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développée sur les « grammaires de l’individu »
et les nombreuses
manifestations de la prévalence des tendances individualistes.
Le vocabulaire philosophique de l’autonomie
, parfois peu
abordable à cause de sa technicité terminologique, a aujourd’hui
trouvé des correspondances dans une littérature sociologique très
attirée par des questions d’autodétermination et de possibilité
d’une vie authentique et libre. Il ne suffira pas de dénoncer ces
ambitions comme naïves et illusoires parce qu’elles minimisent le
poids des limites structurelles de la vie individuelle. La conscience de
ces limites est bien présente dans les programmes les plus
ambitieux d’une reconstruction de la personne qui cherche à écrire
sa propre histoire – malgré les expériences d’aliénation et de
domination qui font partie de ce parcours risqué. La référence à
l’autonomie est tellement reconnue comme une norme
contraignante que la charge de la légitimation est beaucoup plus du
côté de la contrainte sociale qui a besoin d’une argumentation
convaincante pour être acceptée éventuellement comme une
exception à la règle. La culture contemporaine va dans le sens d’un
individualisme reconnu comme modèle standard en anthropologie
et éthique. Cette configuration n’est pas sans conséquences pour les
paramètres d’un débat sur l’autonomie et la contrainte.
2. Un diagnostic
Pour avancer dans la compréhension de la situation actuelle, je me
sers d’un ouvrage du sociologue français Alain Ehrenberg qui a
proposé une synthèse magistrale du paradigme de l’autonomie qui
est devenue la philosophie dominante de l’Occident
. Sans être
directement situé dans le domaine biomédical classique, l’œuvre de
cet auteur peut nous interpeller dans le contexte de l’éthique
médicale parce que le sociologue s’intéresse aux pathologies d’une
société qui est en train de perdre ses repères suite à une
glorification un peu aveugle de l’autonomie. Ehrenberg propose une
grille de lecture originale à partir de deux contextes qui ont fait
Voir Danilo MARTUCCELLI, Grammaires de l’individu, Paris, Gallimard, 2002 ;
Jean-Claude KAUFMANN, Ego. Pour une sociologie de l’individu. Une autre
vision de l’homme et de la construction du sujet, Paris, Nathan, 2001.
Voir Jerome B. SCHNEEWIND, L’invention de l’autonomie. Une histoire de la
philosophie morale moderne, Paris, Gallimard, 2001 (Version originale : The
Invention of Autonomy. A History of Modern Moral Philosophy, Cambridge,
Cambridge University Press, 1998).
Alain EHRENBERG, La société du malaise, Paris, Odile Jacob, 2010. Du même
auteur et sur des aspects du même thème : Le culte de la performance,
Paris, Calmann-Lévy, 1991 ; L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995 ;
La fatigue d’être soi, Paris, Odile Jacob, 1998.