La Passion du rural | Tome 2 | chapitre IX
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Chapitre IX
Le développement régional au Québec, ce mal-aimé
La Politique nationale de la ruralité, adoptée en décembre 2001, a constitué une avancée
considérable pour les espaces ruraux. Mais une telle politique aurait dû, idéalement,
sarrimer à un document dorientation destiné à présenter une vision cohérente du
développement territorial pour lensemble du Québec habité : un Plan dorientation
national daménagement du territoire auquel se serait greffée une Politique de dévelop-
pement des territoires (incluant la Politique nationale de la ruralité et pourquoi pas une
Politique du réseau urbain ?). Un document dorientation na pas dobjectifs normatifs.
Il expose un cadre de référence, afin que les responsables sectoriels et territoriaux
puissent penser leurs propres politiques et définir leurs actions en termes de cohérence
nationale, arrimées au dispositif densemble. Une politique nationale de développement
des territoires (ou politique de développement régional) constitue le dispositif dynamique
qui poursuit des objectifs globaux tout en participant aux efforts des collectivités
territoriales dans leurs stratégies de développement spatial. Ces objectifs globaux sont
notamment l'équilibre et l'égalité des territoires.
Ce nest quen 2012 que le gouvernement du Québec adoptera une telle politique de
développement des territoires
1
(voir chapitre XI).
Les textes du présent chapitre témoignent à la fois de labsence dune telle politique
durant plusieurs décennies et dun plaidoyer pour son avènement.
En mai 1994, le ministère des Affaires municipales rendait publiques Les orientations du
gouvernement en matière daménagement du territoire, texte qui exposait les lignes
directrices que le pouvoir central entendait promouvoir en matière dorganisation et de
gestion du territoire. Inspiré fondamentalement dobjectifs dordre administratif et
budgétaire, ce document faisait lamentablement défaut de vision et de compréhension des
tendances économiques et sociales en cours qui bousculent les logiques de localisation et
remettent en cause les modèles doccupation et dorganisation de lespace habité des
quarante dernières années. Ce document fut vite relégué aux oubliettes.
Depuis le milieu des années 70, les gouvernements successifs promettaient une politique
de développement régional pour le Québec. Des programmes sectoriels et des mesures
dassistance aux régions en difficulté ont sporadiquement été adoptés pour lutter contre
des situations conjoncturelles aigües, mais jamais une politique globale et cohérente,
inspirée dune vision géographique, démographique, économique et sociale, na été
proposée. Bien que le libellé « politique régionale » ait été régulièrement utilisé pour
1
Le 5 avril 2012, l’Assemblée nationale du Québec adopte la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité
des territoires en appui à la Stratégie gouvernementale du même nom.
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qualifier des programmes gouvernementaux à portée limitée, lapproche globale et
intégrée a toujours fait défaut.
Le territoire habité du Québec est vaste, les disparités économiques et sociales entre les
régions sont grandes. Cest un enjeu permanent dassurer un développement équilibré
sur tout le territoire, de favoriser une accessibilité raisonnable aux services publics et de
procurer des conditions de vie comparables aux populations qui occupent les différentes
régions du Québec, centrales, intermédiaires et périphériques, urbaines et rurales.
Cest aussi un défi immense qui suppose en amont des interventions gouvernementales,
une vision à multiples facettes du Québec. Une vision qui prenne en compte lhistoire et
la géographie, mais aussi létendue de ce territoire que lon souhaite collectivement
occuper et habiter, les activités économiques à déployer pour créer de lemploi et
générer de la richesse, les patrimoines naturels et culturels à protéger et à mettre en
valeur.
Labandon de larges portions de territoires au processus de déclin et éventuellement à la
désertification, nest pas un progrès de société. Le destin du Québec ne saurait se limiter
à trois agglomérations métropolitaines et à un réseau dune trentaine dagglomérations
urbaines. Loccupation du territoire doit constituer lassise dun projet de société pour
lequel deux politiques majeures sont à promouvoir : une politique vigoureuse de
développement des territoires et une véritable politique de décentralisation des pouvoirs,
conférant aux autorités territoriales léventail de responsabilités et de moyens
nécessaires à la gouvernance autonome de tout ce qui concerne les sphères dactivités
des niveaux local, supralocal (MRC) et régional. Ces nouvelles responsabilités seraient
accompagnées des ressources financières correspondantes pour assurer leur bonne
gestion.
La question du développement régional a été une préoccupation permanente durant toute
ma carrière universitaire et dans les treize années qui ont suivi, plusieurs dimensions ou
éléments de la question donnant lieu à des thèmes denseignement, des réflexions, des
études, des mémoires et des publications.
