analogies. Part faite des quelques exceptions dues à l'analogie des formes entre elles à
l'intérieur d'une même langue, l'évolution phonétique peut se décrire en termes rigoureux.
On peut espérer réduire progressivement les zones d'ombre. Il n'en va pas de même pour la
sémantique, non seulement parce que le sens des mots se modifie avec le temps, les sociétés
qui les emploient évoluant elles-mêmes, mais aussi parce que peu de mots se laissent
ramener à un étymon commun à toutes les langues indo-européennes. Les déplacements, les
disparitions, les emprunts empêchent de retracer une histoire systématique des sens. Ce qui
est vrai pour la sémantique de l'ensemble d'une langue ou d'une famille de langues l'est, plus
manifestement encore, de la sémantique religieuse. En conséquence, contrairement à ce qui
se produit en phonétique et morphologie, on n'isole pas, dans le champ sémantique, des faits
identiques ou même homologues, on identifie des relations analogues : ni l'affinité
étymologique, ni la ressemblance des personnages ne fondent la comparaison historique. G.
Dumézil l'a dit : "Les noms propres... en matière de structure religieuse, de théologie
comparés, n'ont pas l'importance qu'on leur attribue souvent" (CIE, 1951, p.227) : ce qui se
donne à comparer, c'est formellement la place relative des figures, des conceptions et des
pratiques, à l'intérieur de deux systèmes religieux tenus pour cohérents et ressemblants. En
ce sens, la comparaison dégage des structures, mais en se gardant d'imposer des schémas
abstraits ou préétablis. L'empirisme s'impose. La tripartition fonctionnelle, telle qu'elle se
dégage et se précise à partir de 1938, ne relève pas d'une abstraction ; elle se manifeste
concrètement dans le système des quatre classes indiennes, comme c'est spécifié dans
l'Idéologie tripartie des Indo-Européens (1958, p. 7). Elle se retrouve dans toute l'aire
d'expansion indo-européenne, plus ou moins occultée, dans des pratiques ou des
représentations, mais ni dans toutes ni sous une forme identique.
A l'école de l'ethnologie, G. Dumézil aurait pu s'engager dans la comparaison généralisée,
dont M. Mauss disait la légitimité dans le compte-rendu qu'il a donné du Festin d'immortalité
("Mythologie indo-européenne comparée", Année Sociologique, 1925, p. 517-518 : Œuvres III,
1969, p. 315-316). Mais, distinguant trois pratiques en histoire des religions : l'histoire
spécialisée d'une religion déterminée, la généalogie des religions génétiquement apparentées
et la typologie généralisée, il a choisi pour lui-même d'étudier la généalogie des religions
indo-européennes, dont il formule le postulat dans la préface au Traité d'histoire des religions
de Mircea Eliade (1949, dernière édition, Paris 1975, p. 6) : "En matière de religion comme
en matière de langage, tout état s'explique et ne s'explique que par une évolution, à partir
d'un état antérieur, avec ou sans interventions d'influences extérieures... Aujourd'hui, ajoute-
t-il (p. 7), pour les peuples indo-européens, on a reconquis un ou deux millénaires sur les
tempora incognita." Ainsi se propose-t-il de reconstruire, par la comparaison, une histoire
archaïque des mentalités des peuples indo-européens. Car il a évolué de la simple histoire
des religions à l'histoire des idéologies, définies comme "les faits de civilisation non
matérielle", dont il énumère les éléments dans sa Leçon inaugurale au Collège de France : les