Intérêt du diagnostic dans la démarche qualité en psychiatrie

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Intérêt du diagnostic dans la démarche qualité en psychiatrie
Depuis Hippocrate, la qualité des soins a toujours été la préoccupation majeure du médecin.
Mais ce n’est que depuis 1996 que l’instauration d’une démarche de qualité, sanctionnée par
une accréditation, est obligatoire pour les établissements hospitaliers. En médecine libérale
ambulatoire, l’exercice individuel semble un peu moins se prêter à cette démarche, qui s’avère
néanmoins indispensable dans un monde où la qualité ne se présume plus, mais doit être démontrée. En psychiatrie, où les référentiels de qualité ne seront pas les plus faciles à établir, la
démarche qualité s’imposera, comme dans toutes les disciplines médicales. Pourtant, la psychiatrie diffère notablement des autres spécialités dans la mesure où le diagnostic repose plus
sur un modèle social, statistique ou syndromique, que sur un modèle médical de type infectieux. En psychiatrie, il est extrêmement difficile d’identifier un critère de validation externe,
ou un agent causal pathogène. Pourtant, le diagnostic constitue la base du dialogue entre psychiatres, tout comme il constitue la base du contenu de l’information à laquelle le patient a
droit, même si cette information ne le mentionne pas. Ce travail présentera l’historique de la
démarche qualité, proposera une approche de cette démarche en médecine ambulatoire, puis
en psychiatrie, discutera la notion de diagnostic, et montrera comment le diagnostic permettra
de poser les bases d’une explication de la pratique psychiatrique, dont découleront logiquement les référentiels de qualité.
1. Historique de la démarche qualité
La notion de qualité est probablement vieille d’au moins deux siècles et demi, puisque c’est
vers 1750 que Colbert aurait pour la première fois vanté les mérites de la qualité. Cent cinquante ans plus tard est créé en France le Laboratoire National d’Essai, chargé d’évaluer les
produits mis à la disposition du public. Quatre ans après, en 1905, la loi sur la répression des
fraudes est promulguée. En 1920, le français Fayol décrit le management en cinq étapes : prévision, organisation, commandement, coordination et contrôle. L’année suivante, aux EtatsUnis, A. Shewhart invente les statistiques comme moyen de maîtrise de la qualité, alors que
son collègue Edwards sépare qualité et fabrication. Ainsi était inventé le contrôle qualité en
sortie de production, bientôt suivi d’un contrôle de qualité entrant (qui portait sur les composants à l’entrée du processus de production). Ces contrôles qualité reposaient sur un échantillonnage statistique des éléments contrôlés.
Pendant la seconde guerre mondiale, la démarche qualité a été plébiscitée par les producteurs
d’armement afin d’optimiser la satisfaction de leurs clients, et de minimiser les rebuts. En
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Allemagne, Werner Von BRAUN développe avec les V2 la notion de sûreté de fonctionnement. Partout dans le monde apparaît la notion de norme de qualité. En France, l’édiction de
ces normes est confiée à l’AFNOR (Association Française de Normalisation). Ces normes
répondent à plusieurs caractéristiques :

Comme les « poids et mesures », elles sont un instrument de commerce ;

Elles représentent un instrument de régulation économique ;

Le pouvoir de l’état régalien s’exerce par son monopole des normes ;
Les normes représentent donc un instrument de pouvoir, de sécurité et de guerre économique.
Après la seconde guerre mondiale, les plans Marshall et Mac Arthur permettent à la République Fédérale d’Allemagne et au Japon de découvrir et de s’accaparer les théories de la qualité mises au point par de jeunes ingénieurs américains appelés sous les drapeaux.
