Fiche de lecture Lucie
Le sens pratique Bourdieu (1980)
Le sens pratique s’inscrit dans une certaine mesure dans le projet du Métier de sociologue : il
s’agit également d’objectiver le rapport objectif à l’objet, c’est-à-dire d’adopter une attitude extérieure
aux choses observées en prenant conscience de la distance qui les séparent du sociologue afin de ne
pas être le jouet des prénotions et des préconstructions.
Cependant on peut noter une inflexion de la pensée bourdieusienne dans la mesure il s’agit de
comprendre une logique, la logique pratique qui est « une compréhension immédiate et aveugle à elle-
même » à l’aide d’une part d’une « logique logique », c’est-à-dire celle de la connaissance savante
(exposée dans Le métier de sociologue ), et d’autre part de la maîtrise du système de schèmes de la
logique pratique étudiée, c’est-à-dire dans une objectivation du rapport subjectif à l’objet.
La démarche du sociologue est donc à la fois d’objectiver le rapport objectif et subjectif à
l’objet. Il ne s’agit toujours pas de « se mettre à la place de », c’est-à-dire d’adopter un rapport
subjectif à l’objet, mais d’objectiver ce rapport subjectif.
Je n’ai fiché que les chapitres qui me semblaient s’inscrire dans une perspective « expliquer et
comprendre ».
Préface
- La compréhension
Le sens pratique se présente comme un retour sur L’Esquisse d’une théorie pratique et La distinction
afin « d’objectiver le rapport objectif et subjectif à l’objet » par une reconstruction rétrospective des
étapes qui ont conduit ces deux précédentes études.
Bourdieu explicite tout d’abord l’introduction de la méthode structurale en sciences sociales « ou le
mode de pensée relationnel qui, rompant avec le mode de pensée substantialiste, conduit à
caractériser tout élément par les relations qui l’unissent aux autres en un système et dont il tient son
sens et sa fonction ».
Comprendre les rites ne peut ainsi être effectuer que par une mise en relation systématique des
signifiants qui seule peut permettre une compréhension du signifié.
Comprendre est donc, comme l’écrit Wittgenstein dans La « Remarque sur le rameau d’or de Frazer »
(1977), « précisément voir les corrélations ».
Un schéma est ainsi un groupement du matériau factuel, c’est-à-dire à la fois un acte de construction et
d’interprétation en ce qu’il porte au jour l’ensemble du système de relations.
- Principes de la logique pratique
« L’intention même de comprendre les logiques pratiques suppose une véritable conversion de toutes
les dispositions acquises et en particulier une sorte d’oblation de tout ce qui s’associe d’ordinaire à la
réflexion, à la logique et à la théorie ».
En effet une difficulté propre à l’étude de la logique pratique est que cette logique est cohérente en
gros, jusqu’à un certain point puisqu’il s’agit de rechercher l’efficacité plus que la cohérence en soi.
Il n’y a donc pas de cohérence parfaite du système « malgré la vulgate structuraliste et la demande
sociale ».
Le paradoxe et la difficulté est donc que l’on veut saisir une logique pratique par une logique logique,
« on ne peut saisir la logique de la pratique que par des constructions qui la détruisent en tant que
telle aussi longtemps que l’on ne s’est pas interrogé sur ce que font les instruments de l’objectivation,
généalogies, schémas, tableaux synoptiques, cartes, plans ». Le sociologue doit être conscient qu’il
construit un « modèle d’une pratique qui n’a pas pour principe ce modèle », le modèle devient faux et
dangereux dès que l’on le traite comme des principes réels.
Or la difficulest que l’interprétation ne peut avancer d’autre preuve de sa vérité que sa capacité de
rendre raison de la totalité des faits et de manière cohérente.
La compréhension est donc de mettre à jour les limites de la logique, immanentes aux pratiques
qu’elle s’efforce de manifester.
-l’objectivation contre l’intuitionnisme
L’intuitionnisme es t la négation fictive de la distance entre l’observateur et l’observé. Or cette
distance est insurmontable, ineffaçable, il est donc nécessaire d’objectiver cette distance.
La distance est moins on la cherche, c’est-à-dire dans les différences culturelles, mais dans la
rapport à la nécessité, dans l’écart entre deux rapports au monde, l’un théorique, l’autre pratique.
« Le rapport entre l’observateur et l’observé est un cas particulier de la relation, entre le connaître et
le faire, entre l’interprétation et l’utilisation, entre la logique logique, c’est-à-dire armée de tous les
instruments accumulés de l’objectivation et la logique universellement prélogique de la pratique ».
-la pratique est à elle-même sa fin.
