Revue Commerce - Mai 2003
L’économie bombardée
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
2 avril 2003
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Sans ignorer les conséquences de la guerre en Irak sur la conjoncture
économique, il ne faudrait pas lui attribuer toute la responsabilité de la mauvaise
performance économique de plusieurs régions du monde. Les causes sont plus
profondes et nous estimons que les déséquilibres entre les grands blocs
économiques devront diminuer avant que l’économie mondiale puisse connaître
une plus grande prospérité.
Il est difficile de mesurer avec exactitude l’impact de l’incertitude causée
par la guerre sur les comportements des consommateurs et des investisseurs. Nous
avons toutefois relevé plusieurs freins à la reprise économique américaine en
2003-2004 dans un contexte global d’après-guerre. Nous comparerons également
la situation présente à celle qui prévalait lors de la guerre du Golfe en 1991.
Contexte global
Pour bien comprendre les dangers qui guettent l’économie mondiale, il
faut savoir qu’en 2003, le taux de croissance de l’économie mondiale sera
inférieur à son potentiel pour la troisième année consécutive : 2,2 % en 2001,
2,8 % en 2002 et 2,6 % en 2003 comparativement à 3,5 % pour le PIB potentiel
de l’économie mondiale. Une croissance du PIB réel mondial inférieure à son
potentiel exerce des pressions déflationnistes puisque l’offre globale est
supérieure à la demande globale. De plus, la création de nouveaux centres de
production à meilleur marché en Chine et la sous-traitance de services
informatiques en Inde exercent des pressions déflationnistes dans plusieurs
régions du monde. L’importation de biens et de services à prix très compétitifs est
une aubaine pour les consommateurs des pays industrialisés mais, en même
temps, plusieurs secteurs d’activité souffrent d’excédent de capacité, notamment à
cause de la lenteur d’adaptation de la part du marché du travail et des
organisations.
Parallèlement, les changements brusques dans la composition de la
demande finale de biens ou de services créent des distorsions difficiles à absorber
à court terme. Pensons aux compagnies aériennes aux prises avec une réduction
rapide de la demande des services de transport aérien à la suite des attentats du
11septembre et qui sont frappées à nouveau par la guerre du Golfe. Les emplois
perdus dans ce secteur ne sont pas immédiatement créés dans d’autres secteurs
d’activité et, même s’ils le sont dans la construction résidentielle, un agent de
bord ne se transforme pas immédiatement en menuisier.
Finalement, plusieurs régions (Europe, Japon, Asie du Sud-est) comptent
sur la reprise des exportations vers les États-Unis pour redonner de la vigueur à
leur demande intérieure défaillante. C’est le cas de la zone euro qui est paralysée
par le maintien de taux d’intérêt à court terme trop élevés de la part de la Banque
centrale européenne. Les politiques fiscales des pays de la zone euro sont
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muselées par la contrainte du ficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB imposées
par le Pacte de croissance et de stabilité et le report incessant des réformes
structurelles nécessaires à la flexibilité du marché de l’emploi minent le
dynamisme des entreprises. Cette attitude est contraire au bon fonctionnement de
l’économie mondiale parce que les pays qui dégagent des surplus de leur balance
courante devraient en profiter pour stimuler leur demande intérieure afin
d’absorber davantage de biens importés, en provenance des États-Unis
notamment. En effet, les Américains devraient pouvoir compter sur l’expansion
de leurs exportations tout en diminuant leurs importations afin de réduire le déficit
de la balance courante qui s’élevait à 5,2 % du PIB américain au 4e trimestre de
2002. Ce déséquilibre global est d’autant plus dangereux que les tensions
géopolitiques récentes risquent de réduire la bonne volonté des Américains et de
leurs partenaires commerciaux dans les gociations futures pour assurer un
meilleur fonctionnement de la globalisation des marchés (négociations de Doha
dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce).
Il faut donc espérer que l’Europe ne tardera pas à poursuivre une politique
monétaire plus expansionniste et, qu’avec le Japon, ils mettront en oeuvre les
réformes structurelles nécessaires à l’accélération de la croissance économique
mondiale en 2004. Les États-Unis feront aussi leur part en maintenant les taux
d’intérêt à court terme stables ou à la baisse aussi longtemps que la croissance du
PIB réel demeurera inférieure à son potentiel. Lorsque le taux de chômage est
supérieur à son taux de plein-emploi et que les pressions inflationnistes sont
nulles, la baisse des taux d’intérêt stimule la demande de biens durables et de
maisons même si on ne peut plus s’attendre à une augmentation de la part de ces
secteurs d’activité qui n’ont pas connu de récession en 2001. De plus, la
dépréciation du dollar américain, qui s’est amorcée en février 2002, forcera
éventuellement la Banque centrale européenne à accélérer la baisse de son taux
directeur, puisque l’appréciation de l’euro par rapport au dollar américain est un
facteur additionnel de stagnation de l’économie européenne.