En 1987, l’International Standard Organization (ISO) sortait la première version des fameuses
normes ISO 9000, donnant les lignes directrices pour mettre en place la gestion de la qualité
et les éléments d’un système qualité à l’usage des fournisseurs de services. Suivre ces normes
permet aux entreprises d’obtenir une certification, procédure par laquelle une tierce partie
donne une assurance écrite qu’un produit, un processus ou un service est conforme à une exigence spécifiée. Cette certification, dont il est en général largement fait état, aide à obtenir la
confiance des clients et l’on voit actuellement sur de nombreux camions le logo d’un organisme certificateur, tel que l’AFAQ (Association Française pour l’Assurance de la Qualité),
comme gage de sérieux de l’entreprise. La certification est une obligation de moyen. A côté
d’elle, existe une autre reconnaissance formelle, plus stricte, qui est plus une obligation de
résultats : l’accréditation ISO. Cette dernière, qui s’applique essentiellement au monde du
laboratoire, est proche de ce que demande le Guide de Bonne Exécution des Analyses
(GBEA) dans le monde de la Santé. L’accréditation est une procédure par laquelle une autorité reconnaît formellement qu’un organisme ou individu est compétent pour effectuer des
tâches spécifiées. De plus elle exige un système qualité de type ISO 9000.
Ainsi, au cours de la deuxième moitié du XX° siècle, les techniques d’amélioration de la qualité se sont développées, migrant progressivement d’une qualité en production à une qualité
des organisations et du management. Le concept de qualité a ainsi progressivement infiltré les
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services, puis les produits virtuels (logiciels), avant de s’intéresser maintenant à la pratique
médicale.
II La qualité en médecine libérale ambulatoire
La définition du concept de qualité des soins est actuellement encore très floue : selon Garnerin et al. (2001), certains auteurs lui attribue une appréciation globale, équivalente d’ « excellence », de « conformité aux attentes », de « zéro défaut » ou de « satisfaction du client ».
Mais la qualité des soins peut également être visualisée dans une optique multidimensionnelle
articulant les notions d’équité, d’accessibilité, de sécurité, d’efficacité, d’efficience, ou de
processus centré sur le patient. L’institut de médecine américain (cité par Garnerin et al.,
2001) évoque « à quel point les services de santé pour les individus et la population augmentent la probabilité de résultats de santé souhaitables et sont conformes aux connaissances professionnelles actuelles ».
Pour autant, comme le rappelle Couzigou (2001), les médecins doivent (et devront) toujours
prendre leur décision dans une relative incertitude, les connaissances scientifiques basées sur
les données collectives étant actuellement très insuffisantes, et devant par ailleurs s’appliquer
à une personne unique. C’est le jugement clinique, élément subjectif s’appuyant sur
l’expérience personnelle, qui permettra d’appliquer au patient des moyens thérapeutiques issus d’études statistiques. Mais ce jugement clinique ne peut plus s’affranchir d’une explication claire, adaptée et exhaustive sur les éléments qui le sous-tendent.
A l’hôpital, le travail en équipe se prête assez facilement à la mise en place d’actions de développement de la qualité. Mais qu’en est-il de la médecine ambulatoire, où le médecin est pratiquement toujours seul face à son patient ? La qualité peut être vue de différentes manières
selon les acteurs en interaction avec le médecin :
- s’agissant du patient, on peut imaginer qu’une démarche qualité se décline dans le sens
d’une information par rapport à la procédure thérapeutique envisagée, ses bénéfices attendus
et les risques encourus ; à cet égard, si le risque de poursuite médico-légale est beaucoup plus
élevé dans certaines spécialités (dont la chirurgie) qu’en psychiatrie (2,7 %), c’est peut-être
que le mode relationnel médecin patient dans cette dernière spécialité devrait être pris comme
un modèle (B. Lachaux, 2003). Le contenu de l’information dispensée ainsi que les modalités
selon lesquelles cette information est délivrée au patient ont déjà fait l’objet d’une réflexion
approfondie (Gozlan, 2002).
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- s’agissant de l’organisme payeur, la qualité sera plutôt orientée vers l’optimisation, sinon la
minimalisation des dépenses engagées dans le processus préventif, diagnostique et thérapeutique. Ici, la conduite de la démarche sera beaucoup moins prise en compte que son coût final.
