MASTER 1 :
Notes du cours du 20 novembre 2007
L’analyse chez Leibniz :
* Cette question doit être traitée en rapport avec l’art d’inventer et c’est à la
logique d’être inventive. La logique de la découverte concerne les concepts et
les propositions, qui sont, selon la logique aristotélicienne, la combinaison d’un
sujet et d’un prédicat. Ce qui explique que pour Leibniz, la logique inventive a
deux problèmes à résoudre : étant donné un prédicat en trouver les sujets et étant
donné un sujet en trouver les prédicats (Sur la manière de procéder, voir
Couturat, La logique de Leibniz, 1969 - chap. La combinatoire -).
Cette idée de trouver les rapports entre les concepts est permanente chez Leibniz
et on la trouve dès le De Arte. Il s’agit de la théorie des complexions, qui est, en
fait, une théorie des sous ensembles, qui consiste à diviser le tout en totalités
mineures. Selon M. Serres, le problème de la partition et de la divisibilité reste
chez lui un problème de base, que ce soit dans ses travaux sur l’arithmétique des
nombres primitifs ou sur l’analyse infinitésimal ou dans ses réflexions sur la
théorie de la connaissance (notions simples et primitives) ou encore de la
métaphysique des possibles ou de la physique des agrégats. D’ailleurs, l’art
combinatoire doit être, pour lui, érigé en méthode universelle ; et ce, par
exemple, contrairement à Descartes Cette moindre des politesses qui n’est
jamais utile si elle n’est pas nuisible » 2ème 4ème règle). La méthode d’analyse de
Leibniz est très ingénieuse, puisqu’une série de séries constituera une table et les
tables deviendront des tables de définitions de concepts, c’est-à-dire des
dictionnaires.
En d’autres termes, selon Leibniz, tout domaine de la connaissance doit pouvoir
être tabulé. Ce qui ne peut se faire que par l’opération d’analyse. Le texte du De
Arte est bien sûr encore très modeste, mais il est déjà clair qu’il envisage un
traité de tabulation, une méthode d’analyse et de classement (il faut dire que ce
texte de 1666 n’a jamais été renié par Leibniz. Il s’y agit de l’art de la
combinaison et de la complexion qui est considéré comme une étude du tout,
des parties et de la division : diviser le tout majeur en tous mineurs que l’on
retrouve dans la Monadologie par exemple). Chez lui, le problème de la partition
et de la divisibilité reste un problème de base ; ce qui fait que l’art combinatoire
devient la méthode universelle.
Par conséquent, il est important de recourir à des éléments qu’on peut qualifier
de primitifs. Par ailleurs, la méthode des complexions présuppose la méthode
analytique des simplicités. Pour classer les connaissances, nous aurons alors
deux sortes de tables : celle des éléments simples et celles de leurs
combinaisons.
Il est par conséquent, nécessaire d’analyser les concepts et de le ramener
(comme dirait Carnap) à des concepts simples, derniers et indéfinis. De cette
manière, on pourra établir la liste des premiers concepts, qu’il appellera
l’alphabet des pensées et les concepts dérivés pourront être constitués, de la
même manière que les mots le sont à partir de l’alphabet. Ceci nous permet de
dire que la méthode présentée dans le De Arte pour inventer de nouvelles vérités
est double : analytique et combinatoire.
** s’arrête l’analyse ? Et qu’est-ce que Leibniz entend par concept
premier ? Quels sont les critères de la simplicité ?
« Il est très difficile de venir à bout de l’analyse des choses, mais il n’est pas si
difficile d’achever la connaissance des choses dont on a besoin. Parce que
l’analyse d’une vérité est achevée quand on a trouvé la démonstration, et il n’est
pas toujours nécessaire d’achever l’analyse du sujet ou prédicat pour trouver la
démonstration de la proposition. Le plus souvent le commencement de l’analyse
de la chose suffit à l’analyse ou connaissance parfaite de la vérité qu’on connaît
de la chose » (L. De la sagesse, Gerhardt, T.7).
A ce propos, il insiste sur l’idée très moderne qu’il n’est pas nécessaire de tout
prouver et que toutes les connaissances devraient prendre exemple sur la
géométrie. Dans une lettre à Foucher de 1686, il fait remarquer que « il est
constant qu’on doit supposer certaines vérités, ou renoncer à toute espérance de
faire des démonstrations, car les preuves ne sauraient aller à l’infini. Il ne faut
rien demander qui soit impossible, autrement ce serait témoigner qu’on ne
cherche pas sérieusement la vérité ».
