 1929, la grande dépression ou la guerre mondiale devaient probablement être anticipés ou au moins que certains individus avaient des raisons de s’inquiéter de leur venue. A noter aussi, l’ensemble des émotions individuelles (ou collectives) qui affectent les choix d’investissement : l’avidité, la peur, l’admiration, l’enthousiasme, le dédain… « L’activité des marchés n’est pas dissociable de la personne, de la biographie, de la psychologie de chacun » (Soros) 28 C. Ce qui relève du social et du culturel 1/ La contagion sociale et culturelle L’idée de culture, centrale en sociologie et en anthropologie est liée à l’attention sélective de l’esprit humain. Il y a une cognition sociale, soutenue par les conversations, rituels et symboles propres à chaque groupe d’individus, nation, tribu, catégorie sociale. Les individus tendent à ne pas bien se souvenir des faits ou idées non insufflées par le groupe, auxquelles la cognition sociale ne prête pas attention même si quelques personnes peuvent être conscientes de cet état de fait. En étudiant les sociétés primitives, les ethnologues ont fait ressortir le fait que les coutumes des peuples primitifs, qui sont pour nous « sauvages », sont en fait la conséquence logique d’un système de croyances commun à tous ceux qui appartiennent à cette société. On a pu utiliser des méthodes similaires pour étudier les sociétés modernes. O’Barr et Conley ont étudié les gestionnaires de fonds de pension en utilisant des interviews personnalisées et des méthodes d’anthropologie culturelle. Ils sont arrivés à la conclusion que chaque fonds de pension à sa propre culture souvent associée à une histoire sur l’origine de l’organisation. La gestion d’un fonds de pension repose aussi sur un système de croyances concernant la stratégie d’investissement qui dicte les décisions d’investissement. Il s’est avéré que les facteurs culturels avaient une grande influence sur les décisions en vertu du désir de chacun de transférer une part de responsabilité sur l’organisation et d’entretenir de bonnes relations avec son organisation. 2/ Une culture globale Nous pouvons observer de nombreux exemples d’imitation entre les pays qui sont pourtant séparés par des barrières physiques, linguistiques ou culturelles (façon de s’habiller, musique…). Ces convergences révèlent l’avènement d’un comportement standard international. 29 Il existe une certaine culture mondiale. Il ne s’agit pas d’une homogénéisation totale des systèmes de pensée et d’expression, mais le monde est devenu un réseau de relations sociales et, entre des régions différentes, il existe des flux « d’intelligence » tout comme les flux de biens et d’hommes. Ces deux éléments peuvent aider à la compréhension des phénomènes de mimétisme, d’hystérie collective (bulles spéculatives)… « …Au bout du compte il n’y a pas de mathématique des marchés financiers. Il n’y a que des comportements, une psychologie de masse composée de psychologies individuelles. Il nous reste de longues séries que l’on peut ériger en lois humaines. » 30 III. Quelle reconnaissance pour la finance comportementale aujourd’hui ? Depuis le développement de la « Théorie des Perspectives » en 1979 par Amos Tversky et Daniel Kahneman, et la publication de l’article de Werner De Bondt et Richard Thaler « Does the Stock Market Overreact » en 1986, le champ de la finance comportementale a attiré l’attention de nombreux chercheurs, à la fois en économie et en sciences sociales. De nombreux travaux de recherche et de nombreuses découvertes ont ainsi été faites. De plus, elle acquis une notoriété croissante : une enquête réalisée par Robert Shiller en 1989 auprès des opérateurs du marché a révélé que 65% des personnes interrogées considéraient que la chute des cours en 1987 s’expliquait par la « psychologie des marchés ». Une telle étude réalisée aujourd’hui recueillerait certainement un nombre encore plus élevé de voix. A quel niveau de reconnaissance se situe la finance comportementale aujourd’hui ? 31 A. La consécration de nouvelles stratégies d’investissement L’objectif des théoriciens de la finance comportementale était de réfléchir à de nouveaux modèles de gestion de portefeuille, alternatifs à ceux qui existaient déjà, ou de proposer de nouvelles stratégies d’investissement intégrant le facteur « comportement humain », c’est-à-dire « comportement irrationnel ». Aujourd’hui, la finance comportementale n’appartient plus seulement au domaine de la théorie puisque quelques fonds d’investissement commencent à utiliser les principes posés par la finance comportementale dans leurs modes de gestion. La finance comportementale prône une gestion de portefeuille active, dont l’objectif est de battre le marché grâce à l’exploitation des comportements non rationnels des agents et des anomalies qu’ils engendrent. Citons par exemple : - Fuller & Thaler Asset Management; - ABN AMRO, qui gère deux fonds en Europe : ABN AMRO Ratio Invest (début en avril 1999) et ABN AMRO Behavioural Finance (début en mai 2000) ; Présentation de la société « Fuller & Thaler Asset Management » Richard Thaler est l’un des plus grands noms de la finance comportementale. Il a créé en 1992, avec Russel Fuller, une société de gestion qui investit dans des titres qu’elle estime sous-évalués à cause de biais de comportements, ou erreurs cognitives. La stratégie proposée repose donc sur l’exploitation des erreurs cognitives systématiques qui ont lieu lors du traitement de l’information par les agents sur le marché. 32 Quatre types de portefeuilles et de stratégies sous-jacentes sont proposées aux investisseurs institutionnels - “Small / Mid-Cap Growth” Cette stratégie se base sur le phénomène de sous-réaction des individus lors de l’arrivée d’une information nouvelle (phénomène dû à l’ancrage cognitif et à l’excès de confiance dont font preuve les individus). Pour exploiter ce biais de comportement, Fuller et Thaler cherchent à identifier les informations positives qui n’ont pas été totalement prise en compte par les analystes dans leur évaluation d’une société, et qui ne se reflètent pas dans le cours de son titre. Ces informations concernent essentiellement les résultats des sociétés (et en particulier s’il y un retour aux bénéfices prévu, accompagné d’une persistance des bons résultats dans le temps). Le graphique ci-dessous présente la performance obtenue par les fonds gérés selon cette stratégie (source : www.fullerthaler.com) : 33 Tableau des performances (en pourcentages) : Performance Moyenne totale Annuelle 58.6 580.8 17.3 46.3 157.0 8.2 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Small/Mid-Cap Growth (avec les coûts de 25.0 36.1 8.4 28.2 30.6 28.3 33.0 71.0 5.8 12.1 -1.3 33.5 15.1 14.8 3.1 55.5 - - - 25.7 21.5 16.9 transaction) Benchmark : Russell 2500 - - - 16.1 10.8 29.1 Growth - “Small-Cap Value” Cette stratégie se base sur le phénomène de sur-réaction des individus face à des informations temporaires négatives (phénomène dû à la représentativité heuristique ou à des stéréotypes). Pour exploiter ce biais de comportement, Fuller et Thaler cherchent à identifier des titres de sociétés dont le cours suit une tendance baissière, et qui ne se portent pas bien depuis un moment, si bien que les acteurs sur le marché se sont habitués à ses mauvais résultats. Le graphique ci-dessous présente la performance obtenue par les fonds gérés selon cette stratégie (source : www.fullerthaler.com) : 34 Tableau des performances (en pourcentages) : Performance Moyenne totale annuelle 63.4 296.1 18.8 46.0 167.0 13.1 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Small - Cap Value (avec les coûts de