Institut Prospéctive

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IP S E
Les cahiers de l’IPSE
Institut Prospective et Sécurité de l’Europe
L’entretien de l’IPSE : Colomban LEBAS
Repenser la lutte antiterroriste
Le concept de sécurité humaine
ENMOD : la convention méconnue
Les élections en République démocratique du
Congo : un test pour l’Union Européenne
Le service civil citoyen en débat
L’Europe de la défense : une réalité concrète
Le retour de la stratégie des moyens : la force
de gendarmerie européenne
OCTOBRE-NOVEMBRE-DECEMBRE 2006 - NUMERO 87
La rencontre IPSE de novembre
DINER – DEBAT
En partenariat avec l’IFAS
« Implications géopolitiques de la prolifération »
François GERE
Chargé de mission auprès du Directeur de l’IHEDN
Cercle Napoléon
Mercredi 8 novembre 2006
Revue trimestrielle éditée par l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe
24, rue Jules Guesde
75014 Paris - France
Tél : 33 (0)1 42 79 88 45
E-mail : [email protected]
www.ipse-eu.org
Comité de rédaction :
Jean-Pierre PETIT, Emmanuel DUPUY, Julie PARRIOT, Luc PICOT
Directeur de la publication :
Julie PARRIOT
Rédacteur en chef :
Luc PICOT
L’IPSE n’entend donner ni approbation, ni improbation aux opinions émises dans la revue,
celles-ci devant être considérées comme propres à leur auteur.
Tous droits de reproduction, même partielle par quelque procédé que ce soit, réservés
pour tous pays.
ISSN : 1638/4903
2
Editorial
Les cahiers de l’IPSE changent
Toute l’équipe de l’IPSE a la joie de vous présenter les cahiers
de l’IPSE. Cette nouvelle appellation de la lettre marque une
mutation de la revue de l’IPSE. Ainsi, notre lettre devient une
revue trimestrielle à caractère scientifique. Pour cela, l’IPSE
s’est doté d’un comité de rédaction et peaufine la création d’un
conseil scientifique.
Cette évolution de la revue de l’IPSE est rendu nécessaire par
la qualité des articles et des notes de lectures qui nous sont
soumis. Ainsi, nous nous devions de répondre aux attentes de
nos auteurs et de nos lecteurs.
A nouvelle revue, nouvelle équipe.
Nous avons l’honneur de succéder à Nicolas Lanonier et
Ghislain Faulquier qui ont beaucoup œuvré au succès de la
lettre. Aujourd’hui, nous vous présentons cette première
mouture des cahiers de l’IPSE. Ceux-ci évolueront aux grés de
vos suggestions et contributions.
Cette revue est la votre.
Alors, à vos plumes…
Julie PARRIOT
Luc PICOT
Directeur de la publication
Rédacteur en chef
3
Les cahiers de l’IPSE
Editorial
3
Sommaire
4
L’entretien de l’IPSE avec Colomban LEBAS
7
La prolifération nucléaire
Les Tribunes
Repenser la lutte antiterroriste
Chiche MAHOR et Michaël CHETRIT
16
Sur le concept de sécurité humaine ENMOD : la convention
méconnue
Ben CRAMER
19
Les élections en République démocratique du Congo
Mathieu DAMIAN
21
Le service citoyen et civil en débat
Jérôme MOURROUX
28
L’Europe de la Défense : une réalité concrète ?
Charles de MARCILLY
33
Le retour de la stratégie des moyens : la force de
gendarmerie européenne
Freddy NZE EKEKANG
36
Les Notes de lecture
4
-Vers un rapprochement doctrinal, André DUMOULIN
41
-La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de
l’atlantisme français, Jean-Sylvestre MONGRENIER
44
-Israël- Palestine : une guerre de religions ? Elie BARNAVI
46
-Du Jihad à la Fitna, Gilles KEPEL
46
-La guerre en réseau au XXIème siècle, Jean-Pierre
MAULNY
47
-Les nouveaux visages de la guerre, Christian DELANGHE et
Henri PARIS
49
-Livre gris sur la sécurité et la défense, Loup FRANCART
51
-Les défis d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne
sous la direction, Erwan LANNON et Joël LEBULLENGER
53
-Vers l’autonomie des capacités militaires de l’Union
Européenne, Edouard PFLIMLIN
55
- Pour une force européenne de protection civile : europe aid
Rapport de Michel BARNIER
57
-Algérie, Maghreb : le pari méditerranéen, sous la direction
d’Abdi NOURREDINE
61
-Les Révolutions de velours, Vlatcheslav AVIOUTSKII
62
-La raison des nations, Réflexions sur la démocratie en
Europe, Pierre MANENT
66
-L’Iran et le nucléaire, les tourments perses, François GERE
68
Les Rencontres et partenariats
-Dîner- Débat JEP - IPSE « Le Partenariat euroméditerranéen : Ambitions, perspectives et réalités 10 ans
après Barcelone »
71
-Colloque IPSE – CIFER-Partenariat Euroafricain « Les
PECO et l’Afrique »
76
-Conférence-débat IPSE - IPAG « La Turquie, carrefour de
l’Europe? »
81
-Colloque JEP « La Bulgarie et la Roumanie dans l’UE »
84
-Conférence IPSE - ACEDS « La Géorgie, un enjeu
stratégique pour la politique de bon voisinage »
85
-Dîner-Débat IPSE - Arabies « Le Pétrole dans les Relations
Internationales »
86
Bulletin d’adhésion
91
Présentation IPSE
93
OCTOBRE-NOVEMBRE-DECEMBRE 2006 - NUMERO 87
5
Centre International d’Etudes Géopolitiques (C.I.E.G.)
Constitué en juin 2001, le Centre International d’Etudes Géopolitiques (C.I.E.G)
s’est fixé pour objectif le renforcement de la stabilité et de la sécurité internationale
par la promotion d’une meilleure compréhension des causes des tensions et
situations conflictuelles. A cet effet, le C.I.E.G. se consacre à l’analyse et l’étude
des questions liées à la géopolitique mondiale afin de rendre plus compréhensible
l’évolution des relations internationales contemporaines.
Pour toutes demandes concernant l'ouvrage :
C.I.E.G : Tél/Fax : +41 (0) 22-340.68.92 - Natel : +41 (0)76-509.17.63
Courrier électronique: [email protected]
Internet: http://www.geopolitics.ch
6
L’entretien de l’IPSE
Colomban LEBAS
Directeur de recherche au CEREMS (Centre d’Etudes
et de Recherche de l’Enseignement Militaire Supérieur)
Chercheur associé au Centre de géostratégie de l’Ecole
Normale Supérieure (ENS)
Luc PICOT pour les Cahiers de l’IPSE :
Quinze ans après la fin de la guerre
froide, pourriez-vous nous faire un état
des lieux quant à la prolifération
nucléaire?
vecteurs (bombardiers, puis missiles).
La France s’est quant à elle dotée d’un
armement autonome. Elle accède au
club nucléaire en 1964 et devient
puissance thermonucléaire en 1969. De
son côté la Chine a bénéficié de
Colomban LEBAS : Il est en effet transferts de technologie soviétique
éclairant d'effectuer un rappel historique pendant la période d’amitié entre les
pour mieux comprendre les succès et deux pays. Mais c'est après la rupture
échecs de la lutte contre la prolifération sino-soviétique
qu'elle
devient
nucléaire. La prolifération a en réalité puissance nucléaire (1964), puis
commencé dès la fin de la Seconde thermonucléaire en 1968, un an avant la
Guerre Mondiale, et a abouti dès 1949 à France !
la rupture du monopole nucléaire
américain par l'URSS de Staline. Ce Jusqu'à la fin des années soixante, il
dernier avait très bien compris dès n'existait pas de textes juridiques de
1944 le grand intérêt qu'il y avait à grande envergure et de portée
posséder ce nouveau type d'arme mais internationale limitant ou prévenant la
en public feignait très astucieusement prolifération nucléaire.
ne tenir celle-ci que pour une grosse
bombe, un peu plus puissante que les C’est pour freiner la dynamique
autres. Il a en réalité mis de gros inquiétante de cette dissémination
moyens sur le projet, et a abondamment nucléaire que le Traité de Nonutilisé l'espionnage pour économiser du Prolifération (TNP) fut signé en 1968. Si
temps et de l'argent. Cette stratégie l'on dresse un bilan de l'effet de ce
s'est révélée payante.
traité, on ne peut que constater sa
grande
efficacité
pendant
la
Parallèlement, les Américains ont période1975-2000. Seuls des pays nontransféré
certaines
technologies signataires ont pu développer à leur
nucléaires vers la Grande Bretagne qui terme des armes nucléaires : Pakistan,
a pu ainsi s'équiper, accédant à son tour Inde, Israël et Afrique du sud, unique
au rang de puissance nucléaire. Les cas de renonciation à une arme
Etats-Unis ont également utilisé les nucléaire de conception endogène.
facilités que leur offraient l'OTAN pour C'est pourquoi le cas Nord-Coréen
pré positionner des armes et des constitue une première, même si - au
7
passif du Traité - on ne peut passer
sous silence le fait que de nombreux
programmes clandestins ont pu exister
parmi les pays signataires : en Iran, en
Irak, en Lybie, par exemple...
La question de l'efficacité du TNP, avec
le démantèlement partiel du réseau du
docteur Khan, père de la bombe
pakistanaise, et le défi iranien et le
retrait Nord Coréen, se pose aujourd'hui
avec une grande acuité. D'autant plus
qu'il est vain de nier le caractère
discriminatoire de ce texte (cinq pays
ont le droit de se doter d'armes
nucléaires) et son caractère insuffisant
(il n'interdit pas l'enrichissement le
l'uranium, « à des fins pacifiques ») ;
D'où l'ajout d'un protocole additionnel
qui n'a cependant pas été ratifié par des
pays comme l'Iran.
internationale qui dans le cas de la
Corée du Nord prolonge la survie du
dernier régime stalinien de la planète,
aujourd'hui aux abois.
Autre motif de prolifération vers un autre
Etat, Il n'est pas non plus bon d'être le
dernier de la liste noire des pays
proliférants : d'où l'intérêt certain du
dernier Etat nucléarisé à exporter son
savoir-faire, tant pour échapper à
moyen-terme à l'ire de la communauté
internationale que pour rentabiliser son
« investissement »
et
financer
la
maintenance coûteuse du complexe
nucléaire qu'il a développé.
Toutefois, à long terme, les motifs qui
poussaient les pays à se doter de l'arme
nucléaire sous la Guerre Froide
pourraient bien resurgir. Ainsi on ne
peut écarter que le développement de la
multipolarité ne conduise, dans un «
Luc Picot : Quel est donc dans ce scénario
pessimiste
»,
à
une
contexte de « dé-prolifération » que confrontation entre plusieurs ensembles
vous évoquiez précédemment, le risque macro régionaux. L'émergence de la
d’une utilisation de l’arme nucléaire ?
Chine et de l'Inde, le retour toujours
possible de la Russie pourraient à long
Colomban Lebas : La prolifération a terme conduire à une alliance
changé de nature et d'objectifs par antiaméricaine ou antioccidentale qui
rapport au temps de la guerre froide. Ce redonnerait peut-être un rôle crucial à
ne sont plus le même type de pays qui l'arme nucléaire comme élément majeur
prolifèrent. Pour un Etat dont la stratégie de régulation de l'ordre mondial.
est de défier l'ordre international, le
nucléaire est un investissement dont le Luc Picot : Le Traité de Non
rendement n'est pas aussi mauvais que Prolifération (Ndlr : TNP, traité
voudrait le faire croire l'administration international conclu en 1968. Il vise à
Bush: Vertu égalisatrice de l'atome déjà réduire le risque que l’arme nucléaire
soulignée en son temps par le général se répande à travers le monde, et son
Gallois, question de prestige, monnaie application est garantie par l'Agence
d'échange pour acquérir d'autres internationale de l'énergie atomique technologies militaires – la technologie AIEA) est-il toujours opérant ?
balistique pakistanaise par exemple
(missiles Ghauri) est dérivée du No- Colomban Lebas : Le TNP reste utile
Dong nord-coréen, tout comme celle du car il a permis d’établir - à grand peine il
Shahab iranien). Ajoutons que la est vrai - un consensus gelant la
poursuite d'un programme nucléaire, situation de fait qui régnait à la fin des
tout comme la détention d'armes réelles, années 60. Toutefois, le TNP reste peu
permet
également
d'exercer
un opérant contre la prolifération verticale :
chantage
sur
la
communauté les articles qui y font allusion restent
vagues, et sur ce thème le traité prête le
8
flanc à la critique des Etats non dotés.
Ainsi les Etats-Unis travaillent sur des
projets de bombes de très faibles
puissances, munies de pénétrateurs et
capables de résister à la formidable
décélération induites par le choc avec
l'écorce
terrestre
:
celles-ci
permettraient de menacer des dictateurs
ou des terroristes ensevelis dans des
bunkers ou des grottes placées à
plusieurs dizaines de mètres au
dessous du sol. Malgré le TNP, les
puissances dotées - au sens de ce traité
améliorent
qualitativement
leur
arsenal, mêmes si celles-ci ont
consenties depuis la fin de la guerre
froide
à
des
réductions
très
significatives du nombre de têtes dont
elles disposaient (sauf la Chine). Il faut
bien comprendre que les accords de
désarmement constituent souvent un
moyen habile de concentrer son effort
sur des armes à la pointe de la
recherche scientifique sans s'encombrer
des coûts de maintenance des
armements anciens, tout en confortant
son capital de légitimité. Pour prendre
un exemple historique, les accords de
SALT I – entre URSS et Etats-Unis
illustrent bien ce type de stratégie.
Aujourd'hui la très grande amélioration
de la précision des vecteurs chez les
grandes puissances militaires rend
moins utile la détention en nombre
important d'armes nucléaires de très
grande puissance
d'aventure, dans le contexte des
expériences nucléaires nord-coréennes,
l’Iran se retirait du Traité de NonProlifération,
ce
dernier
verrait
probablement sa crédibilité s'effondrer
et d'autres Etats seraient tentés de se
lancer dans l'aventure nucléaire. A la
suite des gesticulations nord-coréennes,
des entrechats de la diplomatie
iranienne ainsi que du recul relatif des
perspectives d'adhésion européenne de
la Turquie, un débat renaît dans ce
dernier pays sur le nucléaire militaire.
De même l'Arabie Saoudite, qui dispose
de connaissances sur ce sujet, pourrait
profiter de la situation pour se doter de
l'arme ultime.
Luc Picot : Quelles sont les raisons qui
ont conduit les Etats à proliférer ?
Colomban Lebas : Analysons le mobile
qui a été invoqué en premier lieu pour
justifier
les
dernières
grandes
interventions américaines : En Irak, il
s'agissait de la prétendue détention
d'arme de destruction massive. En
Afghanistan, pour répliquer dans de
bonnes conditions à la menace Taliban
les Etats-Unis ont dû baisser pavillon
dans leur contentieux nucléaire avec le
Pakistan et s'appuyer sur celui-ci pour
réussir. Aujourd'hui pour équilibrer la
relation avec le Pakistan et pour contre
balancer le poids de la Chine dans le
monde, les Etats-Unis se lancent dans
une coopération nucléaire civile avec
puissance
nucléaire
nonA vrai dire le TNP est un traité l'Inde
relativement souple car il permet à un adhérente au TNP. En revanche jusqu'à
les
probabilités
Etat de développer un programme maintenant,
nucléaire civil complet en toute d'intervention en Corée du Nord – que
quiétude: La phase d’enrichissement l'on savait nucléarisée - étaient très
n’est pas interdite, à condition de ne pas faibles. Quelle leçon ont tiré de ces faits
être détournée à des fins militaires. les Etats en marge de la communauté
C’est le protocole additionnel qui interdit internationale ? Que les pays non dotés
l’enrichissement. Dans le cas de l’Iran, d'armes nucléaires mais entretenant
relations
houleuses
avec
le protocole a été signé mais pas ratifié. des
La position de l'Iran est donc au plan Washington devaient craindre des
juridique particulièrement complexe. Si représailles militaires américaines alors
9
que des Etats du même type, dotés
d'armes
atomiques
rudimentaires,
pouvaient
se
considérer
comme
sanctuarisés. C'est probablement le
calcul iranien.
ultracentrifugeuses. La mondialisation
financière induit enfin une privatisation
et une diversification des réseaux
d'approvisionnement en matériel ou en
technologie
qui rend ceux-ci plus
discrets et plus efficaces, comme l'a
De plus, l’enlisement des Américains en montré l'enquête menée sur le réseau
Irak crée une fenêtre d’opportunité pour du docteur Khan, à la suite de l'abandon
les Etats souhaitant proliférer. Ceux-ci volontaire par la Libye de son
profitent aujourd'hui du flottement de la programme nucléaire.
politique américaine, de l'affaiblissement
de sa légitimité, ainsi que du manque de Luc Picot : L’Iran lance depuis
disponibilité des troupes américaines quelques mois un véritable défi à la
internationale
en
pour accélérer leurs programmes. Dans communauté
ce contexte, le test nord-coréen et les développant son propre programme
initiatives
hasardeuses
de
l'Iran nucléaire civil, dont certains voient la
préfiguration d’un programme à usage
s'expliquent aisément.
Il est enfin regrettable que les Etats
historiquement détenteurs de l’arme
nucléaire soient aussi les membres du
Conseil de sécurité. Cette coïncidence
malheureuse contribue à créer une
funeste association d'idées entre
détention
d'armes
nucléaire
et
puissance.
De plus, d’autres facteurs plus
contemporains viennent faciliter la
prolifération. Au fond la prolifération
nucléaire n'est qu'une conséquence de
la « prolifération des savoirs » ellemême issue de l'élévation générale du
niveau technologique mondial. On ne
peut éviter cette prolifération des savoirs
et elle est même souhaitable pour des
raisons économiques évidentes. Mais
la construction de bombes est
aujourd'hui - intellectuellement parlant
pratiquement parlant– à la portée de
bien plus d'Etats qu'autrefois du fait de
l'élévation du niveau de qualification de
la main d'œuvre « technique » et sa plus
grande habileté à s'insérer dans des
processus
industriels
complexes.
D'autre part la technologie actuelle
permet de conduire un programme
secret dans des conditions de furtivité
bien plus grande qu'autrefois : je pense
par exemple à l'apparition des
10
militaire. Dans ce contexte, la position
des Occidentaux est-elle suffisamment
forte face à cette potentielle menace ?
Colomban Lebas : Des positions
fermes ont été prises. Celles-ci sont
justifiées. L’Iran est une puissance
régionale mais si cet Etat se dote de
l’arme nucléaire, d’autres seront tentés
de relancer leurs propres programmes
(Arabie-Saoudite, etc.). Il y aura
légitimation implicite de la prolifération.
D'autant que la faiblesse relative des
sanctions prises en guise de réplique au
test nord-coréen vient – jusqu'à
maintenant - conforter cette impression.
En outre, je le rappelle, les Etats
n’aiment pas être les derniers de la liste
des possesseurs de l’arme nucléaire.
C'est risqué et onéreux. Maintenir en
état un arsenal nucléaire c'est, pour un
Etat en difficulté financière, en quelque
sorte « entretenir une danseuse » Le
nucléaire militaire est un luxe coûteux,
et les Etats qui s'y adonnent entendent
ensuite rentabiliser cet investissement !
Luc Picot : Quelle issue voyez-vous
dans ce rapport de force entre l’Iran et
les puissances occidentales ?
Colomban Lebas : Nous sommes face
à l’épreuve de vérité. La double crise
iranienne et nord-coréenne impose aux
grands pays d'abattre leurs cartes. Les
positions de la Russie et de la Chine
seront déterminantes Ces puissances
détiennent en effet les clés de l'accès à
l'emploi de la force, via leur droit de
veto, comme membre permanent du
Conseil Sécurité. La Chine et la Russie
regardaient jusqu'à maintenant avec
une certaine bienveillance l’Iran et la
Corée du Nord. L'Iran est bon client de
la Russie en particulier dans le domaine
des armements. L'Iran est une pièce
maîtresse
du
dispositif
d'approvisionnement en hydrocarbures
de la Chine. De plus Corée du Nord et
Iran constituaient jusqu'à maintenant un
outil efficace de contrôle du niveau de
tension internationale, visage noir de la
diplomatie chinoise. Gageons que le
test Nord-Coréen fera évoluer la
position de la Chine face à son allié, qui
reste toutefois, par sa configuration
géographique et sa proximité de la
Corée du Sud, une pièce maîtresse de
son échiquier stratégique.
Luc
Picot
:
Quelle
évolution
diplomatique croyez-vous possible
d’attendre
dans
les
prochaines
semaines dans ce contexte ?
Luc Picot : Certains analystes français
semblent pourtant « comprendre » la
position iranienne. Partagez-vous ce
sentiment ?
Colomban Lebas : En France, certains
considéraient et considèrent encore que
l’Iran aura de toute façon un jour l’arme
nucléaire, et qu'avec le temps, le régime
se modérera et se responsabilisera. Je
m’élève contre cette vision qui me
semble irénique. La re-radicalisation de
l'Iran depuis que Amadinejad a été porté
au pouvoir montre que des phases
radicales peuvent succéder à des
phases de modération, et ce avec
l'assentiment populaire. La faction au
pouvoir a joué sur la fibre sociale pour
s'attirer les suffrages de masses,
choquées d'assister impuissante à
l'enrichissement d'une minorité faisant
face à
paupérisation des couches
populaires.
Luc Picot : Ne peut-on pas considérer
néanmoins que la possession de l’arme
atomique par de plus en plus d’Etats,
les inciteraient à plus de modération ?
Colomban Lebas : L’idée classique
dans le débat nucléaire de la fin des
Colomban Lebas : Jusqu'à maintenant années cinquante est que si tous les
les Iraniens se sont montrés fins pays possèdent l’arme nucléaire, il se
diplomates. Ils alternent les périodes de produit un phénomène d'inhibition
tension maximale avec des phases mutuelle. Cette théorie est, à mon sens,
d'assouplissement et d'ouverture à la au moins partiellement erronée, même
négociation, sans ne jamais renoncer à au plan purement mathématique. Car
rien. Ainsi, peu à peu ils jouissent de dans les faits il existerait une longue
plus en plus de marge de manœuvre, et période de transition où les pays dotés
ce qu'on leur refusait il y a peu nous ne disposeraient pas d'une capacité de
semble
progressivement acceptable. seconde frappe. D'où une situation
Cette évolution du seuil de tolérance hautement instable du fait de l'élévation
des Occidentaux s'effectue « step by du risque de frappe préventive de la part
ces
Etats
incomplètement
step ». Le jeu de ballet entre Européens de
et Iraniens autour de la proposition nucléarisés. Sans parler de la
des
risques
russe de fournir de l'uranium enrichi multiplication
d'incompréhension
mutuelle,
d'accident,
constitue une belle illustration de cette
d'erreurs d'interprétation, de trafic
tactique.
terroriste.... A partir d'un certain seuil,
11
plus il y a de pays détenteurs de l’arme resserrement de ses liens - déjà étroits atomique,
plus
le
risque
de avec les Etats Unis.
déclenchement
du
feu
nucléaire
augmente.
Les puissances environnantes ont
tendance à instrumentaliser la menace
Luc Picot : Dans un autre contexte, japonaise en se référant aux souvenirs
certes, que penser de la dangerosité de la deuxième guerre mondiale et en
liée à la possession avérée et exploitant certaines démarches - il est
revendiquée comme telle de l’arme vrai provocantes – des Japonais (sur les
nucléaire par la Corée du Nord ?
manuels d’enseignements et les visites
intempestives de l'ancien premier
Colomban Lebas : Le premier tir de ministre dans des mausolées où
missile n’a pas constitué un risque. Le reposent d'anciens combattants). Mais
test n’était pas concluant. Le deuxième en réalité ils n'ignorent pas que le Japon
test servait de gesticulation de la part du s'est profondément transformé depuis
régime nord-coréen. le test nucléaire a 1945 et ne constitue plus une menace
montré que la Corée disposait militaire. A son passif, le Japon n'est
réellement
de
quelques
armes pas engagé dans
démarche de «
atomiques rudimentaires, susceptibles repentance » avec ses puissances
d'exploser partiellement. La Corée voisines, sans doute pour des raisons
exerce un chantage au nucléaire pour de fierté nationale…
maintenir le régime et éviter une
intervention occidentale. Mais le premier Luc Picot : Ce scénario est-il
essai nucléaire n'a pas été un succès envisageable également en ce qui
technique, et les missiles détenus ne concerne la Chine, puissance déjà
constituent pas pour le moment des nucléaire de longue date ?
vecteurs fiables. En revanche en cas
d'intervention armée,
on ne peut Colomban Lebas : La principale
évacuer
totalement
le
scénario vulnérabilité de la Chine, c'est sa
suicidaire de l'emploi de quelques uns dépendance énergétique. d'où par
des engins nucléaires dont dispose la exemple la politique chinoise en Afrique.
Corée du Nord - engins qui pourraient
au besoin être vectorisés par des L'une des stratégies américaines
moyens artisanaux.
prônées
par
les
partisans
du
containement
de
la
Chine
est
Luc Picot : Y a-t-il en réaction un risque d’empêcher celle-ci d'entretenir des
de nucléarisation du Japon à moyen relations trop étroites avec les Etats
terme du fait de la crise coréenne ?
pétroliers du Moyen-Orient. Si les
Occidentaux contrôlent les « robinets »
Colomban Lebas : Le Japon n'est pas qui approvisionnent le pays en
prêt psychologiquement à assumer la hydrocarbures, ils disposent d'un moyen
détention d'un arsenal nucléaire, pour de
régulation
partiel
sur
le
des raisons historiques. Cependant le développement de son économie.
Japon est technologiquement capable En revanche, la Chine tient les Etatsd'assembler rapidement des bombes si Unis par le biais de l’outil monétaire, du
une urgence vitale se faisait jour. Dans fait des déséquilibres économiques
l'état actuel des choses, sa Constitution considérables des échanges qui ont lieu
lui interdit de disposer d'un arsenal entre ces pays.
nucléaire. En cas de menace avérée, le
scénario le plus probable serait celui du
12
De plus la Chine est membre permanent
du Conseil de Sécurité. Or pour les
Occidentaux, une intervention militaire
effectuée sans l’aval du Conseil de
sécurité est coûteuse en termes de
légitimité politique, même si elle n'est
évidement pas impossible. (cas du
Kosovo, ou de l'Irak II par exemple...)
Ainsi, les Américains ont établi des
plans pour frapper les points nodaux du
système de prolifération iranien. Même
chose en Corée du Nord. Toutefois, de
telles
interventions
seraient
extrêmement risquées politiquement et
même techniquement : elles pourraient
entraîner une contamination locale de
type Tchernobyl, voire - à une très faible
Luc Picot : Au final, quelles sont les probabilité certes - des explosions soussolutions pour lutter contre la critiques
d'engin
nucléaires
prolifération nucléaire ?
rudimentaires dont la sécurité ne serait
pas assurée. Il serait donc nécessaire
Colomban Lebas : Il faut absolument de disposer de renseignement très
jouer le jeu du Conseil de Sécurité et du précis sur pour se concentrer sur les
droit international. Il existe quelques cibles non-dangereuses et pourtant
solutions en vue de renforcer la non- essentielles
du
processus
de
prolifération nucléaire :
prolifération.
-Intégrer le TNP aux règles de l’ONU ;
-Inclure les autres Etats nucléaires aux
accords internationaux : Inde, Pakistan
et Israël :
-Développer
les
traités
de
dénucléarisation par région, ce qui
complète et augmente la crédibilité du
TNP.
-Se doter d'une institution internationale
centralisant
et
contrôlant
rigoureusement la distribution de
combustible fissile : plutonium, uranium
faiblement enrichi, etc.
-Renforcer les contrôles sur les
échanges de biens à double usage tant
au niveau des producteurs que des
utilisateurs de ceux-ci
La lutte contre la dissémination
nucléaire nécessite une réflexion plus
globale sur l’emploi de la force armée et
la gestion des crises. Il est nécessaire
d’évaluer nos moyens et de définir
clairement nos objectifs. Il faut analyser
en amont les risques encourus pour le
pays dans lequel on intervient. Il faut
évaluer nos capacités à y assurer le
retour rapide à la paix et la
reconstruction.
On le voit, la solution politique est
nettement préférable...Et c'est là dessus
que tablent l'Iran et la Corée du Nord.
Luc Picot : Dans un autre registre, la
protection
anti-missile
peut-elle
constituer une réponse à la menace
nucléaire ?
Colomban Lebas : Le bouclier antimissile ne constituera jamais une
parade sûre parce qu'il il ne protège pas
d'une introduction non-conventionnelle
d’arme de destruction massive. De plus
il ne sera jamais étanche à 100%.
