RSCA n°1 : La première garde aux urgences. Je suis interne en 1er semestre en médecine interne à Nanterre à l’hôpital Max Forestier. Lors d’une garde aux urgences, j’ai eu à prendre en charge un patient de 28 ans, sans antécédents particuliers, consultant pour morsures et griffures de la main gauche causées par son chat. Pour revenir sur le contexte de cette garde, il s’agissait de ma toute première garde aux urgences, et même du début de l’internat puisque cette garde a eu lieu le 4 novembre, le lendemain de nos prises de fonctions. Les urgences m’ont toujours intimidée : peur de passer à côté d’une urgence vitale, de faire le mauvais diagnostic par manque de temps, ainsi que stress de devoir enchaîner beaucoup de consultations. J’avais donc préféré choisir un stage en médecine interne afin de prendre de l’assurance pendant 6 mois, pour aborder le stage d’Urgences avec plus d’expérience. Mais il fallait bien prendre des gardes, je me suis donc décidée à prendre celle du lendemain de la rentrée, pour ne pas redouter pendant trop longtemps l’approche de la fameuse «première». Après une présentation de l’équipe et du service vint l’heure de voir les premiers patients. Les urgences de Nanterre ne sont heureusement pas réputées pour être un centre avec des urgences réanimatoires ou très graves, et le début de la garde se passe donc plutôt bien, avec des consultations orientées médecine générale. Vers 22h arrive un moment que je redoute particulièrement, un appel dans les étages par le service de Gériatrie Aigüe, afin de voir un patient. Au moment de redescendre, un patient m’interpelle dans la salle d’attente : il dit être arrivé vers 20h, et qu’il ne sent plus sa main, qu’il s’est faite griffée et mordre 4 jours auparavant par son chat et me dit se permettre cette question car il est fils de médecin. Je suis un peu surprise de cette approche, mais il s’avère qu’il est le prochain dossier à devoir être vu. Je le fais donc entrer dans un box, où il me raconte son histoire. En donnant son bain à son chat le vendredi soir, celui-ci l’a mordu et griffé. Le chat a un an, n’a jamais été vacciné, mais n’est jamais sorti de l’appartement du patient. Il n’a par ailleurs pas remarqué de comportement inhabituel chez son chat, hormis le fait qu’il n’aimait pas l’eau. J’examine le patient après cet interrogatoire : il a une trace de morsure sur la face palmaire de l’index gauche, accompagnée de griffures. Il s’agit d’une morsure punctiforme au niveau de P1, œdématiée, sans zone réactionnelle érythémateuse périphérique. Il dit avoir une perte de sensibilité de l’index gauche, qui s’étend maintenant au majeur gauche. Il n’y a pas de déficit moteur de la main gauche. Il n’y a pas non plus de signe de sepsis : les aires ganglionnaires sont libres et le patient est apyrétique. Je réalise cet examen clinique avec l’arrière-pensée qu’il s’agit d’un fils de médecin, et la peur supplémentaire de réaliser une prise en charge incomplète. Je demande ensuite l’avis du sénior présent avec moi : Il préconise une prévention du risque infectieux bactérien et de la rage. Il prescrit de l’Augmentin 1g 3 fois par jour pendant 7 jours, une antalgie par Paracétamol, ainsi qu’une lettre pour le vétérinaire afin de surveiller le comportement du chat. Au moment de retourner donner l’ordonnance au patient, ce dernier a sorti son collier avec une croix, qu’il a mis bien en évidence. Il me dit alors qu’il a trouvé que ma prise en charge était bonne, mais que l’on sentait que je n’avais pas confiance en moi et en mes décisions. Il a en effet remarqué que je touchais beaucoup mon collier, chose que je fais quand je suis dans une situation gênante. Le fait qu’il me le fasse remarquer me déstabilise, car je pensais avoir pu masquer mon stress de la première garde. Il quitte alors le box en me conseillant de lire un livre dont je ne comprends pas le nom, et me souhaite bonne continuation. La suite de la garde se déroule à peu près sans encombre, car j’ai la chance d’être encadrée par un médecin présent et qui prend le temps de revoir avec moi les prises en charges. Je suis contente le lendemain d’avoir passé l’«épreuve de la première garde» sans trop d’encombres. Une quinzaine de jours plus tard, je reçois un appel