transaction) Benchmark : Russell 2000 Value 24.9 29.3 5.1 37.6 12.7 14.5 21.4 31.8 -6.5 -1.5 22.8 14.0 15.3 11.4 - “Small / Mid-Cap Core” Ce portefeuille est composé à 50% à partir de la stratégie “Small / Mid-Cap Growth » et à 50% à partir de la stratégie « Small-Cap Value ». Le graphique ci-dessous présente la performance obtenue par les fonds gérés selon cette stratégie (source : www.fullerthaler.com) : 35 Tableau des performances (en pourcentages) : Performance Moyenne totale annuelle 59.6 232.8 16.2 45.5 132.9 11.2 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Small / Mid-Cap Core (avec les coûts de transaction) Benchmark : Russel 2500 27.7 27.2 13.3 49.9 19.0 24.4 0.4 24.1 - -1.1 10.5 4.3 1.2 -16 17.8 - “Micro-Cap” Cette stratégie consiste à investir dans des actions qui appartiennent à des sociétés trop petites pour être utilisées dans les stratégies présentées précédemment. Cette stratégie est composée à peu près à 50% de titres de croissance, et à 50% de titres de rendement. Le graphique ci-dessous présente la performance obtenue par les fonds gérés selon cette stratégie (source : www.fullerthaler.com) : Tableau des performances (en pourcentages) : 1999 2000 2001 2002 2003 Micro Cap (avec les coûts de transaction) 93.8 -0.5 49.7 -12.6 104.8 Benchmark : Russel 2000 21.3 -3.0 2.5 -20.5 47.3 Performance totale Moyenne annuelle 416.4 38.9 -4.2 -1.1 36 Pour plus de détail, voir en annexes la description précise des stratégies adoptées et du type d’actions choisies. Il apparaît donc que les performances de ces portefeuilles sont bonnes comparées à leur indice de référence (benchmark), et qui est composé d’actions présentant le même type de caractéristiques (notamment titres de croissance ou non). La société Fuller & Thaler Asset Management s’occupe également de la gestion de deux autres fonds créés en 1998 : - Undiscovered Managers Behavioral Growth Funds, - Undiscovered Managers Behavioral Value Funds. Les actions sont à nouveau choisies en fonction d’erreurs comportementales, mais les performances de ces stratégies sont plus mitigées : Taux de rendement en 2003 UM Behavioral Growth Funds UM Behavioral Value Funds S&P 500 Taux de rendement Taux de rendement annuel moyen de annuel moyen de 2001 à 2003 (3 ans) 1999 à 2003 (5 ans) 57.47% 7.36% 6.18% 82.37% 16.54% 22.06% 1.45% 3.23% 4.95% Pour résumer, ces stratégies se fondent sur les bases suivantes : Tant que la plupart des investisseurs ne semble pas vouloir d'une action, personne n’en veut. Mais si certains investisseurs se mettent tout d'un coup à l'acheter, et surtout si tout le monde en parle, alors on assiste à une véritable ruée. C’est ainsi que s'amorcent des mouvements qui n'ont rien à voir avec les données 37 fondamentales de l'entreprise, du secteur ou du marché. Pire, si les données fondamentales viennent à se dégrader, les investisseurs auront tendance à minimiser cette information, "à sous-réagir". Ils refuseront de remettre leur choix en question. Jusqu'au jour où la bulle devient tellement énorme qu'elle éclate : on a alors quelques donneurs de ton qui vendent l'action, l'euphorie retombe, la tendance s'inverse (« mean reverting ») et cette fois les investisseurs "sur-réagissent" aux mauvaises nouvelles. Les marchés et ses acteurs ne se comportent donc pas de façon aussi rationnelle que l’entend la théorie financière traditionnelle, et ce sont ces biais et disfonctionnements que la finance comportementale souhaite exploiter. Cependant, il ne faut pas penser que gérer un portefeuille sur la base des biais de raisonnement ou de comportement est une chose aisée. Certains professionnels de l'investissement, qui n'avaient pas hésiter à lancer un « Behavioral Finance Fund » ont appris à leurs dépens qu’une tendance peut s’inverser très vite, une fois qu'on commence à en parler. 38 B. Une reconnaissance académique: le prix Nobel d’économie 2002 décerné à Vernon Smith et Daniel Kahneman Communiqué de presse: Le Prix de Sciences économiques institué par la Banque de Suède à la mémoire d'Alfred Nobel, 2002 le 9 octobre, 2002 L'Académie Royale des Sciences de Suède a décidé d’attribuer le Prix de la Banque de Suède en Sciences Économiques à la mémoire d’Alfred Nobel pour l’année 2002, pour moitié à Daniel Kahneman Princeton University, USA ”pour avoir introduit en sciences économiques des acquis de la recherche en psychologie, en particulier concernant les jugements et les décisions en incertitude”, et pour l’autre moitié à Vernon L. Smith George Mason University, USA ”pour avoir fait de l’expérience en laboratoire un instrument d’analyse économique empirique, en particulier dans l’étude de différentes structures de marché”. Le psychologue israélo-américain Daniel Kahneman et l’économiste américain Vernon Smith ont obtenu le prix Nobel d’économie 2002 parce qu'ils ont su mêler 39 leurs deux disciplines pour offrir une remise en question des modèles basés sur les « anticipations rationnelles » des agents. Ils ont de plus su se baser sur les réalités du terrain. Cette nouvelle approche entremêle deux disciplines bien distinctes à la base : les analyses des psychologues cognitifs sur les jugements et les décisions des personnes et les tests expérimentaux auxquels les économistes soumettent la théorie économique. Ces deux domaines d'activités n'ont à priori rien en commun, mais permettent conjointement de mieux appréhender le marché. Les deux lauréats de l'année 2002 sont les pionniers dans ces domaines de recherche. Daniel Kahneman intégra les acquis de la recherche en psychologie à l’analyse économique et posa ainsi les bases d’un nouveau domaine de recherche. Les contributions les plus importantes de Kahneman concernent la prise de décision en incertitude, où il a montré comment la décision des individus peut systématiquement s’écarter des prédictions de la théorie économique traditionnelle. En collaboration avec Amos Tversky, décédé en 1996, Kahneman développa une alternative, la « Théorie des Perspectives » (ou « Prospect Theory », qui correspond mieux aux attitudes observées que la « Théorie de l’Utilité Espérée ». Puis, il étudia la façon dont les jugements en incertitude peuvent prendre des raccourcis heuristiques, qui diffèrent systématiquement des principes fondamentaux de la théorie des probabilités. Ses travaux ont inspiré une nouvelle génération de chercheurs en économie et en finance, qui ont enrichi la théorie économique grâce à des acquis de psychologie cognitive sur la motivation intrinsèque de l’individu. Il a beaucoup apporté à la finance comportementale. 40 Conclusion La finance comportementale, où étude de l’impact du comportement des individus sur l’activité des marchés, a donc acquis l’adhésion de nombreux théoriciens, parmi lesquels Robert Shiller, Richard Thaler et Daniel Kahneman. Ils ont remis en cause l’hypothèse d’efficience des marchés, et en particulier le postulat de rationalité des acteurs. A partir des biais comportementaux observés, ils expliquent les anomalies du marché et tentent de mettre en place des stratégies d’investissement. Cependant, la finance comportementale n'est pas la solution miracle qui permet de battre systématiquement tous les indices boursiers. De plus, il n’est pas évident de poser une structure claire ou de formaliser un modèle précis intégrant les différents comportements des investisseurs. Cela semble même impossible. La finance comportementale doit donc plutôt être vue comme une indication sur les comportements des investisseurs, dans l’espoir de tirer une meilleure appréciation du marché dans sa globalité. Aujourd'hui la Finance comportementale peut être considérée comme une ceinture de sécurité dans la course à l'investissement. Nous allons conclure, avec l'explication d'un économiste issu de l'école de Chicago. En 1918, John Maurice Clark écrivait dans le «Journal of Political Economy» : «L'économiste aura beau essayer de laisser de côté la psychologie, il lui sera impossible de ne pas tenir compte de la nature humaine. Si l'économiste emprunte sa conception de l'homme au psychologue, ses travaux auront plus de chance de rester d'une nature purement économique. En revanche, s'il ne procède pas ainsi, il n'évitera pas pour autant la psychologie. Il sera ainsi contraint de se forger sa propre psychologie... qui sera sûrement erronée.» Il faut donc accepter de donner au marché ce qui lui revient de droit : une dimension humaine. 