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La comptabilité, algèbre du droit ou
reflet de nos âmes ?
Auteur : Laurent BAILLY, diplômé d’expertise-comptable, ancien chargé des problèmes de
doctrine comptable au Conseil Supérieur des Experts-Comptables, consultant en formation.
Un peu d’histoire :
De quoi s’agit-il ?
Tablettes sumériennes en écriture pictographique. (3 300 avant notre ère)
Il ne s’agit pas de macarons ! Heureusement car ces éléments datent de 8 000 ans avant
notre ère. Ils ne seraient pas très comestibles ! Ces petits jetons d’argile montrent des
symboles (animaux, plantes, jarres). Ils étaient utilisés pour recenser des éléments
d’exploitations agricoles. Les premiers signes réels d’écritures sont apparus en Mésopotamie
au 4ème millénaire avant notre ère, pour une raison pratique. Ils permettaient de
comptabiliser des têtes de bétail ou des sacs de grains. Une culture nouvelle se développe,
alors, dans le Sud de l’Irak actuel. La production agricole s’accroit. Une économie apparait
avec le développement des échanges commerciaux. Les Sumériens inventent un système
d’écriture.
Plus ancien témoignage d’écriture :
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L’écriture apparait officiellement à OUROUK, devenue une ville de l’ancienne Mésopotamie.
Il s’agit, au départ, d’éléments de comptabilité utilisés par une administration. L’écriture se
développe, ensuite, progressivement. L’humanité quitte la préhistoire pour commencer
l’histoire.
La comptabilité, un langage :
La comptabilité est donc à l’origine de l’écriture. La comptabilité permet au lecteur des
comptes d’une entreprise (dirigeant de celle-ci, actionnaires, banquier, fournisseurs,
salariés, clients,…) d’avoir une image du patrimoine de cette entreprise ainsi que de sa
performance (compte de résultat). Les êtres ont besoin d’air et d’eau pour survivre. Ils n’ont
pas que des besoins physiques mais ont également des besoins affectifs. La communication
est un élément qui facilite la traduction des sentiments. Une communication est
caractérisée par un émetteur, un récepteur et un support. Le responsable comptable est
l’émetteur, les comptes annuels le support, les lecteurs des comptes, les récepteurs de ce
message. Le langage est un moyen de communication. Le langage est la capacité d’exprimer
une pensée et de communiquer au moyen de signes. La comptabilité constitue, par
conséquent, un langage.
La comptabilité est l’algèbre du droit (a) car elle est la traduction comptable de faits
juridiques (transfert de propriété consécutif à une vente, mouvement d’argent lié à un
emprunt.). Les règles comptables actuels proviennent du Code de Commerce (b) et du Plan
Comptable Général (c).
Ecrits par des humains les principes comptables peuvent-ils être rapprochés de traits de
caractères psychologiques et de notions philosophiques ?
1) L’insouciante prudence
Anecdote :
PRUDENCE adore aller à la mer mais ne s’expose jamais sur le sable craignant les brûlures
du soleil. Elle ne se baigne jamais craignant la noyade. Elle emporte toujours trois paires de
lunettes avec elle de peur d’en perdre ou d’en casser. Elle emmène son parapluie même
quand la météo annonce 30 degrés. Avant un déplacement, elle fait réparer sa voiture,
achète un billet d’avion, un de train et loue une voiture pour plus de sécurité. Elle mange
toujours froid à la maison pour éviter mettre le feu…
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Comptabilité :
Cette prudence se retrouve notre Plan Comptable général et constitue même un des piliers
de l’évaluation comptable. Selon l’article 120-3 du PCG, la comptabilité est établie sur la
base d’appréciations prudentes, pour éviter le risque de transfert, sur des périodes à venir,
d’incertitudes présentes susceptibles de grever le patrimoine et le résultat de l’entreprise.
