Thierry Brugvin Psychosociologue [email protected] LIPHA Paris-Est (EA 4118) LA PRISE DE CONSCIENCE DES PEURS ET DES BESOINS PSYCHOLOGIQUES ESSENTIELS : UNE CONDITION DE LA TRANSFORMATION DE L’ETRE HUMAIN Introduction Il existe diverses méthodes psychothérapeutiques visant à la transformation de soi, dans un but d’émancipation par l’ouverture et la maîtrise de soi. Les méthodes introspectives, telle la psychanalyse s’appuient pour cela principalement sur le mécanisme de la prise de conscience des éléments subconscients de la personnalité. Qu’elles sont les besoins et les peurs, qui structurent, déterminent les êtres humains et les contraignent à des comportements aussi divers que ceux de domination, de soumission, de rébellion, d’addiction à la consommation, de besoin de reconnaissance? Ce sont les besoins et les peurs essentiels... Il est ainsi possible de mettre en évidence les causes du comportement humain, de manière plus simplifiée, que les théories souvent complexes, qui fondent la psychanalyse et qui se perdent parfois dans des circonvolutions plus ou moins utiles. Tandis que le psychologue Abraham Maslow a défini 5 besoins fondamentaux, nous entendons montrer que certains de ces besoins sont en réalités secondaires, par rapport aux 7 besoins essentiels. Afin de montrer en quoi la prise de conscience des peurs et des besoins psychologiques essentiels s’avère une condition de la transformation de l’être humain, nous définirons tout d’abord les 7 besoins essentiels physiologiques et psychologiques. Les besoins physiologiques sont bien sur essentiels à la survie physique. Le besoin de vivre est le premier besoin essentiel primaire, de nature psychologique. De celui-ci découle le besoin d’être fort et le besoin essentiel d’aimer, qui sont deux besoins essentiels primaires. Tandis que le besoin de compréhension (de curiosité) et le besoin de créativité sont aussi des besoins essentiels, mais plus secondaires. Enfin, le besoin d’estime de soi est un besoin essentiel, mais secondaire et surtout composite et non un besoin fondamental primaire comme l’explique Maslow. En effet, il se compose des besoins essentiels d’être fort et du besoin d’aimer. Les besoins névrotiques (besoin de pouvoir, de reconnaissance, de sécurité…) proviennent des besoins essentiels. Cependant, il existe une multitude de besoins névrotiques, tels le besoin d’appartenance ou le besoin de possession. Aussi, faut-il mettre en évidence les besoins essentiels primaires secondaires qui les composent. Ces 7 besoins essentiels engendrent 7 peurs essentielles, qui doivent être transformées pour permettre une réalisation de soi complète. LES 7 BESOINS ESSENTIELS PHYSIOLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES Il faut différencier les besoins essentiels, « simples » et névrotiques, primaires et secondaires. Sinon, il règne une certaine confusion au plan théorique comme dans l’analyse de soi au plan personnel. Le psychologue Maslow a déterminé 5 besoins fondamentaux : les besoins physiologiques, le besoin de sécurité, d’appartenance, d’estime de soi, de réalisation de soi.1. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la satisfaction d’un besoin supérieur n’est pas obligatoirement dépendante d’un besoin inférieur. Ainsi, le besoin de réalisation de soi ou d’estime de soi peut être satisfait, alors que le besoin de sécurité affective peut ne pas être 1 MASLOW, A. H., “A theory of human motivation”, Psychological Review, 50(4), 370-396, 1943. encore complètement comblé. Par exemple, certaines personnes se réalisent professionnellement ou disposent d’une bonne estime d’elles-mêmes, mais souffrent d’un manque de sécurité affective, parce qu’elles vivent seuls. Mais, il existe d’autres besoins essentiels, que les 5 de cette « pyramide des besoins » de Maslow. De plus, ce dernier n’a pas différencié les besoins névrotiques (illusoires), des besoins essentiels. Or, on peut dénombrer 7 besoins essentiels, qui engendrent 7 peurs essentielles et 7 besoins névrotiques qui engendrent autant de peurs névrotiques. L’ensemble des besoins névrotiques repose en particulier sur les besoins essentiels psychologiques primaires, que sont le besoin de vivre, d’être fort (de puissance et de maîtrise de soi) et le besoin d’aimer, mais aussi sur les besoins essentiels secondaires non combinés (entre eux). Ces derniers sont le besoin de compréhension et le besoin de créativité sont secondaires hiérarchiquement par rapport aux besoins primaires (vivre, être fort, aimer). Les besoins essentiels secondaires combinés ou composites sont des combinaisons de deux ou plusieurs besoins essentiels primaires. Ainsi, le besoin d’estime de soi est un besoin secondaire combinés du besoin de s’aimer pour sa force, c'est-à-dire du besoin de s’aimer et d’être fort. Les besoins essentiels secondaires sont donc hiérarchiquement moins essentiels que les besoins essentiels primaires. Il y a donc 4 besoins essentiels primaires (les besoins physiologiques, le besoin de vivre, le besoin d’être fort et le besoin d’aimer) dont découlent 3 besoins névrotiques primaires (le besoin de sécurité, de pouvoir et d’être aimé), puis plusieurs besoins névrotiques secondaires combinés, tel le besoin de posséder ou encore le besoin d’appartenance qui a été repéré par Maslow (1943)... Parmi certains des besoins essentiels secondaires névrotiques, certains pourraient éventuellement être regroupés. Par exemple, le besoin d’appartenance et de reconnaissance, puisqu’ils ne se composent parfois que de besoins primaires communs, mais en différentes proportions, tel le besoin d’être aimé et d’être fort. D’ailleurs, tous les besoins essentiels pourraient aussi être regroupés dans un seul, le besoin de vivre, puisqu’il est la source de tous les autres. En effet, le besoin de vivre se démultiplient en 7 besoins essentiels, qui eux-mêmes prennent la forme de 7 besoins névrotiques principaux, puis de multiples autres en se combinant. Mais, ils sont si nombreux qu’il serait trop long de les présenter ici. A l’inverse, certains besoins pourraient être dédoublés, tels le besoin d’estime de soi qui est un peu différent du besoin de confiance en soi. Se même le besoin sécurité peut se subdiviser en besoin de sécurité paternelle (la force, les structures, les re-père-s, la maîtrise…), par rapport au besoin de sécurité maternelle (l’amour, la douceur, la tendresse, la capacité à s’harmoniser avec le réel, le lâcher prise…). La sécurité paternelle, comme la fonction masculine peut être représentée symboliquement par le contenant (les parois d’un verre d’eau) et la sécurité maternelle, comme la fonction féminine par le contenu (l’eau dans le verre). Cependant, ne confondons pas la fonction féminine, le genre féminin avec la personne de sexe féminin. Car une femme peut développer des capacités psychiques masculines majoritairement et ses fonctions féminines de manière minoritaires. Il en est de même pour les fonctions masculines pour l’homme au sens biologique et sexuel. Dans la théorie psychanalytique, les pulsions représentent à la fois les énergies sexuelles et affectives primaires, souvent violentes ou passionnelles (la colère, la passion…). Cependant, il faut bien différencier les besoins psychologiques, des énergies psychiques (l’intellect, l’intuition…) et des énergies affectives (les émotions, les sentiments). Les énergies psychologiques sont un peu liées aux énergies physiques, car lorsque le corps est fatigué, l’état psychologique est moins harmonieux. A l’inverse, lorsque ce dernier est fragile, le corps physique est moins fort et plus fragile, notamment face aux maladies. Quant aux énergies sexuelles, mais aussi émotionnelles elles sont à la frontière, à cheval entre les plans psychologiques et physiques. Une partie d’entre elles relèvent de la physiologie, c'est-à-dire de la vitalité du corps physique et en particulier du taux d’hormones émises par les glandes endocrines, tels les estrogènes pour les femmes, ou la testostérone, qui renforce l’agressivité chez les hommes. Mais la majeure partie de l’énergie psychique relève des besoins psychologiques (besoin d’aimer, d’être aimé, voir besoin névrotique de posséder, de dominer, d’agresser…). Il y a ainsi un cercle vertueux et parfois vicieux, entre les énergies physiologiques, les énergies affectives et psychiques (intellectuelles, intuitives) et donc les représentations mentales liées à sa culture. Qu’est ce que la peur, est-ce une illusion ou non ? Dans la théorie psychanalytique Freud distingue le stade névrotique (la névrose