Bourdieu prend l’exemple des rites qui sont « des actes que l’on fait parce que ça se fait ou que c’est à
faire (…) C’est ce que le travail d’interprétation, qui vise à restituer leur sens, à en restituer la
logique, porte à oublier : ils peuvent n’avoir ni sens ni fonction, sinon la fonction qu’implique leur
existence même ».
Le rituel est dans cette perspective une conduite sensée et dépourvue de raison.
-pour une démarche compréhensive
« Il faut faire entrer dans le travail scientifique de ce que c’est que d’être indigène, c’est-à-dire dans
cette relation de docte ignorance, de compréhension immédiate et aveugle à elle-même qui définit le
rapport pratique au monde ».
Il ne s’agit donc pas de « se mettre à la place de », c’est-à-dire d’adopter un rapport subjectif à l’objet
qui nie la distance existante entre observateur et observé, mais d’objectiver les rapports subjectif et
objectif à l’objet. Cette compréhension peut être faite par d’une part la maîtrise du système de schèmes
propre à la logique pratique et d’autre part le connaissance savante de la logique.
Bourdieu prend un exemple d’une telle compréhension de la logique pratique qu’il avait développé
dans la Distinction , dans l’analyse des jugements que des Français interrogés en 1975 par un institut
de sondage portaient sur des hommes politiques. Grâce à sa « maîtrise indigène du système de schèmes
qui inclinent à attribuer à Georges Marchais le sapin, le noir, ou le corbeau et à Valéry Giscard
d’Estaing le chêne, le blanc, le muguet, [il] pouvai[t] tenir ensemble et l’expérience indigène de la
familiarité paresseuse avec un symbolisme ni tout à fait logique ni tout à fait illogique et la
connaissance savante de la logique. »
Livre I : Critique de la raison pratique
- l’opposition ruineuse entre subjectivisme et objectivisme
« De toutes les oppositions qui ruinent le plus la science sociale, la plus fondamentale et la plus
ruineuse est celle qui s’établit entre subjectivisme et objectivisme. (…)Une science du monde social ne
peut de réduire ni à une phénoménologie sociale ni à une physique sociale. »
.Le mode de connaissance phénoménologique est définie comme une expérience qui par
définition ne se réfléchit pas, c’est-à-dire à travers une appréhension du monde comme évident et
allant de soi.
Exclusion de toute interrogation sur les conditions de possibilité de cette expérience.
Omission de l’objectivation du subjectif.
.L’objectivisme est la démarche qui conduit à établir des régularités objectives ( structures,
lois, systèmes) indépendantes de la conscience et des volontés individuelles.
Refus du projet d’identifier la science du monde social à une description scientifique de l’expérience
préscientifique, comme Schütz et la phénoménologie ou il s’agit d’une « construction du second degré,
c’est-à-dire des constructions de constructions produites par des acteurs sur la scène sociale »
Collected Paper (1962), ou comme Garfinkel et l’éthnométhodologie « un compte-rendu d’un compte-
rendu » Studies in Ethnomethodology (1967).
De fait l’objectivisme ignore la relation entre le sens vécu qu’explicite la phénoménologie sociale et le
sens objectif que construit la physique sociale.
Omission de l’objectivation de l’objectif : la science sociale ne doit pas seulement rompre avec la
représentation indigène de cette expérience, l’objectivisme constitue dans cette perspective un moment
nécessaire de rupture avec l’expérience première, mais il lui faut par une seconde rupture mettre en
question les présupposés inhérents à la position de l’observateur, qui, attaché à intermréter des
pratiques tend à importer dans l’objet le principes de sa relation à l’objet.
Bourdieu souligne que ce point de vue souverain de l’objectivisme ne se prend jamais aussi aisément
que depuis les positions élevées dans l’espace social d’où le monde social se donne comme en
spectacle, comme en représentation : « toute connaissance objectiviste enferme une prétention à la
domination légitime ».
-objectif de l’ouvrage :
Rendre possible une véritable connaissance savante de la pratique et du mode de connaissance de ma
pratique, c’est-à-dire de mener une analyse du rapport subjectif du savant au monde social et du
rapport objectif que suppose ce rapport subjectif.
Chapitre I : Objectiver l’objectivation
-mise à jour de l’inconscient épistémologique du structuralisme :
référence à Saussure : distinction originaire entre le discours ( donnée immédiate) et la langue
( système de relations objectives). Le médium de la communication est paradoxalement la langue et
non le discours, la langue produit la parole d’un point de vue logique et non chronologique.
La relation est donc pensée sur le rapport entre le modèle et son exécution, son essence et son
existence.
Le raisonnement présuppose donc un passage de la régularité au règlement constant par un glissement
du modèle de la réalité à la réalité du modèle.
