philosophie, je vais faire zig zaguer les lecteurs », on vient de changer de sens. On vient de
changer de sens du zig zag parce qu’il devient impérieux, à prendre ou à laisser. Non, il faut
espérer et en appeler à la capacité propre du lecteur à zig zaguer, à faire ses propres
digressions, mais tout texte de philosophie est né dans la digression, c’est-à-dire dans le zig
zag qui caractérise pour Deleuze le balais de sorcière. Et pourquoi ? Justement, parce que un
concept suscite ou rencontre, ou se trouve, ou produit souvent une proximité qui est de l’ordre
de l’événement avec d’autres concepts. Alors que la discursivité est plutôt d’ordre linéaire. Le
trajet conceptuel rencontre et suscite à la fois une proximité, et ça c’est un terme très
deleuzien, qui rend perceptible quelque chose qui ne préexistait pas. Et ça peut être un
presque rien, ce quelque chose qui ne préexiste pas. Ca peut être une liaison qu’on a en fait
déjà rencontrée, mais qui est renouvelé d’être suscité là.
Une des choses que Deleuze a dit et redit et re-redit dans « Mille plateaux », pour vous dire
que ce n’est pas un appel à « zigzaguons joyeusement », et ça c’est exactement l’une des
obligations peut-être, sur laquelle il insiste pour tous les travaux qui sont de l’ordre de la
création en tant que tel, c’est sobriété. Ca zig zague peut être drôlement, mais pas d’ivresse du
zig zag.
C’est sa grande et célèbre scène qu’il reprend je crois à Henri Miller, le trip (le trip, au
sens psychédélique, mais à l’eau pure) c’est à dire ne pas en rajouter une tension entre le zig
zag et la sobriété. C’est normal, et cela être non pas maîtrisé, mais apprivoisé.
La figure du zig zag était très intéressante, très importante chez Deleuze, mais je crois que le
propre des concepts (mais je vais pas vous donner toute la description conceptuelle que l’on
trouve dans « Qu’est ce que la philosophie ? »), mais toute la complexité de cette discussion
vient de ce que tout à la fois on peut dire d’un concept qu’il a des composantes internes qui
sont des concepts, mais aussi qu’il est en voisinage externe avec d’autres concepts. Et que la
dimension de ce qui lui est intérieur et de ce qui lui est extérieur n’est pas une identité, comme
en pourrait dire un vivant. Le vivant a on pourrait dire une espèce de milieu interne, et un
milieu externe, plus d’autre milieux d’ailleurs.
Mais ici la question n’est pas là, selon le trajet par où on le rencontre, ce qui était
composante intérieure peut devenir composante extérieure. Et c’est là qu’on a affaire à une
disgression. C’est à dire que ce qui était composante intérieure se connecte pour son propre
compte avec d’autres concepts. Et donc c’est vrai, et c’est en cela que le travail conceptuel
n’est pas discursif et qu’il a quelque chose à voir aussi avec le travail d’apprivoisement.
Qu’est-ce que ce « approchez avec prudence » ? et la question de la prudence, de la
prudence nécessaire, est l’un des maîtres mot de « Mille plateaux », et aussi de « Qu’est ce
que la philosophie ? ». Il parle de moyen dangereux, on peut délirer avec les concepts, et
Deleuze a vu plus qu’à son tour des étudiants se mettre à délirer avec les concepts, c’est-à-dire
se laisser emporter par cette puissance au lieu de négocier avec elle.
Balais de sorcière, d’accord, mais même un balais de sorcière on apprend à le conduire.
Donc je crois que « Mille plateaux » est aussi quelque part un texte on pourrait dire d’après
coup, après coup de « l »Anti-Œdipe », qui n’avait pas pris beaucoup de précaution. Et de ce
qu’a pu produire de « l’Anti-Œdipe », d’enthousiasme délirant, d’identification entre la
pensée et le délire. Mais le délire, c’est là où le concept prend le dessus, et c’est quelque chose
que l’on retrouve, je voulais vous le dire beaucoup plus tard, mais que l’on retrouve dans
toutes les pensées dites primitives où on sait cultiver et accueillir des êtres, ou des invisibles,
eh ben c’est qu’il s’agit d’apprendre à les accueillir et à les nourrir parce que sinon ils vous
dévorent. Et ne pas se faire dévorer par les concepts qu’on est en train de produire est une des
questions du métier, en quoi c’est une pratique.