La matière abondante et diversifiée produite au fil des ans, rendait difficile lexercice de
condenser en un seul chapitre lensemble des points de vue et des arguments développés,
sans devoir négliger des aspects importants du « discours ». Deux chapitres se partagent
le traitement de ce thème. Celui-ci, retient principalement des argumentaires critiques à
légard des positions et politiques gouvernementales et présente quelques éléments
théoriques du développement régional. Le chapitre XI porte sur la Stratégie gouverne-
mentale pour assurer loccupation et la vitalité des territoires et la loi du même nom
(projet de loi 34), adoptées au printemps 2012. Il contient notamment un exposé présenté
en Commission parlementaire chargée détudier le projet de loi 34.
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54. La nouvelle politique de développement régional : déceptions,
inquiétudes et espoirs
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Le Conseil des ministres donnait le 18 décembre dernier (1991), le feu vert à la nouvelle
politique de développement gional du ministre Yvon Picotte
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. Depuis longtemps
attendue, cette réforme provoque des réactions. Au-delà des absences et des faiblesses du
document Développer les régions du Québec, des potentialités réelles suscitent de
lespoir. Aux régions de sapproprier, à travers une démarche crédible et engagée, de ce
pouvoir de concertation, de priorisation et de coordination impliquant les ministères à
titre de partenaires de leurs stratégies. Aux ministères et au Secrétariat général associé
aux Affaires régionales à respecter « lesprit » de la réforme Picotte.
Déceptions et inquiétudes
À la lecture du document, il y a lieu de regretter que le projet soumis ne soit pas plus
novateur et ambitieux. Loccasion était pourtant propice à la formulation dune approche
avant-gardiste qui aurait intégré les nouvelles tendances du développement économique,
la logique déconcentrée de localisation dun nombre croissant dactivités de production,
les aptitudes daccueil des espaces non métropolitains de plus en plus valorisés pour le
redéploiement économique, la volonté et la capacité accrues des collectivités à participer
au processus de leur développement, le rôle grandissant des services et de lenviron-
nement naturel et bâti comme facteurs de localisation des entreprises et des familles, etc.
On regrette aussi l’absence dun énoncé politique ferme, audacieux, courageux, tra-
duisant un engagement résolu du gouvernement en faveur du développement de la société
québécoise fondé sur loccupation et la redynamisation économique, sociale et culturelle
de toutes les régions du Québec.
Lorsque le ministre déclare en entrevue « ... on ne peut pas laisser lesgions continuer à
péricliter comme elles périclitent actuellement parce que, en ce faisant, on affaiblit le
Québec au complet », on voudrait être certain que cela corresponde à une vision gou-
vernementale et que lensemble du Conseil des ministres y adhère.
On voudrait, dautre part, avoir la certitude que le Québec périphérique (Bas-St-Laurent,
Gaspésie/Iles-de-la-Madeleine, Côte-nord, Abitibi-Témiscamingue, Saguenay/Lac-St-
Jean) soit enfin un enjeu de cette réforme. Lorsque le ministre Johnson, en écho à son
collègue Picotte, répète encore que Montréal doit être la locomotive du Québec, faut-il
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VACHON, Bernard ; Texte publié dans la revue Relations, avril 1992. Dans un numéro ultérieur, Guy
Paiement, directeur de ce mensuel, écrivait en éditorial : « Tout se passe, comme si nous avions pris notre
parti de favoriser les régions en croissance économique et de fortifier les villes de banlieue, laissant à leur
sort les villes et les régions qui se vident et qui tombent rapidement dans le sous-développement social et
économique. Les résidents de l’Abitibi, de l’Outaouais, du Saguenay/Lac Saint-Jean et de la Gaspésie
n’eurent pas de peine à se reconnaître dans notre troisième dossier intitulé « Pas de pays sans les gions »
(avril 1992). L’urgence de développer autrement s’imposait. »
3
Ministre sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa.
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entendre que les régions nont dautre destin que celui dêtre à la remorque de la
métropole ?
Une politique de développement gional nest pas une fin en soi, mais un ensemble de
moyens au service dun projet de société défini sur la base dune occupation équilibrée du
territoire et dune accessibilité pour tous à lemploi et à la qualité de vie. Lavancement
dune société nest pas dans la contraction des espaces habités au nom de lefficacité
économique et administrative, mais dans la dynamisation économique, sociale et
culturelle des espaces où les collectivités veulent vivre, travailler et décider.
