BEANT
Il arrive que dans les travaux récents de Mandelbaum, la blessure peint le corps .La blessure,
sa principale couleur,est sanguine. Comme une réminiscence des couleurs utilisées pendant la
Renaissance et plus tard, lorsque les artistes dessinaient les corps des martyrs ou des portraits
de beautés éphémères.
Une blessure est un orifice, une entrée et une sortie,et tous ces orifices naturels du corps sont
des points focales à l’intérieur des peintures parce qu’ils rappellent les lèvres de la blessure.
La blessure n est pas récente, elle n est pourtant pas cicatrisée.
En plus des corps on voit des objets – un radiateur, une chaise en métal, un boitier électrique,
une télévision – ces objets indiquent que la blessure vit dans notre quotidien. Parfois l
agencement de la peinture fait référence à des images bien plus anciennes, Adam et Eve de
Masaccio ou une fresque de Piero de la Francesca , et ces références suggèrent que la blessure
était là avant , qu elle était même peut être là depuis le commencement.
Dire que la blessure peint le corps, qu est ce que ça veut dire ? Tout dessin, même fait devant
le motif implique la mémoire et ici la mémoire est inséparable d une douleur antérieure .La
blessure, quand elle est solitaire, cherche la fraternité d autres orifices ou la fraternité que l
on peut trouver en eux.
Une blessure est aussi une perte, et c est pour cela qu elle guète ce qu il reste des corps
disparus ou à disparaître. Elle avance en touchant, non par le touché des doigts mais par
consanguinité, au sens littéral du terme, d une auréole de sang à une autre auréole de sang.
Alors pourquoi ces feuilles de papier qui sont comme des pansements ôtés d une blessure
restent néanmoins calmes, rassurantes, posées ? Le mot français « béant » doit pouvoir nous
aider. Béant - fossé. Une blessure ouverte comme un fossé. Cet adjectif vient du verbe béer –
être ouvert, ou par extension, rêver, illuminé, émerveillé. Une sorte d alliance comparable
existe encore en anglais avec l adjectif « tender », qui veut dire douloureux en même temps
que tendre, doux, plein d amour.
La blessure, bouche bée, fixe une paupière, close, le creux à l arrière d un genoux, le lobe
d’une oreille, le sourire de deux lèvres, le pli d un cou, le peau fripée autour des testicules, la
langue d un vagin. Les peintures d Arié portent une douleur et elles ne cessent pas d’être
surprise par le corps tel qu il est.
John Berger, janvier 2005.
Traduit par Yves Berger