de la secrétaire des urgences, qui m’informe qu’un colis est arrivé pour moi dans le service, et qu’elle a eu au téléphone un homme voulant s’assurer que le colis me soit bien remis. N’ayant fait qu’une seule garde depuis le début du stage, je soupçonne ce patient d’être à l’origine de l’envoi. Mes soupçons sont rapidement confirmés, puisque je retrouve son nom sur le colis, avec son adresse pour pouvoir lui répondre. Le colis contient deux livre de Pablo Neruda : «J’avoue que j’ai vécu», ainsi qu’un «recueil de vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée». Ces deux livres sont accompagnés d’un mot griffonné sur un papier de la poste: Docteur, Navré de l’entête Poste et du cavalier de «poèmes d’amour». Puissent ces lignes vous apporter l’abri contre la pluie qu’elles furent pour moi dans d’autres tempêtes. Ne laissez pas s’éteindre cette flamme qui vous anime. Ne la laissez pas être dénaturée par des chefs ayant plus de «gueule», mais qui n’auront jamais le quart de votre humanité et de votre grandeur d’âme. Bien à vous. E. F… J'ai choisi de réaliser mon RSCA sur ce cas clinique car il me permet d'aborder deux événement marquants de mon début d'internat : ma première garde aux urgences et son déroulement, ainsi que l'abord du relationnel avec les patients et la gestion des patients trop familiers. Cette situation m’a donc amenée à vouloir développer plusieurs axes : 1) D’un point de vue médical et purement technique, la prise en charge de la morsure effectuée chez ce patient était-elle adaptée ? 2) Comment se comporter face à un cadeau venant d’un patient ? → AXE 1 : Recommandations de prise en charge et de suivi du patient en cas de morsure animale : -a. Soins locaux de la plaie : Ils consistent en un lavage au sérum physiologique et une antisepsie de la zone lésée par de la Bétadine ou de la chlorhexidine. Il faut rechercher si des corps étrangers sont présents dans la plaie, et les enlever. Si la plaie est profonde, il faut faire un parage chirurgical pour rechercher des lésions musculo-tendineuses, nerveuses, vasculaires et articulaires. La suture est contre-indiquée pour les plaies profondes ou examinées plus de 24 heures après l’accident, les plaies cliniquement infectées et les plaies de la main. Chez ce patient, la morsure et les griffures n'avaient pas entraîné de plaie nécessitant une suture, mais elle aurait été contre-indiquée. -b. Prophylaxie du tétanos : La prise en charge dépend du type de blessure et du statut immunologique du patient : Dans ce cas clinique, les vaccinations du patient étaient à jour et la plaie était mineure et propre : aucune vaccination ni injection d'anatoxine tétanique n'était donc nécessaire. -c. Antibiothérapie préventive: Elle est indiquée dans les cas suivants : terrain à risque (diabète, splénectomie, cirrhose…) ; morsures à haut risque (plaies profondes délabrées) ; lésion articulaire et/ou osseuse ; parage non satisfaisant (plaie punctiforme) ; morsure de chat ; morsures pénétrantes humaines ; morsures de la main ou morsures suturées de la face. Elle repose sur l’amoxicilline-acide clavulanique pour une durée de 3 à 5 jours. Dans ce cas clinique, l'antibioprophylaxie était donc doublement indiquée, mais la durée que nous avons prescrit (7 jours) était trop longue, risquant de provoquer une inobservance thérapeutique, et donc une résistance bactérienne. -d. Prophylaxie de la rage : Depuis l’éradication de la rage en France, le risque de transmission demeure après morsure animale avec un animal importé ou lors d’un séjour à l’étranger ou après tout contact physique avec une chauve-souris. La prophylaxie antirabique est alors sous la responsabilité des centres antirabiques auxquels le patient doit être adressé. Dans ce cas clinique, le sénior m'avait fait rédiger une lettre pour le vétérinaire afin de surveiller le chat, car ce dernier n'était pas vacciné contre la rage. Mais étant donné le fait que c'était un chat d'appartement, cette lettre me paraissait un peu abusive car le risque rabique semblait faible. -e. Information du patient sur le risque de complications : Comme le montre le tableau suivant, tiré d'une étude de «Bacteriologic analysis of infected dog and cat bites», les différents types de micro-organismes