Impact et efficacité de la politique économique
conduite dans les petits espaces insulaires dépendants
Cas des Départements - Régions d’outre-mer
LOUIS DUPONT
The George Washington University
RESUME
L’amélioration du niveau de vie de la population et la garantie du bien-être social sont les principaux objectifs que se fixent la
plupart des pays. Quelles que soient les politiques suivies, ces objectifs ne peuvent-être atteints sans une croissance
économique durable.
Dans ce papier, nous proposons à partir du cas des DROM (départements- régions d’outre-mer), d’analyser et d’évaluer en
termes de performance économique, l’efficacité de la politique économique conduite dans ces régions ultrapériphériques de
l’Europe par rapport à celle de d’autres petites économies insulaires en développement. Pour ce faire, nous utilisons
conjointement le modèle de décomposition de la demande de Hollis Chenery et l’analyse de cointégration et de causalité de
Engels et Granger pour explorer les relations entre les trois facteurs identifiés comme susceptibles d’avoir une influence sur
la croissance de la demande satisfaite par l’offre locale, à savoir : la croissance de la demande intérieure, celle des
exportations, et la « reconquête du marché intérieur par les productions locales ». D’une part, les résultats empiriques
montrent que la croissance économique dans les DROM a une origine essentiellement exogène , caractéristique d’économies
de « rente administrative » dont les effets pervers ont déjà été identifiés ailleurs. D’autre part, appliquée aux données de la
Guadeloupe, l’analyse de cointégration et de causalité laisse présager qu’au seuil de 5% et au sens de Granger, il existe un
lien de causalité unidirectionnelle entre la demande intérieure et le PIB et une relation bidirectionnelle entre PIB et
importations. En revanche, les exportations ne causent pas le PIB mais le PIB cause les exportations. En clair, il en résulte
que par rapport à d’autres régions insulaires en développement dont le moteur de la croissance émane en grande partie des
exportations, celle des DROM est tirée pour l’essentiel par la demande intérieure et très peu par les exportations tandis que la
politique d’import-substitution prônée jusqu’ici dans ces territoires se solde par un échec, puisque ce mode de développement
ne cause au sens de Granger ni le PIB ni la demande intérieure. Enfin, soulignons que l’intérêt d’une telle étude réside dans le
fait qu’après diagnostic, elle fournit des enseignements utiles aux autorités d’outre-mer pour leur permettre d’élaborer de
nouvelles stratégies de développement fondées sur une logique de croissance optimale, respectueuse à la fois de l’homme et
de l’environnement.
Mots clés : Croissance économique; exportations ; import-substitution ; test de racine unitaire ; test de cointégration ; test de
causalité de Granger ; modèle de H.B Chenery.
Août 2010
Introduction
Bien qu’il s’agisse d’un outil de planification stratégique d’une importance majeure pour la
prise de décision, l’évaluation de la performance économique demeure une pratique sous-
utilisée en milieu insulaire. Pourtant, cette évaluation doit permettre de poser un jugement
objectif, en rapport avec une politique, un programme ou une stratégie, et de s’interroger sur
les mesures à prendre et les conditions à satisfaire pour bâtir une économie viable, compte
tenu des contraintes qui entravent les efforts de croissance économique, de création d’emplois
productifs et de bien-être social pour la majorité de la population. Cette évaluation doit
s’appuyer sur des buts clairement déterminés, sur des indicateurs pertinents et sur des sources
d’information multiples, en observant quatre principes intangibles: efficacité (faire les bonnes
choses), efficience (faire les choses bien), pertinence (qui est approprié), et cohérence
(comportant des liaisons logiques). Aussi, afin d’apprécier en termes de performance
l’efficacité de la politique économique conduite dans les DROM, le présent document se
propose de décrire, d’analyser et de comparer par rapport à d’autres petites économies
insulaires en développement, les mécanismes de croissance de ces régions d’outre-mer, d’en
comprendre les sources, d’évaluer les effets au plan socio-économique, pour ensuite être en
mesure de mettre en place des stratégies de résilience et de formuler des recommandations
susceptibles de mettre ces territoires sur une voie de croissance autoentretenue et durable.