Il considère les idées simples comme indécomposables et indéfinissables. Elles
constituent les éléments des idées complexes.
Complexes
Obscures Claires
=
Insuffisantes pour dire la
nature de ce qu’elles représentent
Confuses distinctes
=
L’analyse ne permet pas de
discerner les éléments qui
les composent
adéquates inadéquates
= =
Nous en connaissons Nous n’en avons
tous les réquisits discerné qu’une
(mathématiques) partie faute
d’analyse plus
poussée
PS : une idée est claire lorsqu’elle suffit à reconnaître la chose et à la distinguer
(par ex. l’idée claire d’une couleur).
PS : connaissance adéquate : tout ce qui entre dans une définition ou
connaissance distincte est connu directement jusqu’aux notions primitives.
Par exemple, si je dis que le vert est un mélange de bleu et de jaune, j’ai une
connaissance distincte, cette connaissance n’est ni parfaite, ni adéquate car
j’aurais besoin de définir encore le bleu et le jaune. Il est possible de pousser
l’analyse davantage.
La connaissance adéquate est ainsi plutôt rare, d’où la nécessité de considérer
l’opinion fondée sur la vraisemblable comme étant une connaissance.
*** Pour Leibniz, les idées simples ou primitives sont indémontrables et
irréductibles. Elles constituent les termes du premier ordre. Il les oppose aux
idées dérivatives. Celles-ci résultent des rapports entre les premières (Gerhardt,
Philosophische Schriften, 5, 21-22) et se forment par l’entendement et le
raisonnement. Les idées primitives sont à l’image des nombres (entiers)
primitifs. Qu’est-ce qu’un nombre primitif ? Il l’est « s’il ne peut être divisé ou
produit par multiplication, au lieu que tous les autres peuvent être produits ou
divisés par ceux-ci. Si leur progression était bien connue, elle servirait à nous
découvrir le mystère des nombres en général ».
Nous aurons alors, 1) un tableau des idées simples, dont les plus complexes sont
composées. Ces idées sont distinctes et n’ont pas de définitions, puisqu’elles ne
résultent d’aucune composition et que pour Leibniz définir revient à analyser et
2) une série de tableaux qui représentent les idées complexes de 2 à x de ces
idées simples.
Leibniz rejette à la fois la méthode, qui consiste à n’admettre que ce qui est
évident, en l’occurrence la méthode cartésienne, dont il dit qu’elle ressemble à la
méthode d’un alchimiste qui dirait en prenant un air important : « Prends ce
qu’il faut prendre, opère comme il faut opérer et tu obtiendras ce que tu désires »
et la méthode de Bacon qu’il juge imparfaite, car étant donné que l’objet de la
science est de déterminer des vérités sûres, on ne peut se contenter de
vérifications a posteriori qui peuvent être contredites par une autre expérience.
La notion de définition est ainsi étroitement liée d’une part à celle d’idée
première et d’autre part à celle de connaissance. En effet, connaître quelque
chose c’est en donner la définition jusqu’aux notions primitives. Connaître
revient à définir.
**** Par ailleurs, la logique est inventive et une des tâches que Leibniz voulait
remplir était de spécifier une méthode pour la découverte. Celle-ci est basée sur
l’idée qu’il existe des termes primitifs à partir desquels sont constitués tous les
autres, ceci à l’image des démonstrations mathématiques (en plus du
symbolisme et de la fin des disputes). Comment accroître ses connaissances ?
Le lien avec l’analyse est clair, car pour inventer de nouvelles vérités, il faut
d’abord connaître. Aussi bien l’analyse, c’est-à-dire la connaissance que
l’invention, c’est-à-dire la complexion dépendent de la caractéristique. En effet,
celle-ci permettrait d’avoir tous les signes avec leurs significations.
Contrairement aux langues naturelles, elle est statique.
Ex : définition du mot « justice » (lettre à la duchesse Sophie):
- Justice : charité conforme à la sagesse
- sagesse : science de la félici
- la charité est une bienveillance universelle
- la bienveillance est une habitude d’aimer
- aimer : trouver du plaisir dans le bien, la perfection, le bonheur d’autrui.
Ou encore dans une lettre au duc de Hanovre :
- justice : charité du sage
- charité : bienveillance générale
-sagesse : science de la félicité
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