En revanche, dans le cadre d’une
défense de théâtre, la protection antimissile d’une aire plus restreinte
pendant une intervention militaire
constitue la voie la plus pertinente
d'utilisation
de
ces
nouvelles
technologies. Les conséquences d'une
éventuelle interception seraient par
ailleurs plus tolérées sur un théâtre
d'opération que sur un pays « en paix ».
Luc Picot : A la lumière des éléments
évoqués, la menace terroriste utilisant
comme vecteur une arme nucléaire estelle aujourd’hui crédible ?
13
Colomban Lebas : Celle d'un attentat à
la bombe sale est plus probable, il suffit
de recueillir de la matière radioactive et
de l'agencer autour d'un explosif.
Elle
peut
créer
une
psychose
internationale à l’image de celle
provoquée par l'envoi de courriers
porteurs de spores d’anthrax. Il ne faut
pas confondre les effets d’une bombe
sale avec ceux d’une bombe atomique.
Le fait que la terminologie soit identique
(utilisation du mot atomique ou
nucléaire) crée en-soi une psychose qui
peut avoir des effets paralysants sur la
société. Cette hypothèse, si elle reste
relativement peu probable, demeure
néanmoins à la portée de groupes
terroristes « professionnels ».
Notons aussi que des « pays déviants »
ou se sentant « menacés » peuvent
déléguer à un groupe ou un service de
renseignement le soin d'utiliser une
bombe sale à des fins de perturbation
de la société internationale.
En revanche la construction d'une
véritable arme nucléaire par un groupe
14
terroriste apparaît très improbable. Il est
déjà difficile pour les acteurs étatiques
de
développer
un
programme
nucléaire : Pour les groupes nonétatiques, la réalisation d’une arme
atomique
semble
simplement
irréalisable. Il est plus probable que
ceux-ci se tournent vers les armes
chimiques,
radiologiques
ou
biologiques.
En effet, la fabrication d'armes
nucléaires nécessite des installations
lourdes et une organisation industrielle
complexe. Un groupe terroriste pourrait
cependant acquérir de l’uranium enrichi
vendu par un Etat déviant. Encore
faudrait-il l'exploiter correctement ce qui
est loin d'être évident.
En revanche on ne peut totalement
exclure le scénario d'un transfert d'une
bombe nucléaire rudimentaire par un
Etat tel que la Corée du Nord à un
groupe terroriste. D'où la pertinence de
l'embargo partiel décidé par l'ONU.
Celui-ci
permet
d'effectuer
une
surveillance des entrées et sorties de
matériel sur le territoire Nord-Coréen.
15
Mahor CHICHE1
Michaël CHETRIT2
Repenser la lutte antiterroriste
L'Europe fait face à une vaste campagne de prosélytisme de l'islamisme radical
En réaction aux attentats de Londres, Tony Blair a rappelé que la répression
ne pouvait pas être la seule réponse au terrorisme. Cette volonté ne transparaît
pas du plan de lutte contre le terrorisme élaboré par le Conseil des ministres de
l'Union européenne le 13 juillet. «Il n'y a pas d'initiative vraiment nouvelle sur la
table», indique-t-on à Bruxelles.
Dès lors, de quels autres moyens de lutte les démocraties disposent-elles ? A
quel arsenal le premier ministre britannique faisait-il donc allusion ? L'Europe fait
face à une vaste campagne de prosélytisme de l'islamisme radical.
En France, la participation de Français aux attentats du 11 septembre 2001, la
constitution de filières afghanes ou irakiennes ou le fort rythme des conversions à
l'islam politique, l'islam salafiste, mis en évidence dans un rapport de juin des
renseignements généraux remis au ministre de l'Intérieur, établissent désormais
sans ambiguïté le travail de sape de ces réseaux.
Si ce phénomène demeure minoritaire, il n'en est pas moins inquiétant. Les
terroristes ne sont plus des éléments extérieurs à nos Etats, ce sont des enfants
de l'Europe. Ce sont de jeunes Européens instruits à l'école de la République ou
du Royaume-Uni qui décident de s'engager dans la lutte armée.
Le nombre de combattants étrangers en Afghanistan ou en Irak atteste de la
réalité de cette «internationale djihadiste». On se souvient de Zacarias
Moussaoui et des sept Français détenus dans la prison américaine de
Guantanamo. Le djihadisme sème partout où existe de la frustration.
Une frange de notre jeunesse européenne est en train de se laisser séduire
par les sirènes du martyr au service d'une nouvelle ère de lutte contre l'Occident.
Ces jeunes sont ainsi conditionnés par des recruteurs qui leur font miroiter un
destin héroïque. Mais quel facteur nouveau explique la réceptivité de cette
jeunesse élevée à l'humanisme européen ?
La grande nouveauté au sein des populations immigrées depuis dix ans est
l'essor des chaînes de télévision par satellite extra-européennes captées au
moyen d'antennes paraboliques, implantées sur les toits et les balcons, et dont
al-Jezira ou al-Manar sont les plus connues. Plus de 10 millions de personnes y
1
2
Conseiller du XIXe arrondissement de Paris.
Membre du Bnai Brith, ONG représentée à l'ONU et au Conseil de l'Europe.
16
ont accès en France, plus de 100 millions en Europe. Certaines populations
immigrées ont ainsi trouvé un moyen de rester en contact avec leurs
communautés d'origine, et en particulier de conserver des attaches linguistiques
et culturelles. Néanmoins, au-delà de cet aspect positif, il s'avère qu'en pratique,
certains programmes véhiculent des idées contraires aux idées démocratiques
ou de tolérance, d'autant que certains, par rejet de la télévision «occidentale»,
voient leurs sources d'information réduites à ces seuls outils de propagande.
Lorsqu'on sait que les Européens regardent la télévision «en moyenne» trois
heures par jour, cela permet de saisir l'énorme pouvoir de propagande que
peuvent avoir ces chaînes de télévision, mais également les sites Internet. En
effet, la problématique posée par l'Internet n'est pas fondamentalement
différente.
S'affranchissant des frontières, l'Internet est devenu un vecteur de diffusion
privilégié de matériels antidémocratiques, xénophobes, racistes et terroristes.
Dès lors, si les échanges culturels et la liberté d'expression doivent certes être
favorisés, il convient de limiter au maximum les abus qui pourraient en être faits.
Il est plus qu'urgent d'agir.
Le paysage audiovisuel européen, devenu irresponsable car laissé à
l'abandon, est devenu un terreau majeur du terrorisme et de la défiance à
l'encontre de l'Occident. Ce laisser-faire entretient un climat qui nuit aux
processus d'intégration et fait le lit des réseaux salafistes. On sait quels effets
délétères peuvent avoir une seule émission de télévision.
Il appartient aux autorités de régulation de l'audiovisuel de contrôler le respect
des droits fondamentaux des citoyens dans les contenus diffusés à la télévision.
Mais ces autorités n'ont aujourd'hui qu'un champ d'intervention et des moyens
limités au territoire national, ce qui s'avère être insuffisant pour réguler les
télévisions en langues étrangères.
En l'état actuel de la réglementation européenne, une directive européenne de
1997 «Télévisions sans frontières» prévoit un mécanisme long et complexe
lorsqu'un Etat entend faire cesser la diffusion sur son territoire d'une chaîne
ressortissant d'un autre Etat membre. Ce processus est une usine à gaz qui n'a
d'ailleurs jamais été mobilisé par un Etat membre, pas même pour la télévision
al-Manar, récemment interdite par la France, qui diffusait impunément ses
programmes dans toute l'Europe depuis 2000.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) attire
depuis plusieurs années l'attention des autorités sur ces nouvelles formes de
propagation du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie sur Internet. Afin
de faire cesser la diffusion de chaînes étrangères appelant à la haine raciale et
diffusant des images violentes, il convient d'instituer une Autorité européenne
indépendante de régulation de l'audiovisuel (ARA).
Cette autorité connaîtrait des contenus de programmes diffusés sur toute
l'Europe, quel que soit le média utilisé, qu'il s'agisse de la télévision ou de
17
l'Internet. La compétence d'attribution de l'ARA, en coopération avec les autorités
nationales, serait bien évidemment limitée aux cas d'appel à la haine et à la
violence, ou d'atteinte à la dignité humaine.
Les autorités de régulation nationales de l'audiovisuel continueraient ainsi à
être compétentes pour l'organisation et le contrôle de leur paysage audiovisuel
national. L'ARA aurait également l'avantage de mettre en commun les moyens
d'une veille télévisuelle, y compris dans des langues extra- communautaires, qui
font aujourd'hui défaut à l'Europe.
Cela permettrait de mettre au point des parades efficaces sur l'ensemble du
territoire européen. Pour autant, une telle volonté de régulation pourrait ne pas
être limitée à l'Europe.
Les Etats-Unis avaient suivi l'exemple de la France en interdisant dans la
foulée la chaîne al-Manar de la flotte américaine de satellites Intelsat.
Aujourd'hui, la mise en place d'une autorité européenne de régulation de
l'audiovisuel est une priorité pour défendre nos démocraties.
Peut-être cette instance était-elle l'un des moyens alternatifs à l'action policière
envisagé par Tony Blair. Elle constitue en tout cas un outil primordial pour ne pas
abandonner des pans entiers de nos communautés nationales à la propagande
et à l'exclusion.
18
Ben CRAMER1
Sur le concept de sécurité humaine
Guerre et paix
ENMOD : la convention méconnue
NDLR : l’IPSE remercie la revue Valeurs Vertes (www.valeursvertes.com) dans
lequel cet article est paru dans le numéro 78.
La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement
durable, comme le précise le principe 24 de la Charte de Rio, une des principales
lacunes dans nos connaissances sur l’environnement porte sur les liens entre
environnements et conflits ; ce constat découle d’une enquête menée par le
Programme des Nations-Unis pour l’Environnement, le PNUE.
Qui peut rester insensible aux caprices de la météo et à ses dégâts? Alors que
2005 a battu une série de records climatiques2, des guerres pour l’alimentation,
l’eau et l’énergie dus aux désastres «naturels» devraient, dans les 20 prochaines
années, entraîner des millions de morts. Que cette étude prospective émane de
cercles militaires3 ne devrait pas surprendre.
Lors des opérations menées au Vietnam, le Pentagone a voulu rendre
impraticable les voies de communication de l’adversaire, la fameuse piste Ho Chi
Minh. Diverses substances chimiques ont alors été injectées dans les nuages qui
surplombaient les zones ennemies. Objectif : accroître les précipitations, inonder
les routes. Suite à ces révélations, le Sénat américain réagit ; de résolutions en
tractations, la communauté internationale va finir par adopter, à la Conférence du
Désarmement à Genève, une convention en vigueur depuis 1978, qui interdit
purement et simplement de recourir à l’environnement comme «arme de guerre.»
Dans les années 80, la météo ou plutôt son dérèglement fait encore des siennes.
Naturellement. A l’époque, l’armée soviétique semble concentrer ses efforts sur les
armes tectoniques par l’intermédiaire d’explosions nucléaires plus ou moins
maîtrisées4. Pendant ce temps, des chercheurs du MIT5 vont simuler les
conséquences d’un affrontement qui engagerait 5000 à 7000 mégatonnes, soit le
tiers des armes nucléaires inventoriées ; la psychose de cet «hiver nucléaire» —
c’est son nom — va freiner la boulimie atomique des Deux Grands.
1
Journaliste
(Association des journalistes de l’environnement)
[email protected]
2
Un coût de U$ 200 milliards, selon le PNUE
The Pentagone tells Bush: climate change will destroy us, The Observer, février 2004.
4
Cf. Boris Poutko, Les nouvelles armes de la fin du monde, éditions du Rocher, Paris 1996.
3
19
Les années 90 démarrent avec des centaines de puits de pétrole en feu, lors la
première guerre du Golfe1. Puis, avant même que soit évoqué le spectre du
réchauffement climatique, une éventuelle guerre électronique ou «géophysique»
vient hanter les stratèges. Un programme sur la ionosphère dénommé Haarp2,
mené de concert par la Marine et l’armée de l’Air américaines, pose de sérieuses
questions puisqu’il s’agirait d’amplifier les orages et de canaliser les vapeurs d’eau
dans l’atmosphère terrestre en vue de produire des sécheresses et des inondations
ciblées. Les politiques s’en mêlent : à Bruxelles, les parlementaires demandent à la
Commission en janvier 99 d’examiner les « incidences du programme Haarp ».
Si nul ne se réfère alors à ENMOD3 le préambule de cette Convention méconnue
stipule que les progrès de la science et de la technique peuvent ouvrir de nouvelles
possibilités en ce qui concerne la modification de l’environnement.
Les experts français persistent à dire que tout ceci relève davantage du
fantasme que de la science, mais le 6 novembre a été choisi par l’ONU pour
célébrer la Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de
l’environnement en temps de guerre et de conflit armé4. En attendant, les activités
militaires ne sont pas prises en compte par «la feuille de route» écologique de tous
les Européens, le Protocole de Kyoto. 5
La Charte de Rio
Principe 24
La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement
durable. Les États doivent donc respecter le droit international relatif à la protection
de l’environnement en temps de conflit armé et participer à son développement,
selon que de besoin.
Principe 25
La paix, le développement et la protection de l’environnement sont
interdépendants et indissociables.
Principe 26
Les États doivent résoudre pacifiquement tous leurs différends en matière
d’environnement, en employant des moyens appropriés conformément à la Charte
des Nations Unies.
1
cf. Claude-Marie Vadrot, Guerres et environnement, Delachaux et Niestlé, Paris, 2005.
Acronymes pour High Frequency Active Auroral Research Program. cf. Jeane Manning et
Dr. Nick Begich, Les Anges ne jouent pas de cette Haarp ‘, édition Louise Courteau, Qué-bec,
2003.
3
Tous les pays membres l’ont signée, excepté la France.
4
htpp://www.un.org/depts/dh1/dh1f/environnement_war/index.html
5 Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à
des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, dite convention ENMOD
(Massachusetts Institute of Technology
cf. Paul Ehrlich, Carl Sagan (...), The Cold and the Dark par WW Norton & Company, New
York, 1984.
2
20
Mathieu DAMIAN1
Les élections en République démocratique du Congo
Pour la première fois depuis plus de 40 ans, 70% des Congolais qui s’étaient fait
enregistrer en novembre 2005 ont voté lors des élections présidentielles et
législatives qui se sont tenues le 30 juillet dans tout le territoire de la République
Démocratique du Congo, pays sept fois plus grand que l’Allemagne et peuplé de
55 millions d’habitants.
La tenue des élections a été relativement calme. Les résultats des élections
législatives et du premier tour de la présidentielle en République Démocratique du
Congo du 30 juillet ont été livrés le 20 août 2006. Des résultats plus complets et
précis ont été donnés à nouveau le 7 septembre. Ils ne montrent, en ce qui
concerne les élections parlementaires, aucune majorité nette pour l’un ou l’autre
des partis. 69 formations politiques se partagent les 500 sièges du Parlement. 31
partis ont obtenu un siège, 12 en ont eu deux et seulement huit en ont au moins
dix. Il faut également souligner que 42 femmes sur 500 sont des femmes, soit un
peu moins de 9%.
La division des voix est à ce point importante que le premier parti de la capitale,
le MLC, n’obtient que 8 des 58 sièges. Dans les trois régions dévastées par la
guerre à l’est de la RDC, les gens ont plus voté selon des critères ethniques que
pour des partis nationaux. Au Nord-Kivu, le fief des rebelles rwandais, Kabila a
obtenu 15 des 48 sièges. Cependant, les personnes qui ont été choisies pour le
reste appartiennent aux ethnies majoritaires. De tels résultats sont lourds de
conséquences pour l’avenir si les politiques au pouvoir instrumentalisent leur
origine ethnique. En outre, l’UPC (Union des Patriotes Congolais) a réussi à obtenir
trois sièges en Ituri, malgré les nombreux massacres qu’il a commis pour «
défendre » l’ethnie hema.
Le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, le PPRD du
président Kabila, a obtenu 111 sièges. Le second parti est celui du Mouvement de
Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba avec 64 sièges. L’opposant
Antoine Gizenga du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) obtient trente-quatre sièges.
La Coalition des Démocrates Congolais (Codeco), de Pierre Pay Pay, ancien
gouverneur de la Banque centrale du Zaïre obtient une trentaine de sièges et arrive
en quatrième position. Le fils de Mobutu, Nzanga, obtient avec son parti, l’Union
des Mobutistes (Udemo), neuf sièges.
Le président Kabila avait souhaité obtenir la majorité en créant l’Alliance de la
Majorité Présidentielle ou AMP. Or, cette alliance n’obtient « que » 234 mandats et
1
Chercheur réseau de recherche francophone sur les opérations de la paix
www.operationpaix.net
21
il lui manque donc dix-sept voix pour parvenir à ses fins. Quant au Rassemblement
des Nationalistes Congolais (Renaco), de Jean-Pierre Bemba, il obtient 116 sièges.
Cependant, avec le ralliement à la fin septembre d’Antoine Gizenga et de Mobutu,
l’AMP élargie compte plus de 280 sièges à l’Assemblée nationale, soit une majorité
d’une trentaine de sièges. En outre, quelques indépendants sont courtisés aussi
bien chez Kabila que chez Bemba afin qu’ils rejoignent leur camp. On rappelle en
effet que ceux-ci sont au nombre de 63 sièges, soit plus de 12%1.
Le 22 septembre, la séance constitutive de ces représentants s’est tenue au
Parlement du peuple. Les dernières élections législatives considérées comme
libres et pluralistes s’étaient tenues en avril 1965.
Pour ce qui est des élections présidentielles, on rappellera tout d’abord que les
compétences du président sont limitées à la défense et à la diplomatie, selon la
constitution de décembre 2005. Il a également le pouvoir, en concertation avec
l’Assemblée nationale, de nommer le Premier Ministre. Ce dernier s’occupe de tous
les autres secteurs.
En ce qui concerne les résultats, Kabila a obtenu 44,8% des voix contre 20%
pour Jean-Pierre Bemba. Antoine Gizenga est troisième avec 13%, FrançoisJoseph Mobutu le suit avec 4,8% des voix, puis Oscar Kashala, 3,5%. Cinq des 32
candidats à la présidentielle ont déposé une plainte au tribunal supérieur pour
cause de fraudes massives. Ce dernier n’a pas donné suite à ces accusations.
Antoine Gizenga et Nzanga Mobutu ont annoncé leur soutien à Joseph Kabila.
Le ralliement de ce dernier a constitué une surprise puisque les familles Mobutu et
Bemba sont amies. En outre, cet homme, originaire de l’Ouest du pays, va apporter
une plus grande légitimité au président sortant, tant sa popularité dans cette région
est moindre que dans la partie orientale. Le soutien de ces deux hommes permet
également à Kabila de disposer de la majorité au Parlement.
L’entre-deux tour ponctué de tensions entre les deux candidats
Suite à la première annonce des résultats des élections présidentielles le 20
août, trois jours de violence ont eu lieu, principalement à Kinshasa, provoquant la
mort de 23 personnes. Au moins 43 personnes ont été blessées et 23 tuées durant
les trois jours de combat qui ont eu lieu à Kinshasa.
Sous les termes du cessez-le-feu qui a mis fin à ces affrontements, Kabila et
Bemba se sont mis d’accord pour céder les parties de Kinshasa qu’ils contrôlent
aux forces de la police nationale. Des équipes de vérification comprenant des
représentants de la MONUC, de l’EUFOR, de la police, de l’armée et des gardes
de Bemba et de Kabila ont été chargées de s’assurer du respect de cet arrêt des
hostilités2.
1 JOHNSON Dominic, “Kongo schwächt seine stärken Männer“, Taz, 11 septembre 2006
2 DRC : Counting the casualties after Kinshasa battle », Irinnews, 25 août 2006
22
La situation à Kinshasa s’est améliorée avec la première rencontre, le 29 août,
entre des représentants du président et des délégués du vice-président, sous la
médiation de la MONUC. La discussion a décidé de la création de deux
commissions : la première qui d’enquête sur les événements des 20, 21 et 22 août
dans la capitale congolaise ; la seconde qui fixe des règles à respecter pour le
deuxième tour des élections le 29 octobre.
Les Nations unies et la communauté internationale ont évidemment tenté, au
cours des semaines qui ont suivi les troubles à Kinshasa suite aux résultats
préliminaires du premier tour, d’amener Bemba et Kabila à la table des
négociations. Le 13 septembre a eu lieu la première entrevue de deux heures
entre les deux prétendants à la présidentielle depuis les troubles. Thabo Mbeki et
Javier Solana, Jan Egeland, Sous secrétaire des Nations Unies pour les questions
humanitaires et Aldo Ajello, Représentant des Grands Lacs auprès de l’Union
européenne, avaient essayé quelques jours avant, de les faire se rencontrer, mais
sans succès.
Le rôle des médias ou l’explication des seconds troubles kinois.
L’accord de paix conclu à Sun City en 2003 a veillé à ce qu’un organisme
indépendant, la Haute Autorité des Médias, s’assure de la bonne tenue de ceux-ci
et du respect de la loi de 1996 sur la presse ainsi que du code de conduite des
medias au cours des élections. Cette institution a d’ailleurs sanctionné quelques
groupes de presse, parfois plusieurs fois pour des discours de haine.
A la fin août 2006, soit après la première passe d’armes entre pro-Kabila et proBemba, 40 médias à Kinshasa ont signé un accord dans lequel ils indiquaient
s’abstenir de toute diffamation et de discours de haine au cours du second tour des
élections. Néanmoins, le scepticisme demeure sur l’efficacité d’une telle mesure
puisqu’un accord similaire avait été signé au cours du premier tour et qu’il n’a pas
été tenu.
La presse congolaise a constitué un facteur majeur contribuant à la dégradation
de la sécurité dans le pays, et particulièrement à Kinshasa. En dépit des accords
signés par les prétendants avant les élections, de nombreuses attaques ont été
personnelles et parfois même dues à l’origine ethnique de tel ou tel candidat. La
société congolaise a également eu droit à ses manipulations sur internet. En effet,
avec les morts des résultats des élections, des images truquées ont été diffusées
sur internet, rajoutant de l’huile sur le feu en faveur de Bemba, qui est préféré des
Kinois. Certains craignent de ce fait un scénario à l’ivoirienne où les jeunes
désœuvrés soient instrumentalisés et s’en prennent aux civils français mais aussi
étrangers et acculent les soldats européens à tirer sur la foule. Comme Laurent
Gbagbo en Côte d’Ivoire, si Bemba veut faire descendre dans la rue tous ces
jeunes qu’il peut employer pour très peu d’argent afin de garder le pouvoir dans la
capitale, que pourra faire la communauté internationale ? En outre, d’autres
craignent que l’EUFOR ne soit amené à se battre contre les 15.000 membres de la
garde présidentielle1.
1 “Media Fanning Election Violence”, The East African, 26 septembre 2006
23
Le 21 septembre 2006, a-t-on assisté à une répétition de ce qui pourrait se
produire au mois de novembre, à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle
? En effet, un incendie a dévasté les deux télévisions que Jean-Pierre Bemba
possède, la « CCTV » et « Canal Kin » mais aussi sa "Radio Liberté" située au
milieu de Kinshasa. Cela faisait une semaine que les médias de Bemba avaient
repris leur émission après trois semaines d’interdiction suite à des programmes
d’incitation à la haine. Suite à cet incendie, des centaines de supporters de JeanPierre Bemba ont mené des protestations fortes dans la capitale. Ils ont monté des
barricades avant de les brûler et ont envoyé des pierres sur les soldats de la paix
de l’ONU.
Le match Bemba/Kabila décidé par Etienne Tshisekedi ?
La côte de popularité de Joseph Kabila a baissé depuis qu’il a fait tirer sur la
résidence de Bemba le 21 août alors que quatorze ambassadeurs et le chef de la
mission de l’ONU s’y trouvaient. Est-ce que Kabila a souhaité assassiner son rival,
comme ce dernier l’a indiqué ? Ou était-ce destiné à ce que Bemba ne se déclare
pas le vainqueur des élections ? En effet, comme l’indique Horst Bacia, même s’il
n’a gagné que 20% des voix, il aurait pu néanmoins proclamer qu’il était chef à
Kinshasa puisqu’il y a obtenu la majorité des suffrages. Est-ce encore une
démonstration de force pour les Kinois afin qu’ils se rappellent qui est encore le
président actuel quand la télévision de Bemba critique à longueur de journée son
origine du Katanga ? Où est-ce plus simplement le fait que Kabila a été frustré par
les résultats ? Dunja Speiser ajoute deux autres explications possibles : en
attaquant la tour de télévision de Bemba, il montre à son adversaire sa force et
affaiblit la capacité de nuisance de ses médias ; il montre qu’il n’est pas une
marionnette de la communauté internationale puisqu’il attaque son adversaire au
moment où de nombreux diplomates sont invités chez lui.
En outre, les diplomates avaient sous-estimé son manque de popularité à l’ouest
où il est considéré comme un enfant du Katanga, riche province d’où il s’est rempli
les poches sur le dos des pauvres du pays. Il est également vu par les Kinois
comme l’homme de l’extérieur
Kabila a surtout gagné des voix dans l’Est du pays, celle où l’on parle le swahili
et où il est loué pour avoir ramené la paix. Cependant, dans l’ouest, partie où l’on
SCHEEN Thomas, „Sterben für Kongo?“, Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 25 août 2006
On rappellera que, de son côté, le président Kabila a la mainmise sur Digitalcongo, Radio
Télévision Groupe l'Avenir et la télévision nationale et que ces organes ne sont pas à l’abri de tout
reproche, loin de là.
BACIA Horst, « Väterliche Gesten » , Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 septembre 2006
SPEISER Dunja, « DR Kongo : Etappensieg », SWP-Aktuell, septembre 2006
BÖHM Andrea, « Eisige Ruhe », http://blog.zeit.de/kongo/, 28 août 2006
BÖHM Andrea, « Bemba, Kabila und Jesus », http://blog.zeit.de/kongo/, 3 août 2006
LEWIS David, « Congo’s Bemba finalises coalition, lacks key leader », Reuters, 24 septembre 2006
MISSER François, « Ende der Illusionnen im Kongo », Die TAZ, 21 septembre 2006
SCHEEN Thomas, „Sterben für Kongo?“, Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 25 août 2006
On rappellera que, de son côté, le président Kabila a la mainmise sur Digitalcongo, Radio Télévision
Groupe l'Avenir et la télévision nationale et que ces organes ne sont pas à l’abri de tout reproche, loin de
là.
24
parle plutôt le lingala, la nationalité du président est mise en doute et le vote a
plutôt penché en faveur de Jean-Pierre Bemba. Enfin, si Bemba fait figure de
millionnaire, Kabila n’est pas en reste puisqu’il a investi pour environ 50 millions de
dollars dans ces élections contre 20 pour son principal rival, loin devant les autres
candidats.
Bemba a toujours de sérieux soutiens du côté de Kampala quand Kabila est
toujours soutenu par l’Angola, qui veut devenir une puissance régionale dans les
années à venir. En effet, le gouvernement de Dos Santos voit la manne qu’il peut
acquérir dans les ressources naturelles immenses de la RDC.
Bemba est accusé de nombreux crimes de guerre, mais il est parvenu à
remporter de nombreux suffrages. D’après des enquêtes, la population qui a été
loin de ces massacres constate que la guerre est la guerre et que de telles
attitudes sont compréhensibles en ces temps troubles. De même s’il est indiqué
que Bemba s’est enrichi sur le dos des Congolais, le reproche ne semble pas
porter. Enfin, Bemba est un bon Congolais et non quelqu’un de l’Est.
Bemba a axé une grande partie de sa campagne sur le thème de la
« congolité », ne cessant de souligner que son rival n’était non seulement pas
Congolais, mais qu’en outre, il était une marionnette de la communauté
internationale. Il n’a pas hésité à montrer sur le terrain, soit un manque de contrôle
de ses troupes, soit une tentative délibérée de montrer sa capacité de nuisance :
les journalistes étrangers qui ont cherché à couvrir les meetings de Bemba ont été
attaqués par quelques-uns de ses gardes qui chantaient “Tuez les Blancs”.
Enfin, il faut signaler que, aussi bien du côté de Kabila que de Bemba, la partition
Est/Ouest du Congo est combattue. Jean-Pierre Bemba cherche toujours à se
rallier les voix d’Etienne Tshisekedi et de son parti, l’UDPS. Or, le secrétaire
général du MLC, François Mwamba, a fondé il y a quelques années la section
française de l’UDPS et provient du même village qu’Etienne Tshisekedi.
Néanmoins, à la fin septembre 2006, ce dernier n’avait pas encore pris une
décision en ce qui concerne le choix de son candidat.