41 Bibliographie Ouvrages THALER Richard, Advances in Behavioural Finance London, Russel Sage Foundation,1993 AFTALION Florin, La Nouvelle Finance et la Gestion des Portefeuilles Paris, Economica, collection gestion, parution le 23/10/2003 (1° édition), 240 pages. Internet www.investorhome.com www.fullerthaler.com www.mutualinvestor.com www2.standardandpoors.com Articles parus dans des journaux FULLER G. Russel, Journal of Pension Plan Investing, Vol. 2, No. 2, hiver 1998. Le Monde BIAIS Bruno, HILTON Denis, « Le Nobel de l’Economie à un économiste et à un psychologue », 10 octobre 2002 Les Echos BARBERIS Nicholas, « Si les marchés se trompaient », 2004 THALER Richard, « Redonner aux marchés », 2003 STIGLITZ E. Joseph, « Nobel 2002 : Gloire à l’irrationnel », 16 décembre 2002 Finances Vecteur De BROUWER Philippe, « La finance comportementale ou la psychologie de l’investisseur », septembre 2001 42 Annexes 43 LES STRATEGIES D’INVESTISSEMENT MISES EN PLACE PAR LA SOCIETE FULLER & THALER ASSET MANAGEMENT. 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 ARTICLES PARUS SUR LA FINANCE COMPORTEMENTALE 69 Redonner aux marchés une dimension humaine Les psychologues ont montré que le comportement réel des acteurs des marchés ne pouvait s'expliquer par des hypothèses économiques de base. Leurs pronostics ne sont pas objectifs et leurs choix sont influencés par des facteurs externes. Il y a dix ans, les lecteurs auraient été surpris de voir « Les Echos » consacrer un article à un sujet tel que la finance « comportementale ». Ils auraient été encore plus étonnés de constater que l'auteur de l'article était membre de la Graduate School of Business de l'université de Chicago, depuis toujours considérée comme le berceau de l'économie rationnelle et de l'efficience des marchés. Mais, tout d'abord, qu'est-ce que la finance « comportementale »? Avant de tenter de répondre à cette question, revenons en arrière. Ce que l'on appelle souvent la « théorie moderne de la finance » a pris naissance après la Seconde Guerre mondiale. Grâce au travail de pionniers tels Markowitz, Miller, Modigliani, Samuelson ou Sharpe (tous lauréats du prix Nobel), cette approche s'est plutôt orientée vers la comptabilité que vers l'économie, en se dotant d'outils mathématiques qui commençaient à révolutionner l'économie. Le processus qui consistait à conférer à la finance une précision toute mathématique a eu un effet inattendu : elle est devenue un champ d'exploration entièrement dépourvu de présence humaine. Les enseignants en finance s'attachent essentiellement à la performance des marchés financiers (cours, volumes, dividendes, résultats...). En revanche, peu d'entre eux accordent un tant soit peu d'attention aux véritables acteurs de ces performances : investisseurs, traders, gestionnaires de portefeuille ou de fonds de pension, etc. On s'attend généralement à ce que le comportement de ces acteurs soit en phase avec les hypothèses de l'économie moderne, c'est-à-dire qu'ils sont censés formuler des pronostics objectifs (leurs anticipations étant rationnelles) et prendre des décisions, face à un avenir incertain, en s'appuyant sur les postulats de la théorie de l'utilité espérée. Mais la vie n'est pas si simple. Au cours des 20 dernières années, des psychologues tels que Daniel Kahneman, feu Amos Tversky et leurs disciples, ont énormément appris sur la façon dont les individus, dans la vie réelle, élaborent des pronostics et prennent des décisions. Il ressort de leurs recherches que le comportement réel des individus ne peut être expliqué par des hypothèses économiques de base. Comme l'on pouvait s'y attendre, les pronostics ne sont pas objectifs et les choix sont influencés par des facteurs externes, telle la présentation même des différentes options possibles. Dans ces conditions, pourquoi la théorie de la finance moderne reste-t-elle le modèle de référence enseigné dans toutes les écoles de commerce du monde, y compris celle de Chicago ? Les spécialistes de la finance ont peaufiné leurs arguments pour répondre à ceux qui les accusent de fonder leurs modèles sur des hypothèses erronées. Argument numéro un : l'excuse du « comme si », mise en avant pour la première fois par Milton Friedman, éminent économiste de Chicago. Selon lui, une théorie ne devrait pas être appréciée en fonction de la validité de ses hypothèses mais plutôt pour l'exactitude de ses pronostics. Pour preuve, la métaphore d'un bon joueur de billard, incapable de réussir un test de physique ou de trigonométrie, mais qui joue comme s'il en était capable. 70 Argument numéro deux, émanant aussi de Friedman et de ses disciples : les marchés ne tiennent pas compte de la dimension irrationnelle. Certes, il peut arriver que des traders prennent de mauvaises décisions, mais ce n'est jamais pour très longtemps ! Personnellement, je suis sensible à ces deux arguments. Je suis tout à fait d'accord pour juger une théorie en fonction de l'exactitude de ses pronostics plutôt que de la validité de ses hypothèses. Toute recherche sur les marchés des capitaux doit tenir compte du fait que de nombreux investisseurs et arbitragistes intelligents, motivés et disposant de beaucoup de liquidités, sont prêts à saisir toute opportunité pour réaliser rapidement des bénéfices. Evaluons donc la finance moderne en fonction de l'exactitude des pronostics établis par le modèle et voyons ce que cela donne. Je vous propose le test du « Martien » : comme vous le savez déjà, certains scientifiques ont récemment prétendu avoir découvert la vie sur Mars. Supposons que cette forme de vie soit assez intelligente pour avoir découvert les mathématiques, les statistiques, l'économie et les choix rationnels, et qu'un Martien ait inventé le concept des marchés financiers. Quelles seraient les prédictions de notre Martien sur ces marchés financiers ? Et que trouverait-il s'il débarquait sur Terre et découvrait à quoi ressemblaient réellement les marchés ? * Pronostic n^o 1 : la fluctuation des cours reflète des informations Dans le cadre d'un marché efficient et rationnel, les actifs sont valorisés à leur valeur réelle et intrinsèque. Les cours varient donc uniquement lorsque cette valeur change, c'est-à-dire lorsque des informations réellement pertinentes apparaissent. Fait n^o 1 : octobre 1987 Même si nous savons tous que les cours peuvent fluctuer sans raison apparente, l'exemple le plus frappant à cet égard est la semaine du 19 octobre 1987, où les cours ont enregistré de fortes variations dans le monde entier, alors même que la seule véritable « information » était que les cours fluctuaient rapidement. Peut-on imaginer que la valeur actuelle de l'économie américaine a perdu plus de 20 % ce lundi-là (après avoir déjà perdu 5 % le vendredi précédent) puis repris plus de 9 % le mercredi ? * Pronostic n^o 2 : l'absence de négociation En