Le Canal de Suez Introduction Lors du commencement des travaux de canal de Suez le 25 avril 1859, l’idée de son percement est déjà ancienne et certainement plus qu’on ne le croit. C’est le pharaon Nechao II qui fit creuser le tout premier canal reliant le Nil aux lacs Amers et à la Mer Rouge en 609 avant JC. Hérodote nous le décrit comme assez large pour que deux trirèmes y naviguent côte à côte et d’une longueur de quatre journées de navigation. S’il fut amélioré par Darius 1er et Ptolémée II, il n’en reste plus rien lors de l’expédition d’Egypte de Napoléon 1er de 1798. C’est cette dernière qui va porter le germe du canal de Suez en pleine poussée orientaliste et permettre donc la naissance de ce canal, aujourd’hui encore, d’une importance stratégique et économique majeure. Nous nous demanderons donc quelles ont put être les grandes forces qui ont animé sa création et son développement, et surtout quels enjeux le canal de Suez a-t-il soulevés. Nous commencerons par traiter de la genèse du Canal de Suez. Nous présenterons ensuite plus particulièrement la compagnie de Suez et son œuvre. Enfin nous expliquerons la montée des difficultés et surtout la croissance des prétentions britanniques sur le canal. Conclusion Au début du 20e siècle, le canal de Suez montre bien le retrait de la France en Europe. Cette dernière est exclue et perd tout avantage du canal au profit des Anglais qui en deviennent les véritables maîtres. Malgré l’instauration du protectorat britannique en Egypte en 1914 et le début de la 1ere Guerre Mondiale, la neutralité du canal semble vraiment maintenue pour la première fois. Enfin, notons que Lesseps tentera de réaliser un canal similaire à Panama. Ce sera là encore un échec pour la France doublé d’un scandale politico-financier important. I : Le canal de Suez, une réalisation difficile et ambitieuse 1) La situation de l’Egypte Sortant de l’occupation française avec l’expédition d’Egypte de Bonaparte (1798-1801), cette dernière se trouve dans un contexte d’entrée dans la modernité. Sous la tutelle de l’Empire Ottoman, elle est dirigée par le khédive (ou vice-roi) Mehmet Ali qui jouit d’un immense prestige en France. Il passe pour diffuser la civilisation moderne en Orient et perpétue le mythe historique de la modernité entrée en Egypte avec Napoléon. Cette admiration pour le souverain en place explique entre autre le nombre important de français restés sur place après l’évacuation avec l’exemple de l’ingénieur Linant de Belfort. L’Egypte est perçue comme un nouveau monde où tout est à faire. C’est donc dans ce contexte particulier que l’idée du canal de Suez, introduite par Napoléon 1 er, va faire son chemin. Ainsi des 1832 l’idée est proposée par un diplomate et entrepreneur français, Ferdinand de Lesseps, au khédive. Celui-ci élude la question : il veut que la majorité des actions soit aux mains des Egyptiens afin d’en avoir le contrôle, mais il ne possède pas les ressources nécessaires. Ce refus temporaire n’empêche tout de même pas Lesseps de continuer à y réfléchir. 2) L’influence saint-simonienne En 1833, les Saint-simoniens débarquent en Egypte. Prônant la « régénération par le travail » et se présentant comme les apôtres de la révolution industrielle, ils viennent pour accomplir la tâche qu’Henri de St Simon avait assignée à l’humanité c'est-à-dire percer l’isthme de Suez et ainsi faire de la Méditerranée « le lit nuptial de l’Orient et de l’Occident ». Mehmet Ali se montre toujours aussi réticent, l’idée des convoitises que pourraient susciter un « nouveau Bosphore » l’effraie quelque peu en plus des problèmes financiers. Si les Saint-simoniens rentrent bredouille, le projet semble relancé. Linant propage ses idées de canal en Europe et face à l’intérêt de certaines puissances, comme l’Autriche (qui voit dans le canal le moyen de revitaliser Trieste), il constitue avec Enfantin (le chef de l’école saint-simonienne) en 1846, la « Société d’Etude du Canal de Suez » (3 groupes d’ingénieurs : Anglais partisans du chemin de fer, Allemands s’occupent des ports d’accès ; Français du nivellement). Mais malgré le soin avec laquelle elle fut constituée et les garanties de tous ordres qu’elle présentait, elle n’aboutit à aucun résultat. 