Introduction
Géographe, enseignant dans un IUT Carrières sociales de l'Université de Bordeaux, je me
suis souvent demandé si ce que j'y faisais était bien de la géographie. Certes j'ai obtenu une
thèse et une habilitation à diriger des recherches dans cette discipline. Cependant, à la
différence de la plupart de mes collègues, je ne suis arrivé à la géographie que tard, après un
parcours professionnel varié dans le domaine de la culture (musicien, directeur d'un centre
culturel puis d'une école municipale de musique et de danse) et du travail social (responsable
d'un centre de formation, d'aide à l’emploi et d'insertion par l'économique). Mes objets de
recherche sont donc apparus dans ma vie longtemps avant la géographie. Cela ne veut pas dire
que je n'utilisais pas déjà, avec mes collègues engagés dans la vie locale, des références
empruntées çà et là au langage de la géographie humaine, de l'aménagement du territoire ou
de l'analyse spatiale. Comment ne pas parler de géographie lorsqu'on explique la musique
irlandaise à un.e élève violoniste ou le chant gospel à une chorale ? Lorsqu'on essaie de
convaincre les élu.e.s de l'intérêt d'un projet de pays en réinventant l'histoire régionale?
Lorsqu'on travaille sur la mobilité de jeunes du milieu rural en les envoyant faire des stages
professionnels à l'étranger grâce à des programmes européens?
Le décalage observé entre cette géographie "spontanée" et les représentations
cartographiques sont toujours spectaculaires: la principale réalité géographique proposée pour
l'Entre-deux-Mers bordelais où j'habitais n'était-elle pas un terroir viticole entre deux
fleuves?... Au coeur d'une région Aquitaine partagée entre ruralité, tourisme et industrie de
pointe ?... Dans une France tempérée, de culture majoritairement catholique ?... Au sein d'une
Europe historique, s'arrêtant pile au Bosphore mais aux frontières floues du côté des plaines
ukrainiennes ? Comment rendre compte d'un autre "réel" géographique, celui des associations
et des petites entreprises, des migrant.e.s
, des bals et des fêtes, de la violence sur les terrains
de foot, de la démocratie locale auquel nous nous confrontions tous les jours ? Tel Google
Earth, fondant sur son objectif par le miracle d'un clic de souris, la toute puissance du
"géographieur" est parfois accablante pour le "géographié", qui peut avoir le sentiment qu'on
lui dénie la capacité de connaître "réellement" son environnement.
Dans la suite de ce texte le masculin sera utilisé comme représentant des deux sexes sans discrimination à
l’égard des femmes et des hommes et à seule fin d’alléger le texte, sauf dans les cas où la distinction est rendue
nécessaire par une référence possible aux études de genre.