C’est d’ailleurs cette logique qui conduisent les Caisses d’Assurance Maladie à maintenir un
niveau d’honoraires opposables particulièrement bas, en regard de ce qui est pratiqué dans les
autres pays européens : à titre d’exemple, la consultation d’un psychiatre est fixée à 34,30 €
en France (37 € avec la Majoration Provisoire Clinicien), contre 70 € en Allemagne et 130 €
au Luxembourg. Et le niveau des honoraires français a peu évolué depuis 1994, ce qui conduit
les médecins à devoir augmenter leur temps de travail et à diminuer leur temps de consultation pour arriver à équilibrer les comptes de leur entreprise médicale. S’il n’est, en tout état de
cause, pas certain que cet « abattage » soit un facteur d’équilibre des comptes sociaux, comme
le montrent les dérapages continus des comptes de l’Assurance Maladie, il est en revanche
certain qu’il peut nuire à la qualité des soins telle que pourrait légitimement l’attendre le patient.
- s’agissant de l’Etat, responsable de la santé de la population, la perception de la qualité est
celle qui privilégie la prévention de survenue de nouvelles maladies, et le traitement rapide et
définitif de celles existantes. A ce niveau, c’est le résultat statistique sur l’ensemble de la population qui importe, plus que les détails de la procédure ou que son coût.
On voit donc que la qualité s’apprécie nécessairement dans une optique multidimensionnelle
en médecine libérale. Mais cette appréciation multiple génère des contradictions :
-
une technique particulièrement bien expliquée, efficace, mais coûteuse pourrait être
perçue négativement par l’organisme payeur. C’est exactement ce qui se passe pour le
traitement du cancer de la prostate : une nouvelle procédure thérapeutique non invasive, mais coûteuse, est en place à Lyon. Cette procédure n’est pas étendue au reste de
la France en raison de son coût ;
-
inversement, une technique économique, efficace, mais expliquée à la hâte par un praticien qui s’épargnerait le temps relationnel, aura toutes les chances d’être perçue négativement par le patient. Il en est de même pour les techniques qui font l’objet
d’explications alarmistes, visant à présenter tous les inconvénients de la méthode afin
de se « couvrir » au maximum contre les possibilités de recours juridique ;
-
Enfin, une technique « personnalisée », économique et efficace pour le patient, expliquée convenablement, mais s’écartant des connaissances scientifiques disponibles, sera perçue de manière très aléatoire au niveau de l’Etat : il en est ainsi, par exemple, de
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l’utilisation des antipsychotiques à faible dose dans la dépression résistante, dont
l’efficacité est en cours d’évaluation, mais dont la prescription a valu quelques déboires aux psychiatres concernés.
III La qualité en psychiatrie libérale ambulatoire
Le colloque singulier que réalise l’entretien psychiatrique individuel échappe par nature à tout
regard extérieur. La relation médecin - patient est régie par le code de déontologie d’une part,
et par le versement d’honoraires par le patient au praticien libéral d’autre part. Pour autant,
l’état regrette de ne pouvoir intervenir plus avant dans ce dialogue et souhaiterait, pour la sécurité du patient sans doute, pouvoir connaître et évaluer la nature des propos tenus de part et
d’autres. D’où l’intérêt, pour l’ANAES, de définir des référentiels qui permettront d’étalonner
le fonctionnement des cabinets par rapport à un standard de qualité. Un certain nombre de
référentiels ont déjà été rédigés pour les établissements hospitaliers, et s’appliquent de fait aux
établissements psychiatriques : le droit à l’information du patient en est un exemple. Or, le
droit à l’information du patient est, en psychiatrie, étroitement lié au diagnostic posé : comment ne pas adapter l’information prévue pour un schizophrène, un déprimé, un paniqueur, un
phobique social ou un anxieux généralisé, au handicap cognitif que lui confère le trouble dont
il souffre ?
Le diagnostic occupera donc une place centrale dans les référentiels prévus pour la psychiatrie
ambulatoire, puisque c’est d’un diagnostic bien posé que découlera, comme dans les autres
spécialités médicales, une prise en charge adaptée, voire efficace. Par ailleurs, comme nous
l’avons vu, l’information au patient occupera une place importante dans la démarche qualité
des psychiatres libéraux, et c’est naturellement le diagnostic qui sera le point de départ d’une
information appropriée et efficace.