3) Le retour de Lesseps C’est Ferdinand de Lesseps qui mène la question à son terme. Il reste en Egypte jusqu’en 1835 où il se tient au courant des projets de construction du canal. De 1849 à 1853 il va élaborer la ligne directrice du canal et la stratégie diplomatique. Malgré l’échec des Saint-simoniens, Lesseps croit encore à cette réalisation. Si le successeur de Mehmet Ali, Abbas Pacha, n’y voit aucun intérêt, la situation change radicalement à sa mort en 1854. Lui succède le 16 juillet, l’un des fils de Mehmet Ali, Mohammed-Saïd. Lesseps possède des relations particulières avec ce dernier : il l’a presque élevé et est resté grand ami avec lui. Il en profite donc pour lui exposer son projet de canal sans passer par le suzerain légitime du Khédive qu’est le sultan de l’Empire Ottoman. Mohammed-Saïd lui signe sans difficulté la concession du futur canal pour une durée de 99 ans. Mais cette concession inquiète et Lesseps doit faire face à de nombreuses attaques : L’agitation saint-simonienne qui s’oppose au trajet rectiligne du canal de Lesseps La presse qui profite de la polémique pour dénoncer l’excentricité du projet L’Angleterre qui craint pour son projet de liaison ferroviaire sur l’isthme de Suez et qui se méfie d’une présence française sur la route des Indes. L’Angleterre se place donc en garante de l’autorité ottomane et déclare que les travaux du canal ne pourront commencer qu’après autorisation de la Sublime Porte. Lesseps multiplie les voyages pour tenter de se concilier les anglais et le 5 novembre 1858 il crée la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez. Le vice-roi approuve les statuts et une souscription pour la construction du canal de Suez est ouverte. Lesseps se lance donc immédiatement dans le percement de l’isthme avec une certaine audace (les Anglais y étant toujours hostiles). Il le dit lui-même, cela devient une « question de faits et non plus de projet porté au tribunal de la politique européenne ». La construction du canal commence. II : La Compagnie de Suez, fonctionnement et œuvre 1) La Compagnie universelle du canal de Suez Cette compagnie possède pour objectif principal la construction d’un canal maritime « de grande navigation ». C’est une compagnie anonyme avec son siège social à Alexandrie et son siège administratif à Paris. Pour Lesseps, la Compagnie est avant tout « universelle » c'est-à-dire que son administration doit être dégagée de toute arrière pensée égoïste ou nationale. Les droits payés pour transiter dans le canal seront ainsi les même pour toutes les nations. Se dégage ainsi l’image d’un Lesseps désintéressé, héritier des saint-simoniens (servir la paix universelle par la réalisation de grands travaux internationaux). Pour ce qui est du financement, Lesseps constitue la société au capital de 200 millions de francs réparti en 400 000 actions de 500f. Il renonce à solliciter les banquiers car ils réclamaient une part de la société d’exploitation du canal en échange de leur prêt. Lesseps fait donc appel à l’épargne publique et multiplie les conférences en Angleterre et en France afin de séduire des futurs souscripteurs. Ainsi, 50% du capital est couvert par la souscription française et émane de petits capitalistes issus des professions libérales par exemple. Il faut tout de même noter que Lesseps tenta de répartir les actions en tranche par pays afin de garantir une certaine égalité. Ce fut un échec, La France en possédant à elle seule plus de la moitié. Environ 85 000 actions restent tout de même en suspens. Le vice-roi d’Egypte les prend à sa charge en plus de sa souscription personnelle et devient ainsi le plus grand actionnaire de la compagnie naissante. 