La compréhension de la croissance, de ses mécanismes, de ses déterminants et de ses sources
a toujours été une préoccupation majeure pour la plupart des décideurs et des concepteurs de
politiques économiques à travers le monde. Si la croissance pour certains ne peut être
considérée comme une panacée dans la résolution des principaux problèmes sociaux tels le
chômage, pour d’autres elle facilite leur implémentation. Elle est donc une condition
nécessaire mais non suffisante pour assurer le bien-être social des individus.
La nécessité de réaliser une croissance économique durable devient donc un impératif pour
tout pays, quelque soit sa taille, son statut politique, et son stade de développement.
Les solutions conjoncturelles ou partielles ne peuvent suffire. Il importe de traiter les
problèmes à la source qui les génèrent. En conséquence, la réalisation de ce diagnostic
comparatif entre régions insulaires est une démarche indispensable pour tenter de comprendre
les raisons qui font que, au plan économique certains territoires réussissent mieux que
d’autres.
Ceci étant, la question essentielle qui émerge s maintenant de cette réflexion est : quelles
sont les mesures à entreprendre pour faire en sorte que la croissance économique ici ou soit
effective et qu’elle se traduise en développement durable ? Cette question est pertinente car
rappelons, que dans toute économie, il peut y avoir croissance sans développement comme il
peut y avoir développement sans croissance, et que l’on peut même être en présence d’une
croissance appauvrissante au sens de Jagdish Baghwati (1968, 1995).
L’expérience montre que la croissance n’est pas une fatalité et qu’elle n’est pas tributaire
uniquement des dotations factorielles dont peut disposer un pays donné mais qu’elle dépend
également en grande partie des politiques et des choix effectués par les autorités en place.
En bref, la croissance économique est un objectif de long terme, et seules les réformes
structurelles peuvent conduire à son amélioration, d’où la nécessité d’analyser les choix
effectués par les décideurs en termes de réformes et d’évaluer l’impact de ces dernières en
matière de croissance et de développement.
Dans ce contexte, le cas des DROM est intéressant à analyser à double titre : d’une part, il
permet d’aborder la théorie et la pratique de ces petites économies insulaires dépendantes dont
la croissance est impulsée de l’extérieur par une rente publique que représentent les transferts
publics financiers, rente administrative qui tire la croissance de ces régions par un effet
multiplicateur de la demande, en créant selon M. Dimou (2004) un « effet d’éviction » des
activités tournées vers l’exportation et la compétitivité, car ce sont les choix des ménages qui, de
manière directe ou indirecte guident l’allocation des ressources ». D’autre part, il permet à travers
les faits stylisés de comparer les résultats de cette politique avec ceux de pays et territoires qui
comme les DROM, subissent ce qu’il est convenu d’appeler le « syndrome hollandais »
(Dutch Disease), caractéristique des économies qui disposent d’un effet de (rente
administrative, pétrolière et/ou minière), engendrant la hausse des prix dans le secteur protégé
de la concurrence internationale, l’hypertrophie du secteur tertiaire, des déséquilibres
extérieurs, chômage, émigration.
En bref, cette étude consacrée à la situation spécifique des économies insulaires dépendantes
de Guadeloupe, Martinique et Réunion , explique par des analyses économétriques les
relations entre les facteurs qui induisent la croissance économique dans ces territoires. Cet
article est organisé comme suit :
Dans la première section, nous présentons le cadre d’analyse de la croissance par un bref
rappel des théories de la croissance.
La deuxième section aborde les méthodologies d’analyse des déterminants de la croissance à
la fois dans les petites économies insulaires indépendantes et dans celles des DROM ainsi
qu’une évaluation comparative de leurs performances économiques. La troisième section,
présente dans le cas de la Guadeloupe, les relations de cointégration et de causalité entre les
principales sources de la croissance économique . La quatrième section aborde les
implications politiques de ces résultats et propose des alternatives au processus de
développement actuel des DROM. Enfin, la conclusion synthétise les différents résultats
obtenus.
