Remarque : Article de mai 2009 publié en italien en appendice dans
Pier Francesco ZARCONE Islam, Bolsena: Massari editore, p.189-200, 2009
et mis à jour sur le site http://www.acratie.eu/
dans le chapitre Utopies libertaires dans l'espace et dans le temps
http://www.acratie.eu/FTPUTOP/U4TRACES.DOC.
Quelques mouvements de révoltes et de réflexions
parfois libertaires
dans le monde islamique
1. Les caractéristiques propres à l’Islam
L’Islam naît dans une péninsule arabique marquée par un nomadisme arabe
souvent très indépendant. La tradition des bédouins (le mot « arabe » désigne les
nomades dans la plupart des textes, y compris le Coran) reste forte pendant longtemps.
Cette tradition est difficile à vraiment cerner, mais on met souvent en avant - pour des
raisons plus ou moins fondées (recherches historiques « laïques ») ou utilitaires
(nationalisme arabe ou fondamentalistes radicaux d’aujourd’hui) - des pulsions
communautaristes, égalitaristes et de démocratie directe… que l’Islam recèlerait au moins
à ses débuts.
Les tribus élisent leurs chefs ou cheikhs, mettent en commun les terres, parfois les
troupeaux, gèrent collectivement l’accès à l’eau… Les chefs limitent leur pouvoir par la
pratique de la chûrâ (consultation des autres membres de la communauté pour avis avant
de prendre une décision), pratique qui est reprise dans le Coran. Les assemblées ou
malâ’ (conseil des anciens regroupant les principaux chefs de clans) est une autre
barrière au pouvoir absolu. Cette institution, par contre, ne sera pas reprise par le Coran
1
.
Bref les sociétés arabes antéislamiques présentent certains traits pré-étatiques plus
qu’antiétatiques que l’on retrouve dans bien des sociétés dites « primitives »
2
, ce qui
amène parfois à parler « d’un certain socialisme tribal primitif »
3
. Cela permet à un
anarchiste déterminé comme le sicilien Paolo SCHICCHI d’affirmer vers 1912-1914 que
les arabes préislamiques font partie des peuples les plus libres
4
. Les communautés
apparaissent soudées et sont organisées de manière très subtiles, sinon
démocratiquement : beaucoup d’orientalistes rappellent d’ailleurs que le terme d’Umma
ou Oumma (la communauté non discriminatoire des croyants dans l’islam) est d’origine
ancienne, antéislamique, et peut être même non arabe.
À l’aube de l’Islam, l’Arabie est également une terre culturellement fort diversifiée,
marquée par des communautés chrétiennes, juives, polythéistes et animistes et
également déjà largement monothéistes… qui cultivent leur autonomie, et qui profitent de
la quasi inaccessibilité de la zone steppique et désertique pour vivre semi-clandestinement
leur propre religion ou philosophie. Malgré les conflits sporadiques, le secteur semble
donc relativement ouvert et accueillant.
Les succès de l’Islam dans cette partie du monde n’enlèvera jamais totalement ces
traces d’autonomie, antihiérarchiques et communautaires, même s’il ne faut évidemment
pas les exagérer ni oublier les aspects paternalistes, anti-féminins, et le caractère violent
et religieux de ces peuples, ce qui leur enlève tout caractère foncièrement libertaire. De
1
MERVIN Sabrina Histoire de l’islam. Fondements et doctrines, Paris : Flammarion, 311p, 2000, p.204-205
2
LEWIS Bernard Les arabes dans l’histoire (1947), -in-Islam, Paris : Gallimard, 1338p, 2005, p.85-86
3
CARRÉ Olivier L’utopie islamique dans l’Orient arabe, Paris : PFNSP, 275p, 1991, p.54
4
SCHICCHI Paolo La guerra e la civilità. Mondo arabo e aggressione occidentale, Ragusa : Sicilia Punto L
Ed., 112p, 1988, p.29
même les familles entre elles sont loin d’être du même poids social, seules celles qui ont
une lignée prestigieuse prouvée ou imposée décident vraiment pour l’ensemble.
Une des traces de cette tradition fortement mythifiée, se trouve sur le plan
juridique : en terme islamique la notion de shuyu ou shiya’ désigne la propriété des biens
en commun, ce qui fait que le terme shuyu’i peut avoir la signification de communisme.
