La morale ne peut prétendre au qualificatif de chrétienne que si elle se ressource
dans une vie spirituelle authentique. Elle ne défend pas d'abord des valeurs qu'on
pourrait séparer de la personne du Christ, elle repose sur une foi vive. Elle est ouverte à
la double transcendance d'un Dieu qui s'est manifesté dans l'histoire et qui appelle cette
histoire à s'accomplir eschatologiquement. Ainsi, l'ouverture permanente de la morale
chrétienne à la transcendance lui évite de s'enfermer dans un froid dogmatisme et de
devenir inopérante. Elle n'est ni répétition de principes intangibles, ni simple adaptation
politique aux nécessités du moment, mais réflexion sur l'action aujourd'hui, en fonction
des données de la raison et de la Révélation, dans la visée du Royaume de Dieu qui
vient. Cette nécessaire référence transcendantale converge avec les exigences que
nous posions il y a un instant pour l'éthique humaniste. Cependant, quels que soient les
liens historiques entre l'humanisme moderne et le christianisme, ce dernier n'a pas été
phagocyté par le premier. Le noyau dur de la foi résiste à toute assimilation; il fonde la
différence chrétienne qui ne parle pas " le langage du monde. "
Des tensions Il existe en effet bien des tensions entre morale chrétienne et éthique
humaniste notamment dans le domaine biomédical: tous nous avons présentes à l'esprit
les positions magistérielles concernant l'avortement, l'assistance médicale à la
procréation, le statut de l'embryon, la contraception, l'euthanasie…
La morale catholique repose sur une vision de l'homme créé à l'image de Dieu. Elle
reconnaît la vie comme un don de Dieu. Ces affirmations théologiques fondent les
positions de l'Église aux extrêmes de la vie: interdit de l'avortement, refus de
l'euthanasie. La confession de foi au Dieu, maître de la vie entraîne une limitation dans
le pouvoir de l'homme. Ces mêmes fondements ainsi qu'une certaine vision du couple
et de la famille interviennent dans les positions plus contestées concernant les
procréations médicalement assistées.
La dignité de l'homme peut être définie de diverses manières. L'attribuer à la
capacité rationnelle de l'homme, c'est risquer de la nier à tous ceux qui s'éloignent de
l'idéal de l'homme occidental qui tel une statue grecque est beau, jeune, athlétique,
intelligent. Qu'en est-il alors des handicapés mentaux, des malades en état
neurovégétatif chronique, des pauvres de chez nous ou de ceux qui errent dans les
camps de réfugiés ?Définir la dignité de l'homme selon des critères précis, c'est ouvrir
la voie à l'eugénisme, comme c'est déjà largement le cas avec les interruptions
médicales de grossesse. Un consensus humaniste va plus loin que cette première
position, elle fonde la dignité sur l'appartenance à une commune humanité. L'Eglise va
la fonder ultimement sur l'amour de Dieu aux yeux duquel chacun a du prix. Ces
dernières années, l'Eglise qui avait tardé à reconnaître la notion de droits de l'homme,
l'a complètement faite sienne. Très légitimement, on a dit de Jean-Paul ll qu'il était le
Pape des droits de l'homme, on devrait ajouter de l'homme créé à l'image de Dieu qui
semble alors le garant ultime de tout pouvoir de l'homme sur l'homme.
La foi chrétienne nous propose comme visage d'humanité le Fils de l'homme défiguré
par la souffrance. "" Ecce homo "", voici l'homme reconnaît Pilate dans un cri étonnant,
envers celui qui n'avait plus visage d'homme. En confessant la résurrection du crucifié,
l'Eglise prétend que l'amour de Dieu est plus puissant que la violence du mal, de la
souffrance, de la haine. Ainsi, la place centrale du mystère de la croix ouvre le champ
d'une éthique où le droit des pauvres, des sans voix est première. Déjà, dans toute la
tradition biblique, le sort réservé au pauvre, à la veuve et à l'orphelin était le critère de
l'observance de la Loi. Aujourd'hui encore la morale chrétienne est extrêmement