la philosophie a l`ecole

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La philosophie à l’école élémentaire
LA PHILOSOPHIE EST-ELLE UTILE ?
Toute communication présuppose un consensus minimum.
Est philosophique toute communication portant sur des généralités.
Il nous paraît au contraire impératif de ne pas laisser à quelques spécialistes autoproclamés
(ou cooptés) le soin de réfléchir au sens et au destin de la présence de l’homme dans l’univers.
Cette réflexion, cette « présence au monde » sont, ou devraient être, l’affaire de tous.
Notons au passage, et puisque la question des définitions demeure centrale, que le type de
réflexion décrit brièvement ci-dessus, assez proche finalement des méthodes utilisées par les
scientifiques, est appelée pensée critique par les théoriciens de la philosophie pour enfants.
Une initiation à la réflexion philosophique est un bon moyen de développer les capacités
permettant de penser, de façon autonome. La diversification des méthodes permet à coup sûr
de toucher un public plus large.
On entend souvent dire que la médecine a la fâcheuse tendance de s’occuper un peu trop des
organes, et pas suffisamment de l’organisme. Des patients se plaignent d’être « découpés en
rondelles », traités pour leurs affections particulières et pas assez dans leur globalité. (Le
cloisonnement, la séparation des savoirs).
Cette insatisfaction est très probablement une des causes principales du succès croissant des
médecines dites parallèles, au premier rang desquelles l’homéopathie, qui ont pour point
commun de prendre le contre-pied de ce saucissonnage. Elles préconisent le dialogue, et
mettent en avant la nécessité de soigner le malade plutôt que la maladie. Le besoin d’une
évolution de la médecine officielle dans ce sens explique, également, les appels réguliers à un
infléchissement des études médicales : nombreuses en effet sont les voix qui s’élèvent pour
demander d’y inclure des dimensions psychologiques ou une meilleure prise en compte de la
douleur.
Il apparaît clairement que le recours à la réflexion philosophique est nécessaire, aujourd’hui
peut-être plus encore qu’autrefois. On voit bien aussi que les grands systèmes philosophiques
imprègnent notre vie dans ce qu’elle a de plus quotidien et que bien souvent, comme
Monsieur Jourdain, on fait de la philosophie sans le savoir.
Et que dire de l’apparition des appels réguliers à la quête du sens, à tous les niveaux de
responsabilité, et singulièrement dans l’éducation ?
Est-ce donc une activité d’oisif ? Peut-être. Mais, dans ce cas, il est urgent, pour le progrès de
l’humanité, d’assurer ce minimum vital à une majorité de personnes. Car ce sont bien des
écrits de nature philosophique qui ont combattu et finalement fait chuter l’absolutisme, mis en
place des gouvernements démocratiques, aboli l’esclavage puis la peine de mort, développé
l’enseignement gratuit pour tous, fait reculer l’exploitation des hommes par d’autres hommes
(conditions de travail, droits de l’homme, droits des enfants,...).
La philosophie n’est rien d’autre que cette faculté de penser le monde.
La pratique de la réflexion philosophique, en développant la pensée autonome et l’esprit
critique, prétend justement lutter contre l’émergence de ces potentats, quel que soit le titre
qu’on leur donne.
Il est vrai que la philosophie a pour réputation d’être une discipline ardue. Pour preuve, elle
n’est enseignée (jusqu’à présent) que dans les classes. Le cas quelque peu comparable de
l’orthographe française, fixée tardivement (au XIXème siècle), dans des formes complexifiées
jusqu’à l’absurde, pourrait le laisser penser. Le mobile de cette forme de crime pourrait être le
maintien au pouvoir d’une certaine classe sociale. Pas de gens qui lisent, écrivent ou...
pensent. Mais la philosophie pour enfants n’a pas pour objectif d’inculquer des savoirs, mais
plutôt des savoir-faire. Avant tout, elle se propose de modifier les comportements et
d’apprendre à penser.
La philosophie à l’école élémentaire
LA PHILOSOPHIE A L'ECOLE
Distinguer culture et pratique philosophiques
C’est un peu comme si on prétendait donner le goût de la musique à des enfants, en exigeant
d’eux qu’ils connaissent le solfège, le nom des compositeurs et celui de leurs oeuvres, avant
d’avoir le droit de toucher à un instrument.
