GARE AU PIZZLY ! Introduction : « En 2006, un ours blanc portant des tâches brunes est tué par un chasseur américain. Après analyse de son ADN, il s'avère qu'il s'agit d'un hybride entre l'ours polaire et le grizzly. Ce premier cas reste isolé jusqu'à ce que soit confirmé, au printemps 2012, qu'un nouvel ours bicolore venait d'être tué. Fourrure blanche et pattes brunes, l'animal est cette fois une chimère de seconde génération, né d'un grizzly mâle et d'une femme hybride ». Extrait du journal "Le Monde", du 17 décembre 2010, auteur : Catherine Vincent A première vue, l’information semble anodine, mais il n’en est rien. Le Pizzly est un hybride, certes, mais un hybride fertile. En effet, s’il est effectivement issu du croisement de 2 espèces actuelles a priori distinctes, cela signifie que ces 2 espèces vont tendre à se mélanger génétiquement jusqu’à obtenir une seule et même espèce, et ainsi disparaître au profit de l’espèce unique « Pizzly » ! L’étude du Pizzly permet ainsi de mettre en évidence les limites de la notion d’espèce telle qu’elle a été établie : « "La définition de l'espèce est délicate et peut reposer sur des critères variés qui permettent d'apprécier le caractère plus ou moins distinct de deux populations (critères phénotypiques, interfécondité, etc..). On dit qu'une espèce disparaît si l'ensemble des individus concernés disparaît ou cesse d'être isolé génétiquement. Une espèce supplémentaire est définie si un nouvel ensemble apparaît. » PBT : Qu’est-ce qu’un Pizzly ? Quelles sont les causes de son apparition ? Quelles seront les conséquences de son apparition ? -1- Pizzly, qui es-tu ? Le Pizzly, encore appelé Grolar ou Prizzly, a été trouvé sur l'île de Banks, au nord ouest du Canada, en 2006. Il est issu du croisement naturel entre le Grizzly américain et l’Ours polaire, espèce en voie de disparition. Ursus arctos d'Amérique du nord Grizzly ou ours brun Photo d’identité Carte de répartition géographique Pizzly Ursus maritimus Ours blanc ou ours polaire D’après les critères morphologiques, physiologiques, comportementaux et écologiques, on peut clairement établir que le Grizzly et l’Ours polaire sont 2 espèces différentes. Puisque ces 2 espèces occupent des niches écologiques différentes, elles ne sont pas censées se rencontrer et se reproduire ensemble. Si on analyse les cartes des aires de répartition des espèces, on constate que le Pizzly a été retrouvé à la frontière de la banquise et des aires de répartitions géographiques de ses 2 « parents », au nord est du canada. Ursus maritimus (ours polaire) et Ursus arctos (Ours brun, ou grizzly) sont considérés comme deux espèces d'ours différentes. Or, selon la définition biologique de l'espèce, deux individus appartiennent à la même espèce s'ils peuvent se reproduire ensemble et que leurs descendants ne sont pas stériles. -2- Les Ursidés : portrait de famille Le taxon des Ursidés réunit 8 espèces actuelles présentes en Eurasie et en Amérique : - l'Ours polaire (Ursus maritimus), - l'Ours brun (Ursus arctos), - l’Ours des cocotiers (Helarctos malayanus), - l’Ours à collier (Ursus thibetanus), - l’Ours noir (Ursus americanus), - l’Ours lippu (Melursus ursinus), - l’Ours à lunettes (Tremarctos ornatus), - le Panda géant (Ailuropoda melanoleuca). On a également trouvé des taxons fossiles, aujourd’hui éteints : - Ours de l'Atlas (Ursus crowtheri) - Ours des cavernes (Ursus spelaeus) - Ours à face courte (Arctodus simus) Des espèces se différencient aussi au niveau génétique, par l’étude de leur caryotype. Ainsi, on sait que 6 espèces sur les 8 possèdent un caryotype à 74 chromosomes. Le Panda géant (Ailuropoda melanoleuca) possède 42 chromosomes*. Enfin, l’ours à lunettes (Tremarctos ornatus) possède, quant à lui, un caryotype à 52 chromosomes*. *Note : Cette différence dans leur caryotype s’explique par leur histoire évolutive. D’après les études moléculaires (protéines, ADN mitochondrial), le Panda géant serait apparu au milieu Miocène (période allant de -23 et -5Ma), tandis que l’Ours à lunettes serait apparu à la fin du Miocène. Ce sont donc les 2 plus vieux embranchements d’Ursidés existant. Arbre phylogénétique issu de l'article "Complet mitochondrial genome of the pleistocene jawbone unveils the origins of the polar bear", PNAS, mars 2010. Pourtant, malgré des différences génétiques, la famille des Ursidés est souvent sujette à l’hybridation, soit en captivité, soit en milieu naturel. Et dans la majorité des cas, les descendants nés de ces hybridations se sont montrés fertiles. Ainsi, le critère biologique d'interfécondité, généralement utilisé pour définir la notion d'espèce, ne semble pas suffire. Il est donc nécessaire de définir la notion d’espèce dans un laps de temps défini. D’après l’arbre phylogénétique, on peut voir que la divergence entre l'ours brun et l'ours polaire est très récente à l'échelle des temps géologiques (Pleistocène moyen) et que la divergence entre l'ours polaire et l'ours brun d'Amérique de l'Ouest est encore plus récente (0.01 millions d'années, au début de l'holocène). L’ours polaire est donc une espèce très jeune d'un point de vue évolutif. De ce fait, elle n'a sans doute pas eu le temps de présenter des différences génétiques majeures avec le grizzly, ce qui pourrait expliquer la formation d'hybrides fertiles entre l'ours brun et l'ours polaire. -3- Les causes de l’apparition du Pizzly Si l’Ours brun et l’Ours polaire sont très proches génétiquement, ils peuvent avoir gardé la possibilité de se reproduire ensemble, en donnant des descendants féconds. Il suffirait alors que leurs aires de répartition géographique se superposent un peu et que les individus se rencontrent pour favoriser le mélange génétique. Hors, il est possible que 2 aires de répartition jusque là distinctes se superposent si toutes les barrières physiques entre elles disparaissent (par exemple, une montagne, une mer, la banquise). On a récemment observé que les Ours bruns remontaient vers le Nord, tandis que la fonte de la banquise, liée au réchauffement climatique, avait contraint les Ours polaires à descendre vers des latitudes plus basses. Schéma de l’étendue de la banquise entre le 16 septembre 2007 et le 16 septembre 2012. Bilan : 30% de glace en moins Avec la disparition de la banquise, les aires de répartition des 2 espèces se superposent par endroit. Ce sont 2 espèces mal isolées sur le plan génétique, ce qui autorise les mélanges. Ainsi, le Pizzly serait apparu sur une zone géographique non isolée, et il pourrait lui-même continuer de se mélanger aux espèces parentes. -4- Le cas du Pizzly révèle un problème bien plus vaste ! « Avant la fin du siècle, l'océan Arctique sera sans doute libre de glace durant l'été. Les phoques et les baleines qui, jusqu'à présent, sont restés isolés par la mer de glace, évolueront alors dans les mêmes eaux. » Franck Cézilly, professeur d'écologie comportementale à l'Université de Bourgogne (Dijon) Avec le réchauffement climatique, on a observé que les populations animales (et végétales) ont tendance à changer d’aire de répartition, ce qui amène à la superposition de ces aires. De plus, pour les espèces en voie de disparition comme l’Ours polaire, il devient difficile de trouver un partenaire de la même espèce pour se reproduire ; ces espèces sont donc amenées à choisir de plus en plus souvent des partenaires d’espèces différentes mais très proches. S'ils sont fertiles, ces croisements risquent de donner naissance à des animaux moins bien adaptés à leur environnement. Par exemple, l’Ours polaire actuel possède une fourrure doublée d’une épaisse couche de graisse, et c’est aussi un excellent nageur. L’hybridation avec le Grizzly entraine la diminution de cette protection au froid (ce qui signifie que l’hybride, le Pizzly, est plus fragile face aux conditions climatiques du Grand Nord) mais aussi des capacités moindre pour la nage (ce qui rend difficile pour lui la chasse des proies aquatiques). Les chercheurs américains estiment que : « L'hybridation n'est pas forcément une mauvaise chose, et peut constituer une importante source de renouvellement biologique. Mais si elle est provoquée par les activités humaines, elle se produit vite et risque de réduire la diversité des gènes et des espèces » Auteur : Madame Epitto Merci à Catherine Martin et Patrick Ferreira, professeurs de SVT