économie, ce phénomène est parfois qualifié de théorème de Groucho Marx. Groucho affirmait à qui voulait l'entendre qu'il ne voudrait pas appartenir à un club qui l'accepterait volontiers en tant que membre. De même, si je sais que vous êtes rationnel et que vous savez que je suis rationnel, et que je sais que vous savez que je sais... alors si vous dites vouloir vendre des actions IBM, je me demanderai ce que vous savez et que je ne sais pas. Je ne veux pas être partie prenante dans une négociation où quiconque serait partant pour servir de contrepartie. Fait n^o 2 : excès de négociation Un jour ordinaire sur le New York Stock Exchange : 400 millions d'actions changent de mains ; la plupart des portefeuilles gérés sont toujours gérés activement, comme en témoigne le taux de rotation (de 50 % à 100 % par an). Pourquoi tous ces intervenants échangent-ils des titres ? Pensent-ils être mieux renseignés que leurs 71 contreparties ? Ils peuvent effectivement le penser (environ 90 % de la population pensent se situer au-dessus de la moyenne dans la plupart des domaines - conduite, relations personnelles, etc.), mais ce n'est pas vrai. Dans le cadre d'une étude sur les gestionnaires de fonds de pension, Joseph Lakonishok, Andrei Shleifer et Robert Vishny ont démontré que les titres qu'ils vendaient surperformaient ceux qu'ils achetaient. Une autre étude de Terrance Odean portant sur les clients d'un grand « discount broker » américain arrive à la même conclusion pour ce qui concerne les particuliers. Imaginons que je souhaite lancer une nouvelle société d'investissement, que je baptiserai Thaler, en toute modestie, et dont la stratégie serait d'acheter toutes les actions que les clients de cette maison de courtage offriraient sur le marché et de leur vendre toutes les actions qu'ils voudraient acquérir. Ma société d'investissement surperformerait alors l'indice S&P 500 de 3 %. * Pronostic n^o 3 : les cours sont imprévisibles Le principe de base de l'hypothèse de l'efficience des marchés est qu'il est impossible de prédire les rendements futurs à partir des rendements passés. Dans le cas contraire, c'est-à-dire si les investisseurs s'inspiraient des rendements passés pour investir, l'évolution des cours, en intégrant ces paramètres, s'en trouverait modifiée, ce qui fausserait les pronostics établis par la suite à partir de cette même stratégie. Les pronostics s'autodétruiraient. Fait n^o 3 : les cours sont en partie prévisibles Le pronostic n^o 3 était autrefois considéré comme le phénomène le mieux démontré des sciences sociales. Or, au cours des 15 dernières années, les chercheurs ont découvert de nombreux exemples de catégories de titres qui paraissent surperformer (ou sous-performer) par rapport à ce que l'on attendait d'eux, c'est-à-dire par rapport à la performance des autres titres comportant le même degré de risque. Ainsi, dans une étude publiée en 1985, Werner De Bondt et moi-même établissions que les titres dont la performance a été très médiocre au cours des 3 à 5 années précédentes ont, par la suite, surperformé le marché, tandis que les titres ayant enregistré une bonne performance dans le même laps de temps ont ensuite sousperformé. D'où notre conclusion : les titres ont tendance à sur-réagir. D'autres études ont suivi pour prouver que les valeurs « d'actif », c'est-à-dire celles dont le PER ou le ratio cours/actif net est peu élevé, affichent un rendement supérieur à celui des valeurs « séduction » (leurs détracteurs les qualifient de valeurs « séduction » tandis que leurs partisans les baptisent valeurs « de croissance »). Selon la finance comportementale, les valeurs « d'actif » affichent de bonnes performances car elles sont sous-évaluées : les investisseurs, trop déçus par leurs mauvaises performances passées, ont contribué à tirer les cours vers le bas. Lorsque le titre renoue avec les bénéfices (partiellement en raison du phénomène naturel de convergence vers la moyenne), le cours rebondit. En revanche, les valeurs « séduction » ont été trop demandées ; les cours ont donc été tirés artificiellement à la hausse par des pronostics trop optimistes et les titres ont sous-performé lorsque les bénéfices ne correspondaient pas à ces attentes irréalistes. Même les défenseurs de l'efficience des marchés tels Eugène Fama et Kenneth French reconnaissent que les 72 valeurs « d'actif » offrent de meilleurs rendements. Ils considèrent néanmoins que ces bons rendements sont liés au degré élevé de risque qui caractérise ces valeurs. Les théoriciens de la finance comportementale font toutefois remarquer que rien ne prouve que les valeurs « d'actif » sous-performent nécessairement en cas de marchés baissiers ou de récession. En outre, il est difficile de justifier le faible rendement des valeurs « séduction » par un moindre profil de risque, puisqu'il faudrait ainsi croire que le faible rendement des actions avec un PER de 50 s'explique parce qu'elles sont, collectivement, plus « sûres ». Même si les deux parties sont certaines d'avoir raison, le débat est loin d'être clos... * Pronostic n^o 4 : seul le risque non diversifiable se paie Le CAPM, ou modèle d'évaluation des actifs financiers, nous apprend que si le risque peut être évité par une simple diversification du portefeuille, l'investisseur ne devrait pas s'attendre à être rémunéré pour le supporter. Toutefois, si le rendement d'un actif est corrélé au rendement du marché (c'est-à-dire si le coefficient bêta est positif), les investisseurs ne désirant pas prendre de risques exigeront un rendement supérieur pour supporter ce risque contournable. En outre, les actifs ayant des bêtas plus élevés devraient bénéficier de meilleurs rendements. Fait n^o 4 : le coefficient bêta n'a aucune importance Dans une série d'études, Fama et French ont montré que le bêta présente peu d'utilité pour expliquer les différences de rendement entre valeurs. Ces différences seraient mieux expliquées par d'autres variables comme la capitalisation boursière et le ratio cours/actif net. En réalité, à capitalisation constante, les sociétés bénéficiant d'un bêta élevé auront des rendements moins élevés que celles présentant un bêta inférieur. * Pronostic n^o 5 : lorsque les dividendes sont plus taxés que les plus-values, les entreprises privilégient le rachat d'actions au versement de dividendes Selon le célèbre théorème Modigliani-Miller, la politique de distribution des dividendes n'a aucune importance dans un contexte d'efficience des marchés, surtout exempts d'impôts. Mais lorsque les investisseurs doivent s'acquitter d'impôts plus élevés sur les dividendes que sur les plus-values, une entreprise pourra faire bénéficier à certains de ses actionnaires, sans nuire aux autres, d'une option de rachat d'actions en lieu et place du versement de dividendes. Fait n^o 5 : la plupart des entreprises versent des dividendes Les économistes avancent plusieurs théories pour expliquer pourquoi les sociétés versent des dividendes, notamment la théorie du « signal » par laquelle les entreprises « dilapident » de l'argent (en forçant leurs actionnaires à payer des impôts superflus) afin de « signaler » à la communauté financière la bonne orientation de leurs perspectives bénéficiaires. Cependant, une étude que j'ai récemment conduite en collaboration avec Shlomo Benartzi et Roni Michaely, confirme que les entreprises qui augmentent leurs dividendes ne présentent pas forcément de meilleures 73 perspectives bénéficiaires que celles qui laissent leurs dividendes inchangés. Pourquoi les entreprises versentelles donc des dividendes ? La question reste posée. A ce stade de la réflexion, qu'en