En plus d’être absurdes, ces pratiques ont ceci de révoltant, voire d’anti-démocratique,
qu’elles mettent de fait, au service d’une minorité, des agents et des matériels dont la charge
incombe à l’ensemble des citoyens, par le biais de l'impôt.
Ce qui est vrai pour ces disciplines l’est également pour la philosophie, envisagée comme une
formation à la pensée critique et autonome. L’idée générale de notre démarche est donc
d’amener nos élèves à réfléchir, à se questionner, à débattre. Dans la même optique, la
philosophie en terminale sera vécue comme un prolongement des activités menées à l’école
élémentaire, comme une ouverture vers d’autres formes de pensée, plus élaborées, et
finalement, comme un enrichissement de la réflexion de chacun.
Principes
Si un consensus existe de fait entre les différents praticiens sur la façon de mener la
discussion philosophique, des divergences demeurent sur la façon d'introduire le thème du
débat. Vaut-il mieux attendre qu'un événement d'actualité, concernant la classe, l'école, la
ville, le pays... suggère une question ?
Socrate, l’ « accoucheur d'esprits », parcourait les rues d’Athènes en posant des questions à
ses concitoyens pour les révéler à eux-mêmes (C'est la maïeutique). C’est pourquoi Platon,
élève et continuateur de Socrate, a élevé le dialogue au rang de méthode philosophique.
Précisément, pour que le dialogue « intérieur » prenne toute sa richesse et tout son sens, pour
que les étudiants en comprennent l’intérêt, n’est-il pas nécessaire (indispensable ?) de l’avoir
pratiqué régulièrement, en situation réelle ? Autrement dit, et c’est ce qu’ont pensé les
concepteurs de la philosophie pour enfants, n’est-il pas important de permettre aux élèves de
discuter, d’échanger, de débattre réellement ?
Au cours d’une nouvelle séance, cette question sera débattue dans la classe, promue pour la
circonstance « communauté de recherche entre pairs ».
On le pratique en effet dans une optique de non-jugement, ce que montrent les termes de «
pairs » et de « recherche ». Par contre, le groupe est considéré comme une entité permettant à
chacun de ses membres de progresser, de s’approcher d’une vérité.
Cette façon de procéder, cet état d’esprit montrent clairement leurs intentions : développer les
attitudes de solidarité, d’attention à l’autre, ainsi que la tolérance, l’ouverture d’esprit et toutes
les qualités d’écoute, de dialogue. En cela, ces activités se veulent une forme d’éducation
civique en situation.
Bref historique
Matthew LIPMAN visait surtout, à travers ces activités, à favoriser l’émergence chez les
élèves des différentes aptitudes liées à la citoyenneté. Ensuite parce qu’il est évident que la
philosophie a toujours eu partie liée avec les sciences. Actuellement, peut-être même plus
qu’autrefois, le débat philosophique est alimenté par la recherche scientifique. Les
astrophysiciens, de par la nature de leurs travaux, sont particulièrement sensibles à la question
de la place de l’homme dans l’univers, ou à des sujets (encore) plus généraux comme la
perception, ou le temps.
Méthode de travail
La philosophie à l’école élémentaire
1.
Première séance du cycle
Les élèves sont invités à le lire puis à proposer des questions d'ordre général. On peut
légitimement se demander ce qu'est une question "d'ordre général".
La lecture oralisée qui précède le questionnement est un des éléments de la lente
transformation du groupe classe en " communauté de recherche entre pairs ".
2. Deuxième séance
Le deuxième séance du cycle est consacrée au débat proprement dit, au cours duquel la
question choisie est débattue dans la classe. Celle-ci devient alors réellement une "
communauté de recherche entre pairs ".
On le pratique en effet dans une optique de non-jugement. Par contre, le groupe est considéré
comme une entité permettant à chacun de ses membres de progresser, de s'approcher d'une
vérité.
3. Le plan de discussion
L'animateur du groupe doit proposer un plan de discussion. Il permet à tous de trouver un
espace de parole.
Cette façon de procéder (lecture auto-organisée, questionnement, débat avec plan de
discussion) montre clairement les intentions des concepteurs de la méthode : développer les
attitudes de solidarité, d'attention à l'autre, ainsi que la tolérance, l'ouverture d'esprit et toutes
les qualités d'écoute, de dialogue. Il nous parait que le travail le plus intéressant pour
l'enseignant est précisément de s'emparer de la question proposée par les élèves pour mener sa
propre réflexion.