L’empire islamique, plus il s’agrandit, plus il intègre des traditions ethniques ou
nationales (berbères, perses, turques…) et des pensées religieuses diversifiées, malgré le
ciment apparent d’un Islam arabe trop souvent jugé intangible. De la même manière le
métissage ethnique devient la règle, ne serait ce que par la psence de femmes non
arabes de plus en plus fréquemment dans les harems. La diversité s’impose dans la
réalité
5
.
D’autre part, les révoltes, sécessions, schismes, hérésies (au moins 70 recensées
par les historiens)
6
, divisions, sans compter les innombrables coups d’État et les complots
abondent dans un monde qu’on présente souvent à tort comme trop unifié.
Le premier terme jugé satanique, blasphématoire serait shirk qui signifie
association, partenariat, donc tout ce qui est contraire à l’unicité de Dieu
7
. Mais celui qui
désigne l’hérésie est hartaqa ou zandaqa. La zandaqa désignait autrefois la religion
dualiste iranienne de Mani, et s’applique en premier lieu à tous les manichéistes réels ou
supposés. Le zindiq serait l’agnostique, l’hérétique, le libertin, ou plus généralement le
libre penseur et tout opposant politique ou social, dans l’aire islamique, une sorte de
libertaire en quelque sorte, tout comme le mulhid qui incarne les déviants et les athées.
Bref le mot zandaqa est polémique, polysémique, et désigne tout autant les philosophes
déclarés et rationalistes que les buveurs de vin et les poètes de l’amour libre... tous les
non-conformistes et dissidents. Un premier « zindiq » (Al-Ja’d b. DIRHAM) serait exécuté
vers 742, et ensuite une sorte de tribunal de l’inquisition se constitue pour les réprimer
massivement autour du Sahib al-zanadiqa
8
. Aujourd’hui zandaqa est un terme totalement
péjoratif, qui fait toujours « scandale »
9
, alors que la libre pensée fut parfois admise voire
souhaitée aux débuts de l’Islam : l’évolution sémantique est donc rapidement totalement
négative et traduit bien le degré de fixation et de fermeture de l’aire islamique. Quant à la
fitna, elle désigne toujours la dissidence, la sédition radicale, bref tout ce que l’Islam doit
exclure.
Ces mouvements sont quasi tous internes à l’Islam note Bernard LEWIS, pas
contre lui, donc quasiment jamais athées. Haytham MANNA note cependant l’existence
d’un courant « athée »
10
dont les plus importants penseurs seraient le sceptique et peut
être mutazilite Ibn AL-RAWANDI (827-911) et le médecin persan Al-RAZI (Abu Bakr
Mohammad Ibn ZAKARIYA AL-RAZI - le RAZHÈS des latins 865-925); mais l’auteur
précise que cet athéisme s’en prend à la prophétie, pas à Dieu, ce qui le différencie de
« l’athéisme européen » : le mot semble donc mal utilisé. La remise en cause
fondamentale du fait religieux est donc extrêmement rare, soit par autocensure nécessaire
face à des pouvoirs violents, intolérants et autocratiques, soit parce que l’Islam est plus
implanté et plus contraignant que les anciennes religions. Comme le remarque Malek
CHEBEL « dès le début, une croyance qui paraissait absurde allait se transformer en un
credo incontournable. Une foi immense qui, dun côté intègre immensément et qui, de
l’autre, ne lâche plus son sujet, l’enveloppe et l’assiège littéralement. L’étau se referme.
5
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.18-19
6
LEWIS Bernard La signification des hérésies dans l’histoire de l’islam (1952), -in-Islam, p.852
7
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.12 &
21
8
Haytham op.cit., p.94-95
9
WILSON Peter Lamborn Scandal: Essays in Islamic Heresy, 1988
10
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.22-
23
On devient musulman à la naissance et aucune échappatoire n’est permise »
11
. C’est à
peu près le même phénomène qu’on retrouve au XX° siècle dans l’empire soviétique : les
mouvements de révolte se préservent en proposant des aménagements, pas un
renversement total du système. Cela n’enlève donc rien à leurs caractéristiques
autonomistes ou pré-libertaires, même si à mes yeux l’Islam reste une des religions les
plus autoritaires et « gouvernementaliste » (je suis conscient de l’anachronisme et du
choix discutable de ce terme) tant la soumission à dieu (c’est le sens propre du mot Islam)
et la soumission au pouvoir vont de pair. Bien r il y a dans le premier islam médiéval un
souci des coutumes et de l’effort interprétatif (‘Ijtihad ou Ictihâd en turc), mais cela cesse
relativement vite et le monde musulman se fige rapidement pour des siècles.