penserait notre « Martien »? Je crois qu'il estimerait que les pronostics de la théorie ne résistent pas à l'épreuve de la réalité. Il serait peut-être temps de repenser la théorie, mais comment ? Faudrait-il adopter une nouvelle façon de penser sur les marchés des capitaux ? Pour commencer, pourquoi ne pas essayer le petit jeu suivant : choisissez un nombre entre 0 et 100 de telle sorte que le nombre choisi soit aussi proche que possible des deux tiers de la réponse moyenne. Supposons que 5 personnes participent à ce jeu et choisissent 50, 40, 30, 20 et 10. En moyenne, le chiffre choisi serait 30, dont les deux tiers correspondent à 20. La personne ayant donné le chiffre 20 aurait gagné. Quel chiffre choisiriez-vous ? Réfléchissez bien avant de poursuivre votre lecture et... ne trichez pas ! Comment aborder ce jeu ? Première approche - l'absence de réflexion : « Cela me paraît compliqué, je ne sais pas quoi faire. Je vais choisir un nombre au hasard. » C'est ce que j'appellerais le degré zéro de réflexion. En moyenne, le chiffre cité par ceux qui adoptent cette approche est 50. Deuxième approche - le degré 1 de réflexion - s'articulant ainsi : « Le participant moyen n'est ni perspicace ni très doué en maths. Il choisira plusieurs chiffres au hasard. L'estimation moyenne citée sera 50, je dirai donc 33. » Troisième approche - le degré 2 de réflexion : « La plupart des lecteurs comprendront le jeu mais penseront que les autres ne sont pas aussi astucieux qu'eux. L'estimation moyenne sera de 33, je dirai donc 22. » Quatrième approche - le degré 3 de réflexion : « La plupart des personnes interrogées comprendront le but du jeu, penseront que le chiffre choisi par la plupart des personnes interrogées sera 33, ils diront donc 22. Je dirai à mon tour deux tiers de 22, c'est-à-dire 15. » A ce stade du raisonnement, il est clair que cette analyse pourrait très bien être sans fin. Un économiste rechercherait un équilibre, c'est-à-dire un chiffre qui, s'il était cité par tout le monde, ferait que personne ne serait incité à changer sa propre estimation. On peut raisonnablement croire que dans ce jeu le seul degré d'équilibre serait soit 0, soit 1 (en demandant aux personnes interrogées de choisir des nombres entiers, le seul équilibre serait 0 ou 1 ; si les fractions étaient autorisées, seul 0 représenterait l'équilibre). Ce jeu vous rappelle-t-il quelque chose ? Prenons un passage tiré de la « Théorie générale » de Keynes. « L'investissement professionnel s'apparente à ces concours organisés par les journaux, qui demandent au lecteur de choisir parmi 100 portraits les 6 visages qui leur plaisent le plus. Le gagnant est celui dont le choix est le plus proche du choix moyen des autres participants : chaque participant devra donc choisir non pas les visages qui lui plairont le plus personnellement, mais ceux qu'il pense être le choix probable des autres concurrents, tous les concurrents adoptant le même point de vue. Il ne s'agit pas de choisir les visages qui, selon son propre jugement, sont les plus agréables, ni même ceux qui de l'avis général semblent les plus agréables. Nous avons atteint le degré 3 de réflexion où nous consacrons notre intelligence à anticiper ce que, de l'avis général, sera l'avis général. Et je pense que certains pratiquent même un quatrième, cinquième, voire un sixième degré de réflexion. » Le célèbre concours de beauté de Keynes est assimilable au concours des chiffres et reste à ce jour une 74 métaphore brillante pour réfléchir au fonctionnement des marchés financiers. Considérons que la seule façon de jouer à ces deux jeux est de penser à un niveau supérieur à celui du participant moyen. La plupart des participants à ce jeu ont eu le défaut de penser trop ou pas assez. Le chiffre moyen était 18,91, dont les deux tiers sont 12,6, arrondis à 13. Cependant, les chiffres les plus fréquemment cités étaient 0, 1, 22 et 33. Répondre 22 ou 33, c'est accorder trop peu de capacités aux autres participants, tandis que choisir 0 ou 1 c'est faire preuve de trop de perspicacité. L'investissement suit un raisonnement similaire. Il ne suffit pas de dire que telle valeur est sous-évaluée (ou surévaluée) ; pour qu'elle soit un investissement de qualité ou même qu'elle constitue une possibilité de vente à découvert, il faudra que d'autres investisseurs pensent la même chose, et assez vite pour que la valeur en profite. Keynes disait qu'à long terme nous sommes tous morts. Les gestionnaires de portefeuille pourraient le paraphraser en disant : « Après trois années de sous-performance, nous sommes tous remerciés. » Ce qui signifie qu'un bon investisseur doit associer analyse sans faille (afin de déterminer quand le cours est différent de la valeur intrinsèque) et psychologie fine (pour préciser pourquoi le cours s'est éloigné de la valeur et tenter de savoir quand les deux se rapprocheront - à supposer que cela se produise un jour). Comment la finance comportementale peut-elle contribuer au débat ? Nous avons déjà vu les liens qui existent entre la réussite d'une stratégie d'investissement en valeurs « d'actif » et la psychologie cognitive. Voici deux autres exemples. Prenons le cas des sociétés d'investissement à capital fixe (sicaf). Ces institutions financières constituent depuis longtemps un sujet d'étonnement pour les spécialistes de la finance, car leurs cours sont différents de la valeur sous-jacente des titres qu'elles détiennent. S'il est courant pour les parts de ces sociétés de s'échanger avec une décote de 10 à 20 %, il existe des cas où les sicaf se traitent avec une prime importante, notamment celles qui sont spécialisées par pays. A une époque, aux Etats-Unis, ces dernières s'échangeaient à plus de 200 % au-dessus de leur valeur d'actif net. Il est rare de rencontrer un exemple aussi frappant du phénomène de « bulle » : la prime a disparu en l'espace de quelques mois et s'est transformée en légère décote. L'écart important qui existe entre le cours des parts de la sicaf et la valeur des titres qu'elle détient embarrasse les partisans de l'efficience des marchés. Parallèlement, dans un article publié par le « Journal of Finance », Charles Lee, Andrei Shleifer et moi-même avons montré que les sicaf peuvent servir à mieux comprendre les marchés financiers et qu'il est possible d'utiliser la décote des sicaf pour mesurer le sentiment des investisseurs particuliers (les principaux détenteurs de sicaf aux Etats-Unis). Il découle de ce qui précède que les décotes seront corrélées aux rendements d'autres investissements détenus par des particuliers. C'est exactement ce que nous avons vérifié. Lorsque les décotes des sicaf se rétrécissent (lorsque les particuliers sont plus optimistes), les petites valeurs (principalement détenues par des particuliers) surperforment les grosses capitalisations (surtout détenues par des investisseurs institutionnels). * Le problème de la prime de risque La psychologie peut également nous permettre de mieux comprendre le marché en expliquant l'existence de la prime de risque. La prime de risque est la différence entre le rendement des actions et des obligations. La question est de savoir pourquoi cet écart est si important. Au cours des 70 dernières années, le rendement réel 75 des actions aux Etats-Unis et au Royaume-Uni a avoisiné en moyenne 6 % à 7 % par an, tandis que le rendement moyen des obligations sur la même période était plutôt de l'ordre de 1 %. Cet écart se vérifie quel que soit le pays considéré. Pourquoi les investisseurs ont-ils besoin d'une prime de risque aussi importante pour détenir des actions ? En d'autres termes, pourquoi les