Objectifs
En mettant en place des activités de philosophie pour enfants, on prétend intervenir
globalement sur les élèves, en favorisant leur accès à une parole authentique, à des relations
sociales élaborées. On veut, par là, renforcer leur estime d'eux-mêmes et leur permettre de
devenir des citoyens à part entière. Il s'agit, en développant leur faculté de jugement, de leur
permettre de penser de façon autonome, " par eux-mêmes ", et de leur montrer qu'ils ont leur
destin, individuel et collectif, entre leurs mains.
Dans un ouvrage collectif sorti en septembre 2001, "Innovation Ecole", Anne-Marie Vaillé,
présidente du Conseil national de l'innovation pour la réussite scolaire, le CNIRS créé par
Jack Lang, donne une définition de l'innovation qui pourrait constituer un résumé des
objectifs de notre action en philosophie pour enfants : "la seule innovation qui m'intéresse est
celle qui est porteuse de ces valeurs de solidarité, d'éveil du jugement critique, de découverte
de l'intérêt du travail collectif et du sens du monde environnant, pour y prendre position et y
prendre des responsabilités."
Apprendre à penser
Meilleure image de soi
Initiation à la vie démocratique
Nous pensons les inciter à devenir des citoyens actifs, en développant leur goût pour les
questions d’ordre général. On a assez dit à quel point nos contemporains ont cette tendance à
l’individualisme, et on a assez souligné les dangers de ce délitement du tissu social. "La
meilleure méthode pour faire d'un écolier un futur bon citoyen" identifie comme "obstacle
essentiel [...], l'attitude la plus spontanée et la plus indéracinable de toute conscience
individuelle et même collective : c'est l'égocentrisme, intellectuel et affectif [...] et c'est le
sociocentrisme, intellectuel et affectif, réapparaissant à son tour en chaque unité collective".
Or, ce qui est vrai pour l’ensemble de la population l’est aussi, et de façon plus alarmante
encore, pour les quartiers dits "sensibles".
La philosophie à l’école élémentaire
Si la vie en société n’est pas possible sans une prise de conscience de l’autre, le travail en
groupe, en équipe ne s’improvise pas. Il s’agit là d’un véritable apprentissage.
Par ailleurs, et toujours dans l’esprit d’une initiation à la vie démocratique, il nous semble
important de développer chez nos élèves la capacité à dépasser le cadre personnel, individuel
de leurs problèmes ou de leurs préoccupations pour en faire une analyse générale permettant
d’apporter des solutions valables pour l’ensemble de la collectivité. C’est exactement la
démarche adoptée, puisqu’on part de l’histoire inventée de quelques personnages pour en tirer
des questionnements d’ordre général.
Apprendre à penser
Un de nos buts est de montrer à nos élèves qu’ils sont capables de penser. Que ce qui
distingue l’homme de l’animal, c’est la pensée autonome et la faculté qu’il a de pouvoir la
partager avec autrui. Ou la capacité à "se représenter les représentations mentales d'autrui". Il
nous semble donc important que l’école forme ce qui fait l’essence de l’homme. La meilleure
arme contre les absolutismes, les totalitarismes, les fanatismes, les intégrismes.
Matthew LIPMAN appelle "pensée critique" le type d'attitude réflexive à mettre en place. Il
définit cette attitude, proche de la pensée scientifique, en indiquant qu'elle doit s'appuyer sur
des critères rigoureux et des raisons valides. Utiliser la pensée critique, c'est aussi faire preuve
d'ouverture d'esprit, d'objectivité et accepter de se confronter aux idées des autres.
Penser, c’est aussi « se penser », c’est-à-dire avoir conscience de sa propre pensée. Cette
attitude renforce le sentiment d’être (« Je pense, donc je suis ») et la présence au monde
évoquée plus haut. Et si elle peut paraître égocentrique, voire nombriliste, elle permet en fait
une réelle distanciation, chacun se prenant comme objet d’analyse. Dans la foulée, on peut
imaginer que se penser, s’observer dans l’action, permet de mieux se connaître ("Connais-toi
toi-même") et de venir à bout de nombre de difficultés (métacognition).