Dans les faits, le président Kabila a déjà obtenu la majorité des voix à
l’Assemblée nationale et Etienne Tshisekedi a trop tardé avant de se prononcer
pour l’un ou l’autre. Il ne peut plus, au début octobre, qu’empêcher Bemba de se
faire écraser trop fortement ou accroître encore la légitimité de Joseph Kabila. En
ne se prononçant ni pour l’un, ni pour l’autre jusqu’au bout, il jouerait un jeu risqué
mais non sans possibilité : en effet, il pourrait soit être considéré comme
marginalisé si la situation s’améliore, soit apparaître comme un recours si les
événements le nécessitent.
Quelle implication internationale à la fin de l’EUFOR ? La communauté
internationale a joué un rôle considérable dans l’organisation de ces élections qui
ont coûté plus de 450 millions d’euros. Au début septembre 2006, Louis Michel, le
Commissaire européen au Développement et à l’aide humanitaire, a annoncé une
contribution supplémentaire de 16 millions d’euro au processus électoral en cours
actuellement en RDC. Si l’on y ajoute les 149 millions d’euros déjà versés, l’UE
25
atteint les 165 millions, ce qui en fait le premier contributeur. En outre, pour 2006,
son aide humanitaire dans le pays a atteint 50 millions d’euro.
En ce qui concerne son action militaire au sein de l’EUFOR, dans les quartiers
pauvres de Kinshasa, où les partisans de Bemba sont nombreux, l’EUFOR est bien
mieux considérée que dans les premières semaines où elle se faisait régulièrement
caillasser.
Pour ce qui est de la fin du mandat de l’EUFOR, le porte parole de la CDU,
Andreas Schockenhoff a indiqué à la fin août 2006 qu’il n’était pas d’accord avec
son homologue de la politique étrangère, von Klaeden, selon lequel, à la fin de la
mission de quatre mois de l’EUFOR, une nouvelle mission pourrait leur être
confiée, bien que sous un nouveau mandat. En effet, il ne souhaite pas que la
Bundeswehr assure la stabilisation du pays, ce qui est du ressort de la MONUC1.
Le commandant de la force européenne en RDC, le général français Christian
Damay, a jugé le 26 septembre, que, du fait de l’instabilité de la situation à
Kinshasa, une éventuelle prolongation de la mission de l’Eufor jusqu’au 10
décembre est envisageable. Cette déclaration contredit donc la position défendue
le jour précédent par le ministre de la défense allemand, dans laquelle Franz Josef
Jung réitère que la date de fin prévue de la mission le 30 novembre doit être tenue.
Un vrai problème de sécurité. Selon les accords de paix de 2002 et 2003, les
quatre vice-présidents ont droit à 25 gardes alors que le président peut disposer
d’une brigade. Toutefois, la grandeur de celle-ci n’était pas mentionnée. Or, lors de
la rédaction de la loi sur l’armée en 2004, Kabila a souhaité avoir une garde 15000
hommes. Tous ses opposants ont alors manifesté et ont augmenté leurs troupes.
Dans les rues de Kinshasa, les troupes de l’EUFOR, des Nations unies, de la
police kinoise mais aussi la garde présidentielle de Kabila et les forces de Bemba
patrouillent.
En outre, une unité de la police a été entraînée par l’Angola, dont le
gouvernement est proche de Kabila. Or, cette unité a été impliquée dans le meurtre
de plusieurs militants de l’UDPS, le 30 juin 2005, lorsque ceux-ci souhaitaient le
report des élections. La police n’est donc pas considérée comme neutre.
Par conséquent, un certain nombre d’observateurs regrette que les deux grands
rivaux aient été laissés avec autant d’armes avant la tenue des élections. Il aurait
été plus sûr, de mieux démilitariser Kinshasa et de faire en sorte que les candidats
à la présidentielle soient protégés par l’ONU et que l’intégration des groupes
armés non étatiques dans une armée nationale soit menée jusqu’à son terme.
En outre, à la fin août, la MONUC et l’EUFOR ont confirmé qu’ils étaient à la
recherche de sept camions de munitions qui seraient entrés à Kinshasa. On ne sait
pas encore si ces balles alimentent le camp présidentiel ou celui de Bemba. Le
1
IP/06/1146
„Union streitet über Kongo-Einsatz“, Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 28 août 2006
Information lue sur www.operationspaix.net, le 29 septembre 2006.
JOHNSON Dominic, “Gegen Privatarmeen”, Die Taz, 23 mai 2005
26
ministre de la défense congolais, Adolphe Onusumba, a déclaré que ces munitions
étaient destinées aux FARDC. La MONUC reste inquiète devant le nombre
d’armes que l’on peut apercevoir dans les rues de Kinshasa.
Le Comité International Accompagnant la Transition (CIAT) a appelé le 10
septembre au confinement dans leur baraquement des forces des deux candidats.
Leur rôle de protection doit être assumé par la MONUC et l’EUFOR jusqu’à la fin
du processus de transition.
Conclusion
Il est reporté dans la presse congolaise que le vainqueur du second tour doit
bâtir avec le perdant un gouvernement de coalition, pour de prétendues raisons de
pacification. Pour la population locale, ce serait incompréhensible. En effet, le coût
du second tour, soit 46 millions de dollars, aurait ainsi été dépensé en pure perte.
Les élections ne paraissent pas pouvoir se tenir dans un climat serein et apaisé.
La façon avec laquelle les résultats ont été digérés de part et d’autre montre la
tension qui règne entre les deux rivaux. Cependant, comme l’indique de façon
optimiste Dunja Speiser, le second tour peut être l’occasion de corriger certains
défauts constatés lors de la première campagne et ainsi de rehausser le prestige
de la CEI. En outre, il constitue une occasion de redire aux votants la procédure et
ainsi d’enraciner un peu plus la culture démocratique. Enfin, celui qui veut avoir
plus de sièges possibles au parlement doit bâtir des alliances qui aillent bien audelà des clivages ethniques.
Pour ce qui est de la sécurité, au-delà des mesures citées par la CIAT qui
constituerait un premier pas conséquent dans la bonne direction : les nouvelles
armes livrées à Kabila devraient être mises sous contrôle de la MONUC ; la garde
présidentielle doit être réduite de façon substantielle ; la formation d’une armée
nationale doit être parachevée. Quant au mandat de l’EUFOR, il devrait être
prolongé au-delà de l’entrée en fonction du président, le 10 décembre 2006, pour
atteindre la formation du nouveau gouvernement qui devrait être effective à la fin
janvier 2007.1
1
- BÖHM Andreas « Ein UN-Protektorat für den Kongo », http://blog.zeit.de/kongo/, 14 septembre
2006
- « La MONUC enquête sur un transport de munitions », Le Monde, 29 août 2006
- “Rival DR Congo armies ordered to barracks”, AFP, 11 septembre 2006
- BÖHM Andreas « Ein UN-Protektorat für den Kongo », http://blog.zeit.de/kongo/, 14 septembre
2006
- SPEISER Dunja, « DR Kongo : Etappensieg », SWP-Aktuell, septembre 2006
- SPEISER Dunja, « DR Kongo : Etappensieg », SWP-Aktuell, septembre 2006.
27
Jérôme MOURROUX1
Le service citoyen et civil en débat
Avec la mise en place d’une armée professionnelle, la participation des jeunes à
la vie de la communauté nationale, est devenu un enjeu de cohésion sociale. Le
service militaire, tel qu'il existait jusqu'en 1997, était devenu obsolète et inégalitaire,
et la France devait se doter d'une armée de projection efficace. Mais il s'avère
qu'aucun dispositif n'a désormais pour vocation de remplacer les fonctions sociales
qu'assurait le service militaire.
C'est dans ce contexte que l’idée d’une nouvelle forme de service fait aujourd’hui
débat, et est tout particulièrement revenue sur le devant de la scène avec les crises
récentes dans les banlieues ou sur le CPE : service volontaire ou obligatoire,
citoyen ou civil, comportant un volet militaire ou pas, de durée longue ou courte,
etc. Les pays européens comme la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Espagne ont déjà
accompagné la professionnalisation de leur défense par la création de formule de
volontariat.
Depuis la suspension du service militaire actée par la loi du 28 octobre 1997, la
loi a mis en place des parcours de la citoyenneté dans trois domaines : la défense
et la sécurité, la cohésion sociale et la solidarité, et enfin l'action humanitaire. Les
jeunes avaient la possibilité de se porter volontaires dans les armées ou dans la
collectivité. Mais le dispositif s'est complexifié du fait d'une forte réglementation,
comprenant une trentaine de décrets et arrêtés depuis la loi 2000-242 relatifs aux
volontariats civils. Il en a résulté un système confus, qui a connu la concurrence
des emplois jeunes venus se substituer aux volontariats.
Enfin les journées d'appel de préparation à la Défense (JAPD) peuvent aussi
offrir des possibilités de formations d’animateurs ou de secouristes de type BAFA,
BNSSA et CFAPSE considérées comme des stages. Les armées ont d'ailleurs
vocation à s’impliquer par leurs structures autour de réalisations concrètes,
donnant l’occasion aux jeunes de réaliser des projets citoyens par leur
investissement dans des missions d'intérêt général en France et à l'étranger.
La loi sur l'égalité des chances : une première réponse au besoin de creuset
social républicain
Suite aux annonces du Président de la République en décembre 2005, la loi sur
l’égalité des chances a mis en place un dispositif basé sur le volontariat, qui
s'ajoute à la règlementation antérieure sans s'y substituer. C’est un service civil
volontaire regroupant des missions d'accueil de jeunes âgés de 16 à 25 ans dans
un but d'intérêt général ou d'insertion professionnelle. Il s’agit donc d'acquérir une
1
Consultant en politiques publiques, Auditeur IHEDN (session jeune).
28
formation civique et professionnelle ainsi qu'une première expérience. L’objectif est
le renforcement d’une dynamique, initiée par le programme des cadets de la
République ou bien encore par le plan « Défense deuxième chance » en faveur
des quartiers défavorisés, des jeunes en rupture scolaire, et plus globalement de la
lutte contre les discriminations.
L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ANCSEC),
dont les missions ont été précisées par décret à la fin du mois de juillet 2006, doit
conduire le dispositif. L’agence doit en effet mettre en œuvre le service civil
volontaire dont elle assure le financement, l’animation et l’évaluation. Le budget de
l’agence sera d’environ 500 millions d’euros en 2007. Ainsi l’ANCSEC a pour
responsabilité d’agréer pour une durée de trois ans les associations et les
collectivités territoriales qui proposeront aux jeunes des missions d’intérêt général
dès lors qu’elles offriront des garanties suffisantes d’encadrement, de formation et
d’accompagnement vers l’emploi des jeunes. L’ANCSEC a pour autres objectifs de
mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire des actions visant à l’intégration des
populations d’origine immigrée et doit financer les opérations en faveur des
habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Elle doit aussi
contribuer à la lutte contre l’illettrisme.
Cette idée de service civil n'est pas neuve, elle renvoie aux différentes formes de
service national qui sont apparues à partir de 1961. Il est ainsi possible de citer le
service militaire adapté (SMA) dès 1961, puis les différents protocoles entre le
ministère de le Défense et d'autres ministères (1978), jusqu'au service dans la
police nationale (1985) et au service de sécurité civile (1992). Elle correspond
aussi à l'esprit de l'Ordonnance de 1959 qui a redéfini la notion de défense pour
l'appliquer à d'autres champs que les problématiques militaires.
Il n'est pas encore possible de dresser un premier bilan de la création de ce
service civil volontaire, mais on peut estimer qu'environ 10 000 à 15 000 jeunes
volontaires devraient être ainsi recrutés durant l'année 2007, alors que l'objectif
affiché en novembre 2005 était de 30 000. L'information sur les modalités de ce
service est en effet encore peu diffusée, et les collectivités ne sont pas toujours en
capacité d'expliquer aux volontaires les démarches à effectuer.
De plus, la loi sur l’égalité des chances s’appuie principalement sur l’économie
sociale et le milieu associatif pour atteindre ses objectifs. C'est l'une des principales
difficultés pour le service volontaire, dans la mesure où la réussite de ce projet
repose sur leur capacité à se mettre en situation, en quelques mois, d’accueillir des
milliers de jeunes, de les encadrer, de les accompagner, et de leur proposer une
expérience concrète et valorisante.
L'apport des expériences européennes de service civil
Il est intéressant d'examiner les exemples européens, en observant les
différences entre les pays du nord, tels que l'Allemagne, et les pays du sud, tels
que l'Italie. Avec la fin de la guerre froide, le système de la conscription, qui était en
place dans plusieurs pays européens, a été progressivement abandonné pour être
remplacé par différentes formes de service civil et citoyen, facultatif ou obligatoire.
29
L'Italie
L'Italie a décidé en 2001 d'abandonner la conscription pour le remplacer sur un
volontariat concernant les jeunes de 18 à 26 ans, dans de très nombreux domaines
d'activités culturelles, sociales ou environnementales : ce système est proche des
choix effectués en France. Une agence nationale pour le service civil, qui devrait
rapidement se substituer au bureau national actuel, doit gérer les appels à
candidature et les propositions de postes ouverts aux jeunes volontaires.
La Belgique
Avec la fin du service militaire, la Belgique s'interroge sur la mise en place d'un
service civil. Depuis 1998, une loi a mis en place un service civil d'utilité collective
(SUC) mais le texte n'a jamais été appliqué. Désormais, les responsables
politiques s'interrogent sur le caractère civil ou obligatoire d'un tel dispositif autour
de problématiques proches de celles qui agitent le débat public en France.
L'Allemagne
L'exemple du service civil allemand (zivildients) diffère à bien des égards des
modèles précédents : il s'agit d'un service de neuf mois, qui s'accomplit à partir de
18 ans en alternative du service militaire. Même si la formule civile est très
majoritairement choisie, elle connaît un moindre intérêt du fait des opérations
extérieures de maintien de la paix effectuées en Bosnie ou au Kosovo, qui attirent
de nouveaux jeunes vers le service militaire. Ce sont les länders qui gèrent ce
dispositif, qui octroie aux jeunes un statut d'appelé comprenant un ensemble de
droits et de devoirs, une formation initiale de quatre à cinq semaines, une
protection sociale, etc. Le coût est limité dans la mesure où le jeune doit rechercher
son emploi qu'il effectue en général à proximité de son domicile. Les deux tiers des
jeunes allemands qui font le choix d'un service civil d'aide à la personne, et
notamment au profit des personnes âgées ou en situation d'handicap.
Un projet de service civil européen (SCE)
A noter également que plusieurs associations militent pour, qu’au niveau
européen, soit instauré un service civil (ou « european civilian service »). Ce
service serait différent d’Erasmus, puisqu’il concerne tous les jeunes et pas
uniquement ceux qui maîtrisent déjà au moins une autre langue. De plus, à la
différence du service volontaire européen, le service civil européen ne devrait pas
être un programme individuel mais un programme collectif : les jeunes
travailleraient en groupe, apprenant à vivre et à oeuvrer avec des personnes de
différentes cultures. Ce projet reposerait sur un programme commun à l’ensemble
des jeunes européens, en alternative par exemple au service militaire.
L’objectif de ce programme serait d’offrir à un grand nombre de jeunes âgés de
18 à 30 ans une opportunité de participer à une expérience professionnelle dans
un autre pays que leur pays d’origine. Le participant travaillerait pour une période
de six mois à un an avec d’autres jeunes gens provenant de différents pays
européens en vue de réaliser une mission commune : actions culturelles, protection
30
de l’environnement, actions humanitaires en cas de catastrophes naturelles ou
industrielles, actions de protection civile, facilitation de l’intégration sociale,
cohésion entre les générations, etc. Afin d’être attractive, cette période donnerait
lieu à une reconnaissance sur le plan académique (crédits), elle serait valorisable
comme expérience professionnelle et elle donnerait lieu à une rétribution
permettant à chacun de s’investir dans le programme.
Le débat en France sur le caractère volontaire ou obligatoire du service civil.
Le débat se poursuit aujourd'hui en France, avant même qu'ait été intégralement
déployé le nouveau dispositif de service volontaire. D'une part ce dernier n'est pas
perçu par tous comme un substitut suffisant à la conscription. D'autre part, le
clivage entre service obligatoire et volontaire est réel, dépassant les clivages
politiques.
Les constats d’une montée de l'individualisme, de la dilution du sentiment
d'appartenance à la collectivité, ou bien encore de la confusion entre droits et
devoirs, ont conduit des intellectuels et scientifiques a demandé des mesures d’une
ampleur plus significative (exemple de l’appel lancé par l’hebdomadaire « La Vie »
en novembre 2005, signé par plus de 440 parlementaires, de droite et de gauche,
dix mille citoyens, et diverses personnalités comme l'abbé Pierre, le sociologue
Edgar Morin ou l'écrivain Max Gallo). La crise des banlieues qui a agité "les
quartiers" à l'automne 2005 a amené un questionnement sur la fin du service
militaire, non sans une nostalgie relayée par les enquêtes d'opinion et les médias.
Il est vrai que les gisements d'activités pour un service obligatoire sont
nombreux. Dans le domaine scolaire, l’engagement de jeunes effectuant leur
service pourrait permettre de développer des actions de tutorat, notamment dans
des opérations telles que celle de l’ESSEC "une prépa, une grande école, pourquoi
pas moi ?". Les centres de secours font régulièrement appel au volontariat pour
remédier à la pénurie des effectifs des sapeurs pompiers. Le vieillissement de la
population permet d'envisager que l'aide à la personne sera un secteur prioritaire
pour des activités bénévoles, comme c'est le cas en Allemagne.
Le milieu associatif offre dans son ensemble de nombreuses possibilités. Par
ailleurs, en s'appuyant sur les JAPD, et surtout pour pallier au problème du
manque de réservistes, une réflexion est menée pour que les responsables
militaires soient associés à une formule de service citoyen au profit du secteur
défense. Ces exemples montrent que le service peut jouer un rôle moteur en
faveur de la cohésion sociale. Quant à la question du coût très élevé d'un dispositif
obligatoire, doit-on plutôt considérer qu'il s'agit d'une charge ou d'un
investissement ?
Les arguments avancés pour défendre le caractère obligatoire d'un service civil
sont principalement :
- la nécessité d'un brassage social que l'école assure imparfaitement comme le
souligne l'actuel débat autour de la carte scolaire ;
- la volonté de faire prendre conscience que la citoyenneté est un ensemble de
droits et de devoirs.
31
Mais il s'agit d'accueillir toute une classe d'âge, soit 800 000 jeunes (820 000
jeunes participaient en 2004 à la JAPD), et de leurs trouver une tâche utile et
valorisante. L'initiative est estimée entre 3 et 9 milliards d'euros, et peut s'avérer
très complexe du fait des infrastructures qu'il conviendrait de mettre en place.
Pourtant d'autres pays européens ont réussi à mettre en œuvre un tel service.
Désormais porté par plusieurs candidats (ou candidats à la candidature) à la
prochaine élection présidentielle, ce projet ne peut manquer de nous interroger.
Comment accueillir et former des effectifs importants de jeunes ? Comment trouver
des activités correspondant aux aspirations et à la qualification de toute une classe
d'âge ? Quel coût ce projet peut il représenter ? Quels seront les gardes fous pour
un dispositif qui doit se garder des erreurs du service militaire, critiqué pour les
concessions faites à son caractère universel et les dérives des exemptions
accordées ? Comment l'État parviendra à s'assurer que les jeunes de Neuilly feront
du soutien scolaire dans les banlieues du 93, ou que les jeunes de Vaulx-en-Velin
feront de l'humanitaire en Asie du sud ? Qui estimera que le jeune sera en capacité
technique et humaine d'aider une personne âgée par exemple ? Les activités
créées dans le cadre du volontariat ne viendront elles pas concurrencer l'emploi ?
La crédibilité d'un nouveau projet ne risque t'elle pas de souffrir des errements de
ces dix dernières années sur ce sujet ? Surtout comment s'assurer de l'adhésion
de la jeunesse à un projet d'une telle envergure ?
Le débat qui s'ouvre est un enjeu de société…
Ce qui se dessine autour de ces débats sur l'action civile, c’est donc l’affirmation
des valeurs d’une société en recréant des lieux de brassage et d’apprentissage. La
mixité sociale et l'engagement ne peuvent que se renforcer si les pouvoirs publics,
comme le secteur privé et les associations, répondent à de réels besoins sur la
base d’un dispositif d’accompagnement et de valorisation des acquis. Le secteur
de la défense doit d'ailleurs y trouver sa place, en mettant l’expérience de
l’institution militaire au service des jeunes, en particulier de ceux qui sont en
difficulté.
Au-delà des moyens et de l'organisation que nécessite un service civil, c'est
surtout son acceptation sociale qui reste en débat. Le sentiment patriotique ne peut
résulter de la seule contrainte, mais l'action civique doit rappeler, par l'échange, le
sens de la fraternité et de la solidarité. Finalement, la jeunesse n'adhèrera à un
projet aussi ambitieux qu'en retirant de telles expériences le sentiment d'avoir été
utile et d'avoir appris.
32
Charles de MARCILLY1
L’Europe de la Défense : une réalité concrète ?
NDLR : L’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’IHEDN (ANAJIHEDN) et l’Association franco-allemande de l’IEP, ont organisé le 22 mai dernier
à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, une conférence intitulée « l’Europe de la
Défense : une réalité concrète ? ».
Les généraux Jean-Paul Perruche (ancien chef d’Etat-major de l’UE),
Emmanuel Beth (Chef du Centre de planification et de contrôle des opérations du
Ministère de la Défense) et Harald Quiel (attaché militaire allemand à Paris) ont
ainsi fait partager quelques éléments de réflexions stratégiques devant un
amphithéâtre de passionnés !
Pour ceux qui n’ont pu participer, l’IPSE se réjouit de pouvoir en offrir, ici,
l’essentiel du compte rendu de ce passionnant colloque, à travers l’évocation
détaillée que nous livre Charles de Marcilly, nouveau président de l’ANAJ-IHEDN
La dualité OTAN-Europe de la Défense est une problématique car l’OTAN s’est
imposée comme la structure dominante. Certes, depuis 1998 et le sommet de
Saint-Malo, il y a des avancées manifestes, mais il faut bien s’accorder sur le fait
que l’Europe de la défense reste modeste dans ses ambitions : elle n’a pas pour
objet de « défendre l’Europe » car il n’est pas question de concurrencer l’OTAN.
Certains pays pensent que l’UE devrait jouer un rôle plus important (France,
Allemagne, Belgique, Luxembourg…), tandis que les autres pays sont plutôt
atlantistes.
A l’heure actuelle, on constate une « progression pragmatique » démontrée par
la concertation avec les Etats-Unis. Mais les volontés européennes perdurent à
l’exemple du «sommet du chocolat » (Allemagne, France, Belgique, Luxembourg)
de Tervuren (qui proposait une structure permanente de commandement de l’UE).
Il lui faut donc trouver une raison d’être !
Comme l’a rappelé le Général Perruche, la mission principale de la PESD, dont
l’acte de naissance officiel est le traité de Nice de 2000, est la gestion de crise à
l’extérieur des frontières de l’UE. Son rôle se limite donc au maintient de la paix et il
n’y a pas de duplication avec l’OTAN. En effet, en décembre 2003, à Bruxelles, a
été mise au point la Stratégie de Sécurité Européenne. Ce document fixe le niveau
1
Président ANAJ-IHEDN
www.anaj-ihedn.org
33
d’ambition de l’Union européenne en tant qu’acteur global. Il énonce également les
différentes menaces auxquelles l’Union doit faire face : lutte contre la prolifération
des ADM, lutte contre le terrorisme (dans ce cas, extension du champ de
compétence car le terrorisme ne s’arrête pas aux frontières, tout comme les
réseaux mafieux et les crises extérieures d’où la nécessité d’une analyse
plurinationale), et l’élaboration d’une « politique de voisinage de sécurité ».
L’atout principal de l’UE consiste donc en une approche globale avec une
particularité : son organisation hybride. L’absence de chaîne de commandement
opérationnel à titre permanent entraîne le recours à l’OTAN, aux cellules civilomilitaires, ou aux nations cadres1.
La force d’intervention se traduit par le fait que le Congo soit la 15ème opération
de l'Union Européenne. Il y a eu 4 opérations militaires, les autres ont été civilomilitaires ou civiles (rule of law, monitoring, police…).
La notion de nation–cadre a également interpellé. Elle prend le leadership dans
la mission afin d’assurer la coopération entre les participants. La mission Artémis
était cornaquée par les français, la MONUC au Congo par l’Allemagne (la France
est le deuxième pays représenté). A ce propos, la présence du général Quiel a
permis de rappeler la place de l’Allemagne dans la défense européenne. En dépit
des contraintes institutionnelles allemandes et la relative absence de « tradition
coloniale » en Afrique, cette mission est considérée comme un test pour la PESD
et le rôle du couple franco-allemand.
Le Général Quiel souligne que l’Allemagne a été une puissance militaire dès la
création de la Bundeswehr et qu’elle avait des interventions humanitaires (par
exemple en Afrique avec des logisticiens, des soldats du génie et plus
généralement tout ce qui concernait l’aide au développement). Il note que cette
volonté est également politique. Si la chancelière ne dispose d’aucun pouvoir quant
à l’envoi des troupes allemandes car cela dépend du Parlement, il faut convenir
que jusqu’à présent, ce dernier n’a jamais refusé une intervention.
Si l’Allemagne reste un fervent partisan de la PESD, il faut prendre en
considération son attachement à l’OTAN « qui est l’alliance qui a préservé la paix
». Il n’est donc pas question de l’abandonner, d’autant plus dans l’hypothèse où
l’une des deux structures « ne voudrait pas agir ».
Il est clair pour l’ensemble des intervenants que l’engagement européen est sous
le prisme de la coopération franco-allemande. Pour illustrer ce propos, les cas
concrets de l’intégration d’Allemands au CPCO (Centre de Préparation et de
Conduite des Opérations) à Paris et de Français à Potsdam
(Heeresführungskommando) sont significatifs. Il existe donc des contacts très
réguliers à tous les niveaux hiérarchiques de la participation aux exercices
européens. Aujourd’hui le travail en commun est donc une réalité.
1
Cinq Etats : France, UK, Allemagne, Italie et bientôt la Grèce qui se déclarent prêtes de multinationaliser leurs états-majors
34
La perception de la PESC est donc globalement positive car les structures
fonctionnent et évoluent favorablement. La capacité à fédérer différents acteurs est
louée car l’OTAN ne le fait pas encore (capacité de financement, sécurité,
assistance etc.). Mais les intervenants n’oublient pas de montrer que l’image n’est
pas parfaite. Sa définition peut laisser des zones d’ombres…Vue « d’en bas » la
difficile communication inter- piliers est perfectible.
L’Agence de défense européenne a pour conséquence une perte de puissance
de l’UE due aux doublons (duplications). « On atteint à peine 40% des dépenses
américaines mais si on obtenait ne serait-ce que 40 % de leur efficacité, ce serait
un gain de puissance énorme ». Il est évident que l’on fait des économies au
travers de programmes uniques. Il faut espérer également la rationalisation de la
base industrielle et une recherche plus développée.
Un jeune de l’ANAJ pose néanmoins la question que tout le monde se pose : «
pour parler d’Europe de la défense, 2 acteurs majeurs sur 25 états membres est-ce
bien suffisant ? » A cette interrogation, le général Perruche répond : «
Théoriquement, l’élargissement devrait permettre de se renforcer. En pratique il est
à présent plus difficile de prendre des décisions.
Le problème consiste en l’intégration simultanée de 10 nouveaux membres dont
la culture est légèrement différente en ce qui concerne le traitement des questions
de sécurité et de défense. Mais après deux années de pratique, on peut affirmer
que l’acculturation s’est bien faite dans l’ensemble. »
A la lumière du colloque, il apparaît que l’Europe de la défense est une réalité
par le champ de ses interventions, mais que la dualité avec l’OTAN doit encore être
définie.
Plus que concurrence, la notion de complémentarité souhaitée vient
spontanément à l’esprit. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un avec l’autre. Cette
relation est, sans aucun doute, encore à imaginer. De même que l’union
européenne s’est façonnée à l’initiative de quelques membres fondateurs, il
apparaît clair que l’Allemagne et la France jouent ce rôle moteur sur les questions
de défense et de sécurité à l’heure actuelle. Sous nos yeux apparaissent les
premières pierres de ce système de défense commun. Espérons qu’elles sauront
être portées par la même vision d’avenir que celle qui avait motivé les fondateurs
du traité de Rome.
35
Freddy NZE EKEKANG1
Le retour de la stratégie des moyens :
La Force de gendarmerie européenne
Les espoirs portés par avancées institutionnelles prévues par le projet de traité
se sont pour l’instant envolés après le « Non » des Français et des Néerlandais.
Pourtant, malgré ce non au projet de constitution, l’Europe de la défense continue
et doit continuer. C’est le sens de l’intervention de Michèle Alliot-Marie à Bruxelles
au sommet de l’OTAN le 9 juin 2006. Dans les faits, la construction de l’Europe de
la Défense se poursuit, cela sur la base du traité de Nice. Certes, Nice est
considéré comme un traité imparfait, mais ce texte a au moins pour lui d’introduire
un cadre minimum à l’exercice de l’Europe dans le domaine de la défense.