de l’être humain ordinaire) et le stade psychotique (la folie). Les besoins névrotiques, tel le besoin d’être aimé (et non d’aimer) ou de pouvoir (et non d’être fort), sont fondés sur des peurs. Ils se révèlent donc être des illusions, tandis que les besoins essentiels (non névrotiques) que sont le besoin de vivre, d’être fort, le besoin d’aimer ne sont pas illusoires. Cependant, les peurs, qu’elles soient essentielles ou névrotiques restent néanmoins des illusions, dans la mesure ou elles peuvent disparaître plus ou moins complètement. Les peurs essentielles se « désintègrent », lorsqu’elles sont remplacées par des besoins essentiels satisfaits (être fort, aimer). Pour qu’un être humain puisse se détacher de ces peurs névrotiques, il doit prendre conscience de leur caractère illusoire. Ainsi, la personne pourra passer d’une peur névrotique à une peur essentielle plus profonde et moins illusoire. C’est une première étape. Par exemple, certains souffrent d’un besoin névrotique de reconnaissance fondé sur la peur névrotique de ne pas être reconnu par les autres. Puis la seconde étape, consistera pour elles à prendre conscience qu’en réalité cette peur névrotique repose sur la peur essentielle d’avoir une mauvaise estime de soi. Ce qui est très différent. Nous pourrions définir la peur chez une personne (ou un être vivant), comme une expression émotionnelle ayant pour cause l’idée consciente ou subconsciente, qu’elle ne disposera pas de la capacité suffisante pour se maîtriser ou s’assumer soi-même ou son environnement, au plan de ses affects ou de ses actions, dans des situations présentes ou futures. C’est pourquoi, la peur a une face objective et utile, visant à nous préparer à affronter une difficulté, un manque et une face subjective et illusoire qui se révèle en décalage avec l’ampleur du problème réelle rencontré par la personnalité. Le psychologue Maslow considère que le besoin ultime relève du besoin de réalisation de soi, qu’il définit « comme accomplissement de sa vocation » et « la mise en oeuvre de toute son énergie personnelle. »2 Notre définition est un peu différente. Un être humain complètement « réalisé » est celui qui est devenu absolument maître de lui-même et complètement indépendant de l’amour des autres, donc qui ne ressent plus de peur véritable, mais seulement des appréhensions, des craintes légères, utiles pour ne pas commettre d’imprudence. Atteindre le stade de « la réalisation » suppose de parvenir à se détacher de ses dépendances. Son bien être ne dépend alors plus que de la satisfaction de ses besoins essentiels et non plus de ses besoins névrotiques, donc illusoires. La personne « réalisée » ne connaît donc que rarement et relativement faiblement le sentiment de peur, car l’énergie de vie s’écoule pleinement en elle, puisque le besoin essentiel de vivre, d’être fort et d’aimer sont pleinement satisfaits. Cependant, ce qui différencie une peur essentielle issue d’un besoin essentiel, d’une peur névrotique liée à un besoin névrotique n’est pas toujours très aisément discernable. Il s’agit en fait d’une question de degré d’illusion et de profondeur. La peur essentielle est moins illusoire et plus profonde, tandis que la peur névrotique est très illusoire et plus superficielle. Mais 2 MASLOW A., L’accomplissement de soi, Ed. Eyrolles, 2004, p. 33-37 surtout la peur névrotique combine des peurs essentielles. Par exemple, le besoin de pouvoir repose sur la peur névrotique d’être faible, dans sa capacité à dominer et maîtriser les autres. A l’inverse, la peur essentielle non névrotique d’être faible porte quant à elle, sur la peur de ne pas être maître de soi même et de sa propre sécurité. Par conséquent, le besoin essentiel d’être fort, sous sa forme névrotique s’exprime dans le besoin de pouvoir (sur autrui et le monde). Dans ce dernier cas, il est fondé sur la peur névrotique d’être faible. Tandis que dans le premier cas, il représente l’impulsion saine et nécessaire du Moi, c’est à dire de la personnalité pour satisfaire le besoin d’être fort, donc de chercher à maîtriser soi et le monde afin de se sécuriser soi-même. Pour différencier la peur essentielle névrotique et la peur essentielle « simple », il faut prendre conscience des peurs essentielles cachées dans les peurs névrotiques. L’autre méthode complémentaire, consiste à se centrer sur l’objet de la quête la peur névrotique, afin de savoir si il est atteignable ou non. La peur névrotique ne conduira qu’à un besoin qui ne pourra être satisfait à terme (le besoin de pouvoir et de maîtrise sans limite ou le besoin d’être aimé tout le temps et par tous). Tandis que la peur essentielle disparaîtra avec la satisfaction du besoin essentiel, tel celui d’être fort et d’aimer. Les peurs sont les causes principales des comportements névrotiques des individus. Mais le manque de coopération entre les êtres humains réside aussi dans le manque d’éveil, le manque de conscience, c'est-à-dire l’insuffisant développement de certaines énergies psychiques, telles la capacité d’aimer ou la capacité intellectuelle. Un besoin psychique, tel le besoin de compréhension se nourrit de la peur du vide, de la souffrance liée au manque d’énergie psychique, c'est-à-dire la peur de l’ennui, la peur de ne pas maîtriser intellectuellement…. Chez les êtres humains primitifs le développement psychologique était limité, c’est pourquoi certains besoins essentiels n’engendraient pas de peur, car ils étaient a peine éveillés. C’était particulièrement, le cas des besoins de niveaux secondaires, comme le besoin de création, de compréhension. Mais c’est un peu aussi le cas du besoin essentiel primaire d’aimer. A l’inverse, plus un être humain est évolué plus ses énergies affectives et mentales se développent, donc cela accroît ses besoins psychologiques essentielles et donc les énergies de peurs générées par l’insatisfaction réelles ou potentielles de ces besoins. Il y a donc trois aspects se nourrissant de l’autre : les besoins essentiels, les peurs essentielles et les énergies psychiques essentielles. L’éveil d’une énergie psychique renforce le besoin de vivre et d’incarner cette énergie, par exemple par des actions permettant d’exprimer l’amour, la force, la compréhension, la créativité… Les peurs essentielles poussent ainsi à satisfaire les besoins essentiels de manière constructive ou névrotique, ou à l’inverse à les refouler, les nier (dénégation), les écarter, afin de s’en protéger. Mais ce type de conflits psychiques se manifestent très peu, en l’absence de l’éveil de ces énergies au niveau du moi conscient, parce qu’elle sont toujours enfouis dans l’inconscient. L’éveil intérieur, le développement affectif, mental (intellectuel et intuitif), l’individuation (Jung) ou l’émancipation (Castordiadis) offrent des opportunités nouvelles, mais aussi des difficultés consécutives. LES 7 BESOINS ESSENTIELS ENGENDRENT 7 PEURS ESSENTIELLES Nous allons à présent présenter de manières succinctes les 7 besoins et peurs essentielles. Sans satisfaction des besoins physiologiques, le besoin de vivre se dissout par disparition des forces physiques. Mais, sans satisfaction du besoin de vivre, les besoins physiologiques ne sont plus comblés. Il s’avère donc difficile d’établir véritablement une hiérarchie entre ces deux besoins. Le fait de souffrir de la faim et de la soif entraîne une souffrance physique et généralement la peur de la souffrance physiologique. Cependant, ce n’est pas systématique, car la sensation de souffrance physique, n’est pas une émotion. Par contre elle peut engendrer une émotion, de la peur, par crainte de souffrir, puis de mourir. Cependant, la souffrance physique est moins forte lorsque l’émotion de peur n’est pas présente. Les personnes qui pratiquent « les suspensions », c'est-à-dire qui se suspendent en ce perçant la peau avec des crochets, tels des fakirs nous montrent que la douleur physique n’engendre pas forcément de la peur et peut même engendrer du plaisir chez certains ! En effet, la douleur causée par ces pratiques génère une sensation de vie intense que les adeptes de ces pratiques recherchent sans peur, même si inconsciemment certains peuvent souffrir de pulsion sado-masochiste. Par conséquent, il n’y a donc en quelque sorte, que six véritables peurs essentielles et non sept, puisque la peur de souffrir relève surtout de la peur de mourir et d’être faible. Le besoin de vivre est le premier besoin essentiel primaire. De celui-ci découle tous les autres. Il s’agit d’une forme « d’énergie primordiale » qui anime l’être