Au-delà de la thérapeutique des pathologies aiguës, l’information sera cruciale lorsque arrivera l’heure du traitement préventif des rechutes et des récidives, et évidemment orientée sur le
diagnostic du trouble dont souffre le patient.
IV Le diagnostic en psychiatrie
La question du diagnostic a de tous temps constitué un problème épineux en psychiatrie. Considéré il y a plus de 30 ans comme un « étiquetage » des patients, qui permet au psychiatre de
s’affranchir de l’écoute par Gonzales (1971), elle reste encore l’objet de débats animés aujourd’hui. Pourtant, dans toutes les sociétés au cours de l’histoire, les réactions spontanées de
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l’opinion ont toujours tenu compte des modalités de l’aliénation, selon que domine
l’extravagance ou la dangerosité, selon que sa durée soit brève ou chronique.
Dès l’antiquité, la notion de responsabilité et de culpabilité de l’individu a permis de dessiner
l’ébauche d’une classification diagnostique (Berner et Luccioni, 1984). La dike, par exemple,
sanctionne les égarements de l’ivresse ou de la colère. Les auteurs tragiques, quant à eux, relatent de nombreux visages d’aveuglement (Médée et Phèdre, Ajax et Héraclès, Prométhée et
Œdipe), démontrant ainsi l’existence de « trous noirs » dans l’univers humain, où la folie
constitue une ombre, sinon une compagne, de la liberté. Deux sortes d’aliénation sont alors
distinguées :
-
la bonne, qui permet d’échapper à l’ennui quotidien avec l’aide des Dieux. Elle quitte
le sillon de la réalité et peut scandaliser comme démontrer l’absurdité du monde : c’est
le versant « extravagance » de la folie ;
-
la mauvaise, où le fou perd la raison et se retrouve étranger aux autres et à lui-même.
Il est dangereux, et a besoin d’assistance. Selon la durée de l’épisode et son intensité,
on distingue le demens, le furiosis, la furor et l’insania.
Hippocrate introduit un changement radical de perspective. La maladie abandonne toute référence à la norme sociale. Le malade devient celui chez qui le savoir du médecin a découvert
un état morbide, dont la résolution exige une intervention compétente. La normalité prend
alors une signification négative, indiquant la limite au-delà de laquelle le malade est renvoyé à
sa propre responsabilité. Cette notion permet d’intégrer l’hydrophobie dans le champ médical
car, même si la notion de désirer et craindre l’eau pourrait intéresser la morale, la morsure qui
l’a causée induit un trouble du corps. Il s’agit donc d’une maladie, qui intéresse le médecin.
En revanche, l’homosexualité ne présente pas la caractéristique générale d’une maladie, et se
trouve donc exclue du champ médical.
Bien sûr, une telle partition entre philosophie et médecine s’inscrit-elle dans un rationalisme
qui n’a touché qu’une poignée d’intellectuels, et qui dégénère assez rapidement (DOODS,
1977). Néanmoins, le principe d’un trouble psychique générateur ou conséquence d’un dysfonctionnement du corps était posé.
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Après Hippocrate, un travail de conceptualisation de la classification des maladies s’est développé, et vers le I° siècle av. J.C, une table nosographique est dressée. Elle sera conservée, à
peu de choses près, jusqu’au XVIII° siècle (Berner et Luccioni, 1984).
Mais une classification définie comme une opération logique, qui détermine les champs
d’intersection des aires sémantiques des symptômes observés n’est réellement reconnue, souligne LANTERI-LAURA (1983), qu’à partir du modèle de SYDENHAM. Ce dernier a en
effet fixé l’ambition de la médecine : réduire toutes les maladies à des espèces précises, avec
le même soin et la même exactitude que les botanistes ont fait dans le traité sur les plantes.
Berner et Luccioni soulignent que ce principe a fondé les conditions d’organisation de la médecine moderne. Cette évolution s’est en effet inscrite dans tout un progrès des connaissances
fondamentales qui a fait définir, en concurrence avec la clinique, des formes types de maladie
représentant la référence. Les maladies observées chez les patients se rapprochent plus ou
moins, dans un ensemble hétérogène, de la maladie de référence. Cette forme de classification
s’éloigne d’une systématique de classes, où les seuls symptômes cliniques définissaient, par
leur présence simultanée, le type de maladie.