2) La difficile construction du canal S’étalant sur une durée de 10 ans, la construction du canal ne fut pas de tout repos pour Lesseps. Des le 9 juin 1959, les Anglais, n’ayant pas supporté d’être mis devant le fait accompli, font pression sur Mohammed-Saïd qui n’a d’autre choix que de stopper la construction du canal. Lesseps s’y refuse et suite à un voyage à Paris (l’entrevue du 23 octobre 1859), il obtient le soutient de Napoléon III. En effet, depuis les défaites autrichiennes de Magenta et de Solferino, le Second Empire prend de l’assurance sur la scène internationale et surtout vis-à-vis de l’Angleterre. Cet appuie manifeste entraine un relâchement de la pression anglaise et la reprise des travaux. Parmi les difficultés, on note également les épidémies de choléra qui font des milliers de morts chez les ouvriers. Si le chantier accélère (et la situation hygiénique s’améliore), avec en 62 l’achèvement du canal permettant d’approvisionner le centre de l’isthme en eau douce du Nil, la mort de Mohammed-Saïd en janvier 1863 y porte un coup sévère. Ismaïl Pacha lui succède et avec lui Nubar Pacha, son ministre des affaires Etrangères acquis aux Anglais. Sur l’initiative de ce dernier, le gouvernement ottoman adresse un ultimatum à la compagnie de Suez. Cette dernière doit rendre aux Egyptiens 60 000 hectares de terrain que l’acte de concession lui accordait et elle doit se séparer de sa main d’œuvre égyptienne soumise, selon la Porte, aux corvées (La main d’œuvre sera donc obtenu au moyen de dépense énorme, l’objectif de la manœuvre étant la ruine de la compagnie). Lesseps en appel une nouvelle fois à l’Empereur qui se place en position d’arbitre entre Empire Ottoman et Compagnie de Suez. Si cette dernière cède, elle reçoit tout de même 84 millions de francs de compensation, et Lesseps se félicite d’un arbitrage venant « d’en haut » qui donne une véritable légitimité au canal. Légitimité qui permet le 22 février 1866 la ratification de la concession du canal par l’Empire Ottoman. 15 000 ouvriers Européens sont recrutés et afin d’éviter la ruine, la compagnie utilise massivement les machines. Les difficultés financières se substituèrent aux problèmes politiques. En 1868 il manque 85 millions de francs pour achever les travaux. La compagnie se lança dans l’émission de 100 millions de francs d’obligations (qui n’atteignirent pas leur objectif campagne d’inspiration anglaise, les spéculateurs jouent à la baisse). Cette émission se complète donc d’une suivante à lot qui permet de renflouer les caisses de la Compagnie et ainsi de terminer le chantier et le 15 aout 1869, les deux mers accomplissent leur jonction. 3) Le canal Le canal de Suez est inauguré en présence de l'impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, et de l'empereur d'Autriche François-Joseph le 17 novembre 1869. D’une longueur de 163 kilomètres environ il relie les nouveaux ports de Port-Saïd et de Suez. Il constitue une véritable bénédiction (même s’ils ne vont pas s’en rendre compte immédiatement) pour les territoires et les ports de la Méditerranée Orientale éclipsés par l’essor économique de la façade de la Mer du Nord. Ces ports redeviennent ainsi des étapes sur les routes commerciales du monde, ils ne sont plus isolés de la route du Cap de Bonne-Espérance. Le canal participe également à l’image d’un monde contracté, rétrécit : la distance entre Londres et Bombay étant par exemple réduite de 8 000 km. III : Difficultés et l’impérialisme britannique 1) La crise de 1872 Néanmoins, L’Europe Méditerranéenne ne va pas prendre immédiatement conscience des nouvelles opportunités que lui offre le canal. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : On ne change pas du jour au lendemain la direction d’un courant commercial majeur (Cap de B-E) En 69, les navires à voiles prédominent et la région de Suez, manquant de vent, force la traction de ces embarcations ce qui est peu attractif La Guerre de 70-71 prive le canal d’un certain nombre de transit au moment ou aucun bénéfice n’est négligeable. Ainsi en 70, au lieu des 6 millions de tonnes prévues par Lesseps (la moitié du tonnage circulant par le Cap de BE), seulement 436 609. Au lieu des 10 millions de recettes, on en compte seulement 4. La compagnie est au bord de la faillite et en 72 les actionnaires n’ont toujours pas touché le moindre dividende. Lesseps réussit tout de même à trouver des soutiens et la Compagnie se maintient. 