humain. Le besoin de vivre se rapproche de « l'élan vital » chez Bergson (1907), de la volonté de puissance, c'est-àdire de la volonté, du désir, de l’aspiration à vivre chez Nietzsche (avec ses facettes obscures et lumineuses), de « l’être la » (le Dasein) de Heidegger, de l’énergie de l’âme chez les religieux, de la « pulsion de vie » chez Freud, de « l’énergie vitale » chez Jung. Il apparaît notamment dans le besoin de survivre, lorsque l’être humain se trouve en danger de mort. L’énergie de vivre, le besoin de vivre est tellement naturel, ou consubstantiel aux êtres vivants, que les êtres humains y songent rarement, sauf lorsqu’il vient à manquer dans le cadre d’une maladie physique ou psychique, telle la dépression. D’ailleurs dans ce cas est ce bien n’est ce pas plutôt les besoins d’être fort et d’être aimé qui en découlent, qui sont insatisfaits ? En effet, l’énergie de vivre semble tellement primaire et simple, qu’à l’exception de la malnutrition (le besoin essentiel physiologique), on voit difficilement ce qui peut entraver le flux de cette énergie et donc la satisfaction de ce besoin de vivre, lorsque les autres besoins primaires et secondaires essentiels sont satisfaits Freud considérait qu’il existe une pulsion de mort dirigée contre soi même, qui s’oppose à la pulsion de vie. Or, il n’existe pas véritablement de pulsion de mort, car la violence envers soit même, tel le suicide par exemple, n’est finalement qu’une tentative ultime de la pulsion de vie d’annihiler la souffrance engendrée par les blocages de sa capacité de vivre de manière pleinement ou de paisiblement. Le besoin d’être fort est un besoin essentiel primaire. Il découle du besoin de vivre. Alfred Adler (1870-1937) est l’un des trois pères fondateurs de la psychanalyse avec Freud et Karl Abraham. Freud avait attribué à la libido et aux pulsions sexuelles, la cause dominante du fonctionnement psychique humain. Dans son ouvrage « théorie et pratique de la psychologie individuelle » (Adler, 1918), Adler va élaborer une théorie de la psychologie individuelle fondée prioritairement sur le besoin de pouvoir, visant à compenser un sentiment d'infériorité inhérent à tout être humain névrosé. Adler explique que ce qui définit le besoin d’être fort est « l’expression d’une lutte qui est profondément enracinée dans la nature humaine et dont le but compensatoire est de sortir de l’insécurité affective ». « Ce qui constitue la force motrice et le but final de la névrose née du sentiment d'infériorité, c'est nous l'avons dit, le désir d'élever, d'exalter le sentiment de personnalité, désir souvent puissant et irrésistible. Mais nous savons également que ce désir est profondément enraciné dans la nature humaine. En examinant de près ce désir, auquel Nietzsche a donné le nom de ’’volonté de puissance ’’, et en tenant compte de ses modes d'expression, on constate facilement qu'il n'est au fond pas autre chose qu'une force de compensation particulière, à la faveur de laquelle l'homme cherche à remédier à son état d'insécurité intérieure » 3. ADLER Alfred, Le tempérament nerveux. Éléments d’une psychologie individuelle et applications à la Psychothérapie,traduction de l’allemand par le Dr. Roussel en 1948, Paris, Éditions Payot, Collection : Petite bibliothèque Payot, (1911) 1970, p. 33. 3 Selon Adler et la psychanalyse, la quasi totalité des êtres humains sont névrosés, personne n'y échappe. Une personnalité névrotique est fondée sur des peurs qu’elle cherche à compenser à ou à résoudre. Cette tendance névrotique s’avère plus ou moins développée en fonction de la structure psychique de chacun. Néanmoins, Adler tend à exagérer un peu la dimension pathologique de ce besoin de pouvoir. De plus, il esquive la dimension naturelle et saine du besoin psychique de la pulsion de vie chez Freud ou le besoin essentiel d’être fort, car il se limite à décrire un complexe d’infériorité visant à compenser une peur, une insécurité intérieure de nature affective (Adler, 1911 : 33). Pour Bergson avec son élan vital, ou pour Nietzsche, la puissance relève dans ce cas de l’existence d’une pulsion première, naturelle, saine et non-pathologique. Pour Nietzsche, ce besoin de puissance est donc au contraire une pulsion à développer. « La vie est à mes yeux, instinct de croissance, de durée, d'accumulation de force, de puissance : là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin » considère Nietzsche. Cependant, sa vision suppose d'édifier une « morale du surhomme » fondée sur la volonté puissance et non sur l'humilité chrétienne, qui manifeste une morale des faibles4. Par contre, ce besoin de vivre peut rapidement prendre une forme destructrice et dominatrice, en particulier chez Nietzsche, comme nous le verrons ensuite. Le besoin d’être fort relèvent d’une énergie d’origine biologique et psychique nécessaire au développement de l'individu. C’est à dire un besoin primaire, qui est le besoin essentiel de vivre et donc de se sentir puissant et fort. Spinoza distingue « la potentia », ou puissance, c’est-à-dire la maîtrise et la plénitude intérieure, qu’il différencie de « la potestas » ou pouvoir, qui est un pouvoir extérieur dont l’essence est l’exercice d’une force d’intervention sur les autres5. Cette distinction entre puissance et pouvoir nous semble appropriée, néanmoins nous préférons dénommer la volonté de puissance, par les termes de besoin de force, afin d’éviter la proximité sémantique avec le concept de pouvoir. Le besoin de pouvoir est la face pathologique du besoin de puissance. Ce dernier est la manifestation de la vitalité physique et psychique, de l’expression de la vie et du besoin de la personnalité (ou de « l’âme ») de maîtriser son corps, ses émotions et sa pensée, de même que le monde extérieur. Car une personne impuissante à maîtriser au moins en parti, son environnement extérieur serait incapable de satisfaire ne serait ce que ses besoins essentiels, tels que celui de se vêtir, de se construire une logement, de cultiver pour se nourrir, etc. Heidegger estime que chez Nietzsche, « la volonté de puissance ne vise pas la puissance comme l'autre d'elle-même, comme un but situé en dehors d'elle ». La volonté de puissance « Wille zur Macht » est une en quelque sorte une « volonté de volonté », de puissance pour la puissance, sans forcément chercher à dominer autrui, des choses ou le monde extérieur. L’interprétation d’Heidegger semble restrictive, car Nietzsche montre qu’il ne s’agit pas seulement de l’élan vital, de la puissance de vie, de la puissance de la technique, mais aussi des pulsions primaires, animales et destructives. Dans la généalogie de la moral, Nietzsche, précise en effet sa pensée : « on méconnaît alors l'essence de la vie, la volonté de puissance ; alors on néglige la prééminence de principe que possèdent les forces spontanées, agressives, envahissantes qui réinterprètent, réorientent et forment, dont ’’ l'adaptation ’’ ne fait que suivre les effets, alors on dénie dans l'organisme même le rôle dominateur des instances suprêmes, dans lesquelles la volonté vitale apparaît active et formatrice. » Heidegger estime que chez Nietzsche, « la volonté de puissance ne vise pas la puissance comme l'autre d'ellemême, comme un but situé en dehors d'elle ». La volonté de puissance « Wille zur Macht » est une en quelque sorte une « volonté de volonté », de puissance pour la puissance, sans 4 NIETZSCHE Friedrich, L'Antéchrist, imprécation contre le christianisme (écrit en 1888, publié en 1895) (fragment 6), in Fragments Posthumes, Gallimard, 1976. 