même les familles entre elles sont loin d’être du même poids social, seules celles qui ont
une lignée prestigieuse prouvée ou imposée décident vraiment pour l’ensemble.
Une des traces de cette tradition fortement mythifiée, se trouve sur le plan
juridique : en terme islamique la notion de shuyu ou shiya’ désigne la propriété des biens
en commun, ce qui fait que le terme shuyu’i peut avoir la signification de communisme.
L’empire islamique, plus il s’agrandit, plus il intègre des traditions ethniques ou
nationales (berbères, perses, turques…) et des pensées religieuses diversifiées, malgré le
ciment apparent d’un Islam arabe trop souvent jugé intangible. De la même manière le
métissage ethnique devient la règle, ne serait ce que par la présence de femmes non
arabes de plus en plus fréquemment dans les harems. La diversité s’impose dans la
réalité
.
D’autre part, les révoltes, sécessions, schismes, hérésies (au moins 70 recensées
par les historiens)
, divisions, sans compter les innombrables coups d’État et les complots
abondent dans un monde qu’on présente souvent à tort comme trop unifié.
Le premier terme jugé satanique, blasphématoire serait shirk qui signifie
association, partenariat, donc tout ce qui est contraire à l’unicité de Dieu
. Mais celui qui
désigne l’hérésie est hartaqa ou zandaqa. La zandaqa désignait autrefois la religion
dualiste iranienne de Mani, et s’applique en premier lieu à tous les manichéistes réels ou
supposés. Le zindiq serait l’agnostique, l’hérétique, le libertin, ou plus généralement le
libre penseur et tout opposant politique ou social, dans l’aire islamique, une sorte de
libertaire en quelque sorte, tout comme le mulhid qui incarne les déviants et les athées.
Bref le mot zandaqa est polémique, polysémique, et désigne tout autant les philosophes
déclarés et rationalistes que les buveurs de vin et les poètes de l’amour libre... tous les
non-conformistes et dissidents. Un premier « zindiq » (Al-Ja’d b. DIRHAM) serait exécuté
vers 742, et ensuite une sorte de tribunal de l’inquisition se constitue pour les réprimer
massivement autour du Sahib al-zanadiqa
. Aujourd’hui zandaqa est un terme totalement
péjoratif, qui fait toujours « scandale »
, alors que la libre pensée fut parfois admise voire
souhaitée aux débuts de l’Islam : l’évolution sémantique est donc rapidement totalement
négative et traduit bien le degré de fixation et de fermeture de l’aire islamique. Quant à la
fitna, elle désigne toujours la dissidence, la sédition radicale, bref tout ce que l’Islam doit
exclure.
Ces mouvements sont quasi tous internes à l’Islam note Bernard LEWIS, pas
contre lui, donc quasiment jamais athées. Haytham MANNA note cependant l’existence
d’un courant « athée »
dont les plus importants penseurs seraient le sceptique et peut
être mutazilite Ibn AL-RAWANDI (827-911) et le médecin persan Al-RAZI (Abu Bakr
Mohammad Ibn ZAKARIYA AL-RAZI - le RAZHÈS des latins 865-925); mais l’auteur
précise que cet athéisme s’en prend à la prophétie, pas à Dieu, ce qui le différencie de
« l’athéisme européen » : le mot semble donc mal utilisé. La remise en cause
fondamentale du fait religieux est donc extrêmement rare, soit par autocensure nécessaire
face à des pouvoirs violents, intolérants et autocratiques, soit parce que l’Islam est plus
implanté et plus contraignant que les anciennes religions. Comme le remarque Malek
CHEBEL « dès le début, une croyance qui paraissait absurde allait se transformer en un
credo incontournable. Une foi immense qui, d’un côté intègre immensément et qui, de
l’autre, ne lâche plus son sujet, l’enveloppe et l’assiège littéralement. L’étau se referme.
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.18-19
LEWIS Bernard La signification des hérésies dans l’histoire de l’islam (1952), -in-Islam, p.852
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.12 &
21
Haytham op.cit., p.94-95
WILSON Peter Lamborn Scandal: Essays in Islamic Heresy, 1988
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.22-
23