Ces capacités d’auto-analyse aideront également chacun à mieux se maitriser, à dominer
davantage ses émotions. Et, si on en croit les recherches récentes concernant l’intelligence
émotionnelle, ceci représente un atout non négligeable au service de la réussite, tant dans les
domaines scolaire ou professionnel qu’au niveau personnel. Selon certains chercheurs, le «
quotient émotionnel » (QE) qui mesure ces facultés, serait plus à même de rendre compte des
potentialités d’un individu que le «quotient intellectuel» (QI). C'est la thèse que défend Daniel
GOLEMAN.
Une meilleure image de soi
Nous souhaitons quant à nous renforcer chez chacun de nos élèves l’estime de soi, en leur
demandant de penser, de façon autonome, et de faire partager les fruits de cette pensée.
Chacun est libre de s’exprimer, ou non, et la parole de tous est considérée comme importante.
Il ne fait guère de doute que le regard qu’un enfant (ou un adulte) porte sur lui-même a un rôle
primordial dans sa réussite, dans tous les domaines - scolaire, affectif, professionnel, social
etc. En cela, ces activités se veulent également une arme contre l’échec scolaire.
Si on pense qu’on est quelqu’un de bien, quel besoin a-t-on de s’identifier à un autre ? En ce
sens, le développement de l’estime de soi, comme celui de la pensée autonome, sont
envisagés comme un moyen de lutte contre toute forme de manipulation, ou de fanatisation,
qu’elles soient de nature idéologique, religieuse, sectaire etc.
Par ailleurs, nombre de psychologues s'accordent à dire que l'agressivité des enfants ou des
adolescents est liée à la mauvaise image qu'ils ont d'eux-mêmes. C'est parce qu'ils ne s'aiment
pas qu'ils sont violents avec les autres, retournant vers leur entourage des comportements
parfois auto-destructeurs. En travaillant sur l'estime de soi, en la renforçant, on combat ces
tendances agressives.
C'est d'ailleurs ce que nous apprend l'analyse transactionnelle, bien que dans des termes un
peu différents (cf. bibliographie).
La philosophie à l’école élémentaire
En analyse transactionnelle, la notion de " position de vie " permet de schématiser à la fois
l'estime de soi et le regard qu'on porte sur l'autre. On peut représenter les positions de vie sous
forme d'un tableau, appelé parfois "OK Corral" (F. Ernst)
Contentons-nous de constater que, parmi les quatre styles de relation qui y sont décrites, c'est
de toute évidence la position " JE + TU + " qui est la plus constructive. Elle signifie que le
sujet s'accepte et accepte l'autre. C'est tout à fait l'optique de la philosophie pour enfants. La
mise en place d'une communauté de recherche entre pairs, le refus des jugements (autres que
ceux produits par le recherche collective), des a priori, permet à chacun d'avoir une image de
soi positive, tout en renforçant l'estime portée aux autres.
Apprendre à dialoguer
Nous pensons également que ces débats permettent de créer un lieu de parole authentique.
Nombre de situations de détresse sont expliquées par l’absence de dialogue, dans le milieu
familial ou en dehors. Mais toutes les occasions de parler sont bonnes. Surtout si les sujets
abordés sont d’ordre général, et pas anecdotiques. On comprendra aisément que, de par sa
nature même, la communication écrite se prête mieux à ces deux catégories d’activités que la
communication orale, même si, traditionnellement, on pense que l’école met davantage
l’accent sur le second type (par exemple quand on fait de la grammaire, de l’orthographe, de
la conjugaison).
Il est moins aisé de faire parler des élèves "en situation". On ne peut guère argumenter,
manifester son désaccord, s’auto-corriger quand on raconte simplement un week-end, aussi
enthousiasmant soit-il.
On échange régulièrement, et dans toutes les matières. En particulier, dans les démarches de
recherche scientifique, il arrive souvent que différentes hypothèses, modes opératoires,
méthodes de résolution soient proposés, discutés etc. Ces activités ne sont pas à dédaigner, en
tant que formation à la pensée construite et au débat. Nous avons d’ailleurs déjà souligné la
parenté qui existe entre la pensée critique, chère aux philosophes, et ce type de réflexion. En
EPS aussi, on peut être amené à discuter pour mettre au point des stratégies, élaborer ou
modifier des règles, améliorer une technique etc. On pourrait trouver encore d’autres
exemples liées aux activités artistiques ou à d’autres situations.
De nombreux chercheurs et théoriciens ont mis en avant la nécessité de communiquer
réellement au sein des classes, et singulièrement en utilisant l’oral.