5 SPINOZA Baruch, Éthique, (traduit par Robert Misrahi), Editions de l'Eclat, 2005. forcément chercher à dominer autrui, des choses ou le monde extérieur. L’interprétation d’Heidegger semble restrictive, car Nietzsche montre qu’il ne s’agit pas seulement de l’élan vital, de la puissance de vie, de la puissance de la technique, mais aussi des pulsions primaires, animales et destructives. Dans la généalogie de la moral, Nietzsche, précise en effet sa pensée : « on méconnaît alors l'essence de la vie, la volonté de puissance ; alors on néglige la prééminence de principe que possèdent les forces spontanées, agressives, envahissantes qui réinterprètent, réorientent et forment, dont ’’ l'adaptation ’’ ne fait que suivre les effets, alors on dénie dans l'organisme même le rôle dominateur des instances suprêmes, dans lesquelles la volonté vitale apparaît active et formatrice. » Nietzsche considère parfois, que la volonté de puissance avec sa violence et sa domination consécutive relève d’une nécessité constructive des plus forts (le bien) et parfois d’une faiblesse (le mal). Nietzsche privilégie la voie de la volonté de puissance, de la pulsion de vie à celle de la morale de l’idée. Chez Nietzsche, dans l’ensemble de son œuvre, ce double aspect de la volonté de puissance, parfois constructif et parfois destructif, ne parait pas donc pas très cohérent, ni bien articulé. Ainsi, la volonté de puissance de Nietzsche peut conduire à la liberté vis-à-vis de la normalité crasse par l’individuation, mais aussi à la pire des dominations totalitaires. De même, « l’être la », « le dasein » de Heidegger peut conduire au détachement serein du sage Zarathoustra, ou à la vacuité promue par le Bouddhisme, mais aussi au néant de l’existentialisme de Sartre6. Se centrer sur l’idée néant matérialiste conduit souvent vers la béance du vide, du rien, engendrant la perte du sens de l’existence et de la vie psychique intérieure à l’origine de certaines dépressions. Lorsque cela se cumule avec des problèmes personnels et psychologiques, cela conduit à de profondes dépressions, le mal du siècle de la civilisation occidentale et sa vague de suicides croissants. La volonté de puissance et « l’être la » sont des approches fondées sur l’être plutôt que sur l’avoir et surtout que sur l’intellect. Contre les excès de la culture de l’intellect et des lumières, les approches de l’être ne se limitent pas à la voie de la puissance ou de la vacuité vivifiante, il y a aussi celle des cultures fondées sur le principe de l’amour, qui relève aussi de l’être. Or, la culture chrétienne repose sur le principe de l’amour, du service aux autres pour se sauver aussi soi même. La culture bouddhisme aussi, dans une moindre mesure, puisque Maitreya Bouddha représente lui-même, une des figures analogue du christ, donc de l’amour, chez les bouddhistes. Mais l’amour, le besoin d’aimer et d’être aimé ne relève pas uniquement des religions, c’est un fondement de la psychologie et particulièrement de la psychanalyse, avec Freud, Ferenczi, Dolto… Le besoin essentiel d’aimer découle du besoin essentiel de vivre. Il s’agit de l’aspect réceptif et féminin de cette pulsion de vie. Tandis que le besoin d’être fort en représente la dimension émissive et masculine. La psychanalyse parle beaucoup du besoin d’être aimé, du besoin d’amour. Freud disait à ce propos: « j’ai trouvé en moi comme partout ailleurs des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont, je pense, communs à tous les jeunes enfants. »7 Ainsi, concernant l’amour, chez les psychanalystes, il y a « ceux pour lesquels la notion majeure est le père, donc le masculin, l’intellect, et qui ont donc rejeté l’idée d’amour », explique Michel Cazenave. C’est pourquoi, de nombreux psychanalystes semble peiner à le définir et en ont une vision assez réductrice. Ainsi, pour Sigmund Freud, l’amour n’est qu’une illusion fondée principalement sur des besoins sexuels inconscients. « Sur ses traces, Jacques Lacan a ironisé en parlant de ’’ l’amûr ’’, qu’il identifie à une sorte d’amour courtois suranné qui n’est qu’une ’’ sublimation illusoire ‘’ en revanche, nous retrouvons l’idée d’amour chez ceux pour qui la notion primordiale est la mère : Sandor Ferenczi, un des disciples de Freud a appuyé toute 6 7 SARTRE Jean Paul, L'être et le néant, Gallimard, 1976. FREUD Sigmund, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), PUF, 2006 son œuvre sur le sentiment amoureux après s’être séparé de son maître pour mettre en avant le primat de la mère sur le père. Carl Gustav Jung a terminé son autobiographie par une longue réflexion de plusieurs pages sur ’’ le mystère de l’amour ’’. Enfin, Françoise Dolto employait l’expression ’’ cœur à cœur ’’ pour caractériser le tissage entre sensations du corps et sentiments, aussi bien dans la rencontre de deux adultes que dans la relation mère-enfant »8. Par conséquent, ce qui fonde la personnalité, selon Freud et ses disciples, ce sont le corps, les pulsions, les affects et le psychisme avec ces représentations. L’amour n’étant qu’une forme d’affect liés à des représentations. Or, l’amour est bien sur tout cela, mais il représente un aspect essentiel dans le concert des différents affects et représentations de la psychologie humaine. Tandis que Freud situait les besoins sexuels comme des besoins hiérarchiquement dominant, qui sous tendent tous les besoins affectifs et mentaux, nous estimons qu’il figure au contraire parmi les besoins essentiels, donc hiérarchiquement dominants avec le besoin d’être fort et après le besoin de vivre. Les besoins sexuels restant bien sur prégnant, mais sont principalement la conséquence d’un besoin d’être aimé ou d’un besoin de pouvoir souvent inconscient. Ces différents besoins psychologiques sont composés d’une substance, qui est de « l’énergie psychique et émotionnelle, qui prend la forme d’énergie de vie, de force et d’amour. En psychanalyse, la métapsychologie, qui représente la théorie générale de la psychanalyse, réunit trois points de vue, ou trois types d’énergie : - Economique : la dimension quantitative de l’énergie libidinale, sa circulation, - Dynamique : les relations et les conflits entre énergies pulsionnelles, -Topique ou génétique : le passage des représentations et des énergies qui y sont liées, entre les différents espaces, les différents lieux du psychisme : conscient, préconscient, inconscient, ou Ca, Moi et Surmoi9. Quant au psychanalyste Carl Gustav Jung, un des plus célèbres psychanalystes associés de Freud, il souscrit à cette approche de la métapsychologie, dans la mesure où il estime que la psyché et le biologique ne sont pas deux processus parallèles, mais sont fondamentalement reliés par une action réciproque10. Il explique que pour se détacher de l’amour d’une personne, cela suppose que l’énergie psychique doit s’en détacher de son lien avec l’image mentale, la représentation qui est liée. Cela nécessite généralement, du temps. Cependant, Jung n’entend pas limiter l’énergie psychique seulement à la libido et à la sexualité comme tend à le faire Freud. Jung explique, qu’il est difficile de distinguer les processus psychiques des processus biologiques et préfère élargir le concept plus limité d’énergie psychique à celui d’énergie vitale. Cette dernière est appelée libido chez Freud. Jung considère que c’est essentiellement l’énergie vitale, qui est le moteur du psychisme et non la libido (l’énergie sexuelle), contrairement à Freud. La définition de l’énergie vitale est plus large chez Jung, que la définition de l’énergie libidinale chez Freud, car elle se compose de l’énergie physique, pulsionnelle (libido) et de l’énergie psychique. Jung explique que « l’homme est une machine technique qui utilise les conditionnements naturels pour la transformation des énergies physiques et chimiques, mais aussi une machine mentale qui emploie les conditions vitales pour leur transformation en libido »11. Jung ne 8 BIRCHEN, Quelques considérations sur l'amour par les psychanalystes, 30 janvier 2012, http://eclaircie.canalblog.com/archives/2012/01/30/23348355.html 9 LAPLANCHE Jean, PONTALIS Jean-Bertrand, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1997. 10 Jung différencie le point de vue mécaniciste et énergétique. Le point de vue mécaniciste est purement causal et s’occupe de la substance en mouvement, le point de vue énergétique pour sa part, est finaliste : il ne s’appuie pas sur les substances en elles-mêmes, mais sur les relations entre leur mouvement. Une troisième conception, qui est un compromis entre ces deux approches, donne lieu à plusieurs théories hybrides mais présente un tableau relativement fidèle de la réalité (Jung, 1973 : 2231). 