Dans les débuts du XIX° siècle, naît en Allemagne une opinion « psychiste » qui tente de résister vaillamment à cette approche médicale de la classification diagnostique. Elle postule
que l’âme perd sa liberté dans une déviation des principes divins ou éthiques (ACKERKNECHT, 1957). Pourtant, PINEL va finalement le premier décrire une classification des maladies mentales inspirée du modèle botanique.
Mais PINEL sera sévèrement critiqué pour son simplisme. Et la psychiatrie continuera à revendiquer la spécificité de son champ, et la nécessité de la parcourir de son regard clinique.
Trois séries de critiques lui seront adressées :
1) son approche médicale des maladies psychiatriques n’est adaptée que pour les pathologies
à substratum organique, comme les complications psychiatriques de certaines maladies infectieuses, vasculaires, voire tumorales. La tentation est donc grande de rechercher des bases
organiques pour la plupart des maladies mentales. Même la schizophrénie a été l’objet de cet
axe de recherche, avec les résultats que l’on sait. Les maladies héréditaires ou congénitales,
dont la place au sein des troubles mentaux est d’ailleurs contestable, peuvent encore répondre
à sa classification. Mais pour la grande majorité des maladies mentales (troubles dépressifs,
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anxieux ou psychotiques), cette approche diagnostique fonctionnelle ouvre la porte à de nombreuses critiques, en raison des importants domaines de recouvrement entre les pathologies, et
des incertitudes qui persistent quant à leur étiopathogénie.
2) Dans l’étude de la folie, Pinel invite à écarter les descriptions concrètes qui génèreraient
des syndromes non spécifiques selon lui. Il privilégie plutôt les caractéristiques qu’il considère comme vraiment pertinentes, dont la présence ou l’absence discriminerait les classes de
troubles. L’originalité du symptôme psychiatrique, dans son contenu comme dans sa manifestation, est de plus en plus admise (MINKOWSKI, 1966). Ainsi, les aliénistes privilégient dans
l’observation les aspects expressifs, mimiques, comportementaux voire de présentation, alors
qu’ils interrogent sur les contenus de conscience et les expériences vécues. Cependant, dans la
description de la maladie où est ramassée cette expérience clinique, une duplicité est maintenue entre les caractéristiques qui aident au repérage diagnostique et celles qui constituent la
nature même de l’entité. Ainsi, la célèbre description des « masques de Chaslin », ou de la
« bouche en groin » des catatoniques de Kahlbaum, « l’œil bovin » de Dagonet dans la manie,
le pli dépressif de la paupière de Veraguth.. Mais l’authentique symptôme psychiatrique est ce
qu’il est, c’est-à-dire « ni précis, ni isolé », ni « reconnaissable par lui-même » (Berner et
Luccioni, 1984). L’incohérence du confus n’est pas celle du schizophrène, dont le retrait affectif n’est pas celui du mélancolique. Ainsi, les aliénistes postulent que le symptôme est non
seulement un fait, mais aussi un symbole. Parallèlement des concepts élaborés, complexes et
abstraits, sont introduits. Ils correspondent, non pas directement à des perceptions issues
d’observations, mais à des jugements dégageant le « fondamental » de l’« accessoire ».
3) Dans la description des troubles mentaux, d’autres symptômes sont à considérer en dehors
de la sémiologie immédiate : ainsi l’âge, le sexe, voire parfois la constitution physique du
patient doivent-ils être pris en compte. Par exemple, l’âge permet de différencier la démence
sénile de la presbyophrénie. Par ailleurs, l’évolution des troubles constitue aussi un argument
discriminant pour poser un diagnostic. Ceci différencie donc la classification diagnostique de
la simple classification botanique.