En bref, la fin de la guerre en Irak aura un effet positif sur la bourse et le
prix du pétrole à court terme, mais les forces cycliques et le déséquilibre global
que nous avons mentionnés sont des facteurs dominants qui freineront la
croissance économique en 2003. Ces déséquilibres devraient toutefois s’estomper
en 2004 si les bonnes mesures de politiques économiques sont mises en œuvre.
L’économie américaine en 1991 et en 2003
En plus de tenir compte du contexte global, une prévision économique
complète prendra en considération les forces cycliques ainsi que les variables
déterminées par la politique économique. Aujourd’hui, comme en 1991-1992, on
parle de reprise économique sans création d’emplois puisque le taux annuel de
variation de l’emploi américain a été bien inférieur à la moyenne des cinq
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principaux cycles économiques depuis les années 60. Le graphique 1 illustre le
profil d’évolution du marché de l’emploi avant et après le creux du cycle
économique. Il montre à quel point l’absence de création d’emplois depuis le
creux cyclique atteint en décembre 2001 (mois 0 sur le graphique 1) est très
semblable à la reprise économique sans création d’emplois de 1991-1992. Cette
dernière étant un facteur déterminant du taux d’expansion des dépenses de
consommation, les signes d’amélioration du marché de l’emploi au cours des
prochains mois sont à suivre de près.
Graphique
Comparaison de la création d’emplois aux États-Unis lors des deux
guerres du Golfe et la moyenne autour de cinq cycles économiques
En ce qui concerne le prix du pétrole, la situation est différente. Lors de la
première guerre du Golfe, l’augmentation de 112 % du prix du baril de pétrole,
qui est passé de 17 dollars en juin 1990 à un sommet de 36 dollars en octobre
1990, a fortement accentuée la récession américaine. Cette dernière a atteint son
creux cyclique en mars 1991. L’effondrement du prix du baril après la guerre a
par contre soutenu la reprise de la demande en 1991-1992 comme l’indique le
graphique 2.
En mars 2003, nous étions déjà au quinzième mois de reprise économique,
en situant le creux du cycle courant en décembre 2001. L’augmentation du prix du
trole depuis le début de 2002, n’a pas empêché la reprise économique, mais
exerce toujours un frein considérable à la demande finale en réduisant le pouvoir
d’achat des consommateurs américains. Cette fois-ci, nous ne prévoyons pas un
effondrement du prix du pétrole parce qu’aujourd’hui l’excédent de capacité de
l’Arabie saoudite n’est pas aussi grand qu’en 1991. Plusieurs pays producteurs
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Nombre de mois par rapport au creux
Taux annuel de variation
Creux mars 1991 Moyenne 5 cycles économiques Creux décembre 2001
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connaissent des difficultés (Venezuela, Nigeria, sans compter l’Irak), et les stocks
de produits pétroliers sont anormalement bas après un hiver rigoureux. Nous
prévoyons au mieux le retour vers les 25 dollars américains après la fin des
hostilités comparativement à plus de 30 dollars tout récemment.
Graphique 2
Les deux guerres du Golfe ont provoqué un choc pétrolier
Jusqu’à présent, les dépenses de consommation, qui représentent 70 % du
PIB réel américain, ont été soutenues par les baisses d’impôts de 2001-2002 et par
la diminution des taux d’intérêt hypothécaires. L’augmentation de la valeur des
maisons (1087 milliards de dollars du 4e trimestre de 2001 au 4e trimestre de
2002) et la baisse des taux hypothécaires ont permis aux ménages d’emprunter à
bon compte pour financer les dépenses de consommation. Cependant, la perte de
valeur des actifs financiers (- 2300 milliards de dollars du 4e trimestre de 2001 au
4e trimestre de 2002) forcera tout ou tard les consommateurs à augmenter leur
taux d’épargne à 6 % ou 8 % comparativement à 3,7 % au cours des trois derniers
mois se terminant en février 2003.
Après la guerre, la baisse du prix du pétrole, la diminution de l’incertitude
et la reprise de confiance des consommateurs et des gestionnaires devraient
permettre une reprise de l’investissement et une nouvelle création d’emplois. Cela
devrait assurer une meilleure performance de l’économie américaine en 2004
(croissance du PIB réel de 3,4 % en 2004 comparativement à 2,1 % en 2003),
notamment si les autres pays prennent les mesures appropriées pour stimuler leur
demande intérieure.
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Nombre de mois par rapport au creux
Prix du baril de pétrole
Irak I (Creux cyclique mars 1991) Irak II (Creux cyclique décembre 2001)
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