Trajet
Elle traversait la forêt de Soignes au beau milieu des hurlements du trafic
européen. Les zébrures de la pluie tambourinaient sur son pare-brise dans le
clic clic des essuie-glaces. Dès son entrée sur l’autoroute, elle avait eu l’idée de
filer sur Tervuren mais l’orage l’en avait dissuadée. Elle aurait voulu s’allonger
sur la pelouse du musée et ne plus penser à rien.
Depuis qu’elle roulait, l’image de sa mère ne la quittait plus. Elle la revoyait, les
doigts soudés à sa canne, sous le fracas des F16 et les Alpha Jet qui décollaient
de Beauvechain et qui leur mettaient à toutes deux un goût de fer dans la
bouche. La quitter devenait impossible. Rester ne l’était pas moins.
Avant d’arriver au tunnel des Quatre Bras, elle remonta dans des gerbes d’eau
tout un train de camions polonais dont l’un portait, en police d’écriture
Arial, l’inscription " Saint-Nectaire, le bon fromage fermier ". De telles
rencontres lui faisaient mesurer les distances entre hier et aujourd’hui.
En quittant la densité compacte du trafic qui suivait le panneau " Centrum ", elle
regretta de ne pas filer, elle aussi, vers la Grand-Place. Depuis toujours, ce
décor de pignons espagnols l’enchantait.
Elle emprunta sur la gauche le boulevard du Souverain. Les buildings friqués
reflétaient ce jour-là tout le gris du ciel. Les jardins, les parcs et les contre-
allées étaient vides. Des familles de canards traversaient les étangs sous les
impacts de la pluie. Le V qui d’habitude marque leur sillage n’existait plus.
Elle dépassa le tram dix-neuf qui, dans un soupir hydraulique, vint mourir auprès
d’elle au feu rouge suivant. Elle eut le temps d’observer une fillette qui
dessinait d’un doigt un cœur sur la vitre embuée du tram.
Une dernière rafale de pluie crépita sur le capot de son Opel.
Au Carrefour de l’Hippodrome, elle alluma ses phares pour s’engager sous la
hêtraie.
Lorsqu’elle passa devant les deux dragons du Chinois de la chaussée de
Waterloo, le soleil était revenu mais les échines cramoisies et les gueules
béantes étaient encore luisantes de pluie.
Des maisons quasi semblables et des commerces sans envergure se succédaient
à présent en rangées ininterrompues. Par-ci par-là quelques grues procédaient à