Ainsi, le grand défi du développement régional des années 90 nest plus essentiellement
damener les hommes vers les emplois mais aussi de diriger les emplois vers les hommes
(stratégie de redéploiement de lactivité économique). Les progrès fulgurants de
lélectronique, de linformatique et des communications associés aux mutations de la
structure économique vers un profil postindustriel et un nouveau partage du temps de
travail, rendent aujourdhui réaliste la perspective dune réoccupation des territoires
ruraux et dun développement déconcentré. Plusieurs zones rurales et petites villes régio-
nales actuellement marginalisées par la polarisation économique pourraient avantageu-
sement tirer profit de ces évolutions si des choix politiques et des stratégies appropriées
étaient adoptés pour en optimaliser les effets.
La lettre du document procure bien peu de moyens nouveaux mis à la disposition du
discours pour stimuler le virage gional annoncé. La structure institutionnelle den-
cadrement et de coordination des interventions gouvernementales est changée, mais les
budgets ministériels consacrés au développement régional ne contiennent pas dargent
neuf. La valeur de la forme Picotte réside donc dans son esprit, cest-à-dire dans des
potentialités qui restent à se faire valoir tant du côté du gouvernement que du côté des
territoires.
À lexamen du texte ministériel, on pourrait être porté à conclure à un manque de vision,
à labsence de courage politique pour modifier en profondeur le pattern actuel de
développement, être tenté aussi de douter des aptitudes réelles de la politique proposée à
réorienter le destin des régions vers un avenir plus prometteur.
Au-delà des absences fondamentales, certains éléments de la réforme soulèvent des
inquiétudes. Ainsi, le ministre Picotte présente son projet comme une politique décen-
tralisée de développement régional. Il sagit là dune conception plutôt généreuse puisque
selon les termes du document, les instances régionales nouvellement créées, les Conseils
régionaux, exerceront un mandat de concertation et de coordination en matière de stra-
tégies et de priorités de développement. Ils feront rapport au Secrétariat général associé
aux Affaires gionales (rattaché au Conseil exécutif) qui aura le dernier mot sur les
projets soumis.
En somme, les intervenants régionaux obtiennent un droit de parole, de conseil,
dadministration et de coordination dans le processus de développement régional, mais le
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pouvoir de décision demeure entre les mains du pouvoir central par le biais du Secrétariat
aux Affaires gionales. Le danger est que sexerce à ce niveau un contrôle qui prenne la
forme dune procédure de sélection dont les critères répondraient avant tout aux vues et
priorités du gouvernement plutôt quaux attentes et aux aspirations des populations
locales contenues dans les projets soumis. Dans un contexte si peu dautonomie est
concédée aux territoires, peut-on parler de décentralisation ?
Il y a certes matière à profonde déception pour les unions de municipalités (UMQ et
UMRCQ), les partenaires de Solidarité Rurale et les divers organismes régionaux qui
réclament depuis plusieurs années un « rééquilibrage du pouvoir du haut vers le bas ». On
est plutôt désinvolte au gouvernement quant au sens à donner à la décentralisation. À la
même période lannée dernière, le ministre des Affaires municipales, Claude Ryan,
transférait une facture de plus de 400 M$ aux municipalités locales, sans ressources
financières correspondantes, au nom de la décentralisation !
La décentralisation du pouvoir cest un choix politique déterminant en faveur dun mode
de gouvernement, dune façon de gérer les affaires publiques par le partage dun nombre
élargi de responsabilités avec les instances locales et régionales. Le transfert de com-
pétences doit saccompagner dune juste compensation financière afin de permettre à
lautorité publique concernée dassumer pleinement et adéquatement ses nouvelles res-
ponsabilités.
Les conditions nécessaires au bon fonctionnement de la réforme
Labsence de décentralisation des leviers cisionnels aux régions ne doit toutefois pas
occulter certaines potentialités que recèle la réforme Picotte qui, au-delà de l’esprit du
document officiel, offre un cadre susceptible davoir quelque incidence sur les orien-
tations et le contenu des décisions en matière de développement régional. Ces poten-
tialités sont notamment contenues dans la création des Conseils régionaux et du
Secrétariat général associé aux Affaires régionales ainsi que dans les budgets régionalisés
de 50 M$ et de 500 M$ provenant du fonds de développement de lOPDQ et des
ministères sectoriels.
Pour quelles se concrétisent en véritables forces de revitalisation régionale, certaines
conditions devront cependant être remplies :
1. les Conseils régionaux devront être des lieux dinformation, danimation, de
concertation et dinnovation capables de surmonter les luttes dintérêts et de
pouvoir pour permettre lélaboration de stratégies qui sortent des sentiers battus,
tournées vers la diversification économique et reposant largement sur les
ressources locales ;
2. les investissements prioritaires des Conseils régionaux devront être dans les
hommes : rehausser la volonté et la capacité des gens du milieu pour en faire des
partenaires et acteurs du développement ;
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