Au total, qu’avait-on appris, depuis Pinel, sur les maladies mentales ? (Berner et Luccioni,
1984) :
-
que si leur organicité devait être le premier postulat, il fallait le plus souvent se résoudre à en présenter des modèles dépourvus de références étiologiques et pathogéniques ;
-
qu’il était vain d’en chercher des invariants précis, à la manière de la médecine somaPage 8 de 14
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tique, et que la sémiologie efficace, volontiers ambiguë, renvoyait surtout à
« l’expérience clinique » ;
-
qu’elles n’étaient pas de simples ensembles de symptômes, puisque leur définition incluait des « corrélats », et que leur évolution avait des manifestations spectaculairement différentes.
Dans les années qui suivirent, Morel développa sa théorie, qu’il plaçait sous « l’autorité de la
Genèse », et qui contribuera à faire changer le concept de maladie mentale. Il élabora le concept de dégénérescence, que Magnan débarrassera de sa connotation religieuse, et qu’il fut
nécessaire d’intégrer dans une doctrine des constitutions. Cette constitution se décline dans
deux axes :
-
l’importance du capital génétique, qualifié d’ « équipement héréditaire » selon la terminologie de l’époque ;
-
l’intérêt prédominant de l’instinctivo affectif sur le cognitif ;
Mais surtout, le concept de trouble mental changea à cette époque. La maladie mentale n’était
plus quelque chose que l’on avait, mais une manière d’être. La notion de personnalité pathologique était née, décrite par Dupré à travers huit types de déséquilibres, et par Kraepelin
comme des « personnalités psychopathiques ». Kurt Schneider, quant à lui, définit ses personnalités psychopathiques comme des déviances de la moyenne (Kurt Schneider, 1955).
Delmas tente alors de souder normal et pathologique, en introduisant une distinction en degrés
entre les deux. Il reconnaît, dans la personnalité, 5 « dispositions affectives-actives », 5 tempéraments et 5 constitutions psychopathiques (émotive, cyclothymique, paranoïaque, perverse
et mythomaniaque), dont les psychoses sont des formes extrêmes d’évolution. Kretschmer, lui
aussi, conjugue caractérologie et psychiatrie, et propose deux séquences : cyclothyme - cycloïde – cyclophrène et schizothyme – schizoïde – schizophrène. Mais il y ajoute une caractéristique morphologique avec ses types « pycnique » et « leptosome ».
Partant de l’idée que psychisme et organique sont intimement liés, l’idée d’un mental sous
l’emprise de l’organique se développe alors, conférant à une partie des troubles mentaux un
statut réactionnel. Mais parallèlement, un courant de réflexion organo-dynamique se développera, couronné par l’œuvre d’Henri Ey (Henri Ey, 1915), où « organo » réfère non pas à
l’organique, mais à l’organisation mentale. La pathologie réactionnelle sera décrite à partir
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des situations d’incarcération, et bien entendu de guerre, et sera surtout l’œuvre de l’école
allemande. Quant à l’organo-dynamique, elle va progressivement atténuer la valeur du symptôme clinique. Ainsi, en introduisant le groupe des schizophrénies, Bleuler ne propose pas à
Kraepelin un simple déplacement de frontière dans l’espace sémantique. « Nous n’avons pu
découvrir de cloisons naturelles dans le tableau clinique de la maladie », dit-il. En effet, « les
diverses combinaisons symptomatiques sont d’une nature si transitoire chez chaque patient
pris individuellement, aussi bien que chez des patients différents, que toutes les distinctions
apparaissent vague » (Berner et Luccioni, 1984). Les signes fondamentaux, exprimant directement le processus morbide, apparaissent rares, sinon masqués, puisque la maladie peut évoluer pendant longtemps sans symptôme. La dissolution des entités morbides clairement définies dans un cadre taxinomique est donc engagée par ces glissement, et avec elle la perte
d’intérêt pour les classifications, voire le diagnostic, au profit de l’analyse psychopathologique. Ce déclin général d’intérêt pour la nosographie s’est accentué après la 2° guerre mondiale, et la responsabilité est alors attribué à la grande vague psychodynamique.