Notons enfin qu'il est assez artificiel de distinguer, dans cette présentation, deux objectifs
aussi imbriqués que l'élaboration d'une pensée construite et la maîtrise de l'énonciation orale
de cette pensée. Les 2 ou 3% de patrimoine génétique qui nous différencient des grands singes
ne suffisent pas à expliquer le fossé qui existe entre ces espèces et la nôtre : c'est le fait de
pouvoir mettre sa pensée en mots qui a permis à l'homme de parvenir à un tel niveau
d'abstraction. Comme le dit justement Michel TOZZI : "les mots sont des outils qui aident à
sculpter la pensée". Thomas GORDON fait le même constat : "Nous savons par expérience
que les gens réussissent mieux à clarifier un problème et à découvrir une solution lorsqu'ils
peuvent en parler plutôt que simplement y penser". Réciproquement, l'approfondissement
progressif de la pensée et l'exigence qu'elle requiert de nuancer ses propos, ont conduit à
enrichir régulièrement les vocabulaires : les choses, en particulier les plus abstraites, n'existent
que si elles sont nommées. On ne peut donc parler de prééminence de la pensée sur la parole ni de l'inverse - tant dans l'histoire collective de l'espèce humaine que dans l'histoire
individuelle de chacun de ses membres. L'interaction est constante.
Travailler ensemble
S’il est vrai que les comportements sociaux s’enrichissent par le simple contact régulier avec
les autres que permet l’école, qu’elle impose même, cette socialisation forcée ne saurait
La philosophie à l’école élémentaire
suffire. Il est nécessaire d’institutionnaliser des phases d’échanges, de recherche, de
communication. C’est pourquoi nous avons mis en place depuis longtemps des activités
permettant à nos élèves de se rencontrer, de débattre, de s’entraider : tutorats, conseil
d’enfants, lecture de contes, jeux coopératifs. Elle demande aux élèves de mener leur
réflexion en petits groupes : ce sont alors les apprenants eux-mêmes qui construisent leurs
propres savoirs, de façon interactive; le maître devient un médiateur, un régulateur des
apprentissages. Certains enfants peuvent ainsi choisir de travailler seuls. Il n’en demeure pas
moins que ce qui a été dit plus haut sur le nouveau rapport au savoir demeure valable, même
si, pour certains enfants et à certains moments, le constructivisme n’est plus social.
Améliorer ses capacités en lecture
Dans chaque cycle de travail, l’activité débute par la lecture d’un chapitre extrait du roman
choisi. Cette technique, outre les capacités d’ouverture à l’autre qu’elle se propose de
développer, présente l’avantage d’alléger la pression sur les lecteurs moyens, que peut
représenter une séance de lecture oralisée. De plus, la lecture n’est pas utilisée comme une fin
en soi, mais comme un moyen de parvenir au sens. Si donc le choix du support écrit s’est
imposé, et si nous l’avons respecté contrairement à d’autres, ce n’est pas un hasard. Nous y
voyons l’occasion pour nos élèves de développer leurs capacités de lecture en situation, non
réellement de communication, sinon au sens large entre l’auteur et ses lecteurs, mais de
recherche du sens.
Enrichir son vocabulaire
L'enrichissement du vocabulaire peut être considéré comme un but en soi. Mais, au delà de
cet objectif assez strictement scolaire, et de ses conséquences positives en lecture, en
expression orale et dans la production d'écrits, il ne fait guère de doute que, comme l'écrit
Viviane FORRESTER, "les vocabulaires [sont des] outils de pensée capables d'exprimer
l'évènement". En d'autres termes, M. Lipman et ses continuateurs y insistent, l'élaboration
progressive d'une pensée construite passe nécessairement par la maîtrise d'un vocabulaire de
plus en plus vaste et précis. En effet, il est aisé de constater que, avant même qu'un dialogue
ne s'instaure, le simple fait d'exprimer sa pensée permet à celle-ci de se structurer. Dire ce
qu'on pense, ou l'écrire, entraîne une clarification et un approfondissement de ses réflexions,
que n'autorise pas leur simple ressassement "en interne".
NOTRE EXPERIENCE
Avant la philosophie pour enfants
Nous traitons, dans ces réunions, de questions d'organisation ou d'équipement de
l'établissement. Nous avons l'ambition, contre l'image véhiculée par ce type de quartier, de
faire de l'ensemble de nos élèves une mini-société, au sens fort du terme, à l'opposé de cette
juxtaposition d'individus qu'on nous décrit parfois. Les activités ou organisations
pédagogiques mises en oeuvre pour tenter d'y parvenir sont liées à la socialisation, à la
responsabilisation, au développement de l'autonomie et du souci de l'autre.