- risque de l’ignorance du rapport à l’objet.
Cad ignorance de tout ce que la théorie de l’objet doit au rapport à l’objet.
Il faut au contraire adopter une nécessaire conscience critique des limites inscrites dans les conditions
de production de la théorie.
Ainsi dans le cas de l’observation participante, la position de l’observateur limite de fait sa
compréhension de la situation totale, la position de l’ethnologue comme étranger, exclu du jeu réel des
pratiques sociales ou qui n’y entre que par choix ou par jeu implique un risque de projection dans
l’objet d’un rapport d’objectivation non objectivé.
Ainsi comme l’écrit Turner dans The forest of symbols (1970), « La vision du simple observateur
participant à un rite est imitée par le fait qu’il occupe une position particulière.(…) Le participant a
toutes les chances d’être gouverné dans ses actions par un certain nombre d’intérêts, de desseins et de
sentiments qui dépendent de sa position particulière et qui compromettent sa compréhension de la
situation totale ».
Chapitre II : L’anthropologie imaginaire du subjectivisme
-Difficulté spécifique à la science de l’homme dans la mesure elle se fait de l’homme, à la fois
objet et sujet de la science.
-La croyance comme décision : l’illusion d’une construction anthropologique préexistante à la
théorie de l’acteur.
Bourdieu souligne le présupposé qui envisage un acteur sans attache ni racine qui agit par calcul
rationnel qui conduit à une théorie ( notamment la théorie économique) la croyance est comprise
comme à la fois logiquement nécessaire et sociologiquement inconditionnée, c’est-à-dire comme une
décision. L’origine des actes est recherchée dans une intention consciente.
Bourdieu leur reproche l’ignorance du fait que les pratiques peuvent avoir d’autres principes que les
fins conscientes : « il y a une raison immanente aux pratiques qui ne trouve son origine ni dans les
décisions de la raison comme calcul conscient ni dans les déterminations de mécanismes extérieurs et
supérieurs aux agents ». En effet de telles actions peuvent être raisonnables sans être le produit d’un
dessein raisonnné, intelligibles et cohérentes sans être issues d’une intention de cohérence et d’une
décision délibérée.
Chapitre III : Structures, habitus, pratiques
« La théorie de la pratique en tant que pratique rappelle, contre le matérialisme positiviste, que les
objets de connaissance sont construits, et non passivement enregistrés, et contre l’idéalisme
intellectualiste, que le principe de cette construction est le système des dispositions structurées et
structurantes qui se constitue dans la pratique et qui est toujours orienté vers des fonctions
pratiques. »
La pratique constitue ainsi le lieu de la dialectique entre des produits objectivés (les structures) et
incorporés ( l’habitus) en définissant l’habitus comme « système de dispositions durables et
transposables, principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations,
collectivement orchestrées sans être le produit de l’action organisatrice d’un chef d’orchestre ».
L’habitus se distingue donc d’un calcul optimisateur, ses anticipations constituent des hypothèses
pratiques fondées sur l’expérience passée, il ne s’agit donc ni de déterminisme extrinsèque
(objectivisme spontané), ni intrinsèque (subjectivisme spontané) mais de dispositions intérieures qui
résultent de l’intériorisation de l’extériorité.
De ce fait, il existe deux modes d’objectivation : l’objectivation dans le corps et dans l’institution.
Chapitre V : La logique de la pratique
Paradoxe et difficulté spécifique à la science sociale : les modes de connaissance savants sont opposés
aux modes de connaissance pratique qui est au principe de l’expérience ordinaire du monde social.
En effet « il faut reconnaître à la pratique une logique qui n’est pas celle de la logique pour éviter de
lui demander plus de logique qu’elle n’en peut donner et de se condamner ainsi soit à lui extorquer
des incohérences, soit à lui imposer une cohérence forcée ».
La pratique exclut donc la retour sur soi, dès qu’il réfléchit sur sa pratique, se plaçant ainsi dans une
posture quasi théorique, l’agent perd toute chance d’exprimer la vérité de sa pratique et surtout le
rapport pratique à la pratique. Du seul fait qu’il est interrogé ou s’interroge sur la raison et la raison
d’être de sa pratique, il ne peut transmettre l’essentiel, à savoir que le propre de la pratique est qu’elle
exclut cette question.
Chapitre IX : L’objectivité du subjectif
La réalité que doit appréhender la science sociale est intrinsèquement double : la sociologie doit traiter
les faits sociaux comme des choses en reconnaissant qu’ils sont des objets de connaissance dans
l’objectivité même de l’existence sociale, mais elle doit réintroduire également dans sa définition
complète de l’objet qu’elle a dû détruire d’abord pour conquérir la définition « objective ».