investisseurs privilégiant le long terme acceptent-ils de détenir des obligations ? Shlomo Benartzi et moi-même avons avancé une explication : la peur endémique de perdre. La recherche en psychologie montre que les individus ont peur de perdre, ce qui signifie qu'ils sont beaucoup plus sensibles à la perte éventuelle sur un investissement qu'au gain qu'il pourrait générer : il est deux fois plus douloureux de perdre 100 F qu'il n'est agréable de gagner 100 F. Pour les investisseurs, la peur de perdre rend l'investissement dans un instrument risqué comme les actions peu attrayant si les rendements sont évalués fréquemment. Sur 20 ans, il est pratiquement certain que les actions surperformeront les obligations, mais sur une base quotidienne, le cours des actions baisse aussi souvent qu'il monte. M. Benartzi et moi-même avons tenté d'évaluer avec quelle régularité les investisseurs ayant peur du risque doivent évaluer leurs portefeuilles afin de devenir indifférents au fait de détenir des actions ou des obligations. En étudiant des données américaines, nous avons trouvé que la fréquence devrait être d'environ 13 mois, soit une fois par an. Si notre explication est correcte, le rendement des actions est élevé pour compenser le fait que certains vérifient leurs comptes trop souvent. Ce qui signifie que pour ceux qui sont prêts à être patients (ou pour les négligeants), les actions représentent le véhicule d'investissement le plus attrayant. Je finirai en citant un autre économiste issu de l'école de Chicago. En 1918, John Maurice Clark écrivait dans le « Journal of Political Economy » : « L'économiste aura beau essayer de laisser de côté la psychologie, il lui sera impossible de ne pas tenir compte de la nature humaine. Si l'économiste emprunte sa conception de l'homme au psychologue, ses travaux auront plus de chance de rester d'une nature purement économique. En revanche, s'il ne procède pas ainsi, il n'évitera pas pour autant la psychologie. Il sera ainsi contraint de se forger sa propre psychologie... qui sera sûrement erronée. » La finance comportementale constitue une tentative de suivre le conseil de M. Clark : utiliser des éléments psychologiques avérés plutôt que de se forger une psychologie erronée. En suivant ce conseil, nous espérons atteindre une meilleure compréhension des marchés financiers. * RICHARD THALER, titulaire de la chaire Robert Gwinn, est professeur de sciences comportementales et d'économie à la Graduate School of Business de l'université de Chicago. Il est également administrateur du Center for Decision Research Tous droits réservés - Les Echos 2003 76 Si les marchés se trompaient ? Plusieurs études récentes viennent contredire les tenants de la théorie des marchés efficients. Les investisseurs semblent ne pas réagir correctement à l'information qu'ils reçoivent et commettent des erreurs qui sont alors exploitées par des tiers. A chaque heure de la journée, les marchés financiers sont submergés de nouvelles informations. Une société peut annoncer par voie de communiqué des résultats bien meilleurs que prévu ou une importante acquisition. Les opérateurs et les investisseurs s'empressent d'ingérer l'information et de la répercuter sur le cours de Bourse. Mais ne peuvent-ils pas se tromper ? Réagissent-ils vraiment correctement à l'information ? Les résultats de récentes études semblent indiquer que les investisseurs commettent systématiquement des erreurs dans la façon dont ils traitent les informations qu'ils reçoivent et que ces erreurs peuvent être exploitées avec profit par d'autres. Ces découvertes sont en conflit direct avec la théorie des marchés efficients selon laquelle le cours de Bourse est « juste », et nul ne peut espérer « manger à l'oeil » sur le marché. En 1978, Michael Jensen, théoricien de la Harvard Business School, écrivait que « la théorie de l'efficience des marchés était le seul pilier inébranlable de la finance ». Vingt ans plus tard, en partie du fait des études que nous évoquions, cette question est à nouveau ouverte. Surréaction à l'information En 1985, un article signé Werner de Bondt, de l'université du Wisconsin, et Richard Thaler, de la Graduate Business School de l'université de Chicago, a provoqué beaucoup d'émoi. Les deux auteurs y démontraient que les marchés surréagissent à l'information. De Bondt et Thaler ont établi que les actions présentant de faibles rendements sur une période de trois ans surperformaient ultérieurement considérablement les titres dont les rendements avaient été les plus élevés au cours de ces trois ans. Ainsi, un portefeuille composé des 35 valeurs les plus médiocres (le portefeuille des « poids morts ») accumulait un rendement de 25 % supérieur sur 36 mois au rendement d'un portefeuille constitué des valeurs les plus performantes (le portefeuille des « vedettes »). Le phénomène de surréaction des marchés peut-il expliquer cet écart ? Supposons qu'une société annonce de bonnes nouvelles au cours des trois années en question, telles qu'une succession de résultats systématiquement supérieurs aux prévisions. Il n'est pas impossible que les marchés surréagissent à ces annonces et soient victimes d'un excès d'optimisme sur les perspectives de la société, provoquant une embellie du cours. La valeur devient donc une candidate parfaite au portefeuille des « vedettes ». Dans les mois suivants, les investisseurs commencent à se rendre compte que leur optimisme était infondé et appliquent alors une correction à la valeur. Cette révision peut expliquer la contre-performance du titre désormais admis dans la catégorie des « vedettes ». De la même manière, les titres faisant partie des « poids morts » sont peut-être uniquement des valeurs pour lesquelles les investisseurs ont péché par pessimisme. Dès lors que l'erreur est rectifiée, ces dernières renouent avec des rendements très élevés. 77 Des études récentes sont venues confirmer ce phénomène de surréaction des marchés. Les théoriciens ont examiné l'évolution de titres très prisés (c'est-à-dire bénéficiant de ratios cours/fondamentaux de la société très favorables) et ont démontré que ces valeurs étaient probablement surévaluées. Supposons, par exemple, que l'on constitue un portefeuille composé de « valeurs de croissance », c'est-à-dire de titres bénéficiant d'un ratio cours/BPA très élevé, et un portefeuille composé de titres pour lesquels ce ratio serait très faible (« valeurs d'actifs »). Sur une période de cinq ans minimum après la constitution du portefeuille, la rémunération des valeurs d'actifs est en moyenne supérieure de près de 8 % par an à celle des valeurs dites de croissance. Si l'on retient d'autres ratios d'analyse pour composer les portefeuilles, la différence peut même être plus importante. Des titres ayant un ratio cours/valeur comptable faible affichent ainsi un rendement moyen supérieur de plus de 10 % par an à celui de titres mieux appréciés selon ce critère. Tout aussi fréquent, selon d'autres études, serait le phénomène de sous-réaction. La sous-réaction, autre erreur La plus remarquable des découvertes sur ce comportement est peut-être celle de Victor Bernard et de Jacob Thomas de l'université de Columbia, parue en 1989. Ces deux chercheurs ont classé les actions en fonction du degré de surprise créée lors des plus récentes annonces de résultats. Le degré de surprise était notamment mesuré par rapport aux attentes des analystes. Bernard et Thomas ont ensuite constitué deux portefeuilles, l'un entièrement composé de titres de sociétés porteuses de bonnes nouvelles et l'autre de titres de sociétés n'ayant annoncé que des mauvaises nouvelles. Dans