impliqués sont : .Pasteurellose, infection à P. multocida : période d'incubation de moins de 24 heures, se manifestant par l'apparition au niveau de la plaie d'un oedème dur, chaud, rouge et douloureux, associé à une adénopathie du territoire de drainage et parfois de la fièvre. Il peut aussi se manifester par des complications articulaires. Son traitement repose sur de l'Augmentin à 3 g/j, pendant 10 à 14 jours. .Maladie des griffes du chat, infection à B. henselae : elle se manifeste par l’apparition d’une papule ou pustule au site d’inoculation en trois et dix jours, persistant entre une et trois semaines. Par la suite, une ou plusieurs adénopathies souvent inflammatoires peuvent persister pendant deux à six mois, dans le territoire de drainage, avant de se résoudre ou d’évoluer vers une suppuration. Au vu d’une évolution spontanément favorable dans la plupart des cas, une antibiothérapie n’est généralement pas recommandée, mais en cas d’atteinte ganglionnaire sévère, l’azithromycine permet d’accélérer la guérison à la dose de 500 mg à J1, 250 mg du 2ème au 5ème jour. ==> Au total : Nous venons donc de voir que la prise en charge des morsures à l’hôpital dépendait de nombreux facteurs : à la fois le type d'animal mordant, le délais depuis la morsure, le type et la localisation de la morsure, ou encore le statut vaccinal du patient. Voici un tableau résumé de la prise en charge des morsures aux urgences, qui permet de synthétiser ce premier axe : Sources utilisées pour l'axe 1 : -Collège d'infectiologie (SPILF) : http://www.infectiologie.com/site/medias/enseignement/CMIT/Popi-2009-Chap15-corrige.pdf -« Morsures d’animaux et risque infectieux », Noémie Boillat et Vincent Frochaux, in Rev Med Suisse 2008; 2149-2155 -« Bacteriologic analysis of infected dog and cat bites. Emergency Medicine Animal Bite Infection Study Group. » Talan DA1, Citron DM, Abrahamian FM, Moran GJ, Goldstein EJ, in N Engl J Med. 1999 Jan 14;340(2):85-92. → AXE 2 : Gestion des cadeaux des patients en médecine. Quel praticien n'a jamais été confronté au cours de son exercice à un cadeau venant d'un patient ? Face à cette situation, il existe différentes pratiques courantes concernant l’acceptation de cadeaux: jamais ; toujours et enfin, une acceptation conditionnelle (avec des mesures objectives pour définir une telle acceptation), qui semble la plus appropriée. A l'aide d'articles médicaux, je vais tenter de définir les frontières d'acceptation de ces cadeaux, afin d'avoir le comportement le plus éthique possible, permettant à la fois au médecin de rester intègre, tout en gardant une relation cordiale avec son patient. Afin d'accepter des cadeaux en ne se sentant ni coupable, ni pris au piège, les questionnements suivants pourraient servir de base afin de guider le médecin face à une telle situation : a) Le cadeau est-il donné pour se garantir un traitement préférentiel ? L'intentionnalité du patient est essentielle à pouvoir cerner. Le patient s'attend t-il à recevoir une attention particulière de la part du médecin en échange de son cadeau ? L'acceptation d'un cadeau peut perturber l'équilibre de la relation médecin-patient et peut compliquer pour le médecin l'abord de questions délicates comme la non-observance thérapeutique, les antécédents sexuels ou les dépendances. Réciproquement, si le médecin accepte un cadeau mais ne change pas son comportement de soins, le patient peut éprouver de la rancune ou revendiquer des faveurs. b) Le cadeau est-il de nature intime ? Le passage dans la vie privée et intime est une limite à ne pas franchir par le médecin. c) Le cadeau est-il extravagant ou excessivement cher ? Les cadeaux faits maison ou ceux de valeur nominale sont plus bénins et peuvent être acceptés sans qu’il y ait probablement de répercussions négatives. Au contraire, les cadeaux en argent peuvent être considérés comme des «pourboires» ou «un pot de vin». Afin de l'aider dans sa réflexion, le médecin peut aussi se poser la question de savoir s’il serait à l’aise que l’acceptation du cadeau soit rendue publique. d) À quel moment le cadeau est-il offert ? Les cadeaux offerts après une intervention identifiable peuvent être une expression de gratitude. De même, les cadeaux donnés durant