moyens. Le phénoménologue reprend donc « la forme d’une philosophie orientée vers
le sujet ». Et l’exigence de commencement radical implique ce passage par le négatif.
Or pouvons nous vraiment parler de négatif, dans la mesure où il n’y a pas acte de
destruction ? En effet, il ne s’agit pas d’annihiler nos convictions, mais tout simplement
de les mettre de coté. Elles sont toujours présentes mais nous n’y prêtons plus attention :
nous les mettons en suspens, ou « entre parenthèses ». Le phénoménologue ne se rend
pas volontairement ignorant, comme s’il perdait la mémoire de tout ce qu’il a appris et
qu’il juge, maintenant, comme faux ou comme nous inclinant à l’erreur, il neutralise
simplement son jugement, son assentiment à propos des énoncés traduisant toutes ses
connaissances. La rigueur, à laquelle Husserl aspire, exige que la philosophie se fasse
sans présuppositions.
Nous reconnaissons d’emblée l’attitude sceptique, mise à part, évidemment, la
référence au sujet pensant, qui consiste à rejeter toute connaissance comme croyance, à
douter de la possibilité d’acquérir des connaissances adéquates sur le monde, à douter
que la perception ou la raison puisse se présenter comme des outils servant à la
compréhension et interprétation du monde. Ou plutôt, au sujet de Husserl, douter de la
bonne utilisation de la raison faite jusqu’à lui dans l’activité scientifique ; car Husserl,
comme nous aurons l’occasion de le constater, est profondément rationaliste. La forme
de ce scepticisme, ici employé, est encore impulsée par Descartes, en ce que l’utilisation
de la suspension du jugement se présente comme un moment à dépasser, un passage par
le négatif, dont l’issue peut-être incertaine
, mais qui s’inscrit dans une recherche, une
enquête, un projet de reconstruction du savoir. L’idée qu’il puisse y avoir un bon ou
mauvais usage de la raison provient également du philosophe français. Il ne s’agit donc
plus seulement de ne pas se tromper.
Or cette utilisation du scepticisme trahit l’esprit même du sceptique grec ancien qui
tente de demeurer dans la « suspension de l’assentiment » envers tout discours ou toutes
impressions sur le monde, ou atteindre la sérénité de l’âme, etc. Il existe, bien sûr,
comme dans toute grande école philosophique, plusieurs formes de scepticisme, et une
Chez Descartes et chez Husserl, la forme de l’exposé se présente comme une méditation « en
train de se faire », ce faisant, les deux philosophes invitent leur lecteur à suivre pas à pas la suite de leurs
raisonnements, et à les reproduire pour lui-même. Les conclusions ne peuvent être annoncées avant de les
avoir tirées, et l’inquiétude de ne pas pouvoir résoudre les problèmes posés est parfois soulignée.