Histoire & Théories 2 : Correction du partiel
Janvier 2007
Vincent Planel
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En fait de correction, j’évoque ici les différents points que j’ai recherchés (exprimés sous une
forme ou sous une autre), ainsi que les principaux problèmes rencontrés.
Mais d’abord quelques remarques générales. Beaucoup d’étudiants ont tendance à se
demander « Qu’est-ce que la question veut nous faire sortir ? » et déballent leur fiches.
Répondre à une question, cela implique de réfléchir et de s’adapter à ce qui est demandé. La
consigne de concision visait précisément à vous inspirer des scrupules. J’ai tenu promesse :
une phrase bien sentie a parfois « raflé » tous les points, jamais une accumulation imprécise
de phrases imprécises. Dans une réponse argumentée et construite, on ne s’arrête pas sur les
inexactitudes et sur les maladresses, pour lesquelles l’enseignant a sa part de responsabilité.
L’interprétation
Dans beaucoup de copies, tout était joué d’avance dans la première question : si Sperber
déclare que l’anthropologie est interprétative qu’on le veuille ou non, ça veut dire que le débat
« pour ou contre l’interprétation » est mal posé. Ce n’est donc pas la peine de m’expliquer que
Sperber est « contre » tandis que Geertz est « pour » La question était pour vous en
dissuader et vous encourager à distinguer les deux auteurs de manière plus fine.
Avec Sperber, il fallait au moins distinguer l’interprétation de sens commun, en jeu dans les
échanges quotidiens - y compris dans le quotidien de l’ethnologue sur son terrain, et
l’interprétation tenant lieu d’analyse, re-formulation incontrôlée (« sur-interprétation ») qui ne
remplace pas, selon lui, une explication causale.
Avec Geertz, il fallait insister sur une conception sémiotique de l’activité sociale, qui donne a
l’ethnologue un rôle de traducteur. Sperber propose des explications, Geertz propose
des interprétations de second, voire de troisième ordre, rendues nécessaires par la différence
culturelle.
Dans la dernière question il fallait situer les auteurs, pas les paraphraser (c’est à dire au fond
avoir conscience que les mots d’ordre et les slogans à la mode ne font pas tout). Peu
d’étudiants ont pensé à opposer la tradition Boasienne de l’anthropologie culturelle
américaine, encline au relativisme, et une tradition française souvent plus universaliste, portée
sur l’analyse des formes de pensée. D’un point de vue institutionnel et disciplinaire, l’un fait
des ponts avec la psychologie et l’autre avec la littérature ; si vous dites brutalement que l’un
est « scientifique » et l’autre « littéraire », vous êtes dans la polémique et ce n’est pas très
intéressant.
C’est ensuite (et seulement) qu’il fallait me « sortir » l’ontologie et l’herméneutique, à titre
d’implication épistémologique. L’ontologie et l’herméneutique ne sont pas des clubs, mais un
souci et une approche philosophique. Il faut arrêter de mettre les penseurs dans des boites et
de s’en tenir là, comme s’il s’agissait de beaux papillons.
Progrès scientifique et révolutions
Il était ici question d’explorer les positions de Geertz et de Clifford au cours de la décennie
1980, à partir de deux textes à peu près contemporains. Car c’est bien dans l’extrait de « Ici et
-bas » étudié en TD que Geertz qualifie l’observation participante de « dilemme littéraire »,
pas dans la « description dense » qui date des années 1970 et qui faisait déjà l’objet des
questions précédentes.
Selon Geertz, ce ne sont pas des « théories » ou des « méthodes » qui font les progrès de la
discipline, mais l’invention de « théâtres de langage » (ou régimes de discursivité…), c’est-à-
dire les solutions littéraires permettant d’affronter la situation paradoxale de l’ethnologue (qui
est à la fois « Ici » et « -bas »…). Il y a là une vision alternative de l’histoire de la
discipline, qui s’inscrit dans le tournant littéraire mais ne nie absolument pas les progrès
acquis.
A l’inverse Clifford, avec « Writing Culture », cherche à instaurer dans l’histoire de la
discipline une discontinuité radicale. Regna Darnell parle de « rhétorique de la discontinuité »
pour souligner que cette rupture réside largement dans une posture de nouveauté
autoproclamée, une myopie historique (peu de références bibliographiques anciennes) et une
tendance à faire converger vers Writing Culture des courants de pensée disparates.
J’ai valorisé les copies qui ont su prendre de la distance avec cette discontinuité, la replacer
comme moment critique dans un contexte historique particulier (moment il fallait enterrer
des paradigmes…) et rapporter ces postures plus ou moins « conservatrices » à des positions
institutionnelles contrastées (Geertz est en fin de carrière, alors que les participants à
« Writing Culture » se lancent…).
Micro/macro
L’opposition « in/of the world-system » de Marcus renvoie à différentes postures face à une
question nécessairement problématique, celle des rapports entre les échelles « micro » et
« macro ». Le problème ne saurait être réglé par de simples formules normatives, générales et
floues (« il faut prendre en compte le changement », « il faut s’intéresser au local »). Ce genre
de slogan n’apporte rien, tant qu’on ne montre pas en quoi telle approche permet de saisir le
changement, en quoi elle y échoue… J’ai apprécié qu’on esquisse une mise en cause de la
notion de contexte (ou de l’opposition lifeworld/system qui est dans le texte, ce qui revient au
même). J’ai également valorisé que se trouve exprimée, d’une manière ou d’une autre, l’idée
de construction (production culturelle) ou celle de contenus culturels traversant des frontières.
Pour comprendre la nouveauté de la microstoria, il n’est pas suffisant de la contraster avec
l’histoire du 19ème siècle : c’est surtout l’approche des Annales qui était visée en tant
qu’historiographie « traditionnelle ». J’ai pénalisé ceux qui n’ont vu, dans l’approche de
Giovanni Levi, qu’un intérêt arbitraire pour le local ou pour l’étrange : pour Giovanni Levi,
« s’intéresser aussi aux marginaux » n’est pas une fin en soi. J’ai aimé qu’on insiste sur la
prise en compte de l’action des acteurs, dans des situations définies localement (contraintes),
mais comportant aussi une part d’incertitude (d’où l’éclairage anthropologique, qui permet
d’expliquer les comportements observés).
D’une manière générale, j’ai valorisé ceux qui ont compris l’idée d’engendrement dans le
local de phénomènes globaux, mais aussi ceux qui ont exprimé une vision plus
« multiscopique » (la variation d’échelle est éclairante en elle-même). La question invitait à
présenter les deux auteurs dans une même argumentation, et non à les juxtaposer. J’ai pénalisé
les réponses du type « les postmodernes font ceci parce qu’ils sont postmodernes et le
postmodernisme c’est ça ! ». La question invitait précisément à évoquer les vrais enjeux
théoriques associés à telle ou telle approche, en passant outre l’étiquetage de « tendances »
dans lesquelles les auteurs (G. Levi !!!…) ne se reconnaîtraient pas. Rappelez-vous la
tournure de Marcus : « the wave of intellectual capital labeled postmodern »…
Bonne année et bonne continuation !
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