Relations entre syntaxe et sémantique (corrigé) La grammaire traditionnelle considère les propriétés syntaxiques d’une phrase comme devant être sémantiquement motivées. Elle définit dès lors toutes les notions qu’elle manipule à l’aide de caractérisations sémantiques (les noms désignent des entités ; le sujet fait l’action ; etc.). Ce type de caractérisation fondée sur une conception a priori de ce que seraient les catégories sémantiques (notion d’agent ou d’entité) est peu satisfaisant : un nom comme départ et un verbe comme partir désignent a priori le même type de référent, et il paraît alors difficile de fonder la limite entre entité et action ; on a nombre d’exemples où le sujet ne réfère pas à l’agent. Ce type de considérations conduisent les distributionnalistes à partir des année 40 à remettre en cause une caractérisation sémantique des catégories de la syntaxe : la catégorie du nom comme celle du verbe sont caractérisées sur des bases syntaxiques à l’aide des contraintes syntaxiques qui déterminent leurs emplois respectifs (les noms sont caractérisés par le fait qu’ils peuvent être précédés d’article par exemple, tandis que les verbes sont caractérisés par le fait qu’ils varient en temps, etc…) Chomsky, en énonçant dans les années 50 la thèse de l’autonomie de la syntaxe, inverse le rapport syntaxe/sémantique par rapport à ce que pouvait soutenir la grammaire traditionnelle : la syntaxe est selon lui fondée sur des règles et des principes de structuration qui sont déterminés indépendamment de toute considération sémantique ; la syntaxe est donc autonome par rapport à la sémantique, et le sens n’est plus premier, mais doit se concevoir comme une interprétation des formes syntaxiques. Parmi les arguments qui justifient ce renversement, il y a d’abord la reprise des considérations des distributionnalistes sur l’inadéquation des caractérisations sémantiques traditionnelles. Mais il y a aussi le fait que de nombreuses structures syntaxiques ne paraissent pas pouvoir être rattachées à un contenu spécifique. Le fait empirique crucial sur lequel Chomsky se fonde ici est l’existence massive de paraphrases dans les langues naturelles, qui peut être tenue comme l’une des caractéristiques de ces langues (le code de la route par exemple ne comporte pas de paraphrases). On parle de paraphrase quand on a affaire à deux phrases de structure distincte mais qui ont le même contenu. Qu’il existe des paraphrases montre que les structures peuvent être indépendantes du contenu. Or, il s’avère qu’une part importante des règles de construction des phrases ont pour objet de créer de telles paraphrases. Ainsi la première caractéristique sémantique des phrases passives est qu’elles aient le même contenu que la phrase active correspondante. Cela prouve que le rôle de la syntaxe n’est pas de différencier des contenus. Et cela prouve donc chez Chomsky, du moins dans un premier temps de son modèle, que la syntaxe est indépendante de la sémantique. Cependant, si les paraphrases véhiculent effectivement le même contenu, elles ne le véhiculent pas de la même façon. Et, à contenu égal, il doit néanmoins y avoir une différence de sens entre une phrase active et sa correspondante passive. L’existence de paraphrase témoigne donc en fait de la nécessité de compliquer la sémantique : le sens d’une phrase n’est pas seulement dans le contenu qu’elle véhicule, mais aussi dans la façon dont ce contenu est véhiculé. IL arrive en outre qu’apparaissent de véritables différences de contenu entre une phrase et sa paraphrase : c’est le cas en particulier des phrases actives et passives suivantes : Tous les hommes aiment une femme Une femme est aimée par tous les hommes. La première peut s’interpréter comme signifiant que chaque homme aime une femme différente (interprétation dite distributive) alors que la seconde signifie nécesssaiement que toutes les hommes aiment la même femme (interprétation dite collective) On est ainsi conduit à revenir sur l’interprétation première que l’on pouvait donner à la thèse de l’autonomie de la syntaxe. Et Chomsky lui-même, à partir des années 70, poussé par les critiques d’une partie de ses élèves qui veulent remettre le sens au cœur de la linguistique et élaborent une nouvelle théorie qu’ils appellent « sémantique générative », va considérer que les paraphrases reçoivent des interprétations différentes. C’est admettre que les structures syntaxiques sont signifiantes. Cependant, leur signification ne saurait être déterminée a priori : ainsi le passif ne réfère pas à une catégorie extralinguistique de passivité, mais à une façon linguistique de présenter des faits. Autrement dit la syntaxe reste première, et c’est cette fois la sémantique qui perd l’autonomie que lui supposaient la grammaire traditionnelle ou la sémantique générative: la sémantique ne saurait être déterminée a priori, en termes de contenus extralinguistiques ; la sémantique est interprétative, et doit donc être conçue non pas comme ce qui fonde la syntaxe, mais comme ce que construit la syntaxe.