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Il est certain que Louis Massignon
, orientaliste catholique, a renouvelé par ses recherches et ses
publications le regard des chrétiens sur l’islam après des siècles de polémiques où s’étaient épuisés
de nombreux intellectuels et penseurs tant musulmans que chrétiens. Parmi ses nombreux livres et
articles, quatre textes semblent exprimer au mieux sa « compréhension spirituelle » de l’islam. Il y a
d’abord, en 1917, son Examen du ‘Présent de l’homme lettré’, où il entend réfuter ce Présent
(Tuhfa)
, livre de polémique antichrétienne attribué au tunisien Ibn al-Torjoman, alias Anselmo
Turmeda. Il y constate que l’apologétique musulmane « ne propose à l’homme que d’adhérer par sa
raison à l’évidence de la religion naturelle […). Le but de la révélation coranique, selon lui, n’est pas
d’exposer et de justifier des données surnaturelles jusqu’alors ignorées, mais de faire retrouver aux
intelligences, en leur rappelant, au nom de Dieu, les sanctions temporelles et éternelles, la religion
naturelle, la loi primitive, le culte très simple que Dieu a prescrit pour toujours, qu’Adam, Abraham et
les prophètes ont tous pratiqué sous les mêmes formes, en convainquant les idolâtres, les juifs et les
chrétiens, de l’évidence de cette loi divine qu’ils doivent reconnaître gravée dans leurs intelligences,
lorsqu’ils en ont retranché toute vaine superstition
[…]. L’apologétique musulmane, qui part de
l’impossibilité rationnelle d’une relation quelconque unissant Dieu, el créateur, à l’homme, une
créature, scelle cette interdiction par le texte même dont révélation a été faite à Mohammed : c’est
le texte de la Parole divine
». Et L. Massignon d’insister sur ce caractère de l’islam en toutes ses
manifestations : « La révélation coranique est présentée comme la loi naturelle, c’est-à-dire la loi
éternelle dirigeant, vers la fin qui leur est propre, les actes et les mouvements des hommes, telle
Pour le bien connaître en sa vie et son œuvre, cf. Jean Morillon, Massignon, Ed. Universitaires, 1964, 126 p. ;
Pierre Rocalve, Louis Massignon et l’Islam, Institut Français de Damas, 1993, 208 p. ; Christian Destremau et
Jean Moncelon, Massignon, Paris, Plon, 1994, 449 p. ; Maurice Borrmans, Prophètes du dialogue islamo-
chrétien : L. Massignon, J.-Md Abd-el-Jalil, L. Gardet, G.C. Anawati, Paris, Cerf, 2009, 257 p. ; ses études et ses
articles ont été rassemblés par les soins de Youakim Moubarac, in Opera Minora, Beyrouth, Dar al-Maaref,
1963, 3 vol., 2193 p. et 115 pl., et par ceux de Christian Jambet et de ses collaborateurs, in Ecrits mémorables,
Paris, Laffont, 2009, 2 vol., I, 926 p., et II, 1015 p.
Louis Massignon, Examen du ‘Présent de l’homme lettré’ par Abdallah Ibn al-Torjoman (suivant la traduction
française parue dans la Revue de l’Historie des Religions, 1886, tome XII), Rome, PISAI, 1992, 134 p.
Cf. p. 38. Cette apologétique musulmane, y poursuit-il, « se montre littérale et destructrice, tandis que
l’apologétique chrétienne est réelle et vivifiante […]. Son seul but est de faire retrouver aux intelligences
l’évidence de la foi en les faisant accéder au texte d’un livre. Elle n’a pas à en spécifier le sens, ni pour les
dogmes à définir, ni pour les vertus à pratiquer. Elle en tire simplement quelques règles juridiques pour le
gouvernement extérieur de la société ; attentive aux intelligences seules, elle tolère avec indulgence les
misères habituelles de la chair, les fautes cachées qui ne provoquent pas de désordres publics. Elle ne scrute
pas les consciences. Elle exige le moins possible, car la révélation n’apporte à l’intelligence qu’une évidence
naturelle et ne promet au corps qu’une récompense limitée » (pp. 39-40).
Cf. p. 42. L. Massignon dit encore, à ce sujet : « Le Qoran est supérieur à Mohammed : l’essentiel de toute
réédition du message divin, rappelant aux hommes cette religion naturelle qui doit orienter tous les actes de
leur nature comme un instinct d’ordre social, n’est pas de montrer, par un exemple personnel et vivant,
comment pratiquer la Loi, mais d’en rappeler les sanctions […]. L’apologétique musulmane présente le Qoran
comme le texte authentique de la Loi divine positive, qu’elle considère comme fixée dès le début ne varietur
pour tous les peuples, notamment par la loi mosaïque. Elle conçoit la révélation mosaïque comme une simple
réédition de la révélation primitive, destinée à tous les peuples » (pp. 44-46).