Il faut cependant insister sur ce pluralisme évident des buts de l’islam, et en
revivifier le souvenir et l’importance, autour de 4 notions essentielles, qui, même si elles
ne concernent vraiment que le fait religieux, témoignent d’une réelle reconnaissance de
l’initiative humaine : Ikhtiyar ou libre choix, Iktilâf ou reconnaissance des divergences
doctrinales, Ijtihâd ou reconnaissance du droit à l’interprétation et à l’analyse et Mutlaq
(sorte d’Ijtihâd absolu). L’Ijtihad ou « effort », quasiment interdit aujourd’hui et cela
depuis au moins la « fermeture - ghuliqat abwab al-ijtihad » imposée sous le calife
abbasside Al-QADER (mort en 1031), repose sur l’effort intellectuel, et rationnel parfois,
pour analyser le Coran à la lumière des changements géographiques et temporels, donc à
l’interpréter de manière libérée de tout dogme ou de tout fondamentalisme.
Il y a également des recommandations pour combattre un mauvais pouvoir et
éliminer le mauvais souverain si nécessaire. ZARCONE insiste par exemple sur le rôle
d’Ibn TAYMIYYA (1263-1328) à l’époque des invasions mongoles. Cela a permis parfois
des rapprochements avec les attentats et assassinats contre les puissants : les
antimonarchistes des révolutions britanniques ou françaises, la propagande par le fait et
ses déviations terroristes au tournant des XIX° et XX° siècles notamment... Mais les
positions dans l’aire islamique sont seulement valables si le souverain est mauvais au
regard de dieu et du Coran. Ce serait donc une forme de jihad interne ; il n’y a donc rien
contre le pouvoir en soit, et surtout pas un positionnement laïc. De plus il est souvent
rappelé que « la tyrannie est préférable à lanarchie »
12
, et la soumission au mauvais
responsable est constamment rappelée, pourvu qu’il agisse au nom des principes
religieux. Nous sommes donc ici aux antipodes de l’anarchisme.
2. L’utopie dite « islamique »
Parmi ces mouvements, certains peuvent être cités dans ce chapitre, avec une
extrême prudence quant à leurs traits libertaires et quant à leurs aspects utopiques. Avant
de les décrire il faut rappeler ce que représente aujourd’hui « l’utopie islamique ». Je vais
surtout utiliser le livre d’Olivier CARRÉ, même s’il est parfois trop limité dans l’espace à
« l’Orient arabe » et à la pensée arabe
13
.
L’utopie, au sens de l’âge d’or, celui d’un « Royaume de Dieu sur terre », mythique
ou en tout cas fort idéalisé (un « mythe idéologique » écrit fort justement Pier Francesco
ZARCONE), renvoie à la période primitive de l’Islam, celle strictement liée au pouvoir
théocratique, économique et militaire de MAHOMET à Médine. Il s’agit donc d’une très
courte parenthèse historique, que certains étendent cependant aux 4 califes suivants (au
VII° siècle, jusqu’en 632 ou 661).
À cette époque, MAHOMET cumule tous les pouvoirs et tous les rôles, les vies
sociale, économique, culturelle, judiciaire, militaire et politique étant mêlées. Cet « État
11
CHEBEL Malek L’Islam et la Raison. Le combat des idées, Paris : Perrin-tempus, 240p, 2006, p15
12
LEWIS Bernard Le langage politique de l’islam (1986), -in-Islam, Paris : Gallimard, 1338p, 2005, p.796
13
CARRÉ Olivier L’utopie islamique dans l’Orient arabe, Paris : PFNSP, 275p, 1991
théocratique coranique initial » se présente donc comme unitaire ou unitariste, tout se
confondant en un seul ensemble présenté tort évidemment) comme non conflictuel. À
tort car les différences sociales (MAHOMET appartient, notamment par mariage, aux
classes supérieures), ethniques ou tribales, de localités… sont multiples et jamais
totalement réduites.
