droit statutaire pour n’importe qui de parler, ne dépendant d’aucun statut social, d’aucun
privilège de naissance, de richesse ou de savoir), établissent entre elles des rapports
paradoxaux. Pour que la parrêsia puisque exister, pour que le dire vrai puisse s’exercer, il faut
à la fois la politeia (constitution) et l’isegoria qui affirment que n’importe qui peut prendre
publiquement la parole et dire son mot sur les affaires de la cité. Mais ni la politeia, ni
l’isegoria ne disent pas encore qui va réellement parler , qui va effectivement énoncer une
prétention à la vérité. N’importe qui a le droit de prendre la parole, mais ce n’est pas la
distribution égalitaire du droit de parole qui fait parler effectivement.
L’exercice effectif de la parrêsia ne dépend ni de la citoyenneté, ni d’un statut juridique ou
social. La politeia et l’isegoria et l’égalité qu’elles déclarent, ne constituent que les conditions
nécessaires mais non suffisantes de la prise de parole publique. Ce qui fait parler
effectivement est la dunasteia : la puissance, la force, l’exercice et l’effectuation réelle du
pouvoir de parler qui mobilisent des rapports singuliers de l’énonciateur à lui même et de
l’énonciateur à ceux qu’il s’adresse. La dunesteia qui s’exprime dans l’énonciation est une
force de différentiation éthique puisque il s’agit d’une prise de position par rapport à soi, par
rapport aux autres et par rapport au monde.
La parrèsia en prenant parti et en divisant les égaux et en portant la polémique et le litige à
l’intérieur de la communauté, est une action risquée et indéterminée. Elle introduit le conflit,
l’agonisme, la joute dans l’espace public qui peuvent aller jusqu’à l’hostilité, la haine et la
guerre.
Le dire-vrai, la prétention à la vérité énoncée dans une assemblée (et on peut penser aux
assemblées de mouvements sociaux er politiques contemporains, puisque la démocratie
grecque, à différence de la démocratie moderne n’est pas représentative), présuppose une
force, une puissance, une action sur soi (avoir le courage de prendre le risque de dire le vrai)
et une action sur les autres, pour les persuader, les guider, pour diriger leurs conduites. C’est
dans ce sens que Foucault parle de la différenciation éthique, d’un processus de
singularisation déclenché et ouvert par l’énonciation parrésiastique. La parrêsia implique que
les sujets politiques se constituent eux-mêmes en sujets éthiques, capable de se risquer, de
lancer un défi, de diviser les égaux par leurs prises de positions, c’est-à-dire capables de se
gouverner eux-mêmes et de gouverner les autres dans une situation de conflit. Dans l’acte
d’énonciation politique, dans la prise de parole publique, se manifeste une puissance d’auto-
positionnement, d’auto-affectation, la subjectivité s’affectant elle-même, comme dit Deleuze
fort à propos de la subjectivation foucaldienne.
La parrêsia restructure et redéfinit le champ d’action possible aussi bien pour soi, que pour
les autres. Elle modifie la situation, elle ouvre à un nouvelle dynamique puisque précisément
elle introduit quelque chose de neuf. « La structure de la parrêsia, même si elle implique un
statut, est une structure dynamique et une structure agonistique » qui déborde le cadre
égalitaire, du droit, de la loi, de la constitution.
Les nouvelles relations que le dire vrai exprime ne sont pas contenues, ni prévues par la
constitution, la loi ou l’égalité et c’est pourtant à travers elles et seulement à travers elles
qu’une action politique est possible, s’effectue réellement.
Le dire-vrai dépend donc de deux régimes hétérogènes, du droit (de la politeia et de
l’isegoria) et de la dunasteia (la puissance ou force) et c’est pour cette raison que le rapport
entre énonciation (discours) vraie et démocratie est « difficile et problématique ». La parrêsia
en introduisant la différence de fait dans l’égalité, en exprimant la puissance d’auto-
affectation, d’auto-affirmation, détermine un double paradoxe. Premièrement « il ne peut
avoir de discours vrai que par la démocratie, mais le discours vrai introduit dans la
démocratie quelque chose qui est tout à fait différent et irréductible à sa structure
égalitaire »
, la différentiation éthique. Deuxièmement « la possibilité de la mort du discours
Michel Foucault, Le gouvernement de soi et le gouvernement des autres, Seuil, 2008, p. 168