ERIC VINCENT
FLEUR DU MALE
Fleur du mâle
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© Eric Vincent 2002. Tous droits réservés.
Toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé, existant ou à venir,
serait fortuite.
FLEUR DU MALE
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Episode 16 : RENDEZ-VOUS PROFESSIONNEL
Fleur patientait à la terrasse du Saint-Hubert, un café à la mode les tarifs se confondaient
avec la date et dont le montant faisait encore peur, malgré le passage à l'euro. A neuf heures
du matin, elle s'autorisait un chocolat chaud réalisé à base de granulés solubles et un croissant
maigrelet et pourvoyeur de miettes, signe indiscutable d'une origine industrielle. Elle avait eu
accès au tout pour la modique somme de dix euros, un prix scandaleux pratiqué sans
scrupule par de nombreux tôliers de la capitale française.
Malgré sa minijupe rouge et son tee-shirt moulant et décolleté, le serveur ne lui avait pas
accordé de ristourne et avait exigé un paiement sur-le-champ. Par contre, sa tenue
vestimentaire n'était pas passée inaperçue. Un nombre grandissant de mâles en rut s'était
brusquement déniché un creux à l'estomac et s'était installé aux tables voisines, matant ses
longues jambes parfaites. Cela lui plaisait et l'indifférait à la fois. Le plaisir d'être admiré était
ancré dans sa nature, fière de sa plastique. Mais l'indifférence prévalait en cette matinée
ensoleillée car elle attendait son rendez-vous, désormais en retard. Demis Patakès, un Grec
établi en France depuis son adolescence, placé par son oncle comme simple serveur dans la
nuée de restaurants hellènes du quartier Mouffetard, avait fait du chemin en quinze ans.
Après une rapide ascension dans la restauration, il avait créé une agence de publicité
spécialisée dans la création de films publicitaires à vocation multimédia. Sa société sous-
traitait la partie informatique en Roumanie, via Internet et des liaisons à haut débit. Il avait
été le premier à déceler de purs prodiges dans les pays du bloc de l'Est et il avait exploité
leurs talents à des prix défiant toute concurrence. Avec un salaire mensuel moyen de deux
cent cinquante euros pour un Roumain ultra performant, le Français le plus pointu devenait
franchement inutile. Dure loi du marché mondial…
Fleur avait choisi cette société pour réaliser les films institutionnels que la force de vente
embarquerait sur ses ordinateurs. Les coûts réduits incarnaient l'argument massue mais les
délais comptaient également. Jusqu'à présent, la "Bouate" avait fait appel à des agences de
publicité établies sur la place de Paris. Elle avait englouti des sommes folles pour obtenir des
produits à la limite de la satisfaction. Fleur allait révolutionner les budgets.
Demis Patakès parvint enfin à la terrasse du café. Enfin, elle supposa que c'était lui car il
correspondait à la description-type du Grec bellâtre, modèle de statue de la même nationalité.
Une abondante toison brune couvrait son crâne, impeccablement coiffée, taillée et ses yeux
noirs, sombres à souhait, accentuaient le côté ténébreux du trentenaire. Fait rare pour un
Athénien d'origine, il toisait aux environs du mètre quatre-vingt-dix, surpassant, et de loin, la
moyenne nationale du pays au plus riche patrimoine antique. Dans son costume d'un blanc
immaculé, il incarnait le charme méditerranéen auquel la majorité des Françaises succombait
volontiers.
- Fleur de Hohenberg ? Demanda-t-il avec un accent non dissimulé.
- Elle-même, répondit la jeune femme.
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Elle tendit sa main et il se fendit d'un baise-main d'une rare élégance.
- Enchanté de faire votre connaissance ! Ajouta-t-il. Pardonnez mon audace mais j'ai été élevé
avec le respect absolu des origines aristocratiques.
- J'apprécie le geste et la franchise, monsieur.
- Appelez-moi Demis, je vous en prie !
Ce n'était pas dans les habitudes de la jeune femme à se laisser aller aux familiarités dès le
premier rendez-vous mais ce bel Apollon montrait beaucoup de tact, de spontanéité et
dégageait une bonhomie plaisante. Elle accéda à sa demande :
- Bien Demis ! Asseyez-vous ! Vous avez pris votre petit déjeuner ? Questionna la
responsable de l'identité de marque.
Le patron de l'agence jeta un bref coup d'œil au plateau posé devant Fleur. Ses yeux
balayèrent les tables voisines afin de constater que les horreurs servies à Fleur étaient
également attribuées aux autres clients.
- C'est bon, j'ai déjeuné ! Lâcha-t-il en guise de mensonge.