Il repose également sur une posture égalitaire fondamentale, celle des croyants,
dans une communauté (‘Umma) qui serait sans différences ethniques ou nationales, ni
même sexuelles si on est sensible à la position assez moderne du prophète vis-à-vis de la
femme. Cette ‘Umma ou Oumma serait investie de la réalité du pouvoir, et serait seule en
mesure de choisir le calife, ce que les kharidjites ultérieurement revendiqueront. On
pourrait parler de communauté s’administrant elle-même, p ou antiétatique. Cette
communauté des croyants présente donc bien des traits sympathiques, à postériori,
d’autant qu’elle exprime aussi une vraie dénonciation de tout nationalisme, de tout
étatisme séparatiste, de toute distinction personnelle…
Cet « État » initial serait également d’une certaine manière un État providence
avant la lettre car il pratiquerait l’entraide et la fraternité islamique en imposant le don (un
des 5 Piliers), voire en justifiant l’expropriation et en assumant une saine redistribution
égalitaire (zaqât) notamment vers les plus démunis : CARRÉ parle « dÉtat zakâtique ».
Sur cette vision assurément caricaturée et non contextualisée de l’Islam et de
l’utopie médinoise des origines se fondent tout autant un réformisme musulman qu’un
extrémisme radical (appelé aujourd’hui « islamiste » ou « Islam politique »). Tous
recherchent avec des moyens différents à renouer avec ce passé mythifié
(fondamentalisme) ou à appliquer au mieux (pour certain à la lettre) un texte coranique
jugé parfait (intégralisme). L’unité du monde (Dunya) et de la société, avec celle de la
direction politique étatique (Dawla) et de la religion (Dîn) donne la revendication acritique
de « l’inséparabilité des 3 D ».
Il s’agit donc, en s’inspirant d’un supposé âge d’or harmonieux de la communauté
médinoise, de projeter pour l’avenir proche un monde nouveau dont la seule idéologie
serait l’Islam des origines. On retrouve ici, comme dans beaucoup de projets utopiques,
une utopie nostalgique et régressive, qui côtoie une utopie du renouvellement, de la
renaissance : passé, présent et futur étant indissociablement mêlés. L’intérêt est que ce
mouvement, profondément réactionnaire et anti-progressiste au niveau politique et
religieux, absorbe sans complexe le modernisme technique de l’ère numérique.
3. Principaux mouvements possédant des traits utopiques ou libertaires
Dès le début de l’islam, des mouvements semblent mettre en avant l’importance et
la libre détermination des actes humains, ainsi que la liberté d’interprétation par rapport
aux textes sacrés, laissant donc à l’homme une certaine autonomie : ce serait le cas des
Qadarites, opposants aux Omeyyades au VII° siècle. Mais leur rigorisme religieux
intransigeant empêche tout rapprochement avec une vision libertaire.
Le premier kharidjisme (fin du VII° - la « séparation » est datée parfois de 657)
offre plus de comparaisons intéressantes. Ce terme signifie « sécession »,
« sécessionniste », « sortie » (ceux qui réfutent autant sunnisme que chiisme, et donc qui
sortent du choix imposé). Il désigne des groupes, souvent en marge du monde arabe (je
pense surtout au monde persan), qui rejettent parfois l’autorité centrale, et tout pouvoir
institutionnalisé, et qui sont marqués par une forte tradition égalitariste. Outre le fait qu’ils
sont apparemment très favorables à l’ijtihâd, les kharidjites soutiennent le choix des
califes, nommés de manière autonome sur leurs seuls mérites (réels ou supposés), et
affirment leur possible renversement si ce chef politico-religieux ne convient pas. On
assiste ici à une sorte « d’idéal du gouvernement par consentement »
14
plus que de
l’anarchisme proprement dit. L’anarchiste italien Paolo SCHICCHI les compare à une
secte « maçonnique et républicaine »
15
.