Il y a donc deux ordres : les propriétés matérielles et symboliques ( perçues) des objets.
Par exemple dans l’analyse des rapports de classe existent des rapports objectifs d’exploitation et des
rapports symboliques, ces deux ordres sont importants notamment pour comprendre la perpétuation
des rapports de force. :
« L’objet de la science sociale est une réalité qui englobe toutes les luttes, individuelles et collectives,
visant à conserver ou à transformer la réalité, et en particulier celles qui ont pour enjeu l’imposition
de la définition légitime de la réalité et dont l’efficacité proprement symbolique peut contribuer à la
conservation ou à la subversion de l’ordre établi ».
Livre II- Logiques pratiques
Paradoxalement, la science sociale ne parle sans doute jamais autant le langage de la règle que dans les
cas précisément il est le plus inadéquat, c’est-à-dire dans l’analyse de formations sociales où, du
fait de la constance au cours du temps des conditions objectives, la part qui revient à la règle dans la
détermination réelle des pratiques est particulièrement réduite, l’essentiel étant confié aux
automatismes de l’habitus.
Ainsi le discours sur l’objet exprime davantage le rapport à l’objet que l’objet lui-même.
L’objectif est alors de se situer au principe même de la pratique pour le saisir comme dit Marx « en
tant qu’activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon subjective ». Il s’agit d’adopter un
mode de pensée qui permet de se faire le sujet théorique de la pratique des autres ou de la sienne
propre mais tout autrement que ne le croient les chantres du « vécu ».
En effet cette appropriation suppose tout le travail nécessaire pour objectiver d’abord les structures
objectives ou incorporées pour surmonter ensuite la distance inhérente à l’objectivation : « le travail
scientifique procure une expérience étrange, rapprochant l’étranger sans lui enlever rien de son
étrangeté ».
Chapitre III : Le démon de l’analogie
Bourdieu s’attache à l’explicitation du fonctionnement des pensées prélogiques : celui-ci s’effectue sur
le mode de l’opposition.
-Application de la démarche à l’étude des rites kabyles :
L’auteur met à jour un système intégré de schèmes générateurs, partiellement mobilisés en fonction de
chaque situation particulière, dont les oppositions sont constitutives du système : il s’agit des
oppositions entre masculin/féminin, sec/humide, fort/faible, devant/derrière, chaud/froid…Toutes les
oppositions n’ont pas le même poids dans le réseau des relations qui les unissent, l’opposition centrale
étant celle du masculin/féminin fortement interconnectées avec les autres.
Connaissant le principe de la division fondamentale ( dont le paradigme est l’opposition entre les
sexes), la démarche consiste alors à réengendrer , donc comprendre complètement toutes les pratiques
et tous les symboles rituels à partir de deux schèmes opératoires : le schème de la réunion des
contraires séparés ( dont le mariage, le labour, la trempe du fer sont des exemples) et le schème de la
séparation des contraires unifiés. Ces deux opérations ont en commun leurs caractères de sacrilège
inévitables.
Il suffit donc de se donner le principe de l’opposition fondamentale et ces deux classes d’opération
pour reproduire l’ensemble des informations pertinentes dans une description construite, tout à fait
irréductible à l’énumération interminable et pourtant incomplète des rites.
En effet tous les rites de séparation présentent des analogies évidentes, en dépit des variations de détail,
du fait qu’ils mettent en œuvre le même schème , à savoir couper, parer et un ensemble d’objets
propres à symboliser ces opérations.
-Autre exemple de la démarche d’interprétation : la question de la mesure du degré de légitimité
d’un rite.
Le degré de légitimité et l’importance sociale d’un rite est mesurée par la forme d’organisation
collective qu’il impose : le symbolisme mis en œuvre est d’autant plus inconscient que les rites sont
plus officiels et collectifs, d’autant plus conscients et plus instrumental que les fins sont privées.
-efficacité de la logique pratique.
La polysémie des symboles et la substituabilité des schèmes au principe même des homologies entre
les différents domaines du réel que l’analyse a découvert permet un ajustement à chaque situation
particulière : les structures fondamentales se réalisent dans des significations très différentes selon les
champs, la logique pratique tire profit des ambiguïtés des symboles, c’est pourquoi elle n’est pas
cohérente parfaitement
Ainsi, au risque d’être parfois comprise comme une régression vers l’intuitionnisme, la description par
construction que rend possible la maîtrise de la formule génératrice des pratiques se doit de rester
dans les limites d’exercice de la logique pratique.
Le modèle théorique qui permet de réengendrer tout l’univers des pratiques enregistrées est séparé de
ce que maîtrisent à l’état pratique les agents.
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