Ainsi seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture d’un exercice peuvent être inscrits dans
les comptes annuels (C.com, art L 123-21 et PCG, art.313-2). Un stock de marchandises
acheté 100, l’année N, qui sera vendu 170 en N+1 ne dégagera pas un bénéfice comptable
en N. Le bénéfice de 70 apparaitra dans les comptes de N+1. Ce principe de prudence
implique également que la plus-value constatée entre la valeur d’inventaire d’un bien et sa
valeur d’entrée n’est pas comptabilisée. (C.com art. L 123-18, al 4 et PCG, art 322-2). Un
terrain, acheté 10 000 en N qui est évalué en N+5 à 14 000 n’augmentera pas le résultat
comptable de N+5. Il figurera à l’actif du bilan de N+5 pour 10 000 (sauf si l’entreprise
applique la réévaluation libre. Ce cas est rare car la plus-value est taxable). En application de
ce principe de prudence, les charges et les produits ne sont pas traités de la même façon. Les
charges sont enregistrées dès qu’elles sont probables alors que les produits doivent être
certains pour être comptabilisés. Un litige avec un tiers, par exemple, un salarié ou un client
fera l’objet d’une provision et donc diminuera le résultat comptable avant le jugement, du
moment que la condamnation est probable.
Psychologie :
Selon le dictionnaire LAROUSSE, la prudence est une attitude qui consiste à peser à l’avance
tous ses actes, à apercevoir les dangers qu’ils comportent et à agir de manière à éviter toute
erreur, tout risque inutile. Dans la pyramide des besoins, MASLOW rappelle que l’homme a
besoin de sécurité. Le besoin de sécurité est omniprésent dans la vie d’un homme. Prendre
des risques va à l’encontre de ce besoin de sécurité. «Une mère veille son petit, une
merveille son petit.» (d) En veillant sur leurs enfants les parents, les mettent en garde sur les
dangers de la vie. «Fais attention !…». Un excès de prudence peut conduire à les surprotéger
ou à leur donner une vision négative et pessimiste de la vie. Ils ne prendront, peut-être pas
assez de risque ou, au contraire, évalueront mal certains dangers réels. L’excès de prudence,
aboutira à une mauvaise évaluation de la réalité.
Philosophie :
KANT explique que la raison spécule (e). En conséquence, la raison nous conduit à la
prudence. René DESCARTES précise «Par l’entendement seul je n’assure ni ne nie aucune
chose, mais je conçois seulement les idées des choses que je puis assurer ou nier.»(f). La
raison peut nous distancer du réel comme nous en rapprocher. Ainsi, la prudence nous
donne une image erronée du réel.
Conclusion d’étape :
La raison semble appeler la prudence. L’excès de prudence, en comptabilité nous éloigne de
la réalité. Des comptes trop prudents peuvent dissuader un banquier d’accorder un emprunt
à l’entreprise ou des actionnaires de souscrire à une augmentation de capital de la société
qui a besoin d’argent. La règle de prudence est donc imprudente !
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2) La précaire permanence des méthodes :
Anecdote :
CONSTANCE IDEM ne change jamais de coiffure. Elle porte la même robe depuis 20 ans. Elle
va au même restaurant le samedi soir depuis des années. Elle ne change pas sa voiture mais
a remplacé trois fois son moteur. Elle prend toujours le train de 7h 24 le matin, même
lorsqu’elle est en avance et pourrait prendre le précédent
Comptabilité :
«Il faut changer pour rester soi-même.» (d)
L’article C.Com. L 123-17 précise «A moins qu’un changement exceptionnel n’intervienne
dans la situation du commerçant, personne physique ou morale, la présentation des
comptes annuels comme les méthodes d’évaluation ne peuvent être modifiées d’un exercice
à l’autre. Si des modifications interviennent, elles sont décrites et justifiées dans l’annexe et
signalées, le cas échéant, dans le rapport du Commissaire aux Comptes.». Constituent, par
exemple, des changements de méthode, le passage du CMP (coût moyen pondéré) au PEPS
(premier entré premier sorti) pour les stocks (ou l’inverse) ou le premier provisionnement
des engagements de retraite (initialement figurant dans l’annexe). Il est possible de déroger
au principe de permanence dans deux cas :
- Le changement exceptionnel dans la situation de l’entité ;
- La recherche d’une meilleure information grâce à la première utilisation d’une
méthode préférentielle (par exemple l’enregistrement d’une provision pour retraite
ou l’activation des dépenses de développement).