En marge du cadre institutionnel, c’est véritablement sur des résultats concrets
que l’Europe de la défense progresse : l’Agence de l’Armement est effective, les
Groupes tactiques 1500 et la Force de gendarmerie européenne (FGE) sont
devenus des réalités, la montée en puissance de ces structures étant
indépendante du projet de traité qui a été rejeté.
La FGE constitue une capacité toute nouvelle pour la PESD. Comme le détaille
le Ministère de la défense, un premier exercice sur table s’est déroulé à Vicenza
(Italie) en avril 2005 dans le but de familiariser l’état-major de la nouvelle force
européenne de gendarmerie. Sa montée en puissance s’est effectuée lors d’un
exercice organisé du 15 au 17 juin 2005 au centre national d’entraînement des
forces de gendarmerie de Saint-Astier. Inspirée de l’Euroforce, elle met en place un
état-major permanent dédié et des capacités tournantes entre les différents pays.
Conduisant son propre entraînement, elle a vocation à être rapidement déployable.
Le bon déroulement d’EGEX 06 a permis de déclarer la FGE en «pleine capacité
opérationnelle » par le comité interministérielle de haut niveau (CIMIN) chargé de
son pilotage. Cette déclaration est un préalable à un premier déploiement de la
Force.
La création de cette force a été approuvée par la déclaration d’intention signée
par les différents ministres de la Défense à NOORDWIJK (Pays Bas) le 17
septembre 2004. Elle réunit l’Espagne, l’Italie, les Pays Bas, le Portugal et la
France, et pourra s’élargir à d’autres Etats européens. Le général de gendarmerie
Gérard Deanaz a été nommé premier commandant de l’EUROGENDFOR à l’issue
de la réunion du comité politico-militaire de la FGE le 21 janvier 2005.
L’EUROGENDFOR s’organise en quatre modules :
1
Consultant EUROCRISE-AIS
Diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Internationales (Groupe CEDS)
Ancien Chargé de mission auprès de la Commission défense de l’UEO.
36
• L’Etat-major multinational, nécessaire à la planification amont, au déploiement
et au commandement de la force de gendarmerie européenne ;
• un groupement opérationnel, composé d’escadrons de gendarmerie mobile ou
d’unités équivalentes, orienté sur les missions de sécurité publique générale et de
maintien de l’ordre public ;
• une compagnie de personnels spécialisés, dans les missions de police
judiciaire, de lutte contre la criminalité organisée, de recherche et d’exploitation du
renseignement, de protection de personnalités ou de témoins, de contrôle des flux
de populations, de lutte antiterroriste et d’interventions spécialisées, travaillant en
accompagnement des escadrons de gendarmerie mobile ;
• une compagnie logistique capable d’assurer le soutien de la force.
La FGE est susceptible d’intervenir à différentes phases de la crise :
• phase militaire de la crise : la FGE est engagée dans le sillage de la force
militaire, elle assure des missions de sécurité publique générale et des actions de
police judiciaire ;
• phase de transition - crise de moyenne intensité : la FGE poursuit sa mission
tout en facilitant la coordination et la coopération avec des unités de police ;
• phase de théâtre stabilisé : la FGE sous autorité civile internationale, facilite le
passage à des actions de coopération ou peut être désengagée ;
• engagement de la FGE à titre préventif : en l’absence de force militaire
préalablement déployée, la FGE. est utilisée dans des cas particulièrement
identifiés.
La FGE possède une capacité initiale de réaction rapide d’environ 800
personnes sous un délai de 30 jours. Elle doit pouvoir couvrir tous les aspects
d´une opération de gestion de crise, principalement en mission de substitution. Elle
est prioritairement mise à disposition de l’Union européenne, puis d’organisations
internationales (O.N.U., O.T.A.N., O.S.C.E.), ou de coalitions ad hoc.
Le rapport intitulé « Le rôle de la Force de gendarmerie européenne », élaboré
par la Commission de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale
(UEO), invite les Etats européens à prendre pleinement conscience « de la mise en
place de la Force de gendarmerie européenne et de ses activités, et de son
potentiel à jouer un rôle positif dans les opérations de gestion des crises».
Il est proposé dans ce rapport, que les déploiements de gendarmes soient suivis
par les parlements nationaux et l’Assemblée de l’UEO et il est demandé de
réfléchir à la mise en place d’un système de rotation afin de disposer en
permanence de deux unités de gendarmerie intégrées (IGU) capables d’effectuer
des missions de maîtrise de l’ordre public et autres missions de police.
37
Anticipant les conflits futurs, l’Union européenne systématise et institutionnalise
ce recours aux moyens civilo- militaires. Cette décision répond à un constat
récurrent sur les nouveaux besoins en matière de gestion de crise. En Bosnie et en
Haïti par exemple, les forces civiles de police avaient été intégrées dans des
opérations militaires non seulement pour des fonctions de sécurité mais afin de
rétablir la justice et les institutions dans les sociétés en plein dysfonctionnement,
traumatisées par la violence et le chaos, où les institutions se sont effondrées.
Le rôle croissant de la police civile représente un aspect singulier des opérations
de paix et correspond à un élément intégral de l'interaction complexe entre le
maintien de la paix assuré par les forces armées, la reconstruction politique et
l'assistance humanitaire. La FGE est, ainsi, conçue comme un outil policier intégré
appréhendant ainsi la fonction policière de manière globale, regroupant l’ensemble
des missions qui lui sont attachées (maintien de l’ordre, sécurité publique, police
judiciaire, recherche et exploitation du renseignement).
Outil de transition de la gestion de crise, la FGE pourra dans ces conditions
exercer l’ensemble de ses missions aussi bien sous commandement militaire, dans
le sillage du dispositif de puissance lors d’un conflit de haute intensité, que lors de
la mise en place d’un régime démocratique sous autorité civile.
Un continuum spatio-temporel entre forces militaires et policières est un gage de
succès de ce nouvel outil de la PESD dans la gestion de crise. Le rôle militaire des
États intervenants et des organisations internationales (OTAN, ONU, UE) se
poursuit au-delà de la fin des hostilités qui ne représente que le début d'une
transition vers la paix. Le désarmement immédiat des combattants par les forces
armées, seul acteur capable d'initier une telle dynamique de nation-building dans
un environnement post-conflictuel par le rétablissement préalable de l'ordre
précède la prise de responsabilités et du contrôle par la force civile de police.
38
39
40
France-Otan : vers un rapprochement
doctrinal ?
André DUMOULIN (sous la dir. de)
Éditions Bruylant, collection Réseau Multidisciplinaire
d’Etudes Stratégiques (RMES), 2006, 322 pages, 70 euros
Emmanuel DUPUY
Le Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques (RMES), sous l’égide de
l’universitaire belge André Dumoulin, Maître de conférence à l’Université de Liège
et à l’Université libre de Bruxelles par ailleurs attaché à l’Ecole Royale Militaire
(Bruxelles), est un espace unique de débats et de synergies en matière de pensée
et de recherche stratégiques, d’analyse des équilibres géopolitiques et des
questions militaires.
Cet ouvrage collectif autour d’une douzaine de chercheurs et d’analystes de
nationalités belge, vise à examiner les positions défendues et choix doctrinaux
prônés par la France, à un moment charnière de l’histoire ô combien contrastée
liant la France à l’OTAN.
Il est en effet particulièrement intrigant, quarante ans après la crise qui a vu la
France du Général de Gaulle quitter, en juillet 1966, la structure militaire intégrée
de l’Alliance Atlantique (avant de réintégrer le commandement militaire en 1995) de
constater cet indéniable « rapprochement doctrinal » autant que technologique qui
conditionne un lien transatlantique évolutif, évoqué tout au long de cet ouvrage.
Ce travail minutieux examine successivement les fondements de la politique de
défense globale nationale, la « stratégie atlantique » de la France, les avancées et
écueils quant au degré d’autonomisation de la politique de défense et sécurité
européenne, ainsi que les visions quelque peu divergentes de la géopolitique selon
que l’on se situe à Washington, à Paris, à Bruxelles ou à Mons, au SHAPE
(commandement européen de l’OTAN)…
La seconde partie nous permet également de nous interroger sur la réalité de ce
concept, en brossant un tableau des plus complets qui conditionne ce
rapprochement autant qu’il légitime une certaine forme de répulsion et de
méfiance, du moins, médiatiquement perceptible. Ce sont ainsi les domaines
traditionnels de la souveraineté (nucléaire, industries de défense, lutte antiterroriste, OPEX) qui sont passés au crible de cette relation duale, ou s’inscrivant
dans un jeu à triple bandes, si l’on prend en compte l’élément de plus en plus
structurant de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).
Cette étude, tout en relevant un certain paradoxe, voire des contradictions
évidentes entre l’entente opérationnelle sur le terrain et les discours politiques qui
font de l’OTAN un repoussoir communément évoqué, en premier lieu duquel quant
41
au retard à l’allumage de la PESD permets de se rendre compte combien la
France, engagée concrètement dans l’OTAN, cherche à le faire savoir le moins
possible, tout en cherchant à rattraper son retard et peser un temps soit peu quant
à des décisions qui engagent ses forces armées sur le terrain…
Or, force est de constater une certaine cohérence malgré tout dans les choix
français, comme le fait l’amiral Jean Dufourcq, responsable de la division
recherche du Collège de défense de l’OTAN à Rome, pour qui « la France souhaite
adopter la posture d’un pays qui veut aujourd’hui sous les couleurs tricolores ou
européennes, jouer sa partition responsable au sein d’une Alliance qu’il a contribué
à faire naître et qu’il voudra essayer de faire évoluer selon la vision qu’il a du
devenir du monde occidental ». La lutte contre le terrorisme international est ainsi
là pour nous rappeler combien sont liées les parades et moyens à mettre en œuvre
collectivement contre ces menaces asymétriques, imposées par les attentats du 11
septembre, puis ceux de Londres et de Madrid. Si cela ne suffisait les formidables
enjeux liés aux défis capacitaires sont là pour nous rappeler combien la
coopération demeure vitale.
Ce réalisme géopolitique « à la carte », s’appuierait ainsi sur une vision d’intérêts
nationaux assumés, tout en cherchant à inscrire son action dans le multilatéralisme
actif contingent à l’émergence d’une stratégie autonome en matière de défense et
de sécurité européenne, au moins depuis décembre 1998, justifie dès lors la
nécessité de rattraper le retard subi par quarante années de mise à l’écart des
prises de décisions au sen des instances bureaucratiques otaniennes et d’inscrire
désormais son action en priorité en tant que « Nation-cadre » dans les missions
multinationales de gestion de crise, autant que faire ce peut, légitimée par l’ONU…
Les riches contributions des chercheurs du réseau du RMES réussissent-elles
ainsi le tour de force de dresser en 322 pages le bilan tout en nuance de cet
inéluctable lien marqué par une relation « d’association-rivalité » entre l’Otan et la
France, conditionnée tant par la prise en compte - somme toute tardive - en France
du concept de Révolution dans les Affaires Militaires (RAM, datant pourtant de
1991, tendant à l’hyper-sophistication dans les moyens et réponses militaires) que
par l’interopérabilité des doctrines et d’emploi des forces. Phénomènes
intrinsèquement liés voire accélérés par le concept dit de "Berlin +" quant à la
gestion des crises qui permet l’accès de l’Union européenne aux moyens et
capacités collectives de l’Alliance.
D’ailleurs une des principales qualités des cet ouvrage, outre sa précision et la
pédagogie de ses propos quant aux concepts évoqués, tient sans doute dans la
démarche analytique rigoureuse expliquant parfaitement à la fois la justification de
la singularité nationale et l’évidente convergence technologique, ne serais-ce qu’à
travers les terrains d’opérations où se côtoient les forces en présence.
Plusieurs exemples récents et en cours conditionnent désormais cette relation
ambivalente. Comme en témoigne les opérations extérieures passées sous
pavillon PESD (opérations Artemis à Bunia en 2003 et Congo prochainement,
EuFor au Kosovo, Altéa en Bosnie), celles sous pavillon OTAN (IFAS en
Afghanistan, Mission Concordia en Macédoine) ou encore la « concurrence42
complémentarité » existante tant en matière de renforcement des capacités
africaines de maintien de la paix (Renforcement des Capacités de Maintien de la
Paix – RECAMP lancé par la France en 1998 / Programme ACOTA African
Contengency Training and Assistance depuis juillet 2003 sous l’égide des
Américains).
Ses visions contradictoires quoique parfois complémentaires peuvent également
légitimer d’un côté la nouvelle politique de bon voisinage de l’UE (notamment en
direction de l'Europe du Sud-est du Caucase et des pays du pourtour de la mer
Noire) en même temps que l’Otan privilégie la cadre de dialogue offert par le
Partenariat pour la Paix (PpP, érigé en sas d’entrée à l’Otan depuis la dislocation
de l’Empire soviétique et la disparition du pacte de Varsovie).
D’où la prégnance d’analyser les aspects particuliers liés à des visions
géopolitiques régionales différentes, tant vis-à-vis des prochains élargissement de
l’UE cadrant peu ou prou avec ceux des nouveaux et futurs promus au sein de
l’OTAN (Slovénie, Roumanie, Bulgarie qui ont déjà poussé la porte de l’Alliance et
ceux qui aspirent à entrer dans les deux organisations, Croatie et Macédoine
demain, Ukraine et Monténégro après-demain…) que dans le cadre de la
concurrence acharnée qui se livre dans l’espace euro-méditerranéen entre les
différents espaces de dialogue (Dialogue 5+5, Processus de Barcelone, Dialogue
méditerranéen de l’Otan depuis février 1995), mettant ainsi en relief la crise qui
avait agité la France et l’Alliance au sujet des commandements régionaux et le
contrôle de l’AFSOUTH en 1996-1997.
Ce panorama étoffé offre un cadre d'analyse pertinent quant à la « consolidationautonomisation-approfondissement » du concept de PESD...en lien avec l’OTAN.
Celui-ci s'exprime d’ailleurs de plus en plus dans un besoin d'exporter une vision
propre de la sécurité en dehors de l'UE, apte à convaincre son « associé-rival »
qu’est l’OTAN, entre autres, de la volonté européenne d'être un acteur global. Cette
vision extérieure de l'Union cherche ainsi à s'inscrire constamment dans le cadre
du multilatéralisme onusien, comme le révèle dans le même temps le nouveau
concept de l’OTAN de 1999, rappelé lors du Sommet d’Istanbul en 2004.
Rappelons, à cet effet, que Javier Solona définissait, à travers l'élaboration de la
Stratégie européenne de sécurité adoptée en décembre 2005, l'utilité de la PESC
dans ces termes : « une sorte de philosophie générale de l’action dans le monde »
assimilant implicitement le concept onusien de « responsabilité de protéger ». La
sécurité européenne s'inscrirait ainsi désormais dans un nouveau modèle
volontariste dès lors que l’ONU reste l’enceinte chargée de légitimer le recours à la
force européenne.
Cependant,
cette
vision
normative
d’une
«
Europe
puissance
pluridimensionnelle» (basée sur des valeurs, une Constitution, des droits
fondamentaux, des capacités d'action, une diplomatie volontariste…) semble tout
de même teintée de gradualisme prudent comme l’indique André Dumoulin. La
défense européenne, fortement marquée encore par Clausewitz devant plutôt «
construire » de la coercition pour arracher des concessions, partant du
diplomatique pour se terminer par le militaire en dernier recours. Bref, la guerre
43
comme continuation de la politique avec l’intrusion de l’autorité politique, parfois,
jusque dans l’action militaire tactico- opératoire.
C’est ce subtil équilibre de la Puissance qui est en jeu entre la France, grande
puissance en passe de perdre ses atouts, l’OTAN, conditionnée encore mais pas
seulement par la puissance américaine et une Union européenne aujourd’hui à 25,
demain à plus de trente Etats membres qui à travers une PESC et une PESD
encore hésitantes - se cherche encore une voie et une voix sur la scène
internationale.
A cet égard le modèle d’armée 2015 évoqué à travers cet ouvrage, à savoir
l’intégration du concept de gestion info-centrée des opérations militaires, tout en
tenant compte des apports liés au savoir-faire nord-américain) rejoint-il l’excellente
idée de la tentative de rédaction en 2004 d'un Livre blanc européen sur la sécurité
et la défense européenne, entre autres grâce au dynamisme déployé par André
Dumoulin, lorsque celui-ci évoquait comme dans cet ouvrage collectif
l’indispensable prise en compte de la plasticité diplomatico- militaire, qui pourrait se
caractériser par la « volonté de préserver les alliances, la nécessité de partager les
coûts, de maintenir l’autonomie nationale de décision tout en prenant en compte la
multinationalisation des opérations extérieures (…) ».
Il en va, en effet, de la capacité de la France à transformer l’OTAN, afin de faire
mûrir la PESD, car après tout les Etats-Unis ne sauraient agir seuls partout, sans
garde fou, comme le rappelait Condolezza Rice récemment.
La France, l’Europe, l’OTAN : une
approche géopolitique de l’atlantisme
français
Jean-Sylvestre MONGRENIER
Éditions UNICOM, collection Abécédaire Société Défense Européenne-, 2006, 18 euros
Georges-Henri BRICET Des VALLONS
Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique, l’auteur affiche clairement dans
cette étude son parti pris pour l’OTAN. Manifestement hostile à la politique
d’autonomie stratégique gaullienne et à l’émergence d’une Europe de la défense
dégagée de l’orbite américaine, l’auteur envisage l’alliance euro-américaine comme
la seule réponse possible aux défis sécuritaires post-11 septembre. Sa proximité
avec la pensée « réaliste » des néo-conservateurs américains est assez explicite. Il
reprend d’ailleurs comme motif structurant le syllogisme du « fossé »
44
budgétaire/capacitaire entre américains et européens développé par Robert Kagan
dans son livre « La Puissance et la Faiblesse ». Le principal mérite de cet ouvrage
est de rappeler – à rebours du simulacre de rupture qu’a représentée la prise de
position chiraquienne à l’occasion de la guerre d’Irak – la remarquable continuité
de la politique atlantiste de la France.
Disqualifiée par l’auteur comme faussement « héroïque », la décision du général
de Gaulle de rompre avec l’OTAN constituerait la matrice d’une fantasmatique antiaméricaine déconnectée des réalités stratégiques du contexte polémologique
contemporain, chimère qui aurait tendance à distordre la perception de la force et
de la constance du lien transatlantique. Il montre avec justesse à quel point les
réticences gouvernementales à l’égard de l’OTAN, qualifiées de « dissonances
cognitives », sont une façade qui relève avant tout de l’affichage politique et
démagogique.
Si cette étude constitue indubitablement un solide outil documentaire pour qui
veut avoir à sa disposition un panorama relativement exhaustif des problématiques
atlantistes qui structurent le débat stratégique français, on peut lui reprocher son
caractère par trop descriptif et formel. En effet la concaténation de réalités
historiques et factuelles ne saurait à elle seule constituer un argumentaire tangible
en faveur de la sécularisation otanienne de la politique de défense française. Sans
doute l’ouvrage trouve-t-il là sa borne génétique : moins argumentaire que mise en
scène d’une vérité de facto, le plaidoyer s’instruit de sa propre tautologie, comme si
le constat de la pérennité de l’alliance euro-atlantique constituait à lui seul un
dogme stratégique incontournable.
Nombre d’arguments développés par l’auteur sont d’ailleurs facilement
réversibles, car n’est-ce pas justement la mainmise de l’OTAN sur les politiques de
défense des Etats-membres de l’Union qui entrave le développement capacitaire
d’une véritable Europe de la Défense, évolution évidemment crainte et retardée par
les Etats-Unis ? Précieux donc par son détail documentaire, cet ouvrage reste
problématique d’un point de vue idéologique. Des points d’achoppement majeurs,
comme la guerre d’Irak ou la question de l’article 41 du défunt Traité de
Constitution supranationale, sont ainsi relégués au rang de simples
épiphénomènes.
La préface de Pierre Lellouche, thuriféraire bien connu de la solidarité
transatlantique, qui tend à poser l’atlantisme dans une posture victimaire et
marginale alors qu’i est majoritaire dans les sphères de décision gouvernementale
et militaire, ne fait que rajouter à ce sentiment de malaise. Sans doute faudrait-il
rappeler à Mongrenier cette phrase d’Alain Joxe : « En tant que modèle de
technicité interarmées, interalliée, inter-agences et facteur de perfectionnement
électronique, l’OTAN peut séduire des intérêts militaires professionnels, ou des
dynamiques techniciennes d’entreprises, mais cela ne peut remplacer un accord
stratégique et politique profond sur des raisons communes de s’allier dans des
guerres. » En effet, la défense de l’alliance euro-américaine, surtout quand elle va
à l’encontre des intérêts stratégiques nationaux et de la souveraineté populaire,
n’est-elle pas un « chemin qui ne mène nulle part » ?
45
Israël-Palestine, une guerre de religions ?
Elie BARNAVI
Collection Guerre et Religion, éditions Bayard-Bnf, Paris,
2006, 62 pages, 6,90 euros
Du Jihad à la Fitna
Gilles KEPEL
Collection Guerre et Religion, éditions Bayard-Bnf, Paris,
2006, 61 pages, 9 euros
Emmanuel DUPUY
Les éditions Bayard, la revue Histoire et la Bibliothèque Nationale de France ont
eu l'excellente idée d'éditer les conférences de son cycle consacré au lien entre
guerres et religions. Les deux ouvrages évoquent avec la même cohérence et le
même optimisme le rapport entre religions et politique en général et des violences
commises en son nom en particulier.
L'universitaire Gilles Kepel, Directeur de recherches au CNRS et le diplomate
Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France, historien de formation, mus
par le même discours marqué par la Raison, nous rappelle combien le sens des
mots est essentiel pour mieux appréhender de thèmes qui relèvent de l’Universel.
L'aspiration à la démocratie, qui existe bel et bien au Proche-Orient serait ainsi pris
en tenaille par des conflits identitaires qui puisent dans des interprétations
politiques et religieuses qui ne sont pas sans rappeler les guerres de religions qui
ont secoué l'Europe au cours des siècles passés.
Le cœur du propos que l'on retrouve à travers ses pages des deux ouvrages
richement documentées, à lire en écho l'un à l'autre, réside justement dans ce
précieux éclairage qui permet de comprendre comment deux visions laïques du
monde, le nationalisme arabe, tout comme le sionisme, ont pu céder le pas à de
véritables guerres de religions.
Dès lors, s'agit-il de mieux comprendre à travers le monde arabo-musulman et
l'histoire, la polysémie des deux termes structurants de la doctrine islamique, que
sont le Jihad et la Fitna.
Au-delà de la seule notion de guerre sainte communément associée au Jihad, ce
dernier relève également d'une vision positive, marquée par l'effort personnel à
travers la religion musulmane. En même temps, la Fitna, synonyme de sédition et
de destruction interne se révèle aussi être un puissant facteur de tempérance à
l'égard du Jihad, justement.
46
Ces deux ouvrages rafraîchissent ainsi la compréhension de tout un chacun au
regard d'un Islam complexe et multiforme et qui prend, en particulier, au ProcheOrient, où le sacré est pris en otage par les zélateurs, des allures de ce conflit des
civilisations, pourtant récusé par beaucoup.
La lecture simultanée de ces deux opuscules offrira ainsi une meilleure
compréhension des tenants et aboutissants d'une situation ô combien complexe,
gage d'une connaissance réciproque, apte à contenir le fondamentalisme qui joue
sur les peurs et la mystification.
La guerre en réseau au XXIème siècle
Internet sur les champs de bataille
Jean-Pierre MAULNY
Collection “Echanges”, éditions du Félin, Paris 2006, 119
pages, 9,90 euros
Julie PARRIOT
Le thème développé dans l’ouvrage en question est l’émergence et le
développement de la Network Centric Warfare (N.C.W.), soit la « guerre centrée
sur l’information en réseau » dont l’origine est nord-américaine.
L’auteur, Jean-Pierre MAULNY est l’un des deux directeurs adjoints que compte
l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (I.R.I.S.) ; il est responsable,
au sein de cette organisation, des questions liées à l'industrie d'armement et aux
ventes d'armes.
Ce travail bénéficie d’une préface prestigieuse, celle du Général PERRUCHE,
directeur général de l’Etat-major de l’Union Européenne.
Les néophytes en matière d’informatique et de stratégie militaire pourraient
appréhender une telle lecture, cependant l’auteur a le mérite d’établir un constat
clair en la matière, à travers notamment un glossaire ainsi qu’un historique
complet, et néanmoins simple, de l’Internet et des Nouvelles technologies qui en
découlèrent. Notons à ce propos que la naissance d’Internet est due à la nécessité
pour les savants nord-américains de communiquer entre eux. Internet n’est pas né
d’un programme militaire mais est né au sein du monde militaire ; plus exactement
internet fut financé et élaboré au sein de l’Agence de Recherche Militaire.
Le concept de guerre en réseau résulte de ces nouvelles technologies ; il permet
une « économie des forces », une « concentration des moyens », et « rend à priori
disponible à tous les niveaux toute l’information possible ».
47
La N.W.C. est la capacité de relier les différentes armées et de récupérer des
informations données par les drones ou les satellites afin de pouvoir les
transmettre en temps réel dans le but de frapper plus vite et plus précisément.
Durant la première guerre du Golfe, une journée était nécessaire afin d’identifier
une cible avec des photos satellites, programmer une mission et enfin détruire la
cible ; cela prend désormais quelques minutes. La notion de temps réel est
devenue une vérité pour l’action militaire, et la communication revêt, de fait, une
importance primordiale.
Avec le NCW, les corps d’armée (marine, armées de terre et de l’air) sont
indissociés. Les principales implications de la guerre en réseau sont tout d’abord
l’organisation d’un network pour toutes les unités combattantes, puis le fait que la
force ne soit plus tributaire du nombre et, enfin, une modification de la hiérarchie
existante. Or un réseau ne s’avérera efficace qu’à condition qu’existent une réelle
décentralisation ainsi qu’une inter- opérabilité, le tout accompagné du principe de
subsidiarité. Le réseau ne peut accroître l’efficacité et la réactivité qu’à condition
que les structures et le système décisionnels soient adaptés en conséquence.
Les Etats-Unis ont élaboré le N.C.W. afin de «garantir la sécurité absolue de leur
territoire et de leurs intérêts par la voie militaire, ne plus dépendre du facteur
diplomatique pour assurer leur sécurité ».
A l’origine, il s’agit d’un concept politique et militaire dont les limites sont
néanmoins concrètes : le « N.C.W. tend à nier le facteur politique comme
paramètre de la sécurité et de la résolution des conflits ».
Le N.C.W. américain ont comme singularité de s’appuyer sur la loi de Metcalfe
(en résumé : la valeur de deux réseaux associés est plus grande que celle de
chaque réseau pris à part) ; ceci nécessite un partage d’informations d’où un
problème quand cela doit s’étendre au-delà du territoire américain.
Le développement du N.C.W. aux Etats-Unis justifia le gonflement du budget
consacré à la Défense. Les Européens ne sont pas en retard au niveau
technologique, seulement, ils n'ont pas les mêmes moyens financiers pour
développer leur armement. Or la gestion d’une politique commune européenne
n’est pas une évidence, les britanniques hésitant entre « tropisme US » et « réalité
européenne ».
Le Royaume-Uni adhéra au concept de guerre en 2002 ; le N.E.C. (Network
Enabled Capability) britannique sera axée sur l’accroissement de l’efficacité des
armées. En ce qui concerne la France, il faut parler d’O.R.C. (Opérations Réseaux
Centrés) et si le pragmatisme britannique est partagé par notre pays,
l’enthousiasme est moins marqué. Cela tient notamment à l’analyse des difficultés
engendrées par l’instauration d’une guerre en réseau : « son coût, sa complexité
et sa vulnérabilité » (le dernier point concerne la dépendance par rapport à
l’information d’origine technologique ainsi que son architecture).
48
Ainsi, la France parle plutôt de «Soldier Centric Network», et selon le précédent
C.E.M.A.T. (Chef d’Etat Major de l’Armée de Terre), le général Bernard Thorette,
«Les enseignements des opérations récentes montrent qu'il est sage de s'en tenir
à une «numérisation raisonnable du champ de bataille». L'homme reste ainsi au
centre du dispositif.
Les opérations militaires sont, dans leur grande majorité, menées dans un cadre
multinational ; il est de fait évident que les architectures nationales de guerre en
réseau devront s’harmoniser, la question étant quel modèle choisir : celui de
l’OTAN, de l’Union Européenne et celui des Etats-Unis ?
Le NCW n'est pas seulement une doctrine militaire de plus, «il est le reflet
des évolutions technologiques, mais aussi celui du modèle économique
américain».
La guerre en réseau fut inaugurée par les Etats-Unis en Afghanistan et en Irak,
et le succès relativisé : elle ne permet pas en effet de gagner la « guerre de la
paix ».