11 JUNG Carl Gustave, Ma vie, Gallimard, 528 p., 1991. réduit pas l’amour comme le fait Freud, à une projection de nature libidinale, donc sexuelle, à une sublimation en quelque sorte. Or, l’amour relève des énergies affective et psychique, même si elles peuvent être renforcées ou déformées par les énergies sexuelles. L’amour, le besoin d’aimer comme le besoin de vivre et d’être fort sont « composés » d’énergie psychique et affective comme de nombreux autres affects. Cependant, ils figurent parmi les affects hiérarchiquement les plus essentiels dans la structuration de la psyché humaine. SCHEMA DE L’ENERGIE VITALE ET PSYCHOLOGIQUE CHEZ JUNG Energie vitale Energie psychique Energie physique Energie psychologique Energie libidinale Energie affective Pour les biologistes, les émotions et les sentiments, tel l’amour sont tout d’abord le résultat de flux d’hormones générés par les glandes endocrines, lorsque le cerveau leur en donne l’ordre, parce que certaines représentations mentales apparaissent, telles des images de soi ou d’autrui. Néanmoins les neuropsychologues mettent en évidence des ondes alpha, bêta, téta, etc, qui varient en fonction des états de conscience, tels que la pensée, les émotions, la relaxation, la concentration, la méditation… Ils mesurent scientifiquement ces états psychiques, grâce à des électro-encéphalogrammes et des électrodes collés sur la boite crânienne. De même le neuropsychologue David Servan Schreiber utilise l’électrocardiogramme, afin de mesurer les battements cardiaques, c'est-à-dire les variations du champ électrique du coeur. Il a ainsi prouvé que la cohérence cardiaque, c'est-à-dire la régularité de la fréquence du cœur se renforce dans les états de relaxation12. Ces instruments mesurent donc les échanges d’énergie électriques et électro-magnétiques dans les cellules du cerveau et du cœur. Quelques soient les variantes entre les points de vue, une majorité de chercheurs et des scientifiques considèrent donc que les émotions relèvent d’une substance spécifique (l’énergie émotionnelle). Nous pouvons donc distinguer plusieurs conceptions expliquant la substance de l’énergie émotionnelle. Il y a la conception matérialiste des biologistes et de certains neuropsychologues qui estiment que les énergies émotionnelles ne 12 SERVAN SCHREIBER David, Guérir, Éditions Robert Laffont, 2003. sont que le résultat de combinaisons chimiques de nature biologique, plus ou moins complexes entre les énergies physiques, pulsionnelles, de nature biologique, électriques et électro-magnétiques mesurables scientifiquement. Selon eux, les énergies psychiques (intellectuelles et intuitives) n’étant elles mêmes que des échanges de nature purement biologiques. Il y a ensuite la conception sexuelle et libidinale freudienne, qui est aussi relativement matérialiste, mais qui met le primat sur la psychologie. Ainsi, il place les énergies libidinales et sexuelles comme explication centrale du psychisme. La conception psychique pure dissocient les pulsions sexuelles et psychiques. Au contraire de la conception jungienne qui relie les images mentales associées à l’énergie vitale, c’est dire l’énergie psychique et sexuelles. Nous considérons que les besoins psychiques essentiels se différencient principalement en « énergie d’amour » et en « énergie de force », puis se combinent en d’autres émotions tels l’estime de soi. Quant au philosophe Nietzsche, il fonde principalement son analyse de la psychologie humaine sur la volonté de puissance et considère que l’amour chrétien n’est qu’une morale des faibles. Il pense de même que l’idéalisme politique, c'est-à-dire les idéaux en opposition au concret, en particulier ceux fondés sur l’égalité, la solidarité ou la fraternité tel le socialisme et le communisme13. L’amour des religions peut en effet, n’être que mental et un prétexte à la faiblesse. L’amour religieux chrétien peut-être un amour mental (« aimer vous les uns les autres » via l’intellect et la prière), un amour spirituel, c'est-à-dire intérieur et personnel, ou un amour fraternel et solidaire (la charité chrétienne)… Nous considérons que les besoins psychiques essentiels se différencient principalement en « énergie d’amour » et en « énergie de force », puis se combinent en d’autres émotions tels l’estime de soi. Cependant, l’amour dépasse largement les religions en particulier chrétiennes, même si cela en représente le principe premier. En effet, l’amour prend des formes multiples l’amour maternel, paternel, l’amour des amants, l’amour passionnel, l’amour sensuel, l’amour amitié, l’amour fraternel, l’amour pour l’humanité ou pour la beauté… Ces formes d’amours sont donc semblables en partie seulement à certaines formes de l’amour des religions. L’amour existe plus fondamentalement comme un des aspects du besoin de vivre. L’amour pour autrui, le monde et envers soi peut prendre une forme non illusoire, non idéalisée et idéologique. Elle prend une forme concrète, vécu dans le corps, apportant à celui qui le ressent une vision réelle du monde, pleine d’empathie et de compréhension par les sentiments, la sensibilité. Il s’agit d’une forme qui peut être objective de la réalité, car les sentiments ne sont pas qu’une illusion. En effet, il n’y a pas que le seul intellect, qui dispose de la capacité de compréhension du monde. D’ailleurs le 3e terme de la devise française, la fraternité, suppose d’être ressenti, pour être compris véritablement. Le besoin d’aimer engendre la peur essentielle primaire de ne pas pouvoir aimer et la peur névrotique essentielle primaire de ne pas être aimé. La première peur est constructive dans la mesure ou elle peut être satisfaite à terme, lorsque le vide de la peur a été remplacé par le plein de l’énergie opposée, dans le cas présent l’énergie psychique d’amour. Tandis que la seconde peur est névrotique, donc illusoire, car il s’agit de la quête d’un besoin qui ne pourra jamais véritablement être atteint, puisqu’il dépend toujours du bon vouloir de l’extérieur, de l’être aimé, des amis, des collègues, d’un public… La forme névrotique de l’amour relève de la croyance que l’amour de l’autre pourra satisfaire ce besoin d’être aimé, alors que c’est fondamentalement la capacité à aimer l’autre et soi même, qui permet à un être humain de devenir autonome au plan affectif. L’amour dépendant, l’amour névrotique et donc illusoire relève souvent chez l’être humain moyen, d’un besoin d’être aimé, plutôt que d’aimer, d’un 13 NIETZSCHE Friedrich, 1976, L'Antéchrist (fragment 6), in Fragments Posthumes, Gallimard. amour passionnel visant à combler des peurs profondes de manquer d’amour ou encore d’un besoin d’amour sensuel, liés à des besoins sexuels et non de l’ordre des sentiments. De même on peut différencier le sentiment d’amour qui est stable, profond et réelle, de l’émotion d’amour, qui est névrotique, fugace et illusoire. Il faut donc différencier l’amour réel et l’amour illusoire, de même que les sentiments objectifs et les sentiments illusoires, ou les pensées objectives et les pensées illusoires. Le besoin d’estime de soi est en effet un besoin essentiel secondaire et composite. L’estime de soi conjugue le besoin d’être fort et surtout besoin d’amour de soi même, ou le besoin d’aimer sa force. Le besoin de confiance en soi, à l’inverse conjugue surtout le besoin d’être fort et un peu le besoin de s’aimer soi-même. Car pour celui qui se sent trop faible, trop fragile psychologiquement, il est difficile d’avoir une importante estime de soi, même s’il peut exister un certain amour de soi, relevant de la compassion pour ses propres faiblesses. Sans un minimum d’amour de soi, il n’est pas possible de parvenir à une complète estime de soi, même si le sentiment de maîtrise de soi, de puissance est suffisant, car la peur d’être faible a disparu. C’est pourquoi, le besoin d’estime de soi, relève d’un besoin essentiel qui peut être considéré comme secondaire et combiné, car il est le produit de deux besoins essentiels primaires, le besoin d’amour (de soi et des autres) et le besoin de maîtrise de soi, de puissance. Il ne devrait donc pas véritablement être considéré comme un besoin essentiel, puisqu’il est composite. Néanmoins, il est important, donc nous le conservons parmi les besoins essentiels, puisqu’il est justement essentiel à l’équilibre psychique. Cependant, le besoin d’estime de soi, peut devenir un besoin névrotique, lorsqu’il devient un besoin de reconnaissance. C'est-à-dire un besoin d’être reconnu, fondé sur la peur de ne pas être reconnu par les autres. Il devient un besoin névrotique dans la mesure ou le fait d’être reconnu ne suffit jamais à combler le manque d’estime de soi, puisque le regard des autres ne permet que minoritairement la transformation de soi. Cette dernière s’édifie alors sur la dépendance vis-à-vis de la reconnaissance de soi par les signes des autres, afin de tenter de construire ainsi, son estime de soi et sa confiance en soi. Cependant, dans le meilleur des cas, les autres nous rassurent, mais ils ne sont pas en capacité de nous construire véritablement de l’extérieur, car cela dépend majoritairement de nous-mêmes, de notre propre construction intérieure. C'est-à-dire que la satisfaction de son besoin essentiel d’estime de soi se construit principalement par soi-même, grâce à la construction intérieure de sa capacité à aimer et à s’aimer pour sa force personnelle. Le besoin de