les six mois qui suivirent, les deux chercheurs ont suivi ces deux portefeuilles. Quel ne fut leur étonnement de constater que le portefeuille « bonnes nouvelles » affichait un rendement moyen sur six mois supérieur de 6 % à celui des titres « mauvaises nouvelles ». Leur réaction était due au fait que le cours est censé intégrer immédiatement la bonne ou la mauvaise nouvelle annoncée. L'étude menée indique que cela n'est pas le cas et que les investisseurs ont tendance à sous-estimer, dans un premier temps, la portée d'une nouvelle information. Ils obéissent alors à la logique suivante. Une société annonce des résultats nettement supérieurs aux prévisions. Les investisseurs considèrent cela comme une bonne nouvelle et révisent certes leurs évaluations à la hausse, mais, pour une raison inconnue, cette hausse reste limitée. Cette erreur n'est corrigée que progressivement. Dans les six mois qui suivent, le cours grimpe imperceptiblement vers le niveau qu'il aurait dû atteindre au moment où les résultats ont été annoncés. Un investisseur achetant le titre dès le jour de l'annonce pourrait tirer parti de cette hausse graduelle et bénéficier d'un rendement plus élevé. Depuis la publication de cette étude, les chercheurs ont également mis en évidence un comportement similaire après la parution d'autres informations financières, comme l'annonce d'un changement de politique de paiement du dividende ou du lancement d'opérations de rachat de titres. Ainsi, quand une société annonce qu'elle va diminuer le dividende versé, les marchés interprètent généralement ce changement de cap comme une mauvaise nouvelle et le cours baisse immédiatement. Des études récentes ont démontré que cette baisse n'était pas proportionnelle à la portée réelle de la nouvelle au moment de l'annonce et que le cours continue à décliner plusieurs mois d'affilée. Cette évolution signifie que les investisseurs sous-estiment la mauvaise nouvelle au 78 moment de l'annonce et ne l'intègrent, dans toute sa portée, que progressivement dans le cours. Un autre phénomène bien connu est l'effet d'« élan », étroitement lié à la sous-évaluation ou surévaluation des marchés. Ce comportement est lié à la conviction que les sociétés dont les performances ont été bonnes au cours de l'exercice écoulé continueront sur cette lancée l'exercice suivant et que celles dont les performances ont été médiocres ne redresseront pas la situation l'année suivante. L'une des explications de ce constat, c'est que les sociétés dont les résultats sont bons ont annoncé une bonne nouvelle que les investisseurs ont sous-estimée. Cette erreur de départ est graduellement corrigée au fil des mois, expliquant le glissement haussier progressif du cours. Comme on peut le voir, les diverses études font apparaître des différences subtiles, chacune proposant une interprétation très convaincante sur la façon dont les investisseurs réagissent à l'information. Rappelons de plus que, pour les sociétés dont les performances ont été médiocres au cours des trois derniers exercices, la tendance s'inverse au-delà de cette période et leurs rendements sont supérieurs. En revanche, celles dont les performances ont été médiocres la seule année précédente ne redressent pas la situation l'année suivante. En outre, il semble que si les investisseurs ont tendance à sous-réagir à l'annonce d'une nouvelle isolée ils surréagissent en revanche à l'annonce d'un ensemble d'informations convergeant toutes dans le même sens, c'est-à-dire toutes mauvaises ou toutes bonnes. Pour les tenants de la théorie des marchés efficients, le constat précédent est déroutant, car il semble induire la possibilité de tirer de substantiels profits en jouant sur les erreurs des marchés, voire de réaliser de « bonnes affaires à l'oeil », même en tenant compte des coûts de transaction. Résoudre cette contradiction Un investisseur qui aurait acheté des titres du portefeuille des « poids morts » de De Bondt/Thaler avant de les céder ou qui aurait pris des positions courtes dans le portefeuille des « vedettes » aurait réalisé de belles affaires au cours des 70 dernières années, à l'instar de l'investisseur qui aurait acheté des titres du portefeuille « bonnes nouvelles » et cédé ses titres « mauvaises nouvelles » ou acheté des valeurs d'actifs et cédé des valeurs de croissance. Si les marchés surréagissent ou sous-réagissent systématiquement à l'information, les possibilités d'exploiter leurs erreurs sont indéniables. A cette contradiction, les zélateurs de la théorie des marchés efficients objectent principalement que les marchés ne sont pas dans l'erreur, mais que l'écart de rendement reflète seulement la différence de risque lié à tout placement. La prime de marché sur les actions ne les surprend donc pas, du fait du risque plus élevé inhérent à ce type de valeur : pour accepter d'assumer ce risque, l'investisseur doit en quelque sorte être indemnisé - ce raisonnement explique également la meilleure rentabilité du portefeuille des « poids morts » sur le portefeuille des « vedettes ». Cette argumentation, pour rationnelle qu'elle soit à première vue, ne résiste pourtant pas à une analyse plus poussée. Prenons par exemple les portefeuilles « vedettes » et « poids morts » de De Bondt et Thaler. Il est indéniable que, historiquement, la rentabilité moyenne du portefeuille des « poids morts » a été nettement plus forte. Qui voudrait démontrer que cette prime est la contrepartie d'un risque supérieur chercherait à mettre en 79 évidence que le rendement des « poids morts », certes en moyenne plus élevé, est également beaucoup plus volatil et parfois bien plus mauvais que celui des « vedettes ». Pour ce faire, il serait également possible de calculer un autre paramètre, le « bêta » de l'investissement. Le bêta mesure l'évolution de la rentabilité d'un investissement par rapport aux variations globales du marché. Les investissements présentant un bêta élevé sont jugés plus risqués, car ils offrent de médiocres possibilités de diversification. Malgré tout, la théorie risque/rendement ne suffit pas à tout expliquer. Certes, les titres « poids morts » sont plus risqués que les titres « vedettes », leurs rendements sont plus volatils, leurs performances sont parfois pires que celles des « vedettes » et ils présentent des bêta plus élevés. Toutefois, le niveau de risque ne suffit pas, loin s'en faut, à justifier la prime. La conclusion est la même pour l'ensemble des autres stratégies d'investissement. De même, les actions « bonnes nouvelles » sont un peu plus risquées que les actions « mauvaises nouvelles » selon les paramètres retenus, mais cela ne suffit pas à expliquer le différentiel de rendement moyen. Ce constat ne signifie pas, pour autant, la victoire sans appel de ceux qui prétendent que les marchés sont dans l'erreur. A ces derniers, il est en effet possible d'opposer par exemple que le risque n'a pas été correctement évalué. Dans une série d'articles récents qui a fait grand bruit, Eugene Fama, de l'université de Chicago, et Kenneth French, de Yale, ont démontré que les valeurs d'actifs pouvaient être soumises à d'importants facteurs de risque non pris en compte dans des modes d'évaluation plutôt simples comme le bêta. Ces facteurs négligés expliqueraient leur rendement plus élevé. Le débat fait rage cependant sur l'importance des facteurs de risque mis en évidence par Fama et French. Aucun consensus n'a pu être trouvé au sein de la communauté des économistes sur la meilleure façon d'appréhender le fonctionnement du couple risque/rendement, thème qui continue de passionner les chercheurs. Pour contre-attaquer, les tenants