En effet, ces jeux ont pour but, non de mettre les autres joueurs en difficulté, de les éliminer
ou de les battre d'une façon ou d'une autre, mais au contraire de collaborer avec eux pour
tenter d'atteindre un objectif commun. Ils sont donc très intéressants du point de vue de la
socialisation, de la valorisation de chacun, et permettent l'émergence d'attitudes de respect
mutuel et de non-violence. Par ailleurs, pour avoir un maximum de chance de gagner, il est
nécessaire de s'entendre, donc d'instaurer un vrai dialogue afin d'élaborer une stratégie
commune. Une ou deux fois par semaine, des grands vont chercher des plus petits pour leur
apprendre à jouer et pour tenir le rôle d'arbitres.
Organisation des activités de philosophie pour enfants
Origine
La philosophie à l’école élémentaire
Au cours de l'année scolaire 1997-1998, une collègue qui exerçait alors à l'école Vieira da
Silva et moi-même avons demandé à participer à un stage de quatre semaines consacré à la
philosophie pour enfants, stage qui figurait pour la première fois au Plan Académique de
Formation.
Choix du niveau
La première est que, bien que les concepteurs de la méthode affirment qu’on peut l’utiliser
dès l’école maternelle, il nous semblait que le niveau d’abstraction requis pour aborder ces
débats avec quelque profit était davantage le fait de nos élèves les plus âgés : ne perdons pas
de vue que nous travaillons dans un quartier dit sensible, classé en ZEP, et que les élèves qui
y sont scolarisés présentent un déficit de maturité tout à fait perceptible. Tout ceci explique
que ces projets ne peuvent être multipliés au sein de chaque classe, et qu’il est indispensable
de faire un tri parmi un grand nombre d’opportunités.
Rôle des enseignants
Il a plutôt un rôle d’observation du comportement des élèves, par exemple à l’aide de grilles
mises au point en commun, et d’orientation du déroulement des séances.
Fréquence
Au cours de la première année scolaire de mise en application, nous avons appliqué un rythme
hebdomadaire strict : lecture d’un chapitre et questionnement au cours de la semaine 1 ; débat
sur la question choisie la semaine suivante, et ainsi de suite.
Choix du support
Dans notre pratique au niveau du CM2, c'est le roman "Elfie" de M. Lipman, que nous avons
choisi comme support. Les raisons de ce choix sont simples et relèvent plutôt du procédé de
l’élimination que d’une adhésion totale.
De plus, ces romans s’adressent à des enfants de 10 ou 11 ans, au minimum.
Bilan de l’action engagée
Notre propos est maintenant de savoir si la philosophie pour enfants, telle que nous la
pratiquons, s’avère efficace pour atteindre, même partiellement, les objectifs que nous lui
assignons. Mais ce bilan n’est pas aisé à dresser.
1. les limites d’une évaluation
Les résultats que les enfants y obtiennent sont toujours considérés comme si ceux-ci
donnaient systématiquement et en permanence le meilleur d’eux-mêmes, comme s’ils
faisaient toujours de leur mieux. Tout ce qu’on peut dire, c’est que la valeur réelle d’un élève,
si tant est que ce mot ait un sens, est supérieure ou égale aux résultats calculés à l’issue de la
correction. C'est d'ailleurs ce que pense Philippe MEIRIEU : "Si les épreuves d'évaluation
permettent à l'enseignant de repérer qu'une compétence ou une capacité sont maîtrisées par un
sujet, en toute rigueur, elles ne devraient jamais permettre d'affirmer qu'il n'en dispose pas, un
échec pouvant toujours être attribué à des facteurs périphériques qui ne sont jamais totalement
élucidés".
2. la question des outils
On ne peut pas considérer a priori qu’un enfant qui ne participe pas n’a pas fait de progrès
dans l’estime de soi, dans la compréhension des rouages de la démocratie, dans la maîtrise de
la pensée construite.
3. quelques constats
Il ne s’agit pas, pour nos élèves d’acquérir des connaissances ou des savoirs-faire, mais
d’infléchir leurs comportements et leur mode de pensée.
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