compréhension (de curiosité) est un besoin essentiel secondaire. Plus encore que le besoin d’estime de soi. Non pas parce qu’il est un besoin composite, comme ce dernier, mais parce qu’il est un besoin secondaire hiérarchiquement, plus qu’un besoin combiné, ou alors sous une forme subtile, car il est plus un besoin d’ordre psychique, que d’ordre affectif. En effet, le besoin de compréhension est de nature psychique et découle du besoin émotionnelle d’être fort, c'est-à-dire de maîtriser le monde extérieur et soi même par l’intellect et il découle aussi de compréhension sans les mots, sans l’intellect, mais par la sensibilité, l’intuition et les sentiments. C’est le stade supérieur du besoin d’aimer, dans la mesure où il consiste à chercher à comprendre avec le cerveau droit, avec le cœur et non avec le cerveau droit, siège de la compréhension analytique, l’intellect. Le manque de compréhension par le ressenti et l’intuition génère des carences dans les relations humaines (manque de sens relationnel), un manque de capacité artistique (en musique, ou en arts plastiques…) et même sportive (capacité kinesthésique, c'est-à-dire de sensation corporelle). Cela peut engendrer un sentiment de manque, la peur d’être coupé des autres, de notre corps et du monde. Ce sont des capacités, des formes d’intelligences nécessaires à la vie, mais plus rarement prises en compte en occident. Le psychologue Howard Garner a définit huit formes d’intelligence, mais il en existe plutôt neuf14. Les deux formes d’intelligence les plus reconnus sont l’intelligence de « l’ingénieur » (logico-mathématique) ou d’un « lettré », celle des « humanités » (verbo-linguistique) sont les plus facilement mesurables et mesurées par les tests, mais aussi par le système scolaire. Par conséquent, les êtres humains possédants les autres intelligences sont alors socialement définis comme peu intelligents. Ils accèdent plus difficilement à des diplômes valorisables professionnellement. Il s’agit d’un réductionnisme profond, conduisant finalement à une injustice socio-économique. Les besoins essentiels secondaires non combinés relèvent du besoin de croissance de la conscience. Ils n’en existe que deux : le besoin de création et le besoin de compréhension. Le besoin de compréhension par l’intellect se révèle un besoin typiquement occidental, car l’occident est fondé majoritairement sur une approche masculine du monde, s’appuyant sur la maîtrise par la raison, les lumières, l’intellect, par la science et la technologie. Cependant, cette recherche de la preuve matérielle par la science, qui génère la technologie, puis la marchandisation des biens matériels engendre aussi un excès de consumérisme et de matérialisme. C'est-à-dire a privilégié les valeurs matérielles sur les valeurs psychologiques. Cela conduit, qui conduit à la perte de l’intériorité, de la compréhension de l’essentielle, de la capacité à ressentir, de la sensibilité et des sentiments. Ce qui nous coupe de nous même des autres, de notre sentiment de fraternité avec l’humanité, puis avec la vie de la nature. Nous sommes alors perdu dans un monde désenchanté nous dit Weber. Mais c’est aussi un monde qui devient absurde, lorsqu’il poursuit la croissance matérielle comme une fin en soi et non plus un moyen. Les besoins névrotiques, tels le besoin de pouvoir, de reconnaissance, de possession tentent alors vainement de venir combler ce vide existentiel. Nous ne sommes pas loin du vide déprimant auquel nous conduisent certains philosophes existentialistes. Le besoin de curiosité est lié au besoin de compréhension, il résulte d’une expansion de la conscience, d’une émancipation de l’être humain. Cependant, dans sa face névrotique, il se nourrit souvent aussi de la peur du manque de capacité créative, donc de l’ennui et finalement de la peur de l’inutilité. Car celui qui est inutile à soi même et aux autres risque d’être délaissé par eux. Cela peut donc engendrer la peur de perdre l’estime des autres, leur confiance, voire leur amour. La psychologue Virginia Henderson intègre aussi le besoin d’apprendre parmi les 14 besoins fondamentaux qu’elle a déterminé en 194915. Les besoins qu’elles évoquent sont principalement centrés sur les besoins physiques, notamment parce que cette recherche était destinée aux infirmières. Cependant, Henderson reste trop vague sur les besoins affectifs, car le besoin de communiquer ne permet pas de différencier le besoin d’aimer, de reconnaissance par exemple. De plus, elle ne mentionne pas le besoin d’être fort, de maîtrise qui se limite au besoin d’éviter les dangers. Par contre, contrairement à Maslow, elle fait apparaître le besoin d’apprendre, qui y est relativement proche de notre besoin essentiel de compréhension. Le besoin de créativité est un besoin essentiel secondaire. Ceci pour la même raison que le besoin de compréhension, car il est d’ordre psychique et non émotionnel. Le manque de satisfaction d’un besoin émotionnel est susceptible d’engendrer des angoisses ou des dépressions généralement plus fortes, que les carences de la satisfaction d’un besoin psychique. Le besoin de créativité s’exerce dans la production, l’action, le service d’autrui et 14 GARDNER Howard, Les formes de l'intelligence, Odile Jacob, 1997. Il s’agit des besoins de respirer, boire et manger, éliminer, se mouvoir, maintenir une bonne posture, dormir, se reposer, se vêtir et se dévêtir, maintenir sa température corporelle dans la limite de la normale (37,2 °c), être propre et protéger ses téguments, éviter les dangers, communiquer avec ses semblables, agir selon ses croyances et ses valeurs, s'occuper en vue de se réaliser, se récréer, apprendre, in HENDERSON Virginia, The Principles and Practice of Nursing, The Macmillan Company, Canada, 1947. 15 du monde, etc. Le besoin de création relève d’un besoin de réalisation d’objet artistique, intellectuel, pratiques…). La satisfaction du besoin de création contribue aussi au besoin de réalisation de soi, c'est-à-dire au besoin de la création de soi par le biais de l’élaboration d’une œuvre. Une création artistique, professionnelle ou autres, nous révèle comme un miroir, de même que le chemin qu’il nous faut emprunter pour atteindre le but. Car les obstacles à franchir sont autant d’épreuves initiatiques favorisant l’émergence de l’individuation, c'est-àdire la réalisation de soi. La créativité suppose surtout de développer le cerveau droit, plus féminin, c'est-à-dire le ressenti, la capacité associative, prioritairement à la logique de l’intellect. Lorsque le besoin de créativité n’est pas satisfait, cela engendre une peur de ne pouvoir s’émanciper, de ne pas pouvoir se construire soi, par le biais de la création, donc finalement de ne pas se réaliser comme être humain. Mais il y a aussi la peur de la répétition mortifiante, par manque de créativité (nouveauté), qui y est liée, même si elle reste plus secondaire. Il ne faut néanmoins pas confondre le besoin de créativité, avec le besoin névrotique de reconnaissance sociale par la réalisation d’une carrière, ou d’une œuvre reconnue par les autres. 7 BESOINS ESSENTIELS ET PEURS ESSENTIELLES, PRIMAIRES ET SECONDAIRES NIVEAU ET NATURE DES BESOINS Essentiel primaire Essentiel primaire BESOINS ESSENTIELS PEURS ESSENTIELLES La peur de souffrir physiquement de 1-Les besoins physiologiques non satisfaction des besoins (Se nourrir, boire, dormir, se physiologiques, qui est surtout une peur vêtir, se loger) de la mort 2-Le besoin de vivre pleinement (pulsion de La peur de la mort vie) Essentiel primaire 3- le besoin de force (de puissance et d’être maître de soi) La peur d'être faible Essentiel primaire 4-Le besoin d’aimer (de servir autrui, d'être utile) La peur de ne pouvoir aimer (et non de ne pas être aimée (peur névrotique)) ou d'être inutile (pas aidant donc pas aimant concrètement) Essentiel secondaire 5-Le besoin d’estime de soi et de confiance en soi La peur d’une mauvaise estime de soi ou de manquer de confiance en soi, par peur d’être faible et de ne pas s’aimer. Essentiel secondaire (de croissance de la conscience) 6-Le besoin de compréhension, de curiosité Essentiel secondaire (de croissance de la conscience) 7- Le besoin de créativité, afin de se créer soi même (et de créer des objets pour se créer comme sujet, comme être humain individué). La peur du manque de maîtrise par l’intellect résulte de la peur d'être faible ou parfois de ne pouvoir comprendre autrui et le monde par l’intuition (l’intelligence relationnelle, environnementale, artistique, existentielle…). Le besoin de