- OK ! Fit Fleur. Entrons directement dans le vif du sujet !
Elle tendit une chemise cartonnée de couleur jaune.
- A l'intérieur, vous trouverez un dossier avec nos nouvelles chartes graphiques, la liste
exhaustive des marques concernées par le changement, les logos de chaque gamme, etc… Il y
a les coordonnées des imprimeurs pour que vous ayez les références exactes des teintes. Il y a
également un CD-ROM avec des premières esquisses, des scénarios possibles des différents
films institutionnels que nous désirons voir créés. Des notions précises doivent être incluses
dans chaque film. L'essentiel, c'est que le client reconnaisse notre univers tout en distinguant
les différentes gammes de produits. Il est important que la cohérence, le déroulement, la
charte graphique et l'ambiance soient identifiables dès les premières secondes de diffusion. Le
but final, c'est de pousser le client à acheter davantage en le matraquant de publicités en
apparence différentes mais en réalité issues d'un moule unique. Vous comprenez ?
- Parfaitement ! Ce sera diaboliquement efficace !
- Respectez bien toutes les instructions, surtout celles fournies sur le CD !
- A la lettre ! Ajouta le Grec, confirmant qu'il avait décodé le message.
- Bien ! Quand croyez-vous me fournir les premières versions ?
- Le temps d'analyser les données du problème, vous aurez une première réponse d'ici une
quinzaine de jours. Peut-on vous joindre si nous avons besoin d'un complément
d'information ?
- Mes coordonnées figurent sur le CD, ainsi que la manière d'échanger entre nous. Ceci est
confidentiel et ne doit pas tomber entre les mains de la concurrence. Tout échange sera
crypté.
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- C'est bon pour moi ! Dit Demis en se levant. Merci pour votre confiance et à bientôt !
- Au revoir ! Conclut-elle en lui tendant de nouveau la main, ne résistant pas au plaisir de
s'adonner une nouvelle fois à la séance de baise-main.
Il effleura la peau fraîche au grain parfait de ses lèvres dures et de sa barbe naissante. Elle
frissonna. Si cet oiseau-là y consentait, elle accepterait volontiers de vérifier si le bel Apollon
avait des attributs durs comme le marbre dont on faisait les statues.
Demis Patakès embarqua le dossier jaune sans même prendre la précaution de vérifier le
contenu. Après tout, il aurait pu juger les travaux exigés par Fleur comme totalement
irréalisables. L'absence de contrôle aurait pu apparaître suspecte, voire être prise pour une
légèreté inadmissible de la part d'un professionnel aguerri. Pas du tout ! Fleur se félicita
intérieurement d'avoir eu affaire à lui.
"Il fait parfaitement l'affaire ! Il joue son rôle à merveille"
Quelques dizaines de secondes plus tard, elle abandonna le croissant immangeable et laissa
une mare chocolatée douteuse au fond de sa tasse. Elle sauta dans sa Mercedes rouge
infernale et démarra sur les chapeaux de roue, comme à son habitude. Elle planta sur place la
nuée de mâles en rut qui n'en pouvaient plus de mater sa plastique parfaite. En la voyant
quitter le café à bord du bolide rouge aux formes faisant rêver les conducteurs, cauchemarder
les banquiers, les mecs normalement constitués ne purent s'empêcher d'admettre que la
bagnole et la nana étaient assorties.
* *
*
L'effet pesant du corbeau agissait depuis peu. A son arrivée au bureau, Fleur de Hohenberg
constata un profond changement. Tout avait eu lieu dans le week-end précédent,
vraisemblablement. Quatre noirs à la carrure rappelant un certain Mike Tyson faisaient
barrage au niveau de l'accueil. Des sas avaient été aménagés dès la sortie des ascenseurs et les
molosses en costume bon marché, tous sortis d'une agence de sécurité, filtraient tout ce qui
entrait et, fait nouveau, tout ce qui sortait. Par chance, il était près de dix heures et le gros des
cadres avait rejoint ses pénates pour abattre son boulot. Il était évident qu'un embouteillage
se formerait aux alentours de dix-neuf heures et que son pendant matinal aurait lieu aux
environs de neuf heures chaque jour.
Outre les sas, les gardes, la fouille obligatoire des effets personnels et la détection des objets
illicites à l'aide d'appareils sophistiqués et portables, la direction avait procédé à l'installation
de caméras. Une installation… Parlons plutôt de prolifération ! Les couloirs étaient
entièrement couverts par de nombreux yeux électroniques mais Fleur eut la désagréable
surprise de découvrir que les bureaux étaient également sous surveillance, lorsqu'elle eut
franchi le barrage initial.
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