L’ultime paradoxe réside dans l’application civile : le réseau serait « aussi utile
pour gagner une guerre que pour prévenir la destruction de notre planète ».
Cet ouvrage passionnera ceux qui s'intéressent aux nouvelles technologies, à la
stratégie militaire et à leurs implications géopolitiques et économiques.
Les nouveaux visages de la guerre
Christian DELANGHE, Henri PARIS
Pharos - Jacques-Marie Laffont éditeur, mars 2006, 377
pages, 23 euros
Emmanuel DUPUY
Quand deux généraux, ayant occupé de hautes responsabilités militaires, des
commandements symboliques et dotés d'un solide sens de la prospective ainsi
qu'une connaissance approfondie de la géopolitique se mettent à écrire, inutile de
préciser que la langue de bois et la rhétorique sont bannies.
Christian Delangue, général de corps d'armée (c.r), Directeur de recherche à
l'Us-Crest (Center for Research and Education and Technology) et Henri Paris,
général de division (c.r), Président de l'association Démocraties, ont plusieurs
points communs, notamment d'avoir commandé tous deux la prestigieuse
49
deuxième Division Blindée, passée dans la postérité par un de leurs illustres
prédécesseurs, le maréchal Leclerc.
Placé sous l'égide de l'histoire lointaine et immédiate, de la polémologie et de la
réflexion stratégique d'avenir, cet ouvrage reflète parfaitement cet « art de la guerre
», inspiré par le stratège chinois Sun Tze, il y a plus de deux millénaires déjà.
Ces nouveaux visages de la guerre moderne peuvent se caractériser, entre
autres, par une nette tendance au réalisme en ce concerne l’analyse des moyens
capables d'être mis en œuvre dans la conduite de la guerre, haïe, mais pourtant
bien présente encore à l'aube du XXIème siècle.
Le constat dressé par les deux hommes est alarmant, entre légitimes critiques
quant aux promesses non tenues des responsables politiques en matière de
capacités militaires, d'emploi raisonné de la coercition - qui reste un moyen efficace
d'équilibre du jeu international - et juste charge contre la perception fallacieuse
selon la guerre serait devenue anachronique.
Les deux hommes en dressant ainsi un réquisitoire implacable contre l'attentisme
et les discours convenus tendant à maquiller la réalité des moyens stratégiques
nécessaires et disponibles sur des champs de bataille futurs, hélas ! toujours d'une
brûlante actualité, placent résolument leurs propos dans la nécessité d'un nouveau
modèle de sécurité et de défense à définir en commun avec nos partenaires, dans
le cadre d'un multilatéralisme à renforcer.
Face aux défis nombreux et fortement évolutifs de la « révolution dans les
affaires militaires » qui guident désormais la doctrine et l'emploi des forces armées,
encore faut-il avoir une connaissance approfondie des moyens et parades à mettre
en œuvre pour répondre ou mieux anticiper les menaces réelles et qui
conditionnent désormais les relations internationales.
Les facteurs belligènes, tant symétriques externes et d'ordre internes (qu’ils
soient diplomatiques et liées à la souveraineté ainsi que ceux principalement de
nature institutionnels, économiques, démocratiques et environnementaux,
implicites aux déséquilibres nés de la mondialisation) qu'asymétriques (en premier
lieu desquels le terrorisme international, les pandémies et les proliférations,
notamment nucléaire) pèsent, en effet, durablement sur la sécurité et la stabilité
internationale.
Plus que cela, cet ouvrage détaille aussi les vrais visages des outils de la guerre
qui sont d'ores et déjà opérants et auxquels nous pourrions avoir à faire face sur de
futurs champs de batailles traditionnels ou plus révolutionnaires, des sables du
Darfour, aux routes de l'information et de la communication ; à moins que notre
intelligence collective nous permette à l’avenir de résoudre systématiquement en
amont crises et conflits.
C'est cette ambitieuse réflexion globale qui guidera le lecteur à travers cet
ouvrage attendu et hautement détonnant.
50
Livre gris sur la sécurité et la défense
Général (2S) Loup FRANCART
Stratégies et doctrines – Economica. – 27 euros
Thierry COSTEDOAT1
L’actualité toute récente tant en Europe qu’au Proche Orient et les
enseignements stratégiques et tactiques conséquents à ceux-ci donnent une acuité
toute particulière à la publication du « livre gris sur la sécurité et la défense » rédigé
par le Général (2S) Loup FRANCART.
D’une lecture aisée car ne s’enfermant pas dans un style dont l’aridité des
termes le disputerait à une phraséologie initiatique, le « livre gris sur la sécurité et
la défense » est un document facile à lire, très pédagogique de part sa « richesse »
tant en ce qui concerne ses apports documentaires que la démarche retenue pour
les présenter. De plus, le choix fait par l’auteur de structurer son propos en sept
grands chapitres principaux qui sont autant de grands thèmes en souligne
également la pertinence et le grand intérêt mais en facilite également d’autant la
lisibilité, la compréhension et l’exploitation.
L’un des mérites majeurs de cet ouvrage est, sans nul doute possible, de
représenter une source importante d’informations de tous types toujours proposées
au lecteur de façon claire et très exhaustive. Le rappel et la présentation d’extraits
de textes tirés de rapports ou de déclarations d’organismes ou d’instances officiels
en renforce d’autant l’intérêt et en accroît le caractère pédagogique la démarche.
La première partie du livre que l’on pourrait physiquement caractériser par les
trois premiers chapitres permettent, de façon très exhaustive, de mieux découvrir la
perception que l’auteur se fait de la réalité du moment plus particulièrement en ce
qui concerne les trois thèmes majeurs que sont les évolutions géostratégiques du
moment, l’évolution des menaces et des risques et les dispositifs de défense et de
sécurité tels qu’ils sont pensés et mis en œuvre à ce jour. Cette démarche est
engagée de manière très précise voire analytique, ce qui permet de mieux
percevoir les attentes, les contraintes et les objectifs des principaux « acteurs »
mondiaux, cette approche étant notamment renforcée par une analyse spécifique
succincte s’intéressant à chacun de ceux-ci.
C’est ainsi qu’est présentée, de façon très pertinente, la différence dans
l’approche géostratégique entres les Etats – Unis d’Amérique et les pays de la «
vieille Europe ». La puissance « blessée » de l’Amérique, les « tâtonnements »
1
Directeur Général du CI2S
www.CI2S.org
51
géostratégiques de l’Europe toujours prise « en tenaille » entre sa volonté de
construire une politique propre sans toutefois distendre le lien partenarial avec nos
grands alliés américains. C’est aussi l’approche différente des une et des autres :
lien entre sécurité et autonomie de la nation pour les Etats – Unis alors qu’elle
repose plus spécifiquement sur une capacité à nouer des liens communautaires
pour les Européens afin de prévenir toute tentation de repli sur soi et
d’exacerbation des tendances nationalistes Toutes ces données sont ici présentés
avec une attention certaine que l’on retrouve également dans l’approche «
individualisée » des autres pays comme c’est le cas pour la Russie tiraillée entre sa
volonté de renforcer son influence sur les pays du défunt « empire soviétique »
mais aussi celle de garder son statut de grande puissance, la Chine à la croissance
économique phénoménale mais qui devra, tôt ou tard, faire face à des «
dysfonctionnements » intérieurs susceptibles de l’handicaper très sérieusement,
l’Inde , pays de haute technologie mais aussi pays d’analphabétisme de masse, ….
Les paragraphes concernant les relations entre l’Islam et l’Occident au travers
d’un rêve islamiste mais aussi l’approche concernant la France et cette « absence
de rêve français »n’en donne que plus de crédit au propos de l’auteur. De plus, ils
s’inscrivent tout à fait dans l’actualité « brûlante » du moment.
En un second temps, l’auteur nous permet de participer à son analyse par une
approche très pertinente du concept de sécurité nationale tant en terme conceptuel
qu’organisationnel ; une approche plus pragmatique dans le cadre de la lutte contre
le terrorisme et, enfin tout naturellement pour ce Général, par une réflexion plus
spécifique sur le rôle et la mission des forces armées dans le cadre de cette
démarche.
Le Général Loup FRANCART, notamment tout au long d’un chapitre spécifique,
tente de rapprocher les concepts de « sécurité » et de « défense » pour essayer
d’esquisser un nouveau concept autour de la « sécurité nationale » s’appuyant sur
une définition moins restrictive et plus élargie que ce qui n’existe pour l’heure. Au
travers d’un exposé structuré et de schémas spécifiques, il présente notamment les
trois « piliers » de ce qui pourrait devenir le socle d’une telle démarche mais aussi
les trois grands axes stratégiques qui pourraient participer de sa mise en œuvre.
En ce qui concerne le domaine spécifique du terrorisme, il propose un chapitre très
documenté faisant notamment référence à un certain nombre de textes existants et
en présentant quatre options « graduées » (de se protéger à l’extinction du
terrorisme). De plus, sa réflexion sur le volet militaire s’inscrit tout à fait dans cette
démarche au vue de l’évolution de la menace et de concepts différents en ce qui
concerne l’approche des différents alliés du camp occidental quant à leur
perception stratégique face à celle – ci.
Le « Livre gris sur la sécurité et la défense » par l’approche spécifique qu’a
développée le Général (2S) Loup FRANCART devrait, n’en doutons pas, susciter
l’intérêt chez de nombreux lecteurs sensibles à cette problématique.
52
Les défis d’une adhésion de la Turquie à
l’Union Européenne
Sous la direction de Erwan LANNON et Joël
LEBULLENGER
Collection “Rencontre Européennes”,
Editions Bruylant, Bruxelles, 2006, 349 pages, 65 euros
Julie PARRIOT
L’accord d’Ankara entra en vigueur en 1964 mais la Turquie attendit 1987 pour
proposer sa candidature à la Communauté Economique Européenne (C.E.E.). Elle
obtient le statut de pays candidat en 1999 et c’est en 2005 que s’est ouvert le
véritable débat sur son adhésion.
L’ouvrage dont il est question dans cette note propose une analyse à la fois
juridique, économique et politique des relations entre l’Europe et la Turquie ; le
résultat est une collaboration de plusieurs auteurs, le tout sous la direction
d’Erwann LANNON professeur à l’Université de Gand et de Joël LEBULLENGER
Professeur à l’Université de Rennes I (Chaire Européenne Jean MONNET), ancien
professeur au Collège d’Europe de Bruges.
Cette étude est orientée sous trois angles : les défis géopolitiques et
institutionnels d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne (U.E.), les défis
humains et sociaux et enfin les défis économiques et commerciaux.
Les “réseaux énergétiques autour de la Turquie constituaient un intérêt
stratégique prioritaire pour l’U.E.” et sa situation géographique fait d’elle le
“carrefour des deux périphéries actuelles de l’U.E.”. Ainsi, des problèmes liés au
domaine “Justice et Affaires Intérieures” (J.A.I.) et à l’Espace de Liberté de Sécurité
et de Justice (E.L.S.J.) apparaissent ; ceci constitue la “soft security” ou “facteurs
transnationaux de déstabilisation” (tels que les migrations illégales, le trafic d’êtres
humains et de stupéfiants).
Dans l’optique d’appartenance à l’espace Schengen, la Turquie se verra aidée
financièrement par l’U.E. afin de pouvoir adopter les standards communautaires
(administratifs et matériels) en matière de flux migratoires. Une “association” entre
l’U.E. et la Turquie, au sein de grands accords de coopération par exemple,
pourrait être envisagée mais uniquement dans un réel esprit de partenariat. A noter
que le manque de coordination de la lutte antidrogue est un point majeur en
défaveur de la Turquie.
La deuxième partie entend nous éclairer quant à l’image qu’ont les Turcs de
l’Europe, de ce qui pourrait rapprocher les deux populations ou les éloigner
(n’oublions pas que les Turcs se sont sentis blessés par le rejet des européens).
Traditionnellement la “vieille” Europe valorisera les droits de l’individu alors que la
Turquie tendra vers la notion de “famille” et plus largement d’Etat. Les textes
53
législatifs furent l’objet de réformes en la matière, réformes qui tardent pourtant à
être appliquées à propos des actes de torture, de gestion des manifestations …
(mais toujours rien en faveur des femmes ou des kurdes).
Réduire la libre circulation à la suite d’une adhésion de la Turquie à l’U.E. est
une considération qui a retenu l’attention et beaucoup inquiété. Intégrer
progressivement la population du nouvel adhérent ne serait plus envisagé, il
s’agirait dès lors de définir un statut particulier : celui d’un Etat membre à “droits
réduits” (intégration limitée en permanence).
Enfin, l’intégration économique est observée à travers ses avantages et ses
inconvénients : si l’économie turque atteint un niveau comparable à celui de l’U.E.,
saura-t-elle s’insérer au sein de l’union douanière ? En effet, l’union douanière se
traduirait par une coopération internationale et l’application des instruments de
défense commerciale. Or l’Union douanière est ambiguë : elle vise un partenariat
rapproché tout en instaurant nombre de dérogations, et en ce qui concerne la
Turquie, elle est ainsi passée de l’association à la demande d’adhésion.
Gardons en mémoire que la question de l’adhésion de la Turquie fut une des
causes de refus du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. De plus,
certains Français ne peuvent passer outre l’aspect religieux et “l’héritage Chrétien”
de la construction européenne. Le développement économique qui attire les Turcs
devra s’accompagner d’une « occidentalisation » et l’Etat Turc tend à multiplier les
réformes afin d’accéder aux critères de Copenhague ; c’est alors que les thèses
religieuses et culturelles resurgissent. Or la Turquie offre une image de “bon
voisinage” avec son islamisation modérée et serait un tremplin pour le Caucase et
l’Asie Centrale.
Les spécialistes de la politique vont montrer qu’en la matière “la question
fondamentale demeure celle de la légitimité populaire des choix effectués par les
élites”. D’aucuns noteront que “la charge financière de l’adhésion turque pour l’U.E.
correspond au montant de l’excédent commercial que cette dernière enregistre
dans ses échanges avec la Turquie.”
Et de nombreux turcs sont réticents à l’adhésion de leur pays à l’U.E. de peur de
voir leur développement économique ralenti du fait d’une “application intégrale des
normes européennes”. Les partisans de l’adhésion arguent que tout élargissement
aura un effet stabilisateur sur les frontières européennes. Les politiques inflexibles
quant à la non- adhésion de la Turquie (les fédéralistes ainsi que es
souverainistes) vont eux démontrer le contraire : cela ne ferait que développer
l’extrême- droite.
Si la Turquie devait adhérer à l’U.E. cela s’avérerait impossible avant 2014, date
d’ailleurs jugée politique puisque techniquement cinq années seraient suffisantes.
Les conclusions du Conseil Européen de décembre 2004 axent sur le
développement du processus de démocratisation (diminuer l’influence des
militaires en politique, lever l’embargo sur tout pavillon chypriote...). Reste encore
la solution proposée par certains politiques français et allemands : le statut de
partenaire privilégié dû au nombre élevé d’habitants turcs.
54
Dans ce recueil, la conclusion de Constantin STEPHANOU est la suivante : “
“Le plus grand défi sera (…) de convaincre les opinions publiques, car celles-ci
n’ont pas été préparées à la perspective d’une adhésion de la Turquie à l’Union
Européenne”.
Vers l’autonomie des capacités
militaires de l’Union européenne
Edouard PFLIMLIN
Collection Fondation Robert Schuman, 2006, 10 euros
Jean-Michel FLOC’HLAY1
Alors que la création d'une Défense européenne est un des souhaits des
citoyens de l'Union le plus souvent relevés dans les sondages, l'ouvrage d'Edouard
Pflimlin intitulé "Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne" et
publié par la Fondation Robert Schuman, permet de faire le point sur l'avancée de
ce concept qui a mis du temps à se concrétiser après l'échec, en 1954, de la
Communauté européenne de défense (CED). Si depuis 1998, la Défense
européenne connaît une nouvelle impulsion, Edouard Pflimlin ne manque pas de
mettre en évidence les lacunes qui freinent encore sa progression.
Une défense européenne difficile à mettre en place
L’idée d’une défense européenne remonte aux premiers traités défensifs en
Europe de l’Ouest au lendemain de la seconde guerre mondiale. La guerre de
Corée et la nécessité du réarmement allemand face à la grandissante menace
soviétique conduisirent à l’idée d’une Communauté européenne de défense,
organisée sur des bases supranationales. Cependant la France rejeta la CED en
1954 au profit de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), instrument d’un pacte
défensif entre Européens. Mais l’OTAN, instituée en 1951, disposait des moyens
militaires, aussi l’UEO n’eut qu’un rôle très secondaire sur les questions de défense
européenne.
C’est seulement dans les années 1980 que resurgit l’idée d’une défense
européenne. Au début des années 1990, le traité de Maastricht, instituant l’UE,
envisagea une politique de défense commune pouvant conduire à terme à une
défense commune. Des forces militaires furent alors mises à la disposition de
Président de Fenêtre sur l’Europe.
http://www.fenetreeurope.com
1
55
l’UEO, « bras armé » de l’UE. Mais l’UEO n’eut qu’un rôle très limité lors des
grandes crises internationales, notamment en Yougoslavie. Cette faiblesse de l’UE
et de l’UEO conduisit deux Etats, la France et la Grande-Bretagne, à penser qu’il
fallait relancer l’idée de moyens conséquents au service de l’action en matière de
défense de l’UE.
Le tournant de Saint-Malo
Au sommet de Saint-Malo de 1998, ils décidèrent que l’UE devait disposer d’une
capacité autonome d’action en matière de défense. Cette idée eut l’assentiment
des autres membres de l’UE et au Conseil européen d’Helsinki en 1999 l’objectif fut
fixé d’avoir d’ici 2003 une force d’intervention de 60 000 hommes pour remplir les
missions dites de « Petersberg ». L’opérationnalité de cette nouvelle politique
européenne de sécurité et de défense fut reconnue en 2003 et des opérations
militaires de l’UE furent menées cette même année.
Des lacunes persistantes.
Cependant de nombreuses lacunes obèrent encore l’action de l’UE dans un
environnement international en pleine mutation. En effet, l’UE doit faire face à de
nouvelles menaces, qui vont de la prolifération des armes de destruction massive à
la déliquescence des Etats, trouble à la stabilité régionale, identifiées dans une
stratégie européenne de sécurité adoptée par l’UE en décembre 2003. Ces
menaces nécessitent des actions préventives, en tout cas à l’extérieur des limites
de l’UE.
Mais cette dernière connaît des lacunes stratégiques, en particulier en termes de
disponibilité et de déployabilité des forces réduites, au regard des effectifs militaires
importants dont disposent les Etats, mais aussi de mobilité des forces, limites qui
rendent difficiles des opérations d’envergure où l’OTAN reste incontournable. La
raison est largement imputable à la faiblesse relative des budgets de défense des
pays de l’UE qui dépensent deux fois moins que le grand frère américain.
Cependant l’UE continue d’évoluer consciente de ses lacunes et des nouvelles
menaces.
Elle a identifié de nouveaux objectifs pour 2010. Il s’agit de développer un
embryon de quartier général européen qui donnera une plus grande liberté
stratégique à l’UE, mais aussi une agence européenne de défense, instituée en
2004, qui doit notamment promouvoir la coopération en matière de programmes
d’armement. Par ailleurs, face aux nouvelles menaces, l’objectif est de développer
des capacités d’intervention très rapides en mettant en place des groupements
tactiques de 1500 hommes très réactifs. Ces évolutions nécessitent cependant la
poursuite du plan de comblement de lacunes capacitaires, adopté en 2001 à
Laeken. Enfin, l’UE monte en puissance en matière opérationnelle en prenant
notamment le relais de l’OTAN en Bosnie fin 2004.
Mais un effort nouveau doit être réalisé sur le plan budgétaire pour développer
les capacités de défense. Cependant dans un contexte de restriction budgétaire
dans de nombreux pays, il est également nécessaire de mieux utiliser les moyens
disponibles. L’offre et la demande d’armements doivent aussi être aussi
56
rationalisées pour développer des synergies entre les pays européens et réaliser
des économies d’échelle
A l’issue de ces nouvelles évolutions, l’UE aura fait un nouveau pas vers
l’autonomie en matière de défense, même si l’OTAN continue de jouer un rôle clé
pour des opérations importantes. C’est aux décideurs politiques de faire preuve
d’audace pour atteindre une autonomie plus complète. Ils peuvent s’appuyer sur
une opinion européenne sensible à l’idée de défense européenne.
Pour une force européenne de
protection civile : europe aid
Rapport de Michel Barnier
Mai 2006
Jean THYRARD1
« L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble : elle
se fera par des réalisations concrètes – créant d’abord une solidarité de fait. »
Robert Schuman, 9 mai 1950.
Le 26 décembre 2004, au large de l’île indonésienne de Sumatra, un séisme de
magnitude 9,0 sur l’échelle ouverte de Richter déclenche un des tremblements les
plus violents jamais enregistrés dans le monde et provoque un raz-de-marée qui
frappe l'Indonésie, les côtes du Sri Lanka et du sud de l'Inde, le sud de la
Thaïlande et l'île de Phuket. Six mois plus tard, le bilan officiel fait état de plus de
deux cent mille morts et disparus.
C’est dans ce contexte que le Président de la Commission européenne, José
Manuel Barroso et le Président du Conseil de l’Union européenne, Wolfgang
Schüssel, demandent à Michel Barnier d’établir un rapport sur la réponse de
l’Union européenne aux grandes crises transnationales. Ce rapport est rendu au
conseil en mai 2006.
En une soixantaine de pages, annexes et cartes comprises, le rapport de Michel
Barnier s’articule en deux grandes parties. La première décrit les douze
propositions (Cf. encart) pour améliorer la réponse de l’Union européenne aux
crises et leur calendrier de mise en œuvre, la seconde est un rapport technique sur
l’état des lieux et l’analyse des besoins futurs.
1
ITAVITA-CI2S
www.itavita.com
57
Dans son introduction, Michel Barnier part de deux postulats :
- ponctuellement, en matière de gestion de crise, l’addition des réponses
individuelles organisées dans l’urgence n’est pas équivalente à une réponse
européenne (collective),
- plus généralement, la protection des institutions démocratiques et la population
civile (attaque terroriste, prolifération, conflits régionaux, catastrophe naturelle,
risques écologiques, etc.) incite les États membres à la volonté d’agir ensemble au
plus tôt.
Cette introduction est un plaidoyer pour le Traité établissant une Constitution
pour l’Europe qui, insiste Michel Barnier, apporte des innovations en ce domaine (ministre européen des Affaires étrangères, - clause de solidarité, - politique
européenne pour la prévention des catastrophes naturelles, - action de l’Union pour
l’aide humanitaire, 5 - politique de santé publique et - coopérations renforcées).
Certes, insiste Michel Barnier, l’Europe ne part pas de zéro. Depuis la création
de l’Office d’aide humanitaire (ECHO) en 1992, la Commission est déjà très active,
par exemple dans le cadre du Good Humanitarian Donorship Initiative, mais force
est de constater qu’aujourd’hui la solidarité ne s’exprime qu’au cas par cas et si
l’Europe cherche à consolider et à accompagner dans le temps sa réponse à
l’urgence, il paraissait nécessaire de répondre aux préoccupations suivantes :
- améliorer l’efficacité de l’aide humanitaire et de la protection civile,
- mieux protéger et assister les citoyens européens,
- renforcer la cohésion d’ensemble.
Sans vouloir remettre en cause l’ordre dans lequel Michel Barnier présente son
rapport, vous me permettrez ici d’évoquer d’abord la seconde partie (état des lieux
et analyse des besoins futurs) avant d’aborder les propositions qui sont faites (dans
la prochaine lettre) 1.
Depuis 1992 (création de ECHO), l’Union européenne a apporté une aide
humanitaire dans environ 85 pays dans le monde. 17% de son budget sont
consacrés aux désastres naturels (inondations, sécheresse, tremblements de terre,
épidémies). Elle intervient également dans le cadre de crises humanitaires
complexes, dans l’urgence ou dans la durée par une présence dans des crises
oubliées par les médias et la Communauté internationale. Elle intervient enfin dans
certains conflits. En effet, 249 conflits ont été recensés dans le monde en 2005,
parmi lesquels quatorze d’une rare violence en Afrique, au Moyen-Orient et en
Asie, régions, comme le précise l’auteur, avec lesquelles l’Union européenne
entretient des relations politiques et économiques importantes. Aujourd’hui,
l’Europe dispose de moyens permettant d’anticiper les réponses aux crises, de
répondre dans l’urgence et de préparer l’action à long terme.
- Anticiper la réponse à la crise, c’est surveiller l’environnement.
Il est à noter que le rapport demandé porte sur les crises importantes en dehors de l’Union
européenne.
ECHO : Direction générale de l’aide humanitaire de la Commission européenne.
GMES : Global Monitoring for Environment and Security.
GDACS : Global Disaster Alert and Coordination System.
1
58
La mise en œuvre du système GMES opéré par l’Agence Spatiale Européenne
permettra à horizon 2008 de fournir les services de surveillance des terres, des
espaces maritimes et d’intervention d’urgence.
- Anticiper la réponse à la crise, c’est prévenir les catastrophes naturelles.
L’union européenne participe à cette prévention à travers le système mondial
d’alerte et de coordination en cas de catastrophe (GDACS), le programme de
réponse aux désastres naturels d’ECHO (DIPECHO) et le Mécanisme
Communautaire de Protection Civile qui permet de préparer les réponses
éventuelles aux désastres, dont le cœur est le Centre de Suivi et d’information
(MIC). A noter également la mise en œuvre d’un système commun d’information et
de communication d’urgence (CECIS) qui assure un partage de l’information entre
les points de contact nationaux et le MIC.
- Anticiper la réponse à la crise, c’est préparer une crise de santé publique.
Il s’agit pour l’Union européenne d’avoir une vue d’ensemble des phénomènes
de pandémies et d’épidémies et de fournir des informations et des données. C’est
le rôle dévolu au Centre opérationnel de gestion des crises sanitaires (HEOF) qui,
en 2006, a bénéficié d’un budget spécifique pour étendre le périmètre de sa
mission.
- Anticiper la réponse à la crise, c’est prévenir les conflits en prenant par
exemple toutes les mesures pour empêcher l’utilisation de ressources naturelles
pour financer des conflits. Dans ce cadre, il convient pour l’Union européenne de
relever sa contribution au Processus de Kimberley, initiative multilatérale de lutte
contre les diamants des conflits.
- Répondre dans l’urgence, c’est alléger la souffrance humaine.
L’urgence (aide alimentaire, accès à l’eau, fourniture d’hôpitaux, de tentes pour
les réfugiés, mise à disposition de médecins) n’est pas restreinte aux catastrophes
naturelles, celles-ci pouvant survenir dans un contexte de crise prolongée.
Cette mission de réponse dans l’urgence est confiée tout d’abord à ECHO qui,
d’après le rapport, a mis en place des mécanismes de réponse aux désastres qui
ont fait leur preuve dans de nombreuses occasions (l’Iran en décembre 2003, le
Maroc en février 2004, l’Algérie en mai 2004, le Pakistan en octobre 2005).
La réponse dans l’urgence est aussi l’affaire du Mécanisme Communautaire de
Protection Civile (établi en 2001), mécanisme « simple dans son fonctionnement »
qui permet de mettre en commun les ressources et les moyens disponibles des
États membres dans le cas de désastres majeurs. Ce fut notamment le cas
lorsque, le 29 août 2005, l’ouragan Katrina a touché la Louisiane provoquant
d’importants dommages à travers La Nouvelle Orléans et quelques milliers de sans
abris.
- Les instruments de l’Union européenne sont également conçus pour préparer
l’action à long terme. Il s’agit ici de ce que Michel Barnier appelle la réponse de «
consolidation » qui permet de renforcer la phase d’urgence « tant sur le plan
économique que politique afin de préparer la reconstruction ».
Dans cette perspective, le Mécanisme de Réaction Rapide, créé en 2001, a
permis de répondre rapidement aux besoins de pays traversant une grande
59
instabilité politique ou souffrant des effets d’un désastres. Ce mécanisme est mis
en œuvre lorsque la réponse à la crise comporte un objectif de politique étrangère
et que l’Union européenne apporte une réponse dans le cas de la PESD civile
(mission de police de l’UE en Bosnie en janvier 2003, par exemple).
La Facilité de Paix pour l’Afrique, établie en mai 2004, représente quant à elle un
des instruments les plus innovants de l’Union européenne pour l’action extérieure.
Créée à la demande de leaders africains, La Facilité de Paix a ainsi soutenu deux
opérations en République centrafricaine (FOMUC) et trois opérations successives
au Darfour et au Soudan (AMIS).