2) Poussée nationaliste égyptienne et impérialisme anglais Le Khédive Ismaïl se retrouve dans une situation financière délicate : il est victime de ses dépenses somptueuses et inconsidérées et doit faire face à une dette de 4 millions de livres. Il se voit donc contraint de vendre ou d’hypothéquer ses propres actions de la compagnie du canal. Les Français tentent de récupérer les marchés mais ils craignent de mécontenter les Anglais en ayant la mainmise totale sur le canal. Benjamin Disraeli, 1 er Ministre britannique, les prend de toute façon de vitesse et le 24 novembre 1975, le gouvernement anglais rachète au khédive 177 642 actions pour la somme de 4 millions de livres (Rothschild prête la somme). La grande Bretagne possède donc près de la moitié du capital du canal et en est de plus la meilleure cliente (près de 60% du tonnage). Il ne fait donc aucun doute que malgré leurs critiques précédentes, les Anglais sont très intéressés par le canal. Notons tout de même que cette attitude est justifiée au nom de la protection du canal contre un pouvoir vacillant. En effet, le gouvernement égyptien perd pied économiquement en cette fin de 19e siècle. En 1876, le budget égyptien est placé sous la supervision de deux experts financiers britanniques et Français. Ce double contrôle évite la catastrophe mais prouve que le khédive doit être remplacé. En juin 1879, La GB et la France s’unisse pour demander au sultan sa déposition et l’obtienne. Il est donc intéressant de voir que le canal a provoqué la naissance d’une certaine entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni. C’est lors de cette déposition qu’une agitation nationaliste égyptienne va se faire entendre : celle d’Arabi Pacha. Il réalise un coup d’état en 1881 et met en place une dictature militaire xénophobe (on comptera une 50aine de morts européens dans les émeutes d’Alexandrie). GB envoie une escadre navale et s’investit dans le conflit. Elle bombarde les fortifications portuaires d’Arabi Pacha, débarque sous le drapeau du Khédive à Alexandrie, finit par occuper tout l’isthme de Suez et le 13 septembre Arabi est vaincu à Tell-El-Kebir. Pendant 4 jours, les anglais ont interdit le trafic sur le canal pour faciliter leurs opérations malgré les protestations de Lesseps qui considère que c’est une violation de la neutralité inscrite dans la concession. La France est la grande absente de cette période : elle perd tout intérêt dans la bataille : la farouche opposition de Georges Clémenceau n’a pas permis au gouvernement de faire voter les fonds nécessaires à une intervention militaire. C’est donc la fin de l’influence française en Egypte, l’Angleterre a totale liberté d’action et le double contrôle est supprimé fin 1882. 3) La Convention Internationale de Constantinople Si pendant des années la Grande-Bretagne clamera que son occupation de l’Egypte n’est que temporaire, sa présence va tout de même déplaire aux puissances qui gardent en mémoire l’épisode de la fermeture du canal. L’Angleterre est en effet en position de force et possède un contrôle effectif du canal en tant de guerre. Pour de nombreuses grandes puissances, privées d’un tel contrôle, une voie navigable d’une telle importance stratégique ne peut être réellement protégée que par une totale neutralisation. C’est ainsi que le 29 octobre 1888 à Constantinople, 9 nations signèrent la Convention du Canal de Suez qui stipulait, entre autre, que le canal soit toujours libre et ouvert, en temps de paix comme de guerre, à tout navire sans distinction de pavillon. Cette Convention restera en application jusqu’en 1968, c'est-à-dire au terme de la concession de 99 ans, lorsque l’Egypte redeviendra pleine propriétaire du canal. Plan alternatif I : Construction du canal Genèse et Compagnie II : Difficultés Crise de 1872, poussée nationalisme égyptienne, Convention Internationale de Constantinople III : La Belle Epoque du canal (l’occupation anglaise) Progrès dans le domaine des transports : La navigation à vapeur remplace la voile. Elle permet une accélération du trafic commercial, le canal de Suez est donc de plus en plus emprunté. Il devient un axe majeur de communication d’où multiplication par 2 des dividendes. C’est une source de profit importante pour les Anglais. L’usage du fioul, plus rentable que la vapeur, augmente encore la fréquentation du canal. Le canal est aussi, tout comme Gibraltar, un axe stratégique. Les Anglais y construisent 2 bases : à l’entrée et à la sortie du canal. Le canal devient une obsession stratégique. Il joue également un rôle sur la Palestine les Anglais, du fait de leur contrôle du canal, y empêchent toute installation.