Ainsi les kharidjites renouent avec (ou prolongent) les institutions de la chûrâ et du
malâ’ antéislamiques (Cf. ci-dessus). La théorie de l’imamat qu’ils préconisent permet de
choisir un imam par une sorte de conseil composé autant de clercs que de laïcs. Il est bon
de rappeler qu’imâm (guide) et calife-khalîfa (successeur du prophète) sont presque
synonymes, et le premier terme chez les chiites et les kharidjites est plus usité. Ce serait
donc d’une certaine manière, une des rares apparitions d’un Islam un peu démocratique et
ouvert, car si ce sont les seuls mérites qui permettent le choix de l’imâm, alors même un
esclave peut y prétendre. Cette tradition remonte donc au vieux fonds autonomiste, voire
« anarchiste » des bédouins : « le kharidjisme s’appuyait dans une large mesure sur les
Bédouins, et exprimait le ressentiment des nomades indomptés contre l’État usurpateur
non tellement contre l’État omeyyade en tant que tel que contre le fait même et la notion
d’État, d’une autorité constituée exerçant la contrainte et même la coercition, et rognant la
totale liberté de la sociétribale. La théorie kharidjite du califat conduit la doctrine du
consentement jusqu’au point de l’anarchie et les kharidjites ont en fait été décrits comme
l’aile anarchiste de l’opposition révolutionnaire »
16
.
Autre trait essentiel, des écrits mettent en avant le rôle important des femmes dans
le kharidjisme, certaines menant même les armées au combat. Un groupe minoritaire, les
Shabiba auraient même choisi de manière totalement sacrilège une femme (Ghazala)
comme Imam
17
!
Mais il ne faut pas exagérer ce trait démocratique, ni faire d’anachronisme : par
exemple le violent et puissant kharidjisme d’Afrique du Nord (notamment chez les
berbères arabisés Zénètes - Zenata ou Iznaten) s’est vite transformé en un islamisme
intransigeant, autoritaire, paternaliste et austère. Les Ibâdites actuels (je pense
notamment aux Mozabites du Mzab) ont même accentué ces traits. Les autres groupes
issus du kharidjisme (Azqarites, Sufrites, Hajdites…) présentent pratiquement tous une
vision rigoriste, voire expansionniste. Enfin il faut rappeler que les kharidjites ont joué un
rôle déterminant dans les premières oppositions islamiques, mettant leurs aspects
sectaires et violents au service des pouvoirs qui leurs étaient les plus favorables,
notamment en multipliant les complots et les coups de mains : le pouvoir califal s’en est
servi largement. Ils ont même développé au sein de l’Islam la notion de tafkir, c'est-à-dire
d’excommunication-expulsion des mauvais musulmans, d’où une vision dogmatique,
totalitaire et intolérante qu’ils initient dès l’origine.
Le kharidjisme, violemment autonomiste, entraîne ainsi diverses révoltes et
rébellions : celle de fi‘ IBN AL-AZRAQ en 684 à partir de Bassorah et qui s’étend au
Khuzistan (province iranienne du Golfe Persique), et à la région de Fars et de Kirman;
celle de 695 à Kufa et dans la région de la plaine d’Al-Jazira en Mésopotamie - dans cette
région les troubles durent jusqu’au milieu du VIII° siècle ; celle de 740 au Maghreb...
Au début du VIII° ce kharidjisme se radicaliserait parfois au point que Bernard
LEWIS parle même à leur propos « d’anarchistes égalitaristes »
18
, puisqu’ils affirment de
plus en plus que tout homme bon peut être calife, quelles que soient ses origines
ethniques ou sociales : même « un esclave noir », même des non arabes (les mawâli)...
14
LEWIS Bernard Les arabes dans l’histoire (1947), -in-Islam, p.128
15
SCHICCHI Paolo La guerra e la civilità. Mondo arabo e aggressione occidentale, Ragusa : Sicilia Punto L
Ed., 112p, 1988, p29
16
LEWIS Bernard La signification des hérésies dans l’histoire de l’islam (1952), -in-Islam, p.848
17
MANNA Haytham Islam et hérésies, l’obsession blasphématoire, Paris : L’Harmattan, 138p, 1997, p.38
18
LEWIS Bernard Les arabes dans l’histoire (1947), -in-Islam, p.158
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