Le rapport de Michel Barnier relate que « l’action de l’Union européenne à Aceh
est un exemple de continuité et de cohérence de l’action de l’Union entre les
phases successives d’une crise (urgence, gestion de crise, reconstruction) et
qu’elle illustre également le fort potentiel des instruments à disposition de l’Union
dans le domaine de la gestion de crise et de résolution des conflits ».Fort de ce
constat, Michel Barnier estime qu’à l’avenir il faut mieux évaluer les besoins et
s’interroge sur l’amélioration à apporter à la qualité de la réponse de l’Union
européenne aux crises et aux besoins nécessaires dans la réponse de la protection
civile et la réponse humanitaire.
Pour l’auteur l’amélioration de la qualité de la réponse passe par un travail à
l’intérieur de l’Union européenne et si l’analyse méthodologique est en cours, si des
réponses concrètes ont déjà été apportées, il semble nécessaire de fournir une
évaluation complète des besoins qui, estime t-il, permettrait aux Nations Unies qui
coordonnent la réponse humanitaire de connaître précisément les capacités
européennes et de ce fait compléter leurs propres capacités. Pour ce qui concerne
la réponse de la protection civile, Michel Barnier constate l’absence d’une
mutualisation permanente des ressources et propose la mise en place d’unités
interopérables, prêtes à se déployer à tout moment, rapidement et en toute
autonomie. Bénéficiant d’une formation et d’exercices communs, ces unités
constitueraient le noyau de la force européenne de protection civile. Bien sûr en
cas d’insuffisance, des unités plus lourdes (avions, hôpitaux, pompes, etc.) seraient
mise en œuvre pour renforcer la capacité européenne.
Michel Barnier insiste sur le fait que la constitution de ces premières unités
permettrait à l’Union européenne de réagir en tout temps à une demande
d’assistante, ce qui, dit-il, ne peut être garanti par les États membres agissant
individuellement. Esprit de solidarité, assistance mutuelle, mobilisation, réaction
rapide et économie sont les maîtres mots des propositions faites par l’auteur qui
considère que dans les scénarios élaborés d’après l’expérience du Mécanisme de
Protection Civile (inondations, feux de forêt, tremblements de terre, accidents
industriels, attaques NRBC, accident de pollution marine) ces équipes auraient une
véritable valeur ajoutée.
Fort du constat effectué et des améliorations pressenties, Michel Barnier
annonce donc les douze propositions qui doivent améliorer la réponse de l’Union
aux crises et que j’exposerai dans la prochaine lettre en demandant, si possible,
l’avis de premiers lecteurs « autorisés ».
60
Les douze propositions pour améliorer la réponse de l’Union aux crises :
1
2
Une force européenne de protection civile : « europe aid »,
L’appui de cette force sur les sept régions ultrapériphériques de l’Union
européenne,
3 La création d’un Conseil de Sécurité Civile et un renforcement du rôle du
Conseil Affaires Générales et Relations Extérieures,
4 Un « guichet unique » de la réponse humanitaire,
5 Une « approche européenne intégrée » pour anticiper les crises,
6 La spécialisation de six délégations régionales de l’Union européenne dans la
gestion des crises,
7 Un système d’information clair pour le citoyen européen,
8 Une mutualisation des ressources consulaires,
9 La création d’équipes consulaires volantes,
10 La mise en place de « consulats européens » dans quatre zones
expérimentales,
11 L’élaboration d’un code consulaire européen,
12 La spécialisation de laboratoires contre le bioterrorisme et pour l’identification
des victimes.
Algérie, Maghreb. Le pari méditerranéen
Abdi NOURREDINE (sous la dir. de)
Éditions Paris-Méditerranée, 2006, 322 pages, 25 euros
Emmanuel DUPUY
2003 marquait l'année de l'Algérie en France. 2005, le dixième anniversaire du
Processus euro-méditerranéen dit de Barcelone, tandis que 2006 semblait
confirmer un net refroidissement des relations diplomatiques entre Paris et Alger.
C'est un peu de tout cela dont il est question dans cet ouvrage, qui reprend les
débats d'un colloque tenu à l'Institut du Monde Arabe, au cours duquel la relation
historique, culturelle, économique tout autant que passionnelle unissant les deux
rives de la Méditerranée, en particulier dans sa dimension maghrébine, a été
auscultée. Relation stratégique majeure, que justifie le positionnement recherché
par l'Algérie qui ambitionne de se faire reconnaître comme pivot géopolitique de
l'aire de la Méditerranée occidentale. Cette spécificité volontairement distinguée de
l'approche communément vantée de l'unité du bassin méditerranéen est marquée
notamment par une relation Nord-Sud exigeante impliquant ainsi plus
spécifiquement les pays de l'Arc latin (Italie, Espagne et France) et les trois Etats
du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie).
61
Méditerranée occidentale qui peine cependant à s'organiser de manière
horizontale et dans une démarche multilatérale, compte-tenu de relations de
voisinages fluctuantes et pesant, hélas !, durablement sur l'unité pérenne du Sud ;
ce qui explique bien des atermoiements à concrétiser l'intégration régionale et
transnationale, rendue pourtant nécessaire par une mondialisation déboussolée,
prompte à gommer cet « universalité du régional », comme le rappelle
l'universitaire Nourredine Abdi qui coordonne cet ouvrage.
L'échec patent de l'Union du Monde Arabe (UMA), pourtant lancée en grande
pompe à Marrakech en février 1989 est là pour témoigner des obstacles à créer cet
indispensable « marché commun du Levant ». C'est ainsi dans cette démarche
résolument volontariste que les auteurs de cet ouvrage se situent, appelant de
leurs vœux une prise en compte urgente de la dimension méridionale de la
construction européenne, compte tenu de son importance stratégique.
L'actualité des dernières semaines, rend urgent, en effet, une gestion concertée
des principaux dossiers qui enveniment durablement la relation euromaghrébine,
en premier lieu desquels l'épineux dossier de l'immigration clandestine. Cet
ouvrage se veut ainsi un vibrant plaidoyer pour cette relation à mieux équilibrer, qui
doit être basée sur la notion de co-développement, gage d'une histoire partagée et
assumée de part et d'autre de cette Mare Nostrum vantée par Braudel, qui unit plus
qu'elle ne nous divise.
Plus qu'une évocation de cette communauté d'intérêts de part et d'autres des
rivages de la mer Méditerranée, il est ici question de la mise en valeur d'une
civilisation commune et sa nécessaire assimilation selon que l'on se situe à Alger
ou à Paris et à fortiori à Bruxelles. Comme il est rappelé, au fil des pages, à force
de ne pas voir les maux qui nous menacent collectivement, la démocratie risque de
s'échouer définitivement sur les rives de la Méditerranée qui pourtant l'a vue naître.
Les Révolutions de velours
Viatcheslav AVIOUTSKII
Armand Colin, Paris, 2006, 239 pages, 21,50 euros
Matthieu ARMET1
Les « révolutions de velours » : des réussites…et des revers plus discrets.
1
Etudiant Chercheur au CEDS
62
Après nous avoir fait découvrir les subtilités de la géopolitique caucasienne, le
géo politologue Viatcheslav AVIOUTKII se penche sur un thème à la teneur
stratégique difficilement surestimable : les « révolutions de velours » dans l’espace
postsoviétique. L’ambition de l’auteur est salutaire : « l’analyse des épisodes de
chacune de ces « révolutions de velours » nous permettra de comprendre les
géopolitiques postcommunistes, souvent opaques et inintelligibles pour un
observateur occidental. » (P.12)
Les réussites comme les échecs sont ainsi passés en revue.
Les « révolutions de velours » ont partie liée avec la quatrième vague de
démocratisation qu’a connu le monde. Cette quatrième vague a démarré en
Roumanie (1996) et en Bulgarie (1997), s’est poursuivie en Croatie (2000) et en
Serbie (2000). Elle est passée par la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le
Kirghizstan (2005). Elle a aussi marquée le Liban en 2005, entraînant le départ des
troupes syriennes.
Viatcheslav AVIOUTSKII étudie ainsi certaines « réussites » célèbres : la
« révolution de velours » slovaque qui a mis fin au régime MERCIAR, la chute de
S. MILOSEVIC en Serbie, la « révolution de la rose » en Géorgie, la « révolution
orange » en Ukraine et la « révolution des tulipes » au Kirghizstan.
L’auteur s’attache ensuite à faire ressortir les « dénominateurs communs » à
toutes ces « révolutions ». Il s’agit d’une méthode de combat, la lutte non-violente
telle que théorisée par le politologue américain Gene SHARP ; le soutien financier
d’ONG le plus souvent américaines (dans l’optique de former les cadres et
d’acheter du matériel de propagande) et du Congrès américain ; des mouvements
de jeunesse sur lesquels reposent une bonne partie de la réussite des
« révolutions de velours » et qui sont en charge de mettre en œuvre cette stratégie
non-violente.
La volonté de rejoindre à terme l’Union européenne et de se rapprocher des
Etats-Unis anime ces mouvements. Une des grandes forces du livre de M.
AVIOUTKII est d’attirer notre attention sur des phénomènes politiques beaucoup
moins connus : les révolutions de velours ayant échouées pour une raison ou une
autre1.
L’auteur revient notamment sur les « évènements » d’Andijan dans la vallée de
la Ferghana en Ouzbékistan. Ceux-ci ont occasionné entre 170 et 1000 morts. Bien
loin de constituer une « révolution démocratique » visant à renverser le régime du
Président Islam KARIMOV (à l’instar de la « révolution des tulipes » dans le
1
Viatcheslav AVIOUTSKII, Géopolitique du Caucase, Armand Colin, 2005
Après une première vague s’étendant de 1828 à 1926, une deuxième vague (1943-1962) marquée
par la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie, a eu lieu une troisième vague commencée par la
« révolution des œillets » au Portugal et se terminant par la fin du régime d’apartheid en 1991 et les
dislocations de l’URSS et de la Yougoslavie.
L’auteur note fort justement à ce propos que « le financement des « révolutions de velours » de
Prague à Bichkek reste une question particulièrement sensible et opaque ». (P.15)
Un transfert d’expérience a lieu entre mouvements de nationalités différentes sous forme de
séminaires de formation ou/et de conseils sur « le terrain ». Une « Internationale de velours » reliant
tous ces mouvements semble en passe de se constituer.
63
Kirghizstan voisin), comme l’ont affirmé de nombreux observateurs américains et
européens, le mouvement semble avoir été impulsé par une secte islamiste
violente, « Akromaïa ». Les évènements d’Andijan s’insèrent donc dans la lutte
menée par un Islam combattant contre le régime d’Islam KARIMOV et contre le
gouvernement du Tadjikistan voisin.
Les échecs de véritables « révolutions de velours » dans certains pays de
l’espace postsoviétique sont aussi analysés. A chaque fois, le constat est le même.
On remarque une opposition fragmentée et désorganisée, des médias
indépendants quasi-inexistants et un désintérêt pour un changement de régime de
la part de la Russie et parfois des Etats-Unis.
La Biélorussie, « la dernière dictature en Europe » selon le Président
G.W.BUSH, a été clairement désignée comme le prochain pays à
« démocratiser ». Ce pays est dirigé d’une « main de fer » depuis 1994 par l’ancien
président de sovkhoze, soutenu par la Russie, Alexandre LOUKACHENKO. La
population du pays, « protégée » des conséquences les plus fâcheuses de
l’effondrement de l’URSS, semble en définitive s’accommoder du régime actuel.
En Azerbaïdjan, l’opposition peine à renverser le régime de la famille ALIEV au
pouvoir depuis 1993 (le fils a succédé au père à sa mort en 2003). Le pouvoir
bénéficie de la situation tendue liée à la guerre au Nagorny Karabakh et du soutien
des Américains et des Russes. Il en est de même dans l’Arménie voisine du
président Robert KOT-CHARIAN.
Le Turkménistan est dirigé depuis 1985 par Saparmourad NIIAZOV. Celui-ci,
adepte du culte de la personnalité, pourrait constitutionnellement être président à
vie. Pour le moment, ni la Russie ni les Etats-Unis ne désirent la fin du régime. Au
Tadjikistan, pays meurtri par une guerre civile (1992-1996), le Président au pouvoir
depuis 1992, prétextant de lutter contre l’islamisme, a fortement réduit la liberté de
parole.
Le Président du Kazakhstan dirige le pays depuis 1990. De façon originale, c’est
ici la forte croissance économique que connaît le pays qui empêche la population
de se révolter. Le Président bénéficie par ailleurs du soutien de la Russie.
La Moldavie a elle aussi peu de chance de connaître pour le moment une
« révolution de velours ». Le Président de ce pays très pauvre, le leader du parti
communiste Vladimir VORONINE, au pouvoir depuis 1993 a en effet effectué un
virage pro-occidental « salutaire » en 2003.
La Russie. Si au niveau national (fédéral), la Russie semble peu concernée dans
l’immédiat par une éventuelle « révolution de velours », certains évènements ayant
eu lieu au niveau régional, au Bachkortostan, en Karatchaevo-Tcherkessie et en
Ingouchie tendent à s’inscrire dans la quatrième vague démocratique. Située au
sud de l’Oural en Russie, le Bachkortostan est une mosaïque ethnique dont la
situation politique est « verrouillée » depuis 1990 par Mourtaza RAKHIMOV. Celuici semble se maintenir au pouvoir grâce au Kremlin qui ne souhaite pas la réussite
d’une opposition « ethnique » (tatare).
64
L’opposition menace d’organiser une « révolution selon le scénario Kirghize » et
de s’emparer du palais présidentiel. En face, M. RAKHIMOV et le Kremlin
prétendent être en train de repousser pour la première fois la « révolution orange »
visant à « [déstabiliser] la situation dans toute la Russie » ourdie par l’Occident et
les oligarques pro-occidentaux.
En Karatchaevo-Tcherkessie, située dans le Nord-Caucase, d’importantes
manifestations de protestation ont eu lieu en novembre 2005 suite à l’exécution de
sept hommes d’affaires dans la maison de campagne et sur ordre du gendre du
président. L’administration de la République a été prise d’assaut, contraignant le
Président Moustafa BATDYEV à la fuite, laissant le pouvoir vacant pendant 24
heures. Cette crise a-t-elle été préparée par des forces extérieures ou par un rival
du Président BATDYEV ?
En Ingouchie, une autre république nord caucasienne, l’opposition a essayé, en
avril 2005, de renverser le président Mourat ZIA-ZIKOV en utilisant des méthodes
« orange ». Cet ancien général du KGB soutenu par Moscou est toujours au
pouvoir.
En conclusion, l’auteur soulève deux points d’une importance capitale pour
l’avenir de l’Europe :
1)- Il se demande d’abord si le réveil du sentiment national dans ces pays exsoviétiques ne va pas déboucher sur des nationalismes agressifs1.
2)- Il enjoint, par ailleurs, aux Européens de définir la démocratisation de
l’Europe de l’Est comme un objectif majeur et en ce sens de travailler en
coopération avec le soft power américain comme l’ont fait les Polonais et les
Lituaniens lors de la gestion de la crise ukrainienne. L’auteur nous met en garde :
« Sans cela, l’émergence de l’Union européenne en tant qu’acteur crédible sur la
scène internationale restera compromise, voire impossible. En renonçant à jouer
un rôle actif dans la démocratisation, y compris dans la vague de « révolutions de
velours », l’Europe risque de sortir de l’Histoire […] ». (P.227)
En somme, on retiendra de ce travail très intéressant une première vue
d’ensemble approfondie sur un phénomène qui a et aura des répercussions
majeures sur l’avenir de l’Europe. L’auteur fait œuvre d’une pédagogie salutaire.
L’observateur d’Europe occidentale, qui bien souvent n’a qu’une vision parcellaire
de l’évolution des pays de « l’Est », aura donc tout intérêt à se plonger dans la
lecture de cet ouvrage.
Se détournant de certains écueils et de la facilité telle que la narration purement
factuelle ou la « théorie du complot », Viatcheslav AVIOUSKII est parvenu à nous
livrer un tableau raisonné d’un monde en mouvement. Peut-être pourra-t-on
Une démocratisation qui irait de paire avec un affaiblissement de l’influence de la Russie dans les
Pays d’Europe de l’Est.
Pierre BIARNES, Pour l’empire du monde : les Américains aux frontières de la Russie et de la
Chine, Ellipses, 2003
Zbigniew BRZEZINSKI, Le Grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde, Bayard, 1997
Robert KAGAN, « Embraceable E.U. », Washington Post, 5 décembre 2004.
1
65
compléter cette approche par la « Paix démocratique » en la reliant à une analyse
plus « réaliste » laissant plus de place aux intérêts froids des puissances à un
niveau plus global comme le fait Pierre BIARNES. Le « jeu » entre les Etats-Unis et
une Russie qu’ils refoulent et une Chine qu’ils endiguent est en effet fondamental
pour comprendre une bonne part de l’actualité géopolitique et notamment les
« révolutions de velours ». Par exemple, le stratège américain et ancien conseiller
du président CARTER, Zbigniew BRZEZINSKI, ne propose-t-il pas d’instrumenter
la démocratie pour pérenniser l’hégémonie américaine ?
L’auteur ne minore pas le rôle joué par l’Europe dans les différentes crises
comme l’ont fait de nombreux commentateurs. Toutefois, on ne peut s’empêcher
de rapprocher son appel à l’Europe en vue de la démocratisation de l’Europe de
l’Est de l’« Union européenne profitable » chère à l’éditorialiste néoconservateur
américain Robert KAGAN. Ce dernier prescrivait lui aussi aux Européens d’utiliser
leur soft power afin de démocratiser les pays voisins (avec une visée impériale
américaine bien comprise).
Il nous faut méditer sur ce point. Cela étant dit, il est néanmoins évident que les
Européens ont le devoir de s’impliquer. Nous ne pouvons pas laisser l’espace
postsoviétique dans cet état.
La raison des nations
Réflexions sur la démocratie en Europe
Pierre MANENT
Gallimard, Paris, 2006, 11 euros
Jérôme BALOGE1
« Faire l’Europe », c’est d’abord la défaire. Si l’apogée du continent a aussi été le
moment de sa diversification politique, la nouvelle Europe issue du traumatisme
d’une guerre de trente ans (1914-1945) se singularise par la recherche d’une plus
grande convergence. Récemment encore le ministre des Affaires européennes,
Catherine Colonna, regrettait le manque d’intégration et d’harmonisation au sein de
l’Union européenne consécutif au « non » français du 29 mai 2005.
Pierre Manent, dans un court mais riche essai, revient sur ce paradoxe européen
et l’éclaire en prolongeant le questionnement tocquevillien sur l’évolution de la
démocratie vers une égalité toujours plus grande des conditions. Mais cette «
1
Président de Jeune Francophonie
www.francophonie-presidentielles2007.fr
66
démocratie » peut-elle évoluer hors du cadre national sans attenter un jour à la
liberté de chacun ?
Alors que l’Etat-nation a été la forme accomplie de la constitution de l’Europe,
que la nation démocratique a été « la médiation des médiations » liant la
communion au consentement des populations, l’auteur pointe une dérive de l’idée
démocratique en Europe emportée par sa « passion de la ressemblance ». Pour en
rendre compte, Manent prend soin de distinguer deux versions de ce qu’il désigne
comme deux « empires démocratiques ».
De part et d’autre de l’Atlantique, la démocratie est subjuguée par un nouvel
universalisme dont l’ambition est de régler la question de l’ordre humain et de
procéder à l’unification de l’humanité ici et maintenant. Quand la version
américaine s’accommode du maintien des nations autour d’une nation centrale, la
version européenne consacre « une démocratie sans peuple, c’est-à-dire une
gouvernance démocratique très respectueuse des droits de l’homme mais
détachée de toute délibération collective ». Une telle démocratie est non nationale,
débarrassée de toute dimension temporelle qui donne un sens à la vie collective.
Si la construction européenne a été dans un premier temps, la réponse des
vieilles nations démocratiques au risque de la guerre et du déclin, elle a depuis
sensiblement changé de nature. Maastricht et la création de l’Union européenne
sont ainsi une étape marquante : « l’instrument se détacha des corps politiques
nationaux. L’artifice pris une vie propre. « L’Europe » cristallisa en une Idée dotée
d’une légitimité supérieure à toute autre ». « L’Europe » se retourne alors contre
elle-même. Elle donne forme à une nouvelle aspiration « démocratique » qui porte
ses charges contre l’Etat, dénoncé comme ultime obstacle à l’empire du semblable,
parce qu’éminent, parce qu’institution, parce qu’historique.
La démocratie est appelée à sortir du « paganisme national », à s’étendre sans
fin dans l’ignorance de l’identité de l’Europe et de ses limites, à construire toujours
plus haut cette nouvelle Europe : mais par quelle communion, quel consentement,
quelle légitimité à tout cela ? Devenu destituant, le mouvement « démocratique »
n’est pour autant jamais parvenu à être constituant. Le peut-il ainsi défait de ce qui
lui donnait corps ?
Cette transformation « impériale » du cadre démocratique affecte les deux
modèles mais des deux, le plus malade est-il celui le plus souvent soumis à la
vindicte parce que recourant à des actes de pleine souveraineté et n’ayant pas
renoncé à la puissance ? Manent ne traite pas cette question mais sa lecture la
suscite. Les maux dont souffrent l’Europe apparaissent plus profonds : « En
dépouillant la nation de sa légitimité, le mouvement démocratique ramène au jour
les communions d’avant la démocratie. Comment pourrons-nous vivre sans cette
médiation ? », s’interroge-t-il.
A la différence de l’Europe, les Etats-Unis considèrent toujours l’Etat-nation
comme une institution indispensable ; la menace terroriste n’a pu que renforcer
cette disposition. Le 11 septembre 2001 apparaît en effet comme un événement
déterminant, moins par la dimension de l’acte terroriste que par la révélation qu’il
67
contenait : « l’humanité présente est marquée par1 des séparations bien plus
profondes, bien plus intraitables que nous le pensions ». Une réalité politique face
à laquelle l’Europe a choisi d’être aveugle. Pour combien de temps encore ?
Dans la perspective dégagée par Manent, le non français gagne une intelligence
que peu ont encore voulu lui reconnaître. Sonne-t-il pour autant le réveil de
l’Europe ? Annonce-t-il le retour de l’Etat contre l’Empire ? Per-met-il de
reconnaître l’impossible unification de l’humanité ? Qui peut encore le dire ?
Pourtant « cette heureuse impuissance est la condition de la liberté et de la
diversité humaine » convient Pierre Manent : « la cité et l’Etat-nation sont les deux
seules formes politiques qui ont été capables de réaliser, du moins dans leur phase
démocratique, l’union intime de la civilisation et de la liberté. Il y eut de grands
empires civilisés : même dans leurs jours les plus doux, ils ignorèrent la liberté. »
L'Iran et le nucléaire, les tourments
perses
François GERE
Editions Lignes de repères, 2006, 172 pages, 16 euros
Emmanuel DUPUY
Au moment où l'on se perd en conjectures sur l'issue du différend opposant l'Iran
à la Communauté internationale au sujet de la reprise en 2002, de son programme
d'enrichissement d'uranium, l'ouvrage de François Géré, Président de l'Institut
Français d'Analyse Stratégique (IFAS) vient clarifier la question. Débat stratégique
s'il en est, eu égard à la menace sérieuse sur la sécurité internationale que les
positions arrêtées des uns et des autres laissent planer.
Qu'en est-il, en effet, de cette crise annoncée et pourtant redoutée par tous les
protagonistes ? Quels sont les fondements stratégiques qui peuvent l'expliquer et
surtout quelles seraient les pistes à explorer afin que la négociation et la diplomatie
l'emportent sur le jusqu'au-boutisme va-t-en guerre des Faucons campés dans
chaque camp ?
Comme l'auteur en avertit son lecteur, ce livre s'adresse à l'idéal de tous ceux
qui privilégie « la résolution des affrontements par l'explication fondée et la
communication maintenue entre adversaires, qui se sont placés en situation de
rupture de sens ». L'auteur revient à ce propos avec justesse sur l'histoire du
« Catherine Colonna s’alarme des dérives de l’Union européenne », Henri de Bresson, Le Monde,
29 août 2006.
1
68
programme nucléaire iranien, en gestation depuis les années du Shah, qui
s'explique aussi par les ambitions clairement affichées par Téhéran en tant que
puissance régionale.
Cette analyse géopolitique, nourrie d'entretiens au plus niveau du pouvoir et fort
d'une connaissance in situ, offre ainsi une grille de lecture plus conforme aux
composantes réelles et complexes de la société iranienne.
Comprendre les « tourments » sociétaux, économiques, institutionnels et
politiques sur lesquels se base une incompréhension notoire vis-à-vis de l'Iran
d'aujourd'hui n'est pas le moindre des mérites du patient travail mené par François
Géré au cours des derniers mois et qui ont donné naissance à cet ouvrage.
Ce dernier illumine d'un regard objectif une crise dont le dénouement révélera
aussi une nouvelle ère des relations internationales, marquée par la remise en
cause d'un ordre mondial, dans lequel la crédibilité des organisations
internationales est en jeu et par laquelle une certaine forme de Realpolitik
regagnera peut-être ses lettres de noblesse.
A force de schématiser ce débat - sans doute par commodité intellectuelle - et
que d'aucuns voudraient manichéen, l'on en viendrait presque à oublier la phrase,
pourtant si juste de Palmerston, qui vient nous rappeler que les « Nations n'ont pas
d'amis, elles n'ont que des intérêts ».
69
70
Diner-débat JEP- IPSE
15 mars 2006
Le partenariat euro-méditerranéen :
Ambitions, perspectives et réalités 10 ans après Barcelone
Philippe BERREE
Emmanuel DUPUY
Dîner-débat organisé par les Jeunes – Européens Professionnels le mercredi 15
mars 2006.
Avec Philippe BERREE, Membre des Jeunes européens – Professionnels (JEP
http://www.jeunes-européens-pro.org/) et Emmanuel DUPUY, Secrétaire général
de l’IPSE.
Malika KACIM
Responsable du Groupe Euro-Reflex
www.euro-reflex.com
Les trois objectifs affichés du
Processus de Barcelone en 1995
étaient :
la poursuite de la paix dans un
esprit de dialogue politique et un
environnement sécurisé ;
le développement économique
dans une zone de prospérité partagée ;
l’instauration
d’un
véritable
partenariat social, culturel et humain.
L’enjeu actuel est que la politique
extérieure de l’Union européenne (UE)
opère un rééquilibrage vers la
Méditerranée par rapport aux pays de
l’Est qui ont bénéficié de la plus grande
partie des aides financières avant
l’adhésion d’une majorité d’entre eux en
2004.
Les
Etats
concernés
par
le
Partenariat euro méditerranéen sont au
nombre de 10 : Algérie, Autorité
palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie,
Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie,
cette dernière bénéficiant d’une union
douanière avec l’UE ; Chypre et Malte
qui en faisaient partie ont depuis 2004
adhéré à l’UE. A noter enfin que la Libye
a un statut d’observateur depuis 1999 et
que la Mauritanie s’est portée
candidate.
Les instruments mis en place dans le
cadre du Partenariat consistent en :
des accords d’association dont
l’objet
est
d’homogénéiser
les
législations dans les domaines des
règles
de
concurrence,
des
mouvements de capitaux et de renforcer
la coopération économique, d’améliorer
les chiffres du déficit public, de la dette
extérieure et des taux d’inflation des
pays méditerranéens ; le dernier entré
en vigueur en octobre 2005 étant ce lui
avec l’Algérie. Ces accords sont suivis
de plans d’action contenant un
calendrier de réformes à court, moyen
et long terme, et des indicateurs de
71
résultats, signés pour 5 Etats à l’heure
actuelle ;
recherche sur le terrorisme (CAERT)
basé à Alger.
- des accords de libre échange
bilatéraux, avec l’objectif de créer une
zone de libre échange à l’horizon 2010 ;
Concernant le deuxième chapitre,
même si les dix ans du Processus de
Barcelone ont permis à l’UE de devenir
le premier donateur, le premier
investisseur au niveau des IDE (36%) et
le premier partenaire commercial, même
si les exportations des pays du Sud vers
l’UE ont progressé moins vite que vers
le reste du monde, on peut néanmoins
affirmer que le volet économique pêche
par ambition.
- une assistance financière par
l’intermédiaire
d’une
part,
du
programme MEDA (3,4 Mds € de 1995
à 1999 et 5,3 Mds € de 2000 à 2006), et
d’autre part, des prêts de la Banque
Européenne d’Investissement (BEI) (2,3
Mds € de 1997 à 2000 et 6,4 Mds € de
2000 à 2006). La politique de prêts suit
3 axes : le développement du secteur
privé et le renforcement sur secteur
financier
local,
la
création
d’infrastructures de base et le soutien
de projets de dimension régionale.
A noter que la Facilité euro
méditerranéenne d’investissement et de
partenariat (FEMIP) créée en 2002 vise
également
à
encourager
l’investissement en faveur du secteur
privé qui souffre de moyens financiers
publics limités.
