Congrès Marx International V – Section Etudes féministes Atelier 7: Classes, sexe et
« race » dans les Caraibes– Paris-Sorbonne et Nanterre – 3/6 octobre 2007
Africain pour lui accorder la permission d’entrer dans le grand atelier ». La dévalorisation des
tâches dévolues au petit atelier paraît être le corollaire du prestige attaché par les « nègres de
houe » à la force et à la résistance physiques, prestige qui semble conférer à l’individu la
reconnaissance de l’ensemble du groupe, et même une distinction en son sein. Le grand atelier
réunit au reste la plus grande partie des esclaves dits « nègres de terre » ou « nègres de houe ».
Nulle trace ici d’une division sexuelle du travail : ce sont « les forces » attribuées aux
individus pris individuellement, qui fondent la distribution des tâches agricoles. Ainsi, lors de
la récolte, la répartition du travail entre coupeurs/amarrreurs – qui sera très nettement sexuée
au XXe siècle – ne relève-t-elle que de la force physique : « Les nègres et les négresses, décrit
Granier de Cassagnac, sont munis d’un coutelas bien affilé, de la longueur et de la forme d’un
sabre d’infanterie, seulement tout droit. […] Une autre bande d’esclaves suit les premiers,
ramasse les cannes abattues, et les lie en petits fagots de six à huit bâtons, avec un brin de
paille. »
A la fin de la servitude les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans les
rangs des « nègres de houe » et les planteurs prétendent les y maintenir le plus longtemps
possible. Ainsi le conseil colonial de la Guadeloupe s’élève-t-il, en 1846, contre un projet de
décret les dispensant du travail du grand atelier à partir de cinquante-cinq ans, expliquant que
leur durée de vie – soit que le climat ait sur elles des effets moins funestes, soit « que les
habitudes d’une vie moins désordonnée entraînent pour elles une moins grande dépense de
facultés » – est plus longue que celle des hommes et que leurs forces sont toujours
proportionnellement plus grandes que celles d’un homme du même âge.
Pendant la période de la « roulaison », c’est-à-dire de la récolte, les membres de
l’atelier sont affectés, à tour de rôle, par quart, au travail manufacturier de transformation de
la canne en sucre. Au contraire des tâches agricoles, ces tâches manufacturières sont dévolues
aux hommes, à l’exception du service du moulin, entièrement assuré par les femmes si l’on en
croit le père Labat au XVIIe siècle, Ducœurjoly au XVIIIe, Félix Longin ou Roseval au
XIXe. Le père Labat explique d’ailleurs qu’il affecte à cette tâche, à titre de punition, les
hommes « lâches et paresseux » : « Il n’y avoit point de chagrin pareil au leur, ni de prieres et
de promesses qu’ils ne me fissent, pour être ôtez de ce travail qui les couvroit de honte »,
explique-t-il. La spécialisation de cet emploi n’a de fait rien eu d’absolu : en 1790 Dutrône-
Lacouture, auteur d’un traité sur la production sucrière, précise que l’on joint aux négresses
qui faisaient le service du moulin les nègres faibles et peu intelligents. Le père Labat
préconise l’affectation de femmes à l’emploi d’ouvrier rhumier ou vinaigrier, c’est-à-dire
d’ouvrier chargé de la fabrication de l’eau-de-vie appelée « taffia » ou « guildive », « parce
qu’on suppose, dit-il, qu’une femme est moins sujette à boire qu’un homme ». Bien qu’il
s’agisse d’un emploi peu qualifié – il ne nécessite qu’un court apprentissage – et qui
n’entraîne pas de position de commandement le rhumier travaillant généralement seul, ce
conseil a été très inégalement suivi : la présence de deux distillatrices est certes relevée sur
l’habitation Rochechouart à la Martinique mais les neuf vinaigriers répertoriés par N.
Vanony-Frisch à la fin de l’Ancien Régime à la Guadeloupe sont par contre tous des hommes.
Si le travail manufacturier sur la plantation n’est pas sexué de façon rigide, il n’en reste pas
moins que les tâches auxquelles les femmes peuvent être affectées sont des tâches peu
valorisées parce qu’elles exigent tout à la fois peu de force physique et peu de qualification.
L’indistinction sexuelle des tâches disparaît d’ailleurs totalement lorsqu’on analyse la
division verticale du travail technique. Certains textes attestent certes de l’existence de
femmes, « conductrices » ou « commandeuses » à la tête du petit atelier. La présence d’une
conductrice à la tête du petit atelier est ainsi mentionnée dans le projet d’établissement d'une
sucrerie en brut de la partie nord de Saint-Domingue en 1788 comme sa participation à la
récolte à la tête des « amarreurs ». Poyen Sainte-Marie, à la fin de l’Ancien régime, juge les
femmes plus propres que les hommes à occuper cet emploi « tant par la douceur qui est