I. Cadre d’analyse de la croissance : Théories de la
croissance économique.
L’étude de la croissance économique à travers ses diverses théories a donné lieu à de
nombreux articles, colloques et conférences. La littérature économique consacrée à ce sujet
est pléthorique. Les principales questions abordées par cette littérature sont liées à la vitesse
de la croissance, et parmi ces questions, les suivantes : quelles sont les raisons pour lesquelles
certaines nations connaissent des taux de croissance plus rapides que d’autres ? quels en sont
les déterminants ?
La théorie moderne de la croissance économique trouve ses origines dans les contributions de
Solow et Swan dans les années 50. Les premiers modèles de croissance néoclassique
considéraient deux facteurs de production, le capital et le travail. Ces derniers mettaient
l’accent sur l’accumulation du capital comme facteur de croissance.
Le modèle de Solow proposé en 1956 constitue le point de départ et la pierre angulaire de
beaucoup d’analyses et de modèles proposés par la suite. Le modèle de Solow considère un
taux d’épargne et un taux de croissance de la population fixes et entièrement exogènes. Le
capital et le travail sont considérés comme les seuls facteurs de production.
Un défaut majeur de ce modèle est qu’il fait reposer le taux de croissance de long terme de
deux facteurs : le taux de croissance de la population et le niveau du progrès technologique.
En réaction aux défauts de la théorie néoclassique de la croissance et de son incapacité à
expliquer une partie des faits observés, un groupe de modèles a fait son apparition au milieu
des années 80, expliquant la croissance de long terme de façon endogène. Ces théories sont
qualifiées de théories de croissance endogène car elles cherchent à expliquer les mécanismes
de la croissance par des variables déterminées de façon endogène dans le modèle, notamment
par la prise en compte de l’éducation et en remplaçant la notion de capital physique par celle
de capital humain, c'est-à-dire par celle du savoir et par le stock de connaissances accumulées
dans la nation. Ce capital humain et cette diffusion du savoir sont considérés comme des
externalités contribuant à faire obstacle aux rendements décroissants du capital physique
accumulé. La conséquence est que le taux de croissance à long terme peut être influencé par
les interventions publiques (incitations fiscales, mise en place d’infrastructures ect). L’état a
donc un rôle à jouer dans la détermination du taux de croissance à long terme.
Des modèles de croissance endogène se sont beaucoup développés assez récemment grâce à la
disponibilité de bases de données riches et couvrant plusieurs variables économiques, sociales
et institutionnelles. Ces modèles s’appuient sur l’idée que pour comprendre les différences de
croissance entre pays à un moment donné ou sur une période de temps, il est nécessaire
d’identifier les facteurs qui expliquent cette variabilité.
L’équation de base de cette approche est une équation de régression de la forme :
ln(y)-ln(y-1) = f(y-1, X)
où le vecteur X regroupe un ensemble de variables explicatives (déterminants ou sources) de
la croissance du PIB par tête. ln(y)-ln(y-1) est le taux de croissance du PIB réel par tête.
La théorie de Solow prévoit un effet de rattrapage ou de convergence car généralement la
croissance du PIB par tête est plus rapide quand le niveau du début est faible, permettant alors
aux pays les moins avancés de rattraper les plus avancés ; Il s’agit au plan empirique d’une
convergence conditionnelle. La relation entre le taux de croissance et la position de départ est
négative lorsque les autres variables qui différencient les pays sont contrôlées ou sont
maintenues constantes.