Un bilan mitigé de la décennie :
Concernant le premier chapitre, on
peut se féliciter de l’organisation de
réunions régulières et de séminaires
diplomatiques dans le cadre de la
Politique étrangère et de sécurité
commune, ainsi que de la création d’une
Assemblée
parlementaire
euro
méditerranéenne en 2003.
Le problème majeur demeure la
difficulté à réunir le consensus autour de
la notion de terrorisme, particulièrement
dans le contexte du processus de paix
au Proche Orient qui exprime la
faiblesse de l’Union européenne en tant
qu’acteur diplomatique à l’échelle
mondiale. A noter néanmoins la création
d’un Centre africain d’étude et de
72
Sur la période 1995-2000 : Quatre
pays ont signés un accord de libre
échange : la Palestine, le Maroc, et
Israël. Malgré une aide financière non
négligeable on peut regretter un taux de
décaissement
très
faible
(29%)
essentiellement du fait de la lenteur des
procédures, de l’absence de dynamisme
des marchés régionaux sud-sud, de la
difficulté de mise en place des
investissements directs à l’étranger
(IDE). Le programme de réforme
structurel que l’on tente de mettre en
place demeure insuffisant à dynamiser
les investissements.
Sur la période 2000-2005 : Trois
nouveaux accords d’association avec :
la Jordanie, l’Egypte et l’Algérie.
Egalement signature d’accords de libre
échange avec le Maroc, la Tunisie,
l’Egypte et la Jordanie qui auraient dû
entrer en vigueur en 2005 mais qui
subissent un certain retard. On note une
meilleure intégration des pays du sud.
La BEI constitue le véritable fer de
lance du renouveau du Partenariat Euro
méditerranéen en ayant alloué 13 Mds €
sur la période 1995-2005, elle surpasse
le programme MEDA. En outre, un
accord a été signé avec la Banque
Mondiale.
Concernant le troisième chapitre, il
est difficile de mesurer ou quantifier les
résultats quant au partenariat humain,
l’objectif encore une fois répété lors du
Congrès d’Alger sur le dialogue SudNord de la Méditerranée de mars 2006,
est de rompre avec les aprioris et les
préjugés mutuels entre le nord et le sud
ce que tend à faire la Fondation Anna
Lindh créée en 2005. Il existe
néanmoins des instruments spécifiques
tels Euromed Heritage qui participe à la
préservation et au développement du
patrimoine culturel, Euromed Jeunesse
dont l’objet est l’établissement d’une
plate-forme d’associations jeunesse et
Euromed audiovisuel qui promeut la
coopération dans le secteur audiovisuel.
Il n’en demeure pas moins que ce
troisième volet demeure le maillon faible
du Partenariat particulièrement depuis la
mise en place en 2004 de la Politique
Européenne de Voisinage (PEV) qui
tend à annuler la spécificité du
Partenariat euro méditerranéen avec les
2/3 du volet financier consacrés au
développement de projets structurels en
Méditerranée.
Les causes d’un « quasi échec » :
Le Processus de Barcelone a souffert
au tout premier plan d’un manque de
volonté d’engagement de chacun des
partenaires qu’ils soient du Nord ou du
Sud, même si le Nord a tenu son rôle au
plan financier, certains déplorent la
faiblesse des investissements par
rapport aux pays de l’Est.
De même, la multiplication des
initiatives en Méditerranée, tel le
Dialogue 5+5 crée en 1990, réunissant
5 pays du Nord (Espagne, France, Italie,
Malte, Portugal) et 5 pays du Sud
(Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie,
Tunisie) qui constitue une enceinte
informelle de dialogue, et le Forum
méditerranéen crée en 1994 qui
constitue
un
laboratoire
d’idées
également informel, empêche une réelle
visibilité à ces espaces de dialogue.
Au plan fonctionnel ensuite, le défaut
de hiérarchisation des trois objectifs
définis, le manque de préparation des
programmes de mise en œuvre et
l’absence de mécanismes de suivi et
d’évaluation.
Sur le premier volet et l’objectif de
paix dans la région, on a pu déplorer
une instrumentalisation économique et
politique du problème avec pour
objectifs principaux, la lutte contre le
terrorisme et la coordination des pays
du Nord et du Sud sur les problèmes
d’immigration. Concernant précisément
la question du conflit israélo-palestinien,
à noter que le Processus de Barcelone
a été mis en œuvre un mois après la
signature des Accords d’Oslo II, une
multiplication des processus qui a pu
causer des difficultés supplémentaires
pour le règlement de la question et a
poussé à une forme de privatisation de
la concertation et du dialogue par le
Pacte de Genève ou encore le Groupe
d’Aix constitué d’universitaires.
Les enjeux à venir :
Au plan économique, entre 1995 à
2005 le PIB dans les pays du Sud a
stagné ce qui impose la nécessité
d’avoir une croissance de 7% jusqu’en
2015 pour pouvoir espérer atteindre un
niveau conforme aux exigences du
marché mondial.
L’un des problèmes majeurs est le
chômage (13% en 2000 et 19% prévus
en 2015), la création de 35 millions
d’emplois d’ici 2015 constitue un enjeu
considérable. La lutte contre une
économie informelle développée et une
73
évasion fiscale grandissante doit
devenir une priorité pour les Etats du
Sud. Les pays méditerranéens souffrent
d’un secteur bancaire public improductif,
et d’un environnement institutionnel et
juridique pas assez sécurisé pour
encourager
les
investissements
étrangers.
Au plan politique, les litiges frontaliers
entre Etats méditerranéens (AlgérieMaroc, Tunisie-Lybie, Grèce-Turquie)
doivent impérativement être résolus
pour pouvoir atteindre l’objectif de paix
auquel on aspire. On constate
également une certaine islamisation de
la politique (élection des
Frères Musulmans en Egypte, du
Hezbollah au Liban, du Hamas en
Palestine, ainsi que la Réconciliation
nationale en Algérie qui efface les
crimes perpétrés pendant les dix
années de terrorisme dont ont souffert
les Algériens). Ceci peut constituer un
problème majeur dans les relations
diplomatiques entre le Nord et le Sud.
Au niveau de l’UE les problèmes
existent également, il est fondamental
que les pays de l’Est nouvellement
membres se joignent aux ambitions
communes pour la Méditerranée.
Au plan démographique et social,
dans les pays du Sud de la
Méditerranée, 1/3 de la population a
moins de 15 ans, une véritable
pépinière d’investissement, au plan
éducatif particulièrement, qui constitue
un formidable avantage par rapport à
une UE de plus en plus vieillissante. Un
risque de pression migratoire venant du
Sahel est évident, on le constate déjà
aux frontières entre l’Espagne et le
Maroc
avec
les
conséquences
dramatiques au plan humain que cela
implique.
Les pistes de réflexion et d’action :
74
Au plan économique, une lacune
importante réside dans le fait que les
investissements européens se limitent à
la sous-traitance ; une diversification
économique devient impérative surtout
au niveau des services. Il est nécessaire
de favoriser la création d’entreprise par
l’investissement.
L’appel à la création d’une Agence en
faveur
de
la
garantie
des
investissements, destinée à limiter les
risques tant au niveau politique qu’au
niveau commercial ainsi que d’une
Banque
centrale
méditerranéenne
permettant la mise en commun des
réserves de change, constitue une piste
intéressante. Une manne pourrait être
constituée par les transferts financiers
des immigrés méditerranéens des pays
d’Europe vers leur pays d’origine qui
s’élèvent à 14 Mds € directement reçus
par la population sans transiter par les
banques et qui ne profitent donc ni à
l’aide au développement ni aux IDE.
Une bancarisation de ces transferts doit
être mise en place. Il est impératif
d’encourager l’intégration économique
Sud-Sud en favorisant la mise en place
d’une zone de libre échange.
Au plan politique, l’émergence de
nouveaux acteurs tels l’Union Africaine
qui souhaitent agir en symbiose avec
l’UE permettrait une réelle ouverture du
processus qui prendrait une outre la
dimension régionale qu’il a déjà, une
véritable dimension transcontinentale.
L’idée d’un Secrétariat des pays
riverains de la Méditerranée, une
organisation intergouvernementale des
pays concernés chargée d’enregistrer et
valoriser
les
initiatives
bi
ou
multilatérales des riverains sur des
problèmes identifiés comme étant
communs à l’ensemble des pays
membres, avec pour autorité de tutelle
politique un Conseil chargé d’émettre
des résolutions sur les solutions
adoptées. Dans le même ordre d’idée,
le souhait de création d’un Comité de
représentants permanents (COREPER)
chaque Etat de la région nommant un
ambassadeur.
Il est fondamental que l’UE puisse
jouer pleinement le rôle qui est le sien
dans le règlement du conflit israélopalestinien
par
l’entremise
du
Partenariat euro méditerranéen qui
constitue aujourd’hui la seule institution
au sein de laquelle Israël et l’Autorité
palestinienne, mais également tous les
Etats
concernés
directement
ou
indirectement par ce conflit, sont réunis
autour de la même table dans un climat
de confiance réciproque.
Au plan social, culturel et humain, la
volonté affichée de la future Présidence
finlandaise de l’UE de considérer le
Dialogue entre les cultures comme une
priorité de son programme est plutôt
réjouissant et laisse augurer un avenir
meilleur pour le Partenariat euro
méditerranéen.
Conclusion :
Une décennie après son lancement,
le bilan du Processus de Barcelone
reste mitigé mais présente néanmoins
des aspects positifs. Certes, la
Déclaration de Barcelone n’a pas
encore été intégralement mise en
application, mais l’acquis réel est
important même s’il demeure méconnu.
Reste à entretenir l’espoir que les
pays des deux rives parviennent à
surmonter
leurs
divergences
et
réunissent leurs efforts pour réamorcer
un dialogue constructif qui puisse
rayonner sur le volet sécuritaire et
économique, et réaliser finalement les
objectifs définis il y a dix ans.
75
Colloque IPSE – CIFER – Partenariat Euroafricain
4 mai 2006
Les PECO et l’Afrique
Ce colloque, qui s’est tenu le 4 mai 2006 à l’Ambassade de Roumanie à Paris, a
été organisé par le Centre International Francophone d’Echanges et de Réflexion
(CIFER), en collaboration avec le Partenariat Eurafricain et l’Institut Prospective et
Sécurité de l’Europe (IPSE).
Conscients de l’importance de ce
colloque à l’avant-veille du XIème
Sommet de la Francophonie dont les
assises se tiennent l’automne prochain
à Bucarest en Roumanie et soucieux de
valoriser les résultats de la rencontre,
les organisateurs ont invité des
intervenants issus d’Afrique, des pays
de l’Europe Centrale et Orientale
(PECO),
intégrés
dans
l’Union
européenne, le 1er mai 2004 et ceux qui
aspirent à l’être le 1er janvier 2007
(Roumanie et Bulgarie) de haut niveau,
riches de leurs expériences respectives
afin de dialoguer entre eux et avec un
auditoire
composé
de
diverses
personnalités provenant des milieux
diplomatiques, administratifs, du monde
associatif ainsi que des représentants
des médias venus couvrir
cette
rencontre hautement symbolique et
prospective.
Aussi, des débats francs et ouverts
ont-ils pu avoir lieu d’abord sur les
relations historiques complexes entre
les pays de l’Europe Centrale et
Orientale et ceux de l’Afrique en général
et francophone en particulier, et ensuite
sur la façon de concevoir de nouvelles
synergies entre ces deux groupes de
partenaires.
A l’ouverture de la séance Sabin Pop,
Ambassadeur de Roumanie en France
76
après avoir souhaité la bienvenue aux
participants a rappelé les raisons de
cette initiative, non sans avoir souhaité
ses meilleurs vœux de succès pour les
travaux et préconisations que ce
colloque s’est donné comme ambition
de faire connaître.
L’Ambassadeur honoraire du Sénégal
Henri Senghor, Président du CIFER
remercie au nom de son association et
celui du Partenariat africain et de son
Secrétaire général, Joël Broquet, la
Mission roumaine d’avoir accepté
d’accueillir cette rencontre et situe la
problématique des débats, en instant
plus particulièrement sur la situation
difficile du continent africain avant
d’examiner brièvement les questions qui
lui paraissent les plus importantes et
susceptible de faire l’objets de débats,
notamment quant aux perspectives
nouvelles ouvertes, issues d’une longue
expérience
des
échanges
diplomatiques,
économiques
et
universitaires à travers un dialogue
direct et dans le cadre de la politique de
développement de l’UE, entre l’Europe
centrale et orientale et le continent
africain.
La parole est ensuite donnée à
Emmanuel Dupuy, Secrétaire général
de l’Institut Prospective et Sécurité de
l’Europe (IPSE), et par ailleurs
C’est ce « vent de l’Est »
précisément, avec ses espoirs déçus et
ses réalisations concrètes, notamment
en
matière
de
pluralisme
et
d’émergence d’une société civile jeune
et décidée à créer les conditions d’un
véritable co-développement Nord-Sud et
de
convergences
africaines
et
européennes vers la démocratie que
Joël Broquet, fondateur du centre de
Formation des Elus Locaux, Président
du Carrefour des Acteurs Sociaux,
également Secrétaire général du
Mouvement Fédéraliste Français (La
En
présentant
les
différentes Fédération) décrit, en ayant pris soin
personnalités qui vont prendre la parole, d’évoquer préalablement la longue route
il met ainsi en perspective la pérennité historique de l’Empire des Habsbourg à
d’un lien particulier entre les deux l’Afrique « rouge », basé sur
espaces en discussion, fortement liés l’implantation du marxisme, à partir des
par l’histoire de la dernière moitié du années 1960-1970, reliant l’Afrique à
XXème siècle, qui avait fait du continent l’Europe centrale et orientale. Ces
africain comme de l’Europe de l’Est des conséquences inévitables pour la
acteurs
majeurs
des
relations Francophonie, la place de la France
internationales
marquées
par
la comme médiateur entre les deux
confrontation idéologique et stratégique continents sont ainsi passées au crible
Est-Ouest.
d’une certaine forme de désengagement
bilatéral
et
de
nécessaire
La relation historique complexe liant réinvestissement au niveau multilatéral.
les PECO et l’Afrique prend ainsi une
tournure fondatrice pour le colloque
Ainsi, les effets de l’élargissement de
autour de la fin des années 1980, au l’Union Européenne en mai 2004 sur les
moment de la chute du mur de Berlin, relations entre l’Afrique et les pays de
de la dislocation de l’emprise soviétique l’Europe Centrale et Orientale(PECO)
sur les pays d’Europe de l’Est et par ont-elles de l’avis général et en
contagion
le
phénomène
des particulier de celui de Victor-Emmanuel
Conférences nationales, qui viennent au Djomatchoua
Toko,
Ancien
début de la décennie suivante, dresser Ambassadeur-Secrétaire Exécutif de
un nouveau visage de la démocratie et l’Union Africaine auprès de l’Union
de l’Etat de droit en Afrique Européenne
à
Bruxelles
et
subsaharienne. Par ailleurs, il ne faut Représentant spécial à Bruxelles du
nullement minorer le fait que les pays Cabinet d’Ingénierie Stratégique pour la
africains aient perçu comme une Sécurité (CI2S), des conséquences sur
menace l’engouement politique et la nécessité d’une vision à long terme
financier de l’Union européenne pour les plus globale et inclusive des relations
candidats de l’Est, qui risquait de se Europe-Afrique,
à
travers
une
faire au détriment du partenariat euro- interrogation quant aux effets réels liés
africain.
à l’élargissement pour l’Afrique, ainsi
qu’à une meilleure prise en compte de
journaliste au mensuel francophone
Arabies, qui est chargé d’introduire les
débats, de présider la séance et de
présenter les différents intervenants du
colloque à travers deux séquences ; la
première ayant trait à l’évocation
historique partagée du lien entre
Europe, PECO et Afrique ; la seconde
s’appuyant à esquisser de nouvelles
perspectives et synergies possibles, tant
du point de vue des nouveaux Etats
membres de l’UE que des futurs et des
pays africains, bien évidemment…
77
l'irruption des PECO dans la relation ainsi mis en exergue le formidable
eurafricaine.
potentiel démographique et intellectuel
sur lequel devrait se construire cette
L’illustration apportée à travers le relation à rééquilibrer entre le Nord et le
Fonds Européen de Développement Sud, l’Est et l’Ouest. L’ingénierie
(FED) qui constitue le principal administrative, le retour d’expérience
instrument d’aide de l’UE à l’Afrique, entre acteurs sociaux prouve, par
permet de s’interroger sur les effets exemple à travers le suivi « associatif »
positifs
comme
négatifs
de du projet du Nouveau Programme pour
l’élargissement tant pour l’Afrique que le
Développement
de
l’Afrique
pour les PECO, nouveaux membres de (NEPAD), ou encore à travers le dossier
l’UE, désormais acteurs dans les de la reconnaissance de la diversité
secteurs clés du développement de culturelle, gagné de haute lutte en
l’Afrique, au moment où l’Union octobre dernier à l’Unesco, que la
européenne, appelée à s’agrandir société civile et les acteurs non
encore, doit relever le double défi, de étatiques réagissent sans doute plus
faire en sorte que son élargissement, rapidement que les institutions le font...
sans être tous azimuts, apporte à
l’Europe, aux PECO et à l’Afrique des
Aurélien Le Chevallier, Chef du
progrès partagés.
Bureau des questions européennes à la
Direction
des
politiques
de
C’est en substance cette interrogation développement du ministère des
pour l’avenir, qui a conditionné, Affaires étrangères centre son propos
l’institutionnalisation
d’un nouveau sur la stratégie de l’Union européenne à
cadre du Dialogue Europe-Afrique, dont l’égard de l’Afrique, adoptée par le
le deuxième Sommet, initialement Conseil européen des 15 et 16
prometteur et prévu à Lisbonne en décembre dernier et destinée à définir
2003, n’a pu encore se tenir 6 ans après une stratégie commune entre l’UE et
celui du Caire, d’avril 2000, nourrissant l’Union africaine, susceptible d’être
ainsi une attente impatiente de la part adoptée par le second sommet UEdes sociétés civiles, dont se fait l’écho Afrique (dont la date n’a pas encore été
Christophe
Jussac,
Secrétaire arrêtée).
confédéral d’une importante centrale
syndicale, notamment en charge des
Cette stratégie comporte six chapitres
affaires européennes, membre de la ayant vocation à structurer le dialogue
Confédération
européenne
des euro-africain (paix et sécurité, droits de
Syndicats (CES) et Président de la « l’Homme et gouvernance, aide au
Communauté franco-polonaise » et développement, croissance économique
correspondant de nombreux journaux et commerce, développement humain,
polonais en France.
évaluation et suivi).
Ce lien nouveau se construit ainsi sur
une mise en évidence des liens
historiques, qui à travers la coopération
syndicale et associative euro-africaine
et entre l’Afrique et les PECO, relève de
la même exigence démocratique et de
développement durable et équilibré. Les
conférences nationales de 1990 ont
78
A la question l’Afrique intéresse-t-elle
les nouveaux Etats membres (NEM) il
se montre prudent. Il rappelle d’abord
combien le début des années 90, pris
tout entier par les chantiers de la
transition politique et économique des
PECO, a mis sous le boisseau les
relations avec le continent africain,
conduisant inexorablement à une faible
présence de ces pays en Afrique,
marqué par la fermeture de postes
diplomatiques et consulaires, le déclin
des études africaines, la quasiinexistence de relations commerciales
PECO-Afrique, ainsi que le faible usage
de la langue française comme frein au
dialogue.
celles venant de la Francophonie, à
l’orée du Sommet de Bucarest.
Enfin, la démocratie est-elle un
préalable à toute transition ? et de
constater alors que la nécessité pour
l’UE de mieux se coordonner avec les
initiatives prises dans le cadre de l’ONU
n’est pas tranchée. Au final, le futur de
la
politique
européenne
de
développement serait dessiné par
l’intensité de l’implication des Etats
membres dans la procédure des « 3 C »
(complémentarité,
coordination,
cohésion) et dans la poursuite des
objectifs
du
millénaire
pour
le
développement. Et de conclure : les
nouveaux Etats membre n’hésitent plus
à plaider en faveur d’une politique
déterminée de l’Europe envers l’Afrique
dans un esprit de partenariat.
L’importance de la formation initiale
comme continue, le partage des savoirs
faire au-delà du simple lien économique,
la proximité intellectuelle, nourrie par de
fructueux échanges universitaires, sont
les expressions de ce dialogue et de cet
attachement francophone - marqué non
seulement par la langue mais aussi par
une même vision humaniste des
relations
internationales
dans
la
mondialisation, qui s’est fructifié depuis
l’adhésion des NEM à l’UE, il y a deux
ans, comme le rappellent également
Jan Wdowik, Ministre-Conseiller de
l’Ambassade de Pologne à Paris et son
collègue Volodya Bojkov, Premier
Secrétaire de l’Ambassade de Bulgarie
en France, qui intervient au nom de
Madame Irina Bokova, Ambassadeur de
Bulgarie en France.
Un même volontarisme caractérise
les prises de paroles de cette deuxième
table-ronde. Ainsi, Codrina Vierita,
Directrice générale du Commissariat
général pour la Francophonie du
ministère
roumain
des
Affaires
étrangères, venue de Bucarest pour la
Et de s’interroger ensuite sur l’utilité à tenue de ce colloque évoque les
l’Afrique de l’expérience de transition ambitions clairement affichées de son
des NEM. Il souligne à cet égard que pays, en matière de sécurité humaine,
l’expérience des NEM (contrairement à de développement économique, de
celle
des
pays
asiatiques)
est dialogue sociale et de partenariats
difficilement
transposable.
Quelles culturels, au moment où un Sommet de
perspectives
pour
l’Afrique,
se la Francophonie réunit du 24 au 27
demande-t-il, pourrait mobiliser l’énergie septembre prochains, pour la première
et justifier les sacrifices inhérents à fois les représentants de 63 Etats en
toute transition ?
Europe centrale et orientale.
La nécessaire mise en perspective
revient-elle
ainsi
aux
différents
intervenants de la deuxième tableronde, qui évoquent les différents points
de vue en présence, qu’il s’agisse des
propositions
roumaines,
bulgares,
polonaises, burkinabaise – prises
comme un exemple parmi bien d’autres
émanent du continent africain et de
Ces deux points de vue d’un pays
nouvellement membre et celui d’un
autre ayant vocation à intégrer
prochainement l’UE pointent du doigt la
nécessité d’une prise en compte
collective des apports réciproques des
PECO dans l’UE, dans la politique de
79
bon voisinage récemment mise en
place, la Politique Extérieure de
Sécurité Commune (PESC) et le souci
d’accroître substantiellement l’aide au
développement.
Internationale de la Francophonie (OIF,
réformée depuis le 1er janvier 2006) :
-La promotion de la langue française et
de la diversité culturelle et linguistique ;
-La promotion de la paix, de la
De la même manière l’Ambassadeur démocratie et des droits de l’homme ;
du Burkina-Faso, Filippe Savadogo -L’appui à l’éducation, la formation,
rappelle les liens intenses et pérennes l’enseignement
supérieur
et
la
qui unissent son pays aux PECO. Il se recherche ;
fait ainsi l’avocat d’un « afro-optimisme -Le développement de la coopération au
» qu’il aimerait entendre plus souvent de service du développement durable et de
la part des pays européens, unit à 25 la solidarité.
pour agir dans le monde et plus
particulièrement sur le continent africain
C’est ainsi dans l’optique du cadre
où les maux qui le touchent (captation stratégique décennal de l’OIF évoqué et
des
richesses,
guerres
civiles, censé définir les grandes orientations à
pandémies…) devraient constituer le long terme de la Francophonie, que la
levier à une nouvelle politique de résolution des conflits, le renforcement
développement.
des capacités africaines de maintien de
l’ordre, la promotion de la démocratie,
Il est ainsi indéniable que la une meilleure connaissance de la
préoccupation de plus en plus marquée culture entrepreneuriale, le souci de
de l’UE pour la politique européenne de développer équitablement les TIC et la
développement est un signe des plus défense acharnée de la diversité
encourageants. Il inscrit également ses culturelle prennent tout leur sens.
propos
dans
les
conclusions
importantes du dernier Sommet de la
C’est en substance ce qu’indiquent
Francophonie, tenu à Ouagadougou, au les
conclusions
et
ambitieuses
Burkina Faso, les 26 et 27 novembre préconisations
proposés
par
2004. Ses quatre missions principales l’Ambassadeur Jean-Pierre Vettovaglia,
dans lesquelles la Francophonie peut et Représentant personnel du Président de
doit jouer un rôle majeur, sont, comme la Confédération suisse pour la
le souligne également Maria Niculescu, Francophonie en guise de poursuite de
Directrice du développement durable et ce très riche débat dégagé à travers
de la solidarité (a.i) de l’Organisation cette après-midi.
80
Conférence-débat IPSE-IPAG*
12 mai 2006
La Turquie, carrefour de l’Europe?
Didier BILLON
Sylvie GOULARD
Cette conférence a été rendu possible grâce à l’initiative des étudiants de l’IPAG,
Umit ALLARD, Laura LAPASCUA et Sarra MIDASSI. Cette soirée a été modérée
par Mme Brigitte VERSTRAETEN, Professeur à l’IPAG, (*www.ipag.fr).
Didier BILLION, Directeur adjoint de l’Institut de Relations Internationales et
Stratégiques (IRIS). Auteur de « L’enjeu turc » éditions Armand Colin, juin 2006
Sylvie GOULARD, Chercheur au Centre d’Etudes et de Recherches
Internationales (CERI), professeur au Collège d'Europe de Bruges et à Sciences
Po, IEP de Paris et ancienne conseillère de Romano Prodi. Auteur de « Le grand
Turc et la République de Venise » - éditions Fayard, 2004, réédition 2005 et « EU
Türkei : eine Zwangsheirat ? » Berliner Wissenschafts- Verlag 2006
Sept ans après la candidature de la
Turquie à l’UE et plus d’un an après le
vote sur la Constitution européenne, la
question autour de la possible adhésion
de la Turquie dans l’Union est toujours
au cœur des débats. Suite à la
réalisation d’un projet élèves, l’IPSE en
partenariat avec l’IPAG, école de
commerce, ont organisé en commun
une conférence sur ce thème. Dans
l’optique de présenter un débat
enrichissant et d’explorer les différents
points de vue suscités par ce sujet
polémique, deux intervenants, Didier
Billion et Sylvie Goulard, sont venus
développer leurs théories dans le cadre
de la sortie de leurs nouveaux ouvrages
respectifs.
La conférence, réunissant près d’une
centaine de personnes, s’est déroulée
dans les locaux de l’IPAG, situés dans
le quartier de Saint Germain des Prés,
en plein cœur de Paris.
L’IPSE et l’IPAG ont souhaité évoquer
ce thème pour de nombreuses raisons.
En effet, c’est un sujet qui a longuement
été discuté dans les médias et par les
politiques. Différents arguments ont été
développés ce qui a suscité des
affrontements notamment au sein d’un
même parti politique.
Cette conférence a eu pour principal
objectif de faire découvrir et de
comprendre les enjeux de chaque
acteur, la position de la Turquie
aujourd’hui et les perspectives futures.
Dans un premier temps, chaque
intervenant a présenté ses idées; puis,
dans un deuxième temps, le public a
posé quelques questions aux deux
invités.
Sylvie Goulard, favorable à la
Constitution européenne et partisane
d’une Europe forte et unie, s’oppose à
81
l’entrée de la Turquie dans l’Union
Européenne. Différents thèmes ont été
abordés
:
la
démocratie,
les
conséquences de l’adhésion de la
Turquie dans l’UE, la question de
l’identité de l’Europe.
Depuis plusieurs années, de multiples
promesses ont été formulées à l’égard
de la Turquie au sujet de sa possible
adhésion à l’Union.
politiques à l’égard de ce possible
élargissement turc: identité de l’Europe
bafouée, notamment au niveau de la
religion (quels Christianismes face à
quels Islams ?) ; économiques et
sociaux,
en
relevant
de
gros
déséquilibres de développement entre
les grandes villes et l’arrière pays.
D’autre part, Sylvie Goulard refuse une
adhésion hypocrite qui priverait par
exemple les turcs d’une des quatre
libertés de l’UE qui est au cœur du
Traité de Rome: la libre circulation des
personnes, et ce à titre définitif.