curiosité génère la peur du manque de capacité créative, donc de l’ennui et finalement de l’inutilité pour soi et les autres (peur de ne pas être aimé) La peur de ne pas pouvoir exprimer sa créativité, donc la peur de la répétition mortifiante, par manque d’innovation. La peur de l’incapacité à créer génère la peur d’être faible et de ne pas être aimé, donc d’avoir une mauvaise estime de soi. Comparons nos 7 besoins essentiels et les 5 besoins fondamentaux de Maslow. Selon le psychologue Maslow, les cinq besoins essentiels principaux sont les besoins physiologiques, le besoin de sécurité, les besoins d’appartenance, le besoin d’estime de soi et d’accomplissement de soi16. Cependant, nous estimons que les besoins essentiels primaires 16 MASLOW, A. H., « A theory of human motivation », Psychological Review, 50(4), 370-396, 1943. devraient plutôt être les 6 suivants : les besoins physiologiques, le besoin de vivre (pulsion de vie), le besoin d’être fort, le besoin d’aimer (de servir autrui, d'être utile), le besoin de compréhension (de curiosité), le besoin de création (le besoin de réalisation de soi-même par la création de soi ou d’objets). Eventuellement, nous pouvons ajouter le besoin d’estime de soi, bien qu’il soit un besoin composite, donc secondaire hiérarchiquement. Pour satisfaire les 6 ou 7 besoins essentiels de nature psychologique (le premier étant de nature physiologique), cela suppose de parvenir à prendre conscience des peurs subconscientes. Ces dernières sont engendrées par leurs non-satisfactions. Ensuite, il s’agit de parvenir à s’en détacher psychiquement. Ces 6 peurs essentielles sont reliées aux besoins psychiques essentiels : la peur de la mort au besoin de vivre, la peur d’être faible au besoin d’être fort, la peur de ne pas être aimé au besoin d’aimer, la peur de ne pas se réaliser au besoin de réalisation de soi même par la création, la peur de ne pas comprendre et donc ne pas maîtriser son environnement au besoin de compréhension du monde. Se détacher de ces peurs suppose non seulement un travail intérieur (psychologique, contemplatif, énergétique, etc.), mais aussi une analyse critique des valeurs de la société, qui soit de nature sociologique et philosophique. La marchandisation capitaliste et le matérialisme nous poussent à nous créer des besoins artificiels et renforce la dimension névrotique des besoins non essentiels. Le besoin de pouvoir est aussi un besoin névrotique primaire. Il est lié à la peur d’être faible. Le besoin de sécurité formulé par Maslow dépend de la peur de l’insécurité, d’être faible et/ou de ne pas être aimé (abandonné). C’est donc un besoin névrotique secondaire, puisqu’il combine deux besoins primaires. Le besoin de sécurité par la force, la maîtrise, relève de la sécurité masculine (la sécurité et la paternelle), tandis que la sécurité féminine, maternelle, relève du besoin d’affection, du besoin de la douceur sécurisante de l’amour. Le besoin de sécurité exprimé par Maslow est donc moins fondamental, que le besoin d’être fort, d’être aimé, ou le besoin névrotique d’être aimé. Les besoins de sécurité et d’appartenance formulés par Maslow relèvent en réalité de besoins secondaires de nature névrotique et ne devraient pas figurer parmi les 5 besoins essentiels primaires. Le besoin d’aimer est un besoin essentiel primaire. A l’inverse, parmi les besoins névrotiques (donc illusoire) primaires, il y a le besoin d'être aimé, au lieu du besoin essentiel primaire d’aimer. La peur névrotique qui y est liée, est à la peur de ne pas être aimé (d’être seul ou abandonné). Pourtant, Maslow ne mentionne pas le besoin d’aimer ou d’être aimé, mais seulement les besoins de sécurité et d’appartenance, qui en sont relativement éloignés. Le besoin d’appartenance est un besoin névrotique secondaire combiné. Il est fondé sur la peur de ne pas appartenir (d’être rejeté, abandonné) à un groupe, une famille, etc. et sur le besoin essentiel d’être aimé ou le besoin névrotique d’être reconnu comme digne d’appartenir au groupe. Par conséquent, le besoin d’appartenance relevé par Maslow est moins fondamental que le besoin d’être aimé. Le besoin névrotique de reconnaissance est lié à la peur de ne pas être reconnu ou d’avoir une mauvaise estime de soi. Cependant, tenter d’obtenir la reconnaissance de la part des autres, nous rendra éternellement dépendant d’eux. A la différence du besoin essentiel « secondaire » d’estime de soi, fort justement identifié par Maslow, dont la satisfaction dépend plus de soi-même, que de l’opinion des autres. C’est donc un besoin névrotique secondaire, car combiné. Le besoin de réalisation de soi ne figure pas véritablement comme un besoin essentiel, dans la mesure où dépend de la pleine réalisation de nos autres besoins essentiels pour aboutir. La définition de Maslow dénomme aussi le besoin de réalisation ainsi : besoin d’accomplissement de soi ou besoin de réalisation personnelle Sa définition parait un peu trop large, ou trop vague. Il le définit « comme la mise en oeuvre de ses capacités, de ses qualités, comme accomplissement de sa vocation, de sa destinée, comme approfondissement de la prise de conscience de ce qu’il est et l’acceptation de sa nature profonde, un effort vers l’unité, l’intégration, la mise en oeuvre de toute son énergie personnelle. »17 Cependant, le besoin de réalisation de soi est aussi le besoin de se créer par soi-même, c’est à dire d’être le but et l’instrument de la réalisation de soi. La création d’un objet, d’une œuvre, d’une carrière, qui sont des créations extérieures à soi-même contribuent néanmoins à se créer soi-même, c'est-à-dire à se réaliser soi-même. Le besoin de réalisation de soi final reste pourtant différent du besoin de réalisation de soi au cours de l’existence. Ce dernier besoin ne peut donc pas être considéré comme un besoin primaire, mais seulement comme un besoin secondaire composite. C'est-à-dire que le besoin de réalisation de soi final relève donc de la satisfaction complète des autres besoins essentiels qui le compose : le besoin de vivre pleinement, d’être fort, d’amour, d’estime de soi, de compréhension et de créativité. C’est la somme des 6 autres besoins psychologiques essentiels et non véritablement un besoin essentiel en lui-même. On peut donc considérer qu’il n’y a en réalité que 4 besoins essentiels (dont 3 psychologiques) chez Maslow, car le 5e, le besoin de réalisation de soi, n’est qu’un besoin secondaire combiné de l’ensemble des besoins essentiels primaires. En effet, le besoin de réalisation final dépend de la réalisation des 6 autres besoins « inférieurs » ou précédents du point de vu temporel. A l’inverse, le besoin de réalisation de soi au cours de son existence revient finalement à réaliser un ou plusieurs de ces besoins essentiels primaires. Lorsqu’il n’est pas satisfait, le besoin de réalisation de soi engendre la peur essentielle « secondaire » de ne pouvoir se réaliser au plan global, ou final, par peur de ne pouvoir satisfaire chacun des 6 autres besoins essentiels primaires. Parvenir à la pleine réalisation de soi, reste rare puisqu’atteindre la perfection psychologique n’existe quasiment pas dans la culture athéiste. Par contre la plupart des religions considèrent que c’est possible, lorsque une personne atteint un niveau de perfection intérieure, c'est-à-dire devient ce qu’elles nomment un « maître de sagesse », ou un saint, tel le christ ou Bouddha. C’est aussi le Zarathoustra de Nietzsche18, inspiré du maître Zoroastre. C’est à dire le surhomme au sens « d’être réalisé » et non pas la face obscure et dominatrice du surhomme Nietzschéen, qui en quête du pouvoir parce qu’il est névrosé. Le surhomme dominateur refoule ou nie généralement sa peur d’être faible et de ne pas être aimé. Il n’y a donc pas de hiérarchie systématique des besoins, à l’exception du besoin de réalisation de soi final, puisque l’accomplissement des 7 autres besoins en dépend. Pour résumer la hiérarchisation des besoins essentiels et leurs relations entre eux, les voici rassemblés sous forme de schéma. 