les fêtes peuvent refléter des traditions culturelles. A contrario, les cadeaux donnés de manière répétées ou hors de ces périodes de fetes méritent une attention particulière, parce qu’ils peuvent vouloir dire que le patient s’attend à recevoir plus que le standard des soins à l’avenir. e) Pour conclure : pistes de conduites à tenir : L’établissement ferme d’une limite supérieure de la valeur des cadeaux pourrait aider à déterminer objectivement quand on peut ou non accepter un cadeau. Les cadeaux en argent pourraient être remis à des organismes de bienfaisance. Si un médecin se sent mal à l’aise ou ne peut pas évaluer la motivation derrière le cadeau, il devrait le refuser. Tout cadeau accepté ou refusé devrait être documenté. Lorsqu’un cadeau est refusé, une explication de la décision pourrait ménager les sentiments du patient et maintenir l’alliance thérapeutique. Les médecins devraient expliquer aux patients que l’acceptation de cadeaux ne modifiera pas le niveau de soins du patient. Comme rappelé dans le Serment d'Hippocrate « je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission » et « je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire», le médecin ne doit pas perdre son indépendance face au patient sous prétexte que ce dernier a été généreux avec lui, afin de conserver sa liberté d'exercice. ==> Au total : Nous venons donc de voir que les limites d'acceptation des cadeaux de patients étaient très floues, et qu'il tenait à chaque médecin de fixer ses limites, en prenant en compte ses intuitions et son intime conviction. Je pense qu'il faut essayer de cerner l'intentionnalité du patient lorsqu'il offre ce cadeau : simplement nous remercier pour notre prise en charge, sans arrière pensée ou bien, au contraire, obtenir en échange de ce cadeau des bénéfices secondaires, de quelque nature qu'ils soient. Pour ma part, concernant le courrier décrit dans ce RSCA, j'ai choisi après réflexion de ne pas répondre au patient, car je trouvais que la limite avait été franchie avec l'envoi de poème d'amour, qui entrait alors dans la sphère intime. Toutefois, même en n'ayant pas répondu à ce patient, je reste touchée par son envoi et garderai en mémoire ses conseils lors de ma pratique future. Sources utilisées pour l'axe 2 : -Accepter des cadeaux de patients Andrew Caddell Lara Hazelton MD MEd FRCPC, in Le Médecin de famille canadien, Vol 59 : décembre 2013 -Capozzi JD, Rhodes R. Gifts from patients. J Bone Joint Surg Am 2004;86- A(10):2339-40. -Takayama JI. Giving and receiving gifts: one perspective. West J Med 2001;175(2):138-9 -Anderson J. Is it better to give, receive, or decline? The ethics of accepting gifts from patients. JAAPA.2011;24(6):59–60. -Accepting gifts from patients: how ethical can this be in the local context? Abbasi YI1, Gadit AA. J Pak Med Assoc. 2008 May;58(5):281-2. Conclusion finale : Pour conclure ce RSCA, depuis cette première garde et cet envoi, je pense avoir pris plus d’assurance, mais je repense souvent à ce petit mot, notamment lorsque j’ai à gérer des situations difficiles, ou quand la fatigue de l’hôpital se fait sentir. A l’approche de la fin du semestre et au moment d’en tirer les conclusions, j’espère pouvoir dire que, malgré les six mois parfois difficiles passés à l’hôpital à apprendre sur le terrain mon futur métier, je ne suis pas devenue ce médecin que le patient décrit, appelant les patients par leur numéro de chambre ou leur pathologie, en oubliant leur côté humain. J’espère au contraire être en train de devenir quelqu’un qui essaye toujours de faire une prise en charge globale du patient, afin de leur offrir une qualité de soins la meilleure possible. Compétences mises en jeu : - - Axe 1 → Premier recours et Urgences : prise en charge aux urgences du patient et traitement de sa plaie. Axe 1 → Professionnalisme : -être capable de se former pour acquérir de nouvelles compétences permettant d’améliorer sa pratique (questionnement des séniors sur la bonne prise en charge, recherche d'articles médicaux) -être capable de maintenir une relation professionnelle avec le patient. Axe 2 → Approche centrée patient, Relation, Communicatio : établir une bonne communication avec le patient et savoir garder la bonne distance avec lui.