Mais les considérations budgétaires et la nécessité de prévoir des crédits pour la prise en
charge des maladies mentales, autant que l’arrivée des psychotropes à la fin des années 50,
ont progressivement relancé l’intérêt de praticiens qui avaient appris à considérer la nosographie avec beaucoup de distance. Les premières classifications INSERM, longtemps utilisées
pour coder les pathologies à l’hôpital, étaient constituées de listes d’entités morbides, sans
critère. Avec l’arrivée d’une critériologie issue de repères empiriques utilisés pour la recherche, le DSM-III (Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorders) a réalisé une
petite révolution. Plus tard, la CIM10, de l’OMS, a réalisé un travail assez proche, parallèlement à l’évolution du DSM vers la version IIIR, IV, puis IVR.
Berner et Luccioni (1984), insistent sur le fait que la psychiatrie est une discipline médicale.
Cette médicalisation est d’ailleurs plus une vocation qu’une apparence. L’usage des psychotropes en a fait une réalité. Cette médicalisation impose que les essais cliniques soient conduits sur des concepts clairs et distincts, alors qu’une catégorie comme celle des « dépressions » est sans doute aussi confuse que celle des « fièvres ». Ainsi la psychiatrie, par la biologie, est entrée dans le cercle des sciences, en miroir des neurosciences (JEANNEROD,
2003). La progression des connaissances amènera certainement un remaniement de la classification nosographique.
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V Le diagnostic comme instrument de la qualité des soins
Une fois le diagnostic psychiatrique posé, l’horizon de la qualité s’éclaircit un peu. En effet,
ce diagnostic permet :
1) de mettre en place une stratégie de soins adaptée et cohérente, dans le cadre de la spécificité psychiatrique. L’abord du patient tient toujours compte du diagnostic : comment imaginer que la prise en charge d’un schizophrène sera la même que celle d’un
agoraphobe ou d’un état de stress post-traumatique ?
2) de structurer un dossier médical ;
3) de communiquer avec ses confrères hospitaliers et libéraux, et en particulier avec le
médecin traitant généraliste. Ce dernier, en interaction étroite avec la famille du patient, permettra de diffuser à cette dernière l’information utile à tous pour restaurer des
relations altérées par la maladie ;
4) de structurer de nouveaux symptômes comme une complication du trouble existant, ou
comme l’apparition d’in nouveau trouble, différent du précédent. Ainsi peut-il en être
de symptômes dépressifs compliquant par exemple une phobie sociale, ou bien de
l’aggravation de troubles de mémoire à court terme accompagnée d’une désorientation
temporo-spatiale chez un sujet du 3° âge, déprimé.
Ainsi, même si la notion de diagnostic en psychiatrie s’écarte notablement du modèle pasteurien, ce dernier représente cependant le principal repère capable de structurer une démarche
de qualité. Et ceci quelle que soit l’acteur de référence de cette qualité : organisme payeur,
Etat ou patient.
VI Conclusion
Le psychiatre libéral développe depuis longtemps une démarche qualité individuelle orientée
vers la satisfaction de son patient. Mais rien ne dit que son « savoir-faire », ainsi exprimé,
pourra se passer longtemps d’un « faire savoir » diffusé bien au-delà du colloque singulier. La
démarche qualité investira la spécificité du champ psychiatrique, comme elle a investi tous les
domaines de la vie moderne. Cette démarche sera nécessaire pour rendre compte du service
rendu, non seulement aux organismes payeurs, mais également à l’Etat. Or, dans sa démarche
explicative, le psychiatre, comme tous les médecins, ne peut se passer de l’étape diagnostique,
même si le modèle psychiatrique ne se superpose pas exactement au modèle médical pasteurien. Néanmoins, la réticence actuelle des psychiatres français vis-à-vis de l’étiquetage diagnostique, qui puise sa source dans la culture mentale de notre histoire, devra être surmontée
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pour permettre la mise en place d’une démarche qualité globale. En effet, depuis Pinel, tous
les efforts des psychiatres ont porté sur l’identification de catégories diagnostiques parfois
difficiles à extraire du flou symptomatique exprimé par les patients. C’est dans cette continuité que se positionnera petit à petit le diagnostic, autour duquel la démarche qualité
s’articulera.
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Figure 1
Comorbidités du TAG
TAG pur
139
80
Dépression Majeure
41
Agoraphobie
32
Phobie sociale
18
Trouble Panique
11
Alcool
Psychose
7
TOC
7
Boulimie
6
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