17 18 MASLOW A., L’accomplissement de soi, Ed. Eyrolles, 2004, p. 33-37 NIETZSCHE Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, Le Livre de Poche, 1972. RELATIONS ENTRE LES BESOINS ESSENTIELS 1-Besoin (essentiel primaire) physiologiques 1-Besoin essentiel primaire de vivre (pulsion de vie) 2-Besoin essentiel primaire d’être fort 2-Besoin essentiel primaire d’aimer (de servir autrui et d’être utile) 3-Besoin essentiel secondaire (hiérarchiquement et combiné) : - D’estime de soi 4-Besoins essentiels secondaires hiérarchiquement (non combinés) : - De compréhension (de curiosité) - De création 5- Les besoins essentiels névrotiques primaires (non combinés): - de pouvoir, - d’être aimé 6- Les besoins essentiels névrotiques secondaires (car combinés) : - de sécurité, - de reconnaissance, - d’appartenance, - de possession, - Etc… Engendre = Les besoins névrotiques proviennent des besoins essentiels. Il existe une multitude de besoins névrotiques. Les besoins névrotiques peuvent se définir comme une combinaison des besoins essentiels primaires et secondaires. Les peurs névrotiques sont plus illusoires et superficielles que les peurs essentielles. Parmi la multitude de besoins névrotiques certains sont plus importants que d’autres, car ils sont de nature émotionnelle plus que psychique. Mais surtout, plus que les autres, ces besoins névrotiques sont susceptibles de nous faire souffrir affectivement et de régir notre existence contre notre volonté. Il y existe 6 principaux besoins névrotiques, mais d’autres peuvent sans doute être ajouté. On relève ainsi, 1- le besoin de sécurité" paternelle " (besoin de pouvoir) et/ou " maternelle " (être aimé), 2- le besoin d'être aimé (et non pas d'aimer), 3- le besoin de pouvoir (et non pas d'être fort), 4- le besoin d’appartenance, 5- le besoin de reconnaissance, 6- le besoin de possession (de biens, d’autrui, de signes de reconnaissance). Par ailleurs, il existe une multitude d’autres besoins essentiels secondaires, qui combinent dans des proportions variées les besoins essentiels psychologiques primaires ou ces 7 besoins névrotiques primaires. Ces derniers en étant par définition, eux-mêmes une combinaison des besoins essentiels. Nous avons déjà explicité les 5 autres besoins névrotiques primaires, mais pas encore le besoin névrotique de possession (de biens, d’autrui, de signes de reconnaissance). A juste titre, ce besoin ne figure pas parmi les besoins définis par Maslow. Ce besoin repose sur la peur d’être dépossédé, qui est fondée la peur (psychologique) de l’insécurité physiologique, matérielle ou psychologique. Cette peur de l’insécurité provient soit de la peur de manquer de biens matériels nécessaires la satisfaction des ses besoins essentiels physiologiques, sa survie physique, ou sa liberté d’action (culture, loisirs, voyage, éducation…), soit par peur d’être seul (c'est-à-dire de ne plus posséder l’autre et donc d’être abandonné), soit par peur d’être dépossédé des signes de reconnaissance conférés par autrui (médaille, diplôme, statut, etc. relevants du capital symbolique de Bourdieu). Les besoins et les peurs névrotiques principaux sont relativement limités en nombre, mais leurs combinaisons sont quasiment illimitées. Les sept « péchés capitaux » figurent parmi les plus connus des besoins névrotiques : l'orgueil (peur de manquer d’estime de soi), l'avarice (peur de manquer, peur de ne pas posséder par peur de l’insécurité), la colère (peur d’être faible, ou peur de manquer de confiance en soi ou d’estime de soi…), la paresse (le manque d’énergie, le manque du besoin de vivre, parfois alimentée par la peur d’être faible ou d’échouer), la luxure (besoin névrotique de désirer, de posséder, d’être aimé, de dominer, fondée sur les peurs qui y sont liées…), la gourmandise (besoin de consommer, besoin de posséder pour combler le manque d’amour…), l'envie (la jalousie, la concupiscence, fondée sur l’insatisfaction des besoins essentiels primaires, être aimé, l’estime de soi, le besoin d’être fort…). L’égoïsme est relativement proche de l’avarice, mais en diffère néanmoins. Il ne figure pas parmi les sept péchés capitaux, il est pourtant fondamental pour expliquer les dérives de la société actuelle. Il engendre l’individualisme, le refus de partager ses richesses (la peur de manquer) et redistribuer son pouvoir (la peur d’être faible), il génère le manque d’empathie du fait de l’égocentrisme fondé sur le manque d’amour pour autrui et le manque de compréhension de l’autre et de sa culture (l’ethnocentrisme). LES 6 PRINCIPAUX BESOINS NEVROTIQUES ET PEURS NEVROTIQUES, PRIMAIRES ET SECONDAIRES NIVEAU ET NATURE DES BESOINS BESOINS NEVROTIQUES Névrotique primaire 1-Le besoin d'être aimé (et non pas d'aimer) Névrotique primaire 2-Le besoin de pouvoir (et non pas d'être fort) Névrotique primaire ou secondaire 3-Le besoin de sécurité " paternelle " (besoin de pouvoir) et/ou " maternelle " (être aimé) Peur névrotique de l’insécurité, d’être faible et de ne pas être aimé (abandonné) Névrotique secondaire (car combiné) 4-Le besoin d’appartenance Peur névrotique de ne pas appartenir (d’être rejeté, abandonné), créé par le besoin d’être aimé et/ou reconnu Névrotique secondaire (car combiné) Névrotique secondaire (car combiné) PEURS NEVROTIQUES Peur névrotique de ne pas être aimé, d’être seul ou abandonné à la peur non névrotique de ne pouvoir aimé Peur névrotique d’être faible par incapacité à dominer les autres à la peur non névrotique de ne pas être maître de soi même Peur névrotique de ne pas être reconnu, créée par le besoin d’être aimé 5-Besoin de (ou d’appartenance) reconnaissance et d’être fort (compétent) à la peur non névrotique d’avoir une mauvaise estime de soi Peur névrotique d’être dépossédé par peur de manquer 6-Le besoin de possession physiologiquement, matériellement, (de biens, d’autrui, de ou psychologiquement (par peur de signes de reconnaissance) l’insécurité, par peur d’être abandonné, de ne pas être reconnu, etc.) Conclusion L’émancipation suppose dans tous les cas des changements sociétaux et personnels (psychologique et comportemental). Pour Jung, l’individuation est aussi une condition d’accès à l’autonomie. L’évolution psychologique, la sobriété heureuse et la simplicité volontaire supposent de prendre conscience et de différencier les 7 besoins essentiels, « simples » et névrotiques, primaires et secondaires. Les besoins essentiels primaires sont les besoins physiologiques, le besoin de vivre, le besoin d’être fort, le besoin d’aimer. Les besoins essentiels secondaires sont le besoin d’estime de soi, le besoin de compréhension (de curiosité) et le besoin de créativité. Ce qui est donc assez différents des 5 besoins fondamentaux de Maslow. Par ailleurs, Il existe une multitude de besoins névrotiques secondaires, tel le besoin de possession. Prendre conscience des différentes couches subconscientes de sa personnalité permet de s’émanciper par l’ouverture et la maîtrise de soi. Pour dépasser ses peurs, il existe des méthodes introspectives. Elles s’appuient sur la prise de conscience psychologique (mentale ou intellectuelle). Il y a donc deux grandes méthodes, la méthode constructive et celle du lâcher prise (l’acceptation), pour parvenir à dépasser ce qui nous angoisse. Le besoin de pouvoir concerne plus spécifiquement les hommes du fait de leur éducation notamment. Or, une majorité des féministes à tendance à confondre le patriarcat exercé par les hommes avec le besoin de pouvoir. C'est-à-dire à assimiler la domination exercée par les hommes et l’excès de pouvoirs des êtres humains. Or, le genre féminin et le masculin relève d’une différence psychologique, alors que la différence sexuelle concerne la dimension corporelle et biologique entre le corps de la femme et de l’homme. Mais les femmes et non le féminin, font parfois aussi preuve de cette dérive du pouvoir, car il s’agit d’une structure liée au psychisme et à l’éducation, qui n’est pas liées seulement au sexe, mais plutôt au masculin. Or, les femmes disposent d’une part de féminin et d’une part de masculin au plan psychologique. Le pourcentage entre ces deux aspects varie en fonction des êtres humains. Certaines femmes sont plus masculines et certains hommes plus féminins. Ce travail sur soi visant le détachement de ces pulsions névrotiques de pouvoir, mais aussi d’être aimé, d’être reconnu, de posséder, de manquer, etc… concerne tous individus. La peur d’être faible concerne prioritairement les hommes, chez qui le masculin est généralement plus important que le féminin. Néanmoins en chaque femme réside une part de masculin minoritaire et parfois aussi majoritaire. Cela dépend des personnes et cette part masculine s’avère nécessaire à la maîtrise de soi et de son environnement extérieur, donc à sa sécurité psychique et matériel. Mais ce besoin de maîtrise, d’être fort, peut devenir besoin de domination et volonté de pouvoir sur l’autre. Dépasser le besoin névrotique de pouvoir suppose d’accepter, puis de dépasser notre peur d’être faible chez tous les êtres humains.