Dans les modèles de croissance endogènes, les principales sources de croissance sont les
suivantes :
- le capital physique ;
- le capital humain ;
- les politiques de stabilisation ;
- les institutions et politiques structurelles :
- les innovations et les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Le capital physique (investissement public et privé) ou l’accumulation du capital physique
est une variable qui constitue un des principaux facteurs déterminants le niveau de production
réel par habitant, elle s’exprime souvent par la formation brute de capital fixe (FBCF) ;
Le capital humain regroupe des indicateurs relatifs à l’éducation et à la santé tels que : le
pourcentage de scolarisation au primaire ou l’espérance de vie à la naissance ;
Les politiques de stabilisation ont également un impact sur la performance économique a
travers la stabilisation des prix, mesurée par le taux d’inflation, le déficit budgétaire, la
balance des paiements, les distorsions du taux de change, et l’endettement extérieur ;
Les institutions et politiques structurelles : le taux de croissance économique peut être
affecté par les politiques structurelles et la qualité des institutions. Les gouvernements
peuvent avoir une influence sur la croissance à long terme en créant un climat propice pour
l’investissement en adoptant des politiques incitatrices qui favorisent l’allocation des
ressources. Cette variable est appréhendée par des indicateurs tels que :
La profondeur financière, notamment le ratio des concours à l’économie sur le PIB,
l’ouverture commerciale exprimée par le ratio des importations et des exportations au PIB, la
taille de l’état mesurée par les dépenses de gouvernement rapportées au PIB, les services
publics et les infrastructures. A cela, il convient d’ajouter la gouvernance, mesurée par des
indicateurs comme la prévalence de la loi et de l’ordre, la qualité de la bureaucratie, la
diffusion de la corruption, et la responsabilité des pouvoirs publics.
L’innovation et les nouvelles technologies de l’information et de la communication :
Les mesures les plus utilisées dans les travaux empiriques pour terminer l’impact des TIC
sur la croissance économique sont des variables comme : le nombre de lignes téléphoniques,
le nombre d’ordinateurs par personne, les dépenses en TIC, les dépenses en recherche et
développement en pourcentage du PIB.
II. Méthodologies d’analyse des déterminants de la croissance dans les
petites économies insulaires indépendantes et dans les DROM :
Performances économiques comparatives
Population, ressources naturelles et taille du marché intérieur ont été les composants
traditionnels de l’équation déterminant la richesse des nations selon les économistes
classiques. Les nouvelles directions de recherche ouvertes par les théories de la croissance
endogène et les résultats des études statistiques comparatives sur les déterminants de la
croissance ont relancé l’intérêt sur les relations entre effets d’échelle, taille des marchés et
rôle du commerce international dans la croissance des petites économies.
Cependant, ces différentes recherches ainsi que le débat qu’elles ont suscité se sont rarement
focalisés sur le cas des petites économies insulaires en développement.
Pourtant, la nature des mécanismes de croissance observés parmi ces territoires a conduit à
des trajectoires de développement différencié . En termes de stratégie et de politique
économique, certains se sont renfermés sur leur marché local, en exploitant les effets de
demande générés par « une rente administrative » , cas des économies insulaires dépendantes
(ex : les DROM) tandis que d’autres ont opté pour une très forte ouverture économique, en
s’appuyant sur des effets de compétitivité et de productivité : Cas de la plupart des micro-
états insulaires indépendants de la caraibe, de l’océan indien ou du pacifique.
En conséquence, la stratégie de croissance recommandée et suivie depuis de nombreuses
années par les DROM se fonde sur une politique protectionniste et d’import-substitution,
facilitée en cela par un arsenal de barrières douanières tarifaires et non tarifaires qui atteignent
souvent des niveaux élevés. Cette politique est destinée à procurer des ressources fiscales aux
collectivités locales, à favoriser le développement d’industries locales et à protéger les
activités traditionnelles menacées par la concurrence des importations en provenance de pays
voisins à main-d’œuvre bon marché.
Ce mode de développement a-t’il été économiquement efficace par rapport à celui de d’autres
petites économies insulaires en développement qui ont adopté une stratégie différente ?, a-t’il
permit de stimuler la croissance des DROM notamment par le développement d’industries
d’import-substitution ?
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