LA PAROLE DANS PHÈDRE DE PLATON Introduction Platon est souvent vu comme le fondateur de la philosophie. Aussi, selon Whitehead (philosophe anglais du 20e siècle) : «La façon la plus sûre de caractériser la tradition philosophique occidentale est qu’elle consiste en une suite de note en bas de page à Platon». Cependant Platon n’était que le disciple de Socrate. La différence entre eux et que Platon a écrit, et Socrate non. Platon est celui qui a inventé Socrate, qui en a fait une figure mythique, celle du philosophe incarné. La mort de ce dernier aura profondément marqué Platon ( Apologie de Socrate). Elle prouve selon lui qu’aucun régime politique n’est satisfaisant. On dit souvent que Platon a renoncé à la politique, mais il a seulement renoncé à une activité politique directe à Athènes. L’une des valeurs de son entreprise philosophique est d’ailleurs de répondre à une question politique : comment réinventer totalement la politique, alors que même la démocratie n’a pu sauver la vie de l’homme le plus juste de la cité ? Une idée très importante dans la pensée de Platon est celle du «Philosophe Roi» : seul un philosophe serait apte à gouverner. Mais faut-il faire que le philosophe gouverne ou que celui qui gouverne soit philosophe ? Pour transmettre l’héritage de Socrate, Platon créera une école : l’Académie. ➝ «Nul n’entre ici s’il n’est géomètre» : les mathématiques sont la base de l’entreprise philosophique. La géométrie est ce qui enseigne le monde des idées (apprend à connaître l’idée des objets, comme l’idée du carré). La forme essentielle de l’enseignement y est le dialogue : enseignement rhétorique, pour une société ou la parole a un rôle très important ; il s’agit aussi de faire concurrence aux sophistes. Les sophistes prétendent faire de la philosophie, selon eux, elle se rapporte à de la culture générale : connaître un peu de tout. Mais pour Platon, ce n’est rien savoir. La vraie philosophie est différente de la sagesse. C’est l’amour (et donc la recherche) de la sagesse. Socrate dira : «Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien». Il n’a pas la sagesse mais la désire. Socrate (dans les oeuvres de Platon) : • Ironie socratique : poser des questions comme s’il ne connaissait pas la réponse, mais le vrai but n’est pas d’avoir une réponse mais de faire comprendre à l’autre qu’il ne sait rien. • L’amour (le daîmon) : c’est la voix intérieure d’origine divine qui anime le philosophe. Le philosophe est enthousiaste i.e. est habité par le divin. Le but de l’Académie est de transmettre cette leçon. Les sophistes privilégient les discours monologiques (dans le sens unique du parleur à l’auditoire). À l’Académie, le dialogue est privilégié. Ce n’est pas une lutte entre deux individus mais un effort commun pour s’accorder sur une valeur supérieure à l’individu : il y a un transcendement de l’individu vers un niveau supérieur, le logos. Le dialogue n’est pas un simple instrument. À la base de la philosophie, il y a une véritable éthique du dialogue. Dialoguer, c’est être capable de se mettre à la place de l’autre, d’aller au delà de son point de vue. C’est à travers le dialogue qu’on expérimente la vie bonne. Le dialogue traduit la structure première de la pensée. Platon dira d’ailleurs : «Pensée et discours, c’est la même chose, sauf que c’est le discours silencieux de l’âme avec elle même que nous avons appelé pensée.» Par le dialogue on apprend à vivre, c’est-à-dire à sortir de soi-même. En effet, quand on pense, l’âme se dédouble. Il faut prendre une distance par rapport à ses opinions. Les sophistes font le contraire : ils privilégient l’opinion. Pour eux, la pensée se réduit à un jugement. Or pour le philosophe, la pensée doit être un mouvement. Dans ce sens, penser, c’est vivre (prise de distance continue : tout jugement doit être mis à distance) On retrouve cette idée dans Phèdre : il y a un mouvement physique dans le dialogue, puis le mouvement du dialogue, puis un nouveau mouvement physique : «Partons.» Cette mobilité est celle de la pensée telle que la conçoit Platon : le lecteur doit entrer dans ce mouvement là ! - L’amour dans Phèdre : Philosophie est amour des discours. Dans cette oeuvre «amour» désigne la pédérastie, ou «amour des garçons», qui n’est pas perçu comme perversion à l’époque de Platon, et qui est même vue comme la meilleure forme d’amour : pur, désintéressé, avec une dimension pédagogique. Un amour «platonique» désigne aujourd’hui un amour sans relation sexuelle. Car c’est d’abord la dimension pédagogique de la relation pédérastique que prône Platon. Pour lui il s’agit de dépasser la sensualité, de la sublimer avec pour but l’amour spirituel. - L’écrit dans Phèdre : • Un moyen de diffuser son enseignement au delà des murs de l’Académie • Platon choisit l’écriture de dialogues (≠ traité philosophique, dimension fictive assumée) pour contourner les difficultés liées à l’écriture : dialogue socratique Platon veut développer chez le lecteur la pratique philosophique. Pour le lecteur il ne s’agit pas de s’identifier à un personnage du dialogue, mais au dialogue lui-même. Le dialogue n’a plus pour fonction d’informer mais de former. Dans Le Banquet avait déjà été traité par Platon le sujet de l’amour : l’amour est philosophique et amène à la vérité, transporte du monde sensible à l’intelligible. Après avoir vivement critiqué la rhétorique dans Le Gorgias, il nuance sa pensée et définit la vraie rhétorique dans Phèdre (oeuvre de maturité). I. La signification de la structure du dialogue Il y a un style d’écriture quasi-théâtral. Entre le début et la fin du texte, Platon a ménagé une progression du type dramatique. 1) Du prologue à l’épilogue : une progression dramatique De drama : l’action. L’auteur se propose de faire évoluer les personnages vers un état final, d’où progression dramatique. Genre : philosophie fictive ! Platon se met au service de la philosophie mais écrit un dialogue écrit et fictif qui implique mise en scène, progression... Les dialogues de Platon se basent sur une philosophie utilisant les ressources de la fiction. L’enjeu profond de ce texte est la conversion du lecteur à la philosophie. Il s’agit, d’à travers l’intérêt que l’on porte aux discours, de nous tourner vers la philosophie. Le philosophe part de ses discours intérieurs pour produire des discours pour les autres. Pour le lecteur, c’est l’inverse. Il doit prolonger le mouvement initié par le texte, qui cherche à lui donner non pas la sagesse mais le désir de sagesse. Pour Platon, un dialogue doit être composé comme un être vivant : avec tête et pied. Avant de discourir, il faut définir chaque terme du thème. Exemple : Socrate définit ce qu’est l’amour au début de son discours. Prologue : avant d’engager la dynamique du dialogue, il y a une dynamique sensible, un mouvement physique (ils marchent jusqu'à l’arbre). Il y a passage du sensible à l’intelligible. Il y a valorisation des discours : ils sont capables de faire sortir Socrate de la ville. Socrate parle de «maladie des discours» : au départ c’est une folie, une maladie, le but de l’oeuvre est de l’assagir. Passage du prologue à l’épilogue : la nature, le contexte extérieur est spiritualisé. Le seul nom de Pan se substitue à toutes les descriptions de la nature les entourant. A la fin du livre la transformation a bien eu lieu, les deux personnages en arrivent à l’amour de la sagesse, d’où l’idée d’ascension vers l’intelligible via le dialogue : on est passé de l’horizontalité du discours ordinaire et commun à la verticalité d’un discours de prière tourné vers l’intelligible. Il faut se tourner vers l’intelligible pour s’approprier un mode de vie : la philosophie. • Passage du discours de Lysias à celui de Socrate : «Tu me paraissais tout illuminé pendant ce discours» ➝ ironie ! (Jeu de mot : phèdre veut dire «Brillant»). Socrate se moque, il provoque Phèdre. Il n’y a pas de contenu dans le discours de Lysias. Le discours du sophiste n’a qu’un but : faire de l’effet à l’auditeur, c’est ce que définit Platon par mauvaise rhétorique. ➝Il n’y a que des procédés. Lysias, qui dit pouvoir défendre deux thèses opposées en les discourant bien, est comparé par Socrate à un gamin. Théorie de la réminiscence : Comment passe-t-on de la première phase à la deuxième ? Transition : D’où vient la question qui est de savoir quelle est la belle manière d’écrire et de parler ? C’est d’une partie du dialogue ou se trouve cette idée : Phèdre pense que les hommes de pouvoir méprisent l’écriture. Socrate lui fait remarquer qu’il se trompe. La question principale devient alors celle de l’écriture. Btw ne pas oublier que le texte de Socrate est avant tout un texte écrit. Phèdre est un éloge du dialogue vivant. Pourtant il est écrit ! Comment justifier cela ? Comment lire ce texte alors ? C’est la question de l’écriture. Un texte philosophique est un discours bien composé, passé à l’écrit, et qui n’obéit à aucune règle. D’emblée bien parler et bien écrire ne sont pas séparés. Phèdre croit alors aller dans le sens de Socrate en disant qu’il est honteux d’écrire. Mais Socrate le reprend ! Quel beau gosse. Ce qui est honteux c’est pas d’écrire ! C’est d’écrire mal. D’où la question de la 3e partie. Un dernier point important dans la transition : le mythe des cigales. C’est Platon qui l’invente. L’énoncé de cette histoire n’a qu’un sens symbolique. Les cigales sont caractérisées par leur chant et sont les messagères des muses, et leur retournent ceux parmi les hommes qui ont les meilleurs capacités dans les disciplines des muses en question. Il y a aussi une allusion à Homère avec le passage des sirènes. Comme Ulysse, le philosophe est celui qui cherche à retourner dans son vrai pays, mais le chemin est difficile et semé d’embuches, qu’il faut éviter, tel le chant des sirènes dont le caractère ensorcelant est bien dur à éviter. Le voyage du philosophe est celui du retour vers le monde de l’intelligible. Il faut résister au charme des cigales. Pour accéder au discours philosophique il faut dépasser le charme des discours. Ce mythe donne donc une définition du discours philosophique, c’est un discours qui doit tenir éveillé, qui ne doit pas se contenter de charmer. Même si charme il doit y avoir pour captiver le lecteur ! Platon est poète écrivant Phèdre mais aussi philosophe. Le mythe des cigales donne sa véritable portée à la question de la rhétorique. Aimer le discours n’est pas aimer le discours en lui même mais c’est l’aimer comme moyen de rechercher la vérité. • Un bon discours semble devoir être lié à la vérité. Aller vers la vérité semble présupposer de connaître la vérité. Mais le discours sert à avancer vers le vrai absolu, même s’il ne sera jamais atteint. (p300) Le véritable objectif du discours philosophique est le divin. (cf la fin ou Phèdre et Platon sont tournés vers un interlocuteur divin.) Lysias est un esclave qui s’adresse à d’autres esclaves et qui croit les dominer. Les esclaves sont ceux qui restent prisonniers de l’image et qui ne voient pas par-delà. Le bon discours est un mode de vie : celui du philosophe. Retour à la question de l’écriture. (p310) Elle sert de mémoire à l’auteur. Lysias n’assume pas être père de ses discours. Il abandonne ses discours (genre le laisse entre les mains de Phèdre). Un bon discours doit être «le fils légitime de son auteur». [...] II. La parole philosophique au service de la connaissance de soi … Socrate : Rhétorique = art de conduire les âmes. Pourtant jusque là on disait rhétorique = art de persuasion ! [...] A. En quoi l’usage de la parole peut-il être obstacle à la parole peut-il être un obstacle à la connaissance de soi ? Il y a un obstacle au désir de cette sagesse qui est dans la connaissance de soi. C’est connaitre ses limites : lis limites de soi. La parole des sophistes est efficace. Phèdre est la preuve de cette efficacité : il est tout «illuminé». C’est ce qui rend urgent sa critique et l’usage qu’il fait du discours.