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Mali / Manuscrits de Tombouctou / Islam
Les manuscrits de Tombouctou, un islam encyclopédique et spirituel
(MFI / 05.02.13) Mezri Haddad, philosophe, ancien ambassadeur tunisien à
l’Unesco, commente le vol d’une partie des manuscrits de Tombouctou, dans le
nord du Mali. Ces documents séculaires étaient le symbole d’un islam spirituel,
d’un islam de tolérance.
RFI : Quel est ce trésor historique que recèle Tombouctou ?
Mezri Haddad : Il est par définition inestimable. Ce sont de très anciens manuscrits
qui sont très précieux d’un point de vue historique, d’un point de vue archéologique.
C’est toute une tradition qui risque ainsi de disparaître.
RFI : Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’aller dans la cité du désert, où
étaient justement rassemblés ces documents ?
M. H. : Dans ce qu’on peut appeler des marabouts. Dans ces régions-là, sont des
écoles coraniques, des écoles où l’on enseigne un islam plus ou moins spirituel. Et puis
on trouve aussi des manuscrits chez des personnes privées, qui ne sont pas des
collectionneurs, ce sont des gens qui ont hérité de leurs ancêtres ce genre de
manuscrits.
RFI : Dans des maisons privées, donc plutôt à l’abri ?
M. H. : J’espère qu’ils sont à l’abri. En tout cas, les manuscrits qui ont été détruits
étaient dans des endroits maraboutiques ou des écoles d’enseignement. Ce sont des
manuscrits qui étaient donc ouverts au public.
RFI : Ces manuscrits contiennent des textes religieux mais pas seulement. Il y a
aussi de la poésie, des textes scientifiques, etc, d’une incroyable richesse.
M. H. : Absolument. Parce que cet islam-là, ou cette tradition-là, elle était curieuse et
gourmande de tout ce qui relevait des choses de l’esprit : les mathématiques, la
géographie, la science, la médecine, la poésie, la grammaire… Et c’est en cela que cet
islam-là est merveilleux, c’est-à-dire qu’il est encyclopédique dans une certaine
mesure et surtout hautement spirituel.
RFI : Ce qui est également extraordinaire, c’est qu’il y a aussi tout un tas de
documents qui n’ont jamais été répertoriés ?
M. H. : Oui, malheureusement, jamais, et qui n’ont pas été déclarés « patrimoine
mondial » ou « patrimoine de l’humanité ». C’est une démarche que les Etats doivent
pourtant faire, mais cela n’a pas été fait. De toute façon, cela aurait été compliqué de
classer des manuscrits, parce que c’est très difficile de classer au rang de patrimoine de
l’humanité des manuscrits auprès de l’Unesco. J’espère que l’entrée des troupes
françaises dans cette région va permettre de préserver et de mettre à l’abri ce qui reste
et ce que l’on peut encore sauver de ces manuscrits.
RFI : Il faut mettre les manuscrits à l’abri, parce que l’on se souvient notamment
du pillage des musées en Irak il y a quelques années. A l’instar de l’Irak
justement, y a-t-il aujourd’hui un risque de pillage, de vols, de trafics à
Tombouctou?
M. H. : Maintenant que les troupes françaises sont sur le terrain et que les Maliens se
sont débarrassés de ces hordes obscurantistes - parce qu’il faut appeler un chat un
chat -, que cette ville est libérée, je pense qu’il n’y a plus de risques. Le risque qui
reste, c’est le trafic des criminels, des réseaux de crimes et les trafics en tous genres.
RFI : Vous expliquez que ces documents ont une valeur inestimable, mais ont-ils
une valeur marchande ?
M. H. : Bien sûr. Pour les collectionneurs, ils ont une valeur marchande. Ça peut
coûter et se vendre à prix d’or.
RFI : Est-ce que, par exemple, l’Unesco pourrait mettre en place une alerte, un
système de vigilance pour faire attention à ce que sur les enchères, et peut-être
demain dans les capitales européennes, ces documents soient mis en vente ?
M. H. : Je l’espère. En tout cas, j’ai téléphoné le 29 janvier dernier à quelques
collègues à l’Unesco. On n'y avait pas encore fait de communiqué. On attend, m’a-t-on
dit, de connaître l’ampleur des dégâts. Je pense que l’on aurait quand même pu faire
un communiqué en attendant de quantifier l’ampleur des dégâts, comme mes collègues
me l’ont dit. Aussi, on pourrait placer une alerte, en effet, pour dissuader les
trafiquants.
Souvenons-nous de la destruction des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan, qui
étaient, eux, classés patrimoine mondial. Ces gens-là n’hésitent devant rien pour
détruire. Ce monument-là du bouddhisme multimillénaire a été détruit. Il en est de
même à propos des manuscrits à Tombouctou. C’est pour cela qu’il faut, maintenant
que cette ville est plus ou moins libérée, vraiment veiller à ce que cette richesse du
Mali, du monde musulman et du monde en général, soit préservée de ces gens-là.
Il ne s’agit pas de criminels ou de fanatiques qui ne s’entendent pas et s’en prennent à
tout ce qui est de l’ordre du savoir. C’est dans leur réflexe d’agir ainsi. Je pense qu’il y
a aussi une stratégie derrière tout cela, parce que cet islam-là, cet islam maraboutique,
cet islam mystique, cet islam hautement spirituel, cet islam encyclopédique, c’est
l’ennemi mortel de l’autre islam, c’est-à-dire l’islam obscurantiste, l’islam wahhabite,
l’islam d’Ibn Taymiyya, l’islam d’Ibn al-Banna, l’islam en un seul mot, l’islam du
Qatar parce que c’est un islam wahhabite.
Il faut donc faire attention, parce que ces gens-là sont en manœuvre depuis des années.
Ils ne sont pas là depuis quelques mois, ils y sont depuis déjà quelque temps. Et il y a
une compétition, une tentative d’enrayer tout ce qui ressemble à cet islam de tolérance,
à cet islam des Lumières, à cet islam de l’acceptation, de l’autre, quel qu’il soit. Il est
en train d’être enrayé par ces foules d’obscurantistes pour qu’il se substitue à cet
islam-là. L’islam wahhabite contre l’islam malikite, sunnite et africain de ces régionslà.
Propos recueillis par Caroline Paré
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