De la signature d’un accord instituant
une forme d’association entre les deux
entités de 1963 aux négociations
d’entrée de la Turquie dans l’Union de
Sylvie Goulard dénonce la relation
fin 2004, aucun débat national n’eut souvent formulée entre la Turquie et
réellement lieu. Et Sylvie Goulard l’Islam.
s’oppose à tout référendum au sujet de
En résumé, Sylvie Goulard refuse
l’élargissement de l’UE.
l’entrée de la Turquie plus à cause de la
situation de crise que connaît l’UE que
De plus, les raisons qui expliquent le pour la situation turque. Elle indique tout
refus de Mme Goulard de l’entrée de la de même que l’entrée de la Turquie
Turquie dans l’UE tournent autour de la aurait des conséquences néfastes sur
remise en cause des institutions l’Union et qu’il ne faut pas penser qu’un
européennes
elles-mêmes. « problème supplémentaire » n’aurait
Actuellement, l’Union n’est pas dans sa qu’un effet limité vu la situation. Il faut,
période la plus prospère. Cependant, selon elle, avant tout souder une Europe
Mme Goulard a souligné le fait que cette aujourd’hui en crise politique et
situation est temporaire et qu’il ne s’agit économique.
en rien de la fin de l’UE. La crise
politico-économique que traverse en ce
Didier Billion est, quant à lui,
moment l’UE rend impossible tout favorable à une entrée à terme de la
élargissement, à fortiori celui d’un pays Turquie dans l’UE. Selon lui, la Turquie
comme la Turquie. En effet, selon Sylvie est un sujet récurrent dans les débats
Goulard, l’UE doit tout d’abord résoudre européens notamment en France mais
ses dissolutions et dysfonctionnements elle est posée de manière maladroite.
politiques internes.
Le débat sur la Turquie est un débat
complexe qui ne devrait pas être un
En outre, l’arrivée des derniers états débat médiocre mais qui est, pourtant,
membres a suscité quelques questions perçu ainsi. Le dossier turc agit comme
au niveau de la capacité de l’Union à un « miroir ». En effet, ce qui est
intégrer sans travers plusieurs pays finalement mis en scène est la «
possédant des niveaux de PIB et des plomberie institutionnelle ». Selon Didier
situations politiques et économiques Billion, il serait plus important d’évoquer
distincts.
davantage la notion de « projet politique
». Par ailleurs, la question sur les
Sylvie Goulard a réfuté par la même, valeurs et l’identité européenne est
les nombreux arguments lancés par les posée en mauvais termes, trop
82
caricaturaux.
En
dépit
de
la
mondialisation,
la
Turquie
est
aujourd’hui encore mal connue. Les
objections pour avoir un véritable débat
sont d’ordre politique, économique,
démographique,
géographique
et
culturel.
Les sièges au Parlement européen,
dans le cas d’une entrée de la Turquie,
seraient à 15 ou 16% occupés par des
turcs, et cela inquiète beaucoup de
personnes (monde). Selon M(r) Billion, il
faut relativiser car la Turquie compte un
paysage politique très hétérogène et de
nombreux courants politiques, qui
formeraient non pas un « bloc turc »
mais des voix disparates allant dans le
sens de leur courant politique.
La Turquie se positionne actuellement
au 7ème rang mondial et 2ème rang
dans les pays de l’OCDE au niveau de
la croissance économique (PIB). Elle est
certes en retard, mais il faut remarquer
qu’elle rattrape progressivement ce
retard. La Turquie compte de nombreux
hommes d’affaires très compétents et
impliqués dans le développement de
leur pays et de leur économie.
L’éducation en Turquie permet, chaque
année,
de
former
des
élites
performantes et prêtes à relever
n’importe quel défi de développement et
de croissance économique.
(Kazakhstan, Géorgie, ..) font partie du
Conseil de sécurité de l’Europe, alors
qu’ils sont tout aussi éloignés de
l’Europe (et qu’ils n’ont aucun lien direct
avec l’Europe). D’autre part, la Turquie
se trouve être située à un point
géostratégique très important ; sa
situation au Moyen-Orient pourrait
permettre à l’UE d’intervenir pour «
calmer » les tensions qui y règnent.
A propos de l’objection culturelle, il n’y
a pas un Islam, mais des Islams, et il n’y
a pas un Christianisme, mais des
Christianismes. Par ailleurs, la guerre
que se sont menés les différents
Christianismes ressemble à celle menée
entre Chrétiens et Musulmans. De plus,
aujourd’hui, l’Europe abrite des millions
de Musulmans.
Il existe aujourd’hui des défis
communs à la Turquie et à l’UE qui sont
ceux de la laïcité, des minorités, la
question militaire, la place des femmes
dans la société, la politique extérieure
notamment remise en cause lors de la
position tenue par chaque acteur au
sujet
de
l’intervention
militaire
américaine en Irak.
En résumé, la Turquie par ce qu’elle
représente est un atout pour l’UE afin
notamment de mieux peser dans les
relations diplomatiques de la région.
Malgré des points de vue distincts au
Au niveau démographique, l’idée du sujet de la position de la Turquie dans
déferlement « d’un bloc turc » est une l’UE, les avis des deux intervenants
illusion. Par ailleurs, la Turquie est en convergent quant à la remise en cause
train de connaître la fin de sa transition des institutions politiques européennes.
démographique, soit environ 2,2, En outre, les conférenciers insistent sur
rappelons-nous qu’au moment de son le fait qu’il ne faut pas croire que
entrée dans l’UE, le taux de natalité de l’adhésion de la Turquie serait un pont
l’Espagne était de 2,9. En ce qui avec l’Islam, car l’Islam n’est pas la
concerne l’objection géographique, la Turquie et la Turquie n’est pas l’Islam ;
Turquie est certes éloignée du centre de en somme il ne faut pas faire
l’UE mais encore une fois comparons : d’amalgame.
les pays au nord des Balkans
83
Colloque Jeunes-européens professionnels – IPSE
31 mai – 1er juin 2006
La Bulgarie et la Roumanie dans l’UE : un défi et une chance »
du 31 mai et 1er juin 2006
Suite à l’élargissement de l’Union
européenne au dix pays d’Europe
centrale et orientale, les Jeuneseuropéens
professionnels
d’Ile-deFrance ont souhaité informer les
citoyens et les responsables politiques
sur le prochain élargissement de l’Union
européenne.
Réuni à la Maison de l’Europe pour
débattre de l’adhésion prochaine de la
Roumanie et de la Bulgarie, les Jeuneseuropéens Professionnels ont organisé
ce colloque en partenariat avec l’Institut
de Prospective et Sécurité de l’Europe
(IPSE), le Mouvement EuropéenFrance, la Maison de l’Europe de Paris,
les Ambassades de Bulgarie et de
Roumanie en France, les associations :
Jean Monnet, Notre Europe, et
l’Association Réalités et Relations
Internationales (ARRI)
Ainsi, le colloque qui s’est déroulé le
31 mai et 1er juin a eu pour ambition de
présenter au public français et européen
les réalités et les ambitions de la
Bulgarie et de la Roumanie à travers
différentes thématiques.
Celles-ci portaient à la fois sur les
questions d’identité européenne, de
témoignages d’associations, sur les
relations économiques entre la France
et les deux pays, et enfin, sur les atouts
géostratégiques des nouveaux entrants.
Cette dernière table ronde fut animée
84
par Emmanuel Dupuy
général de l’IPSE).
(secrétaire
Les travaux du colloque ont eu pour
volonté de valoriser les deux nouveaux
pays et de présenter leurs réalités à
travers les témoignages et les réflexions
d’acteurs bulgares et roumains ainsi que
des
personnalités
de
l’Union
européenne. La variété des thèmes
abordés, la diversité des témoignages
ont contribué à faire de cet événement
un moment important dans le cadre des
manifestations prévues pour fêter
l’entrée de la Bulgarie et de la
Roumanie dans l’UE.
Afin de présenter un grand nombre
d’intervenant et de mobiliser le public, le
colloque s’était déroulé sur deux aprèsmidis et soirées, et s’articulait autour de
quatre tables rondes thématiques suivi
d’une conférence de clôture. Cette
rencontre était complétée par une
exposition sur les deux pays et d’une
dégustation des spécialités culinaires.
Pour ceux qui souhaiteraient avoir
accès aux actes du colloque, l’intégralité
des manifestations et interventions ont
été filmées et enregistrées. Un DVD est
en cours de finalisation par les Jeuneseuropéens Professionnels avant d’être
diffusé aux différents partenaires.
Conférence – IPSE – ACEDS*
30 juin 2006
La Géorgie, un enjeu stratégique pour la politique de bon
voisinage
Gocha LORDKIPANIDZE
La conférence s’est déroulée le vendredi 30 juin 2006 en la présence de M.
Gocha LORDKIPANIDZE, conseiller diplomatique du Premier Ministre de la
République de Géorgie. Introduction par M. Thornike GORDADZE, chercheur au
Centre d'Etudes et de Recherches Internationales (CERI-IEP). La soirée était
placée sous le parrainage de M. André BOYER, Sénateur du Lot, Vice-président
de la Commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat.
L’objectif stratégique de la Géorgie est
la construction d’un Etat démocratique
membre de la communauté euroatlantique. L’atteinte de cet objectif
nécessite, en premier lieu, la poursuite des
réformes qui permettrait au pays d’évoluer
d’une démocratie « électorale » en une
démocratie « institutionnelle ». Or
l’institutionnalisation de la démocratie
prévoit l’intégralité des réformes des
systèmes juridiques, de l’éducation ainsi
que de l’administration locale.
De plus, l’intégration de la Géorgie dans
la communauté euro-atlantique se conçoit
dans le cadre d’un approfondissement des
relations avec l’O.T.A.N. et l’Union
européenne. Après la mise en place
réussie du Plan d’Action de Partenariat
Individuel (IPAP-Individual Partnership
Action Plan), la Géorgie espère poursuivre
dans ce sens, à savoir une intensification
du dialogue sur les questions liées à
l’adhésion et aux réformes connexes. En
ce qui concerne les relations entre la
Géorgie et l’Union Européenne (UE), les
efforts portent plus précisément sur
l’aboutissement des négociations avec la
commission européenne autour du Plan
d’Action de la Nouvelle politique de
voisinage (N.V.P.) et sur sa mise en place
complète et effective. La Géorgie tient à ce
que le plan d’action de la N.V.P. prévoie le
développement des liens entre l’UE et la
Géorgie à travers une implication plus
active de l’Europe dans le processus du
règlement des conflits sur le territoire
géorgien.
Certes l’Etat géorgien pourra bénéficier
de la sécurité engendrée par l’espace
euro-atlantique
mais
également
y
contribuer ; c’est d’ailleurs déjà le cas à
travers ses actions au Kosovo, en
Afghanistan et en Irak. De fait, la sécurité
de l’Europe passera nécessairement par la
concrétisation des points suivants :
-la consolidation de la démocratie en
Géorgie et dans le Caucase du Sud ;
-le développement de la Coopération
dans le cadre de la « communauté du
choix démocratique ».
La nouvelle forme de coopération
adoptée entre les pays baltes, l’Europe de
l’Est, les Balkans, la mer Noire et le
Caucase entend renforcer la coopération
régionale, promouvoir la démocratie et
défendre les droits de l’Homme. La
Caspienne dispose de vastes ressources
en gaz et en pétrole et la Géorgie, grâce à
sa situation géographique, est un pays clé
dans le transit des carburants. Cette
situation renforce l’importance de cet Etat
dans la tentative entreprise par l’UE de
diversifier ses importations.
*Adresse internet : www.aceds.fr.
85
Diner-débat – IPSE – Arabies
12 juillet 2006
Le pétrole dans les relations Internationales
Philippe SEBILLE-LOPEZ
L’I.P.S.E. et le mensuel francophone Arabies (www.arabies.com) ont organisé
le 12 juillet dernier un dîner-débat portant sur « Le pétrole dans les Relations
Internationales ». L’intervenant, Philippe SEBILLE-LOPEZ (diplômé de l’Institut
Français de Géopolitique et Consultant Fondateur du Cabinet Conseil Géopolia –
www.geopolia.com) a étudié, au cours de cette soirée, les nombreux éléments
constituant la thèse selon laquelle il existerait réellement une ou des géopolitiques
du pétrole.
A cet égard, la Lettre de l’IPSE, dans son numéro 86, s’est livrée à l’analyse
critique du dernier ouvrage de l’intervenant (Géopolitiques du pétrole, éditions
Armand Colin, 2006), dont l’I.P.S.E. ne saurait trop vous conseiller la lecture.
« Rapports de force et interdépendances autour du pétrole au Venezuela ».
La hausse du prix du baril et les
multiples problématiques d’accès aux
réserves pétrolières dans plusieurs pays
(Arabie saoudite, Koweït, Mexique,
Russie, Iran, Irak), soit presque 60%
des réserves mondiales prouvées de
pétrole
conventionnel,
rendent
désormais les énormes gisements
d’huile extra lourde du Venezuela très
attractifs. Avec un coût de production de
16$ par baril, contre un coût moyen du
baril au plan mondial autour de 8$, le
brut non conventionnel de l’Orénoque
reste rentable à partir d’un prix du baril à
22$.
Le Venezuela, 5ème exportateur
mondial, détiendrait 235 milliards de
barils estimés récupérables de cette
huile extra lourde, qui s’ajoute aux 77
milliards de baril de réserves prouvées
conventionnelles, les plus importantes
hors du Moyen-Orient. Il se place donc
en théorie devant l’Arabie saoudite au
plan des réserves.
Bien conscient de ce potentiel
largement ouvert à la trentaine de
compagnies étrangères intéressées, le
président Chavez a décidé début 2006,
d’appliquer et de durcir encore les
conditions financières prévues dans la
nouvelle loi pétrolière de 2001.
Tous les anciens contrats seront
désormais convertis en une quinzaine
de joint-ventures sur la base de 60 %
pour PDVSA, la compagnie nationale
vénézuélienne, et 40 % pour les
compagnies
étrangères.
Hausse
également des taxes et royalties,
notamment sur les huiles extra lourdes
de l’Orénoque. Ces conditions n’ont
toutefois rien d’exorbitant.
Au Nigeria, les 6 majors en jointventure avec la compagnie nationale
nigériane NNPC ont un ratio identique.
Cette refonte des contrats perturbe
surtout les stratégies de grandes
compagnies privées, qui ne peuvent
pourtant faire l’impasse sur cet énorme
potentiel.
Seule Exxon Mobil, la major la plus
puissante et la plus diversifiée au plan
mondial, a décidé de partir en cédant
ses actifs vénézuéliens à la compagnie
hispano-argentine Repsol YPF. Chevron
Texaco
et
Conocco
Phillips,
respectivement
2ème
et
3ème
compagnies états-uniennes, ont décidé
de rester. L’italienne ENI et Total
réservent leur réponse mais devraient
suivre.
Si ces modifications contractuelles ont
un impact sur certains indicateurs des
compagnies
privées
prisés
des
analystes financiers, elles permettent
aussi de faire monter les enchères entre
les
compagnies
nationales
déjà
présentes pour lesquelles de moindres
performances
financières
restent
conciliables avec des objectifs plus
stratégiques, comme pour Petrobras
(Brésil), CNPC (Chine), Loukoïl et
Gazprom (Russie), ONGC (Inde) ou
Petropars (Iran).
Car dès son arrivée au pouvoir Hugo
Chavez a développé sa pétro-diplomatie
tous azimuts à la fois en direction de
futurs grands pays consommateurs
notamment en Asie et de grands pays
producteurs. Argentine, Brésil, Chine,
Inde, Iran, Libye, Nigeria, Qatar, Russie
: la liste est longue des pays avec
lesquels il a signé des accords cadres
de coopération, enrichis selon les cas
de projets de coopération économique
et commerciale.
Après une visite du président Jiang
Zeming à Caracas en avril 2001, Hugo
Chavez effectuait en décembre 2004, sa
3ème visite officielle en Chine, une
fréquence de contacts là aussi
éloquente. Le pétrole figure désormais
en bonne place dans les relations
bilatérales avec de nouveaux projets
d’investissements chinois au Venezuela.
En mars 2005, pour la première visite
d’un président vénézuélien en Inde, 6
contrats pétroliers et parapétroliers ont
été signés, notamment entre PDVSA et
ONGC Videsh.
Le président Chavez a aussi resserré
les liens politiques avec plusieurs pays
de l’Opep. En août 2000 déjà, avant
d’accueillir le sommet de l’Opep à
Caracas, et après une visite en Libye et
en Iran, Hugo Chavez avait été le
premier chef d’état à rendre visite à
Saddam Hussein depuis la fin de la
Guerre du golfe de 1991.
Plus récemment, en mai 2006 et
avant d’accueillir un nouveau sommet
de l’Opep à Caracas, il s’est rendu en
Libye (la 4ème visite depuis 2000) et en
Algérie. Mais si la politique d’Hugo
Chavez en faveur d’une réduction des
quotas de production de l’Opep avait
fonctionné en 2000, avec l’invasion de
l’Irak en 2003 et le nouveau contexte
pétrolier mondial, c’est aujourd’hui
différent.
L’un des objectifs de Washington en
Irak, outre ses buts politiques, était de
stimuler l’offre pétrolière mondiale pour
répondre à la forte hausse attendue de
la demande. Si l’incapacité des EtatsUnis à gérer l’après guerre a fait échoué
ce projet en Irak même, l’objectif a été
atteint en Libye après la volte-face du
colonel Kadhafi et l’ouverture du secteur
pétrolier libyen, qui a conduit l’Algérie
voisine, par crainte de la concurrence, à
assouplir largement les conditions
d’accès à ses hydrocarbures.
Car avec un baril à 70$ et très peu de
surcapacités de production au plan
mondial, tous les pays producteurs
cherchent à produire au maximum pour
encaisser toujours plus de pétrodollars
et accroître leur part d’un marché
87
toujours en expansion. Une baisse des
quotas de production au sein de l’Opep
n’est donc plus opportune même si
l’intérêt pour le Venezuela, qui n’honore
plus le sien depuis fin 2002, peut se
comprendre.
La production vénézuélienne, après
avoir culminée à 3,5 millions de barils
par jour (mb/j) en 1998, s’est effondrée
à 2,6 mb/j en 2003, après la crise
politique de décembre 2002 qui a
durement frappé PDVSA. Cette crise,
qui s’est poursuivie en 2003, résulte
directement des rivalités, tensions et
divergences d’intérêts internes à la
société vénézuélienne.
Aujourd’hui, alors que la production
serait remontée à 3,1 mb/j pour
l’ensemble des liquides, PDVSA aurait
pourtant acheté en avril, pour 2 milliards
de dollars, 100.000 b/j à la Russie
jusqu’à la fin 2006, afin d’honorer ses
engagements à l’exportation et ne pas
payer de pénalités.
Car Hugo Chavez a aussi ses
contraintes et il n’a pas encore tous les
moyens de ses ambitions à l’intérieur
comme à l’extérieur du Venezuela. Il a
besoin des compétences techniques
des majors occidentales pour la
transformation des huiles extra lourdes
en brut synthétique. Il lui faudra aussi
très rapidement 70 milliards de $
d’investissements,
pour
atteindre
l’objectif très ambitieux d’une production
de 5,8 Mb/j en 2012.
de la production de brut conventionnel
autour de 2,5 mb/j.
Car une part croissante des recettes
pétrolières est consacrée à la révolution
bolivarienne. Le pétrole représente
aujourd’hui environ 40 % du PIB, 80 %
des recettes d’exportation et 50 % des
recettes fiscales de l’état. Il finance les
projets de développement dont le pays
a bien besoin avec une économie
informelle qui continue d’employer 50 %
de la population active. Un meilleur
usage de la rente pétrolière est donc bel
et bien indispensable. Seul l’avenir dira
si son utilisation sera plus judicieuse
que dogmatique et clientéliste et donc
réellement porteuse de développement
social à terme.
Quant au pétrole vendu à prix
préférentiel à 11 pays pauvres
d’Amérique centrale et des Caraïbes, il
coûte déjà 1,6 milliard de dollars par an
à PDVSA et ce système doit être étendu
à certains pays d’Afrique. L’essence
vendue au Venezuela à 3 centimes
d’euros le litre a aussi un coût pour
PDVSA, qui devrait néanmoins réaliser
en 2006 un chiffre d’affaire de 85
milliards de dollars, dont 45 milliards au
Venezuela.
Les
capacités
d’investissement de PDVSA, au gré des
engagements politiques du président
Chavez, chez lui et au dehors, restent
donc aléatoires pour l’avenir.
La relation américano-vénézuélienne
illustre aussi d’autres interdépendances,
par delà les très médiatiques attaques
PDVSA s’apprêterait déjà à lancer un verbales mutuelles. Si les exportations
emprunt de 20 milliards de $ pour de brut vénézuélien vers les USA ont
honorer sa cote part dans les joint- certes baissé (1,2 mb/j en 2006, soit 10
ventures. Mais il faudra beaucoup plus % des importations américaines, contre
ensuite,
notamment
pour
la 1,6 mb/j en 2002), c’est sensiblement
transformation des huiles lourdes, d’où dans la même proportion que la
l’importance des investissements des production du pays. De plus, PDVSA via
compagnies étrangères, d’ores et déjà Citgo, contrôle plusieurs raffineries aux
essentiels au maintien du niveau actuel Etats-Unis, qui traitent 750.000 b/j de
88
brut conventionnel vénézuélien pour le
marché américain. Mais très peu de
raffineries au monde sont pour le
moment capables de fournir une
alternative à ce brut lourd. Il y a peutêtre dans les trois projets de raffineries
au Venezuela annoncés en juin 2006,
pour une capacité de raffinage de
700.000 b/j, une stratégie de sortie de
cette dépendance, qui préfigurerait à
terme la revente des actifs de PDVSA
aux Etats-Unis.
Cette question avait déjà opposé le
président Chavez et l’ancienne direction
de PDVSA en 2002. L’annonce récente
d’une possible revente des 20 % d’actifs
de CITIGO dans plusieurs pipelines aux
Etats-Unis, dont le fameux Colonial
pipeline, pourrait aussi s’inscrire dans
cette logique de désengagement à
terme.
bien réel, serait aussi dans l’immédiat
très coûteux pour PDVSA et l’Etat
vénézuélien. La volonté de calmer le jeu
apparue ces derniers temps à
Washington
semble
confirmer
l’acceptation de cette interdépendance
et le souci de l’administration Bush de
ne pas pousser davantage le président
Chavez vers les intérêts russes, chinois,
ou iraniens.
Mais fort d’un soutien populaire
indéfectible et sauf entreprise de
déstabilisation, la probable réélection
d’Hugo Chavez pour un nouveau
mandat de six ans, à la présidentielle de
fin 2006, avec ou sans boycott de
l’opposition, inscrit le président dans la
durée. Si donc le président Chavez n’a
pas encore totalement les moyens de sa
politique, il y travaille : un message clair
pour tous les acteurs.
Pour l’heure, le pouvoir de nuisance
d’Hugo Chavez envers les USA, s’il est
89
REVUE JURIDIQUE ET POLITIQUE
Indépendance et Coopération
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91
Composition du bureau de l’IPSE
Président :
Directeur de la publication :
Jean-Pierre PETIT
Julie PARRIOT
Vice-présidents :
Rédacteur en chef :
Pierre GILLES
Maurice GAUTIER
Luc PICOT
Secrétaire Général :
Membres du bureau :
Emmanuel DUPUY
Jean-Pierre GAULT
Nicolas LANONIER
Eric LEGER
Trésorier :
Marie-Christine JAMELIN
Le numéro 88 des cahiers de l’IPSE
Les Tribunes :
-« NATO, ESDP and the Riga Summit : No Transformation Without ReEquilibration » par Sven BISCOP;
-« La défense japonaise à l’heure du nucléaire nord-coréen » par Emmanuel
LEMPERT ;
-« A qui l'essai nucléaire nord-coréen profite-t-il ? » par Raphaël HUN
-« La nouvelle donne stratégique et la nécessité d'un « troisième pied du
tabouret » par Eric de La MAISONNEUVE.
Les rencontres et partenariats de l’IPSE :
-« Pour démystifier le concept de l'intelligence économique », petit-déjeuner
autour de Bernard BESSON, vendredi 22 septembre 2006 ;
-« La Chine s'est éveillée : vers une triarchie du système international (UE, USA,
Chine) ? », dîner-débat avec Eric de La MAISONNEUVE, lundi 16 octobre 2006 ;
-« L'Europe et les crises au Moyen-Orient », colloque international organisé par
l'Institut International d'Etudes Stratégiques, vendredi 20 septembre. Synthèse et
mise en perspectives par Emmanuel DUPUY.
92
L’IPSE
Un monde plus complexe
L’Europe en ce début de XXIème siècle connaît un contexte géostratégique et
géopolitique mouvant. A la menace clairement définie, massive et de nature
territoriale à laquelle elle a été confrontée durant le siècle dernier, succèdent une
multitude de risques, dont notamment le terrorisme. Si la guerre entendue au sens
classique n’a pas totalement déserté certaines franges de l’Europe, elle ne la
menace plus directement et globalement. La distinction entre ordre interne et ordre
international, entre violence publique et violence privée semble désormais plus
difficile à établir qu’autrefois. Des risques sans cesse plus nombreux préoccupent
aujourd’hui les citoyens : ils sont liés aux questions d’environnement,
d’alimentation, de santé, de la violence quotidienne, de l’incivilité, etc...
L’idée d’Europe, un modèle
L’Europe, bien qu’elle soit un symbole de paix et de stabilité depuis 50 ans, reste
en construction lorsqu’il s’agit de formuler un projet de destin commun pour des
Etats plusieurs fois millénaires et souverains, forts de leurs richesses culturelle et
sociale. Les intérêts communs doivent l’emporter finalement sur ceux particuliers
en donnant la priorité au dialogue et à l’échange, contribuant ainsi à prévenir les
situations conflictuelles.
Rôle de l’I.P.S.E. : préparer l’avenir
Si le bilan européen est largement positif, il n’en existe pas moins un déficit de
communication qui n’a pas permis de valoriser les réalisations aux yeux des
concitoyens.
Dans ce cadre, depuis 1988, l’I.P.S.E. s’est fixé pour rôle de sensibiliser et
rassembler les Français qui souhaitent participer à la préservation de la paix en
Europe. Il veut également rapprocher autant que faire se peut les citoyens
européens afin de trouver les réponses collectives aux nouveaux défis. Il essaie
enfin de mobiliser les énergies en vue de réaffirmer les valeurs européennes et
susciter la réflexion sur des thèmes de dimension communautaire et de sécurité
internationale.
L’I.P.S.E. organise des conférences en collaboration avec des associations
européennes ayant des objectifs communs et complémentaires, publie des article
dans des revues spécialisées et la presse à grande diffusion, édite une lettre
d’information (Cahiers) destinée au monde politique, diplomatique, économique,
universitaire...
93
Les cahiers de l’IPSE
Editorial
3
L’entretien de l’IPSE avec Colomban LEBAS
7
La prolifération nucléaire
Les Tribunes
Repenser la lutte antiterroriste
Chiche MAHOR et Michaël CHETRIT
Sur le concept de sécurité humaine ENMOD : la convention méconnue
Ben CRAMER
Les élections en République démocratique du Congo
Mathieu DAMIAN
Le service citoyen et civil en débat
Jérôme MOURROUX
L’Europe de la Défense : une réalité concrète ?
Charles de MARCILLY
Le retour de la stratégie des moyens : la force de gendarmerie
européenne
Freddy NZE EKEKANG
16
19
21
28
33
36
Les Notes de lecture
-Vers un rapprochement doctrinal, André DUMOULIN
-La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de l’atlantisme
français, Jean-Sylvestre MONGRENIER
-Israël- Palestine : une guerre de religions ? Elie BARNAVI
-Du Jihad à la Fitna, Gilles KEPEL
-La guerre en réseau au XXIème siècle, Jean-Pierre MAULNY
-Les nouveaux visages de la guerre, Christian DELANGHE et Henri
PARIS
-Livre gris sur la sécurité et la défense, Loup FRANCART
-Les défis d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne sous la
direction, Erwan LANNON et Joël LEBULLENGER
-Vers l’autonomie des capacités militaires de l’Union Européenne,
Edouard PFLIMLIN
- Pour une force européenne de protection civile : europe aid
Rapport de Michel BARNIER
-Algérie, Maghreb : le pari méditerranéen, sous la direction d’Abdi
NOURREDINE
-Les Révolutions de velours, Vlatcheslav AVIOUTSKII
-La raison des nations, Réflexions sur la démocratie en Europe, Pierre
MANENT
-L’Iran et le nucléaire, les tourments perses, François GERE
41
44
46
46
47
49
51
53
55
57
61
62
66
68
Les Rencontres et partenariats
-Dîner- Débat JEP - IPSE « Le Partenariat euro-méditerranéen : Ambitions,
perspectives et réalités 10 ans après Barcelone »
-Colloque IPSE – CIFER-Partenariat Euroafricain « Les PECO et l’Afrique »
-Conférence-débat IPSE - IPAG « La Turquie, carrefour de l’Europe? »
-Colloque JEP « La Bulgarie et la Roumanie dans l’UE »
-Conférence IPSE - ACEDS « La Géorgie, un enjeu stratégique pour la politique
de bon voisinage »
-Dîner-Débat IPSE - Arabies « Le Pétrole dans les Relations Internationales »
OCTOBRE-NOVEMBRE-DECEMBRE 2006 - NUMERO
94
87 - 6 EUROS
71
76
81
84
85
86
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