Psychologie :
«Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras !» comme dit Jean De La Fontaine (g ). Qui dit
changement dit résistance au changement. L’homme, par nature a tendance à résister au
changement. Ainsi, un salarié a peur du changement, crainte de s’éloigner de sa ligne de
confort, de ses habitudes, de s’aventurer dans des nouveaux chemins. La résistance au
changement est la conséquence de la dissonance cognitive. Il est difficile d’accepter une
chose et son contraire ! Pour qu’il y ait volonté de modification il faut que l’individu pense
que le nouvel état sera meilleur. Le changement c’est l’inconnu. Pourquoi ce serait mieux ?
Pourquoi faut-il changer ? La perte des repères génère une insécurité. La perspective du
changement est déstabilisante. Si le changement engendrerait plus de coûts que des
bénéfices, il sera rejeté. Dans cette évaluation des coûts et des avantages, l’instruction est
davantage effectuée, par l’individu, à charge (recherche des coûts) qu’à décharge. En effet,
des mécanismes de défense surgissent pour apaiser le conflit entre le ça (les pulsions, les
désirs) et le surmoi (les interdits, les exigences sociales). Ce besoin de sécurité extrême peut
même conduire à conserver des souffrances plutôt que se diriger vers l’inconnu ! La
modification des conditions de vie risquerait de faire perdre ses sécurités. Le changement
est étranger, nouveau, souvent incompris, est donc une menace pour l’équilibre. La peur
injustifiée du changement empêche l’individu de sortir de ses sentiers battus. L’homme est
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programmé pour le non changement. La peur du changement est peut-être même une des
principales résistances au bonheur.
Philosophie :
Le changement est la transformation quantitative ou qualitative d’une même réalité. Le
changement est le passage d’un état à un autre. Selon son intensité il s’agira de
modification, d’évolution, de transformation, de mutation ou de révolution. Selon Héraclite
le changement est éternellement en devenir. L’être est fait tout entier de mobilité.
Parménide s’interroge sur le réel. Le changement et le mouvement ne sont que des
apparences trompeuses. Selon Nietzsche, être un homme c’est trouver la force de réaliser
notre tâche. Selon ce philosophe, «on devient ce que l’on est.». Voici la cause des
changements.
Conclusion d’étape :
Les humains ont peur du changement. Les règles comptables sont, en conséquence, très
exigeantes pour permettre un changement de méthode. L’existence de méthodes
préférentielles facilitera la décision puisque l’organisme normalisateur (ANC) a considéré
qu’elles conduisent à une meilleure information.
3) La tromperie de l’image fidèle :
Anecdote 1 : (notion de fidélité et de sincérité)
FIDEL ne triche pas quand il fait part de ses sentiments envers autrui. Il est très honnête.
Tout le monde a confiance en lui. II trouve un billet de 500 € et le porte au commissariat. Il
ne ment jamais, même en jouant au menteur !
Anecdote 2 : (notion d’importance relative)
Christian rate son train. Ce n’est pas grave il prendra le prochain dans dix heures. Il s’est
cassé une jambe. Ce n’est pas grave car dans trois semaines il sera rétabli ! Il s’est fait voler
sa voiture. Ce n’est pas grave, il la remplacera par une voiture neuve. Sa femme le quitte. Ce
n’est pas grave puisqu’elle est heureuse !
Comptabilité :
«Personne ne se sent malhonnête !» (d) Les comptes d’une société ne doivent pas mentir
non plus. (cf anecdote 1 ci-dessus). Ainsi, selon le Code Commerce (art. L123-14, al 1), des
comptes annuels donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du
résultat de l’entreprise doivent être établis. L’image fidèle n’intervient que :
- lorsqu’aucune règle n’existe pour traduire une opération ou
- lorsque celle qui existe ne donnerait pas le reflet de la situation de l’entreprise ou
- pour choisir entre plusieurs méthodes d’évaluation permises.
La régularité et la sincérité s’apprécient par rapport à la traduction de la connaissance que
les dirigeants ont de la réalité et de l’importance relative des évènements enregistrés. (art
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