des marchés efficients ont beau jeu de demander pourquoi les effets de ces erreurs n'ont pas disparu. Si les marchés se trompent effectivement, pourquoi ce filon n'a-t-il pas été pleinement exploité, et épuisé, par quelques investisseurs astucieux ? Pourquoi, par exemple, les investisseurs ne se sont-ils pas rués pour acheter des valeurs d'actifs et vendre les valeurs de croissance ? Il existe un certain nombre de réponses. D'une part, il est possible que les investisseurs potentiels n'aient pris conscience de ces opportunités que récemment. Il est vrai que les valeurs d'actifs étaient considérées comme un bon investissement dès les années 30, mais la fiabilité statistique de ce fait n'a été avérée que récemment. D'autre part, les gestionnaires de fonds peuvent avoir du mal à justifier leurs achats de « poids morts » et de valeurs d'actifs dont les performances financières ont été médiocres et qui sont jugées plus susceptibles de mener à la banqueroute. Investir un portefeuille en valeurs de croissance ou en titres « vedettes » est un choix plus facile à légitimer. Le « data mining » contesté Une autre argumentation, avancée par les avocats de l'efficience des marchés, vise à contester la méthodologie utilisée, couramment appelée « data mining ». Ceux qui s'appuient sur cette thèse font valoir que d'innombrables 80 investisseurs pleins d'espoir ont consacré beaucoup de temps pour tenter de mettre au jour des stratégies dont la rentabilité est historiquement avérée. La technique consiste à regrouper les titres dans des portefeuilles composés en fonction de certains paramètres, de la façon décrite plus haut, et à comparer les performances réciproques des portefeuilles ainsi constitués sur une période donnée. Les limites de cette méthode, c'est que si l'on essaye assez de combinaisons on est presque certain, statistiquement, de tomber sur une stratégie de gestion produisant des rendements historiques plus élevés. Toutefois, rien ne permet de penser que cette stratégie d'investissement continuera à faire ses preuves, dans la mesure où la réussite de cette dernière peut n'être que le fruit du hasard le plus fallacieux. Si cette critique ne manque pas de justesse, elle peut néanmoins être battue en brèche : il suffit de vérifier si ces différentes découvertes peuvent être reproduites en utilisant d'autres données. Or les faits ont résisté à ces vérifications croisées. De récents travaux de Fama et French ont démontré que les valeurs d'actifs surperformaient les valeurs de croissance sur de nombreux marchés. Ni la thèse du couple risque/rendement ni la critique liée à la méthode du « data mining » n'ont réussi à ce jour à expliquer le succès de ces stratégies d'investissement. Pour autant, la preuve de l'inefficience des marchés est loin d'être établie. Pour ce faire, il ne faudrait pas seulement démontrer que les marchés surréagissent ou minimisent la portée d'une information, il faudrait également prouver que ce type de comportement propre aux investisseurs s'appuie sur certains ressorts profonds de la psychologie humaine. Cette question a été abordée par des travaux de recherche explorant le champ nouveau de la finance comportementale. L'approche comportementale A titre d'exemple, voici comment il serait possible d'expliquer au moyen d'une approche psychologique pourquoi et quand - les individus ont tendance à surréagir à l'information. L'une des explications repose sur une réaction biaisée, bien connue des chercheurs sous le terme de « représentativité heuristique ». Ce phénomène global peut être interprété à un certain degré en expliquant que les individus perçoivent des motifs récurrents et une structure ordonnée même au milieu d'un ensemble de données complètement aléatoires. Un exemple fameux provient d'une étude sur les séries de scores de la ligue de basket professionnelle américaine. L'une des questions souvent posées est la suivante : prenons deux joueurs de même niveau ; après trois tentatives, l'un a marqué trois paniers d'affilée, alors que l'autre les a manqués. La question est la suivante : lequel de ces deux joueurs sera le plus susceptible de marquer le prochain panier ? La plupart des gens choisissent le premier joueur, celui qui vient de marquer trois paniers d'affilée, en vertu de la fameuse « loi des séries ». Cette réponse se fonde sur le présupposé que sa chance va durer. Ce qui est remarquable, c'est que, si l'on analyse dans les faits une série de scores, il s'avère que les joueurs ayant marqué plusieurs paniers d'affilée n'ont ni plus ni moins de chance que les autres de marquer les suivants. Cette étude a donc établi que les gens voient des tendances et des formules récurrentes là où il n'en existe pas. 81 Une argumentation similaire a été appliquée à la finance pour expliquer pourquoi les marchés surréagissent à plusieurs annonces consécutives de résultats positifs. En réalité, les variations de résultats des entreprises obéissent à une logique plutôt aléatoire. Malgré tout, les investisseurs assistant à une hausse continue des résultats trimestriels oublient que cette évolution ne saurait constituer une tendance et extrapolent les bonnes nouvelles à trop longue échéance. Cet excès d'optimisme induit une surévaluation de la valeur et des effets en conséquence. Ce type de réactions biaisées dans le traitement de l'information par l'esprit humain peut également avoir pour effet une « minimisation » de la portée de nouveaux éléments d'information. « Excès de prudence » ou « excès d'optimisme », ces comportements se fondent sur le fait que les individus ont tendance à se raccrocher trop fortement à leurs convictions antérieures et mettent du temps à modifier leur opinion en fonction de nouveaux éléments d'information. La sous-réaction des marchés ne s'explique pas autrement. Les investisseurs peuvent avoir leur opinion sur les perspectives d'une société dont ils rechignent à se défaire en cas d'annonce étonnamment bonne concernant la même société. Même si le cours s'apprécie quelque peu, les investisseurs restent sceptiques et ne corrigent que progressivement leur opinion dans une juste proportion. Pour de nombreux spécialistes, le lien entre finance et psychologie semble vraisemblable, même si une frange non négligeable de théoriciens continue à douter du bien-fondé d'une approche psychologique des marchés. Ces derniers accusent les tenants de la finance comportementale de partir à la pêche aux faits, passant au crible les traités de psychologie pour y puiser les arguments susceptibles d'étayer leur démonstration. Les modèles les plus convaincants à ce jour sont donc ceux qui s'appuient sur le nombre le plus réduit possible d'explications psychologiques. Comment interpréter correctement les découvertes présentées ici ? Le débat est loin d'être clos. Les théoriciens de la finance comportementale cherchent à élaborer des modèles plus fiables et plus convaincants pour démontrer irréfutablement le lien entre comportement des marchés et psychologie humaine. Sur un autre front, les tenants de la théorie des marchés efficients cherchent à mieux comprendre la corrélation risque/rendement dans l'espoir de corroborer définitivement leur thèse. Ce que l'on peut dire en guise de conclusion, vingt ans après la célèbre affirmation de Michael Jensen, c'est que la théorie des marchés efficients est loin d'être le pilier inébranlable de la finance. * NICHOLAS BARBERIS enseigne la finance à la Graduate School of Business de l'université de Chicago. Ses travaux de recherche portent notamment sur l'allocation d